Attendre au milieu des reines des prés
Uniforme rouge, deux cornes noires sur la tête et le fameux « M » sur son poitrail. Le premier sbire qu’ils rencontrèrent sonna comme un véritable soulagement pour le métamorphosé. Il faut dire que jusque-là, tout avait été beaucoup trop calmes : pas de pièges, pas de pokémons ennemis en embuscade, pas de plafond qui s’effondrait sur leur tête, et ensuite Serena s’étonnait qu’il soit nerveux !
Le sbire s’était arrêté, sa tête penchait d’un côté puis de l’autre, étrangement placide alors que bon sang, il y avait deux intrus sous ses yeux, deux intrus qui pouvaient compromettre les plans de sa bande ! Donc il devrait s’énerver, ou paniquer, ou n’importe quoi d’autre du genre.
- Dracaufeu ! cria Serena. Utilise Lance-Flamme !
"…"
- Dracaufeu ?
"Et s’il cachait quelque chose sous son uniforme ?"
- Tu ne vas pas recommencer ! gémit-t-elle.
"Je suis sérieux !"
- C’est bien ce qui m’inquiète !
"Mais… Et si…"
D’accord, son pokémon était clairement en train de décompenser elle ne savait trop quoi, et si elle n’agissait pas rapidement le malosse que le sbire venait d’appeler allait se faire un plaisir de mettre en charpie le reptile.
- Très bien, tu as gagné, on bat en retraite ! Alors s’il te plait Dracaufeu, maintenant il faut que tu…
Il fallut quelques secondes à Serena pour comprendre ce qu’il venait de se passer. Tout d’abord son dragon qui soufflait bruyamment, les babines découvertes et les griffes brillantes encore d’un vert émeraude. Puis le pokémon ténèbres étalé sur son maître, quelques flammes s’évanouissant au bout de ses crocs.
Le métamorphosé resta encore immobile à les observer, comme s’il était incapable de croire qu’il ait vraiment pu les vaincre si facilement. Et il serait sans doute resté dans cette position un long moment si Serena ne s’était pas jetée à son cou, lui faisant pousser un petit cri de surprise.
- D-Dracau, balbutia-t-il.
- Quel piège ? leva-t-elle les yeux au ciel sans pouvoir s’empêcher de sourire. Une seule attaque, tu les as battus en une seule attaque !
- F-Feu, dracau.
- Bien sûr que si c’est possible !
- C-Cau…
- Tout simplement parce que tu es un Dracaufeu, pouffa-t-elle avant d’ajouter avec une pointe de fierté dans la voix : Et très bien entrainé en plus.
Serena n’avait toujours pas lâché son cou, et Sacha ne ressentait aucun besoin qu’elle le fasse, commençant même à se détendre dans l’étreinte et à se dire que peut-être il pouvait vraiment y arriver. Du moins, s’il en croyait ces yeux brillants et ce petit sourire qui avaient le don de le ragaillardir (et étrangement de le faire réussir même quand toutes ces précédentes tentatives s’étaient soldées par des échecs).
"J’ai… J’ai peut-être un peu surinterprété les choses," marmonna-t-il.
- Un peu ?
"Beaucoup," céda-t-il les joues légèrement rougies.
L’idée que Serena puisse être blessée lui avait fait complètement perdre ses moyens, surtout qu’elle décidait d’elle-même de se jeter dans la gueule du Sharpedo alors qu’il pouvait très bien y avoir… pas forcément des gros cailloux parce que c’est vrai qu’ils n’auraient jamais eu le temps de le mettre en place, par contre il restait tout à fait possible qu’il y ait des flèches ou des poignées électrifiées ou encore…
- Dracaufeu, roula-t-elle des yeux.
"Désolé," gémit-il.
- Ça ne m’empêchera pas de reconsidérer sérieusement nos soirées vidéoclub.
"Quoi ?"
- Ça te monte trop à la tête au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. Tiens, déjà qu’avec Romance à Unys tu…
Elle s’arrêta soudain en remarquant les écailles rougissantes du dragon et se dépêcha de s’écarter. Oh non… Oh non, non, non ! Ne me dites pas que moi aussi ça fini par me monter à la tête ! déglutit-elle en sentant son cœur accélérer. Et tu n’es pas censé réagir comme ça !
- Caucaudracaucaufeu, bredouilla-t-il à toute vitesse.
- Je sais, je sais, pas la peine de le préciser ! agita-t-elle rapidement les mains.
Après tout, son pokémon était chamboulé par tout ce qu’il s’était passé dans cette grotte et ses nerfs avaient craqué et on faisait tous des choses bizarres, inattendues même, quand nos nerfs craquaient. Tiens, comme par exemple croire que faire la roue était une bonne méthode d’infiltration ou bien regarder sa dresseuse comme si elle était la chose la plus précieuse qu’il ait jamais eu et… Et… ?
Serena déglutit, fixant quelques secondes les fines écailles qui effleuraient les lèvres du dragon, repensant à leurs douceurs alors qu’elles effleuraient sa peau quand ils s'étaient retrouvés sous l'eau au Tunnel Merazon.
- Quoiqu’il en soit, détourna-t-elle vite le regard, c’est important que tu restes calme, qu’on reste tous les deux calmes.
"Tu ne trouves pas que tu es justement trop calme ?" grommela-t-il.
- Si seulement, leva-t-elle les yeux au ciel.
- Dra ?
- Rien !
***
C’était un désastre, une catastrophe, un coup monté même ! Six sbires, six sbires croisés, et aucun n’avait été fichu de lui infliger la moindre égratignure ou de résister à une seule de ses attaques. A croire que le gros lézard cracheur de feu qu’il était devenu assurait vraiment… Vous y croyiez-vous ?! Comment il allait faire pour convaincre Serena de s’en aller si tout se passait parfaitement et merveilleusement bien ?! Enfin, c’était trop demandé un petit piège ? Un truc qui montrerait à Serena qu’elle devait à tout prix rester prudente et…
- Dra ! hurla-t-il.
- Oui, oui, pardon, c’est toi qui ouvres les portes, soupira-t-elle.
- Dracaudr-
- S’il te plait, on peut au moins éviter les dix minutes de vérification… et la partie plaquage, parce que mon dos ne le supportera pas une troisième fois.
Elle s’était adossée au mur, attendant qu’il se décide à agir, un léger sourire amusé comme si elle n’avait absolument rien à craindre. Argh ! Pourquoi elle lui faisait autant confiance aussi ! Et…
Sacha se figea, la patte encore recroquevillée sur la poignée qu’il venait de briser avec le verrou et Serena passant une tête pour voir ce qui avait bien pu pétrifier son dragon.
"Non, mais là, c’est plus possible," rouspéta-t-il.
Que faisait la Team Magma ?! On ne pouvait pas être l’un des groupes de malfrats les plus organisés de la région d’Hoenn et juste laisser un stupide dresseur transformé en pokémon retrouver comme ça les otages et que tout finisse bien et que…
Une légère caresse sur son bras et un signe de tête, le sentiment de fierté qu’il décela dans le regard de sa dresseuse qui fit vibrer et rougir ses écailles. Il aimait tellement cela, il n’avait jamais réalisé jusqu’à maintenant à quel point il en avait si désespérément besoin.
Sacha laissa Serena (bien qu’elle dût le rassurer deux-trois fois sur le fait qu’il n’y avait aucun habit rouge sous les blouses des malheureux captifs) rassurer les employés. Avec ça, il espérait qu’ils pourraient bientôt sortir du centre et s’en aller le plus loin possible, toutefois Serena revint avec d’autres plans :
- Il y a encore quelques personnes à l’étage, expliqua-t-elle.
- Draaaaacau, rappela-t-il en montrant tous les scientifiques qui étaient loin d’être sortis.
- Je pense qu’on peut laisser Goupelin et Nymphali s’en charger pendant qu’on…
- Feu !
Il avait déjà accepté que Posipi et Négapi restent avec Victor, ce qui était un gros compromis pour lui, mais si Serena comptait encore réduire leurs effectifs alors…
- De ce qu’ils disent, ils ne sont pas non plus très nombreux là-haut.
- Caufeudra, caufeu.
- Ils ont dû penser que ce serait suffisant. Après tout, les gens et les pokémons d’ici n’ont pas l’habitude de combattre.
- Cauuuuu feu ?
- Eh bien… voler des données je suppose, je ne vois pas bien ce qu’ils pourraient faire d’autre dans un centre de recherche.
- Cau FEU ?!
- Groudon doit être lié à la météo ou quelque chose du genre, haussa-t-elle les épaules.
Mais bien sûr, c’était connu que Groudon faisait la pluie et le beau temps… Surtout le beau temps en fait. Bon, très bien, ayant déjà vu le pokémon à l’œuvre, ce serait faire preuve de mauvaise foi de ne pas dire qu’il y avait un petit rapport.
"On… Jenny, on n’a pas prévenu Jenny. Alors que c’était le plan de base…"
- Eh bien… les seuls PC encore utilisables seraient justement là-haut.
"Ah…"
- Désolée.
"B-Bon, tant pis, on a qu’à, enfin, c’est vrai qu’on s’en est bien sorti jusque-là, mais tout de même, je crois pas que c’est une bonne idée et on devrait attendre et… S’il vous plait, dites quelques chose…" se tourna-t-il vers les deux pokémons.
"Hum… C’est vrai que ça ne m’emballe pas de la laisser avec toi en chaleur," réfléchit Goupelin.
"C’est pas mieux comme ça ?" s’étonna Nymphali. "Pour lancer des attaques feu c’est mieux d’être…"
"Je ne suis pas en chaleur !"
Serena fronça les sourcils.
"Je ne suis plus en chaleur !" cria-t-il bien fort.
"Vraiment ? Rappelle-moi, combien de bisous déjà ?"
"Deux, mais le deuxième ne compte pas, ni le premier !"
La renarde avait écarquillé les yeux, la mâchoire entrouverte.
"DEUX !? Depuis quand on est à DEUX ?!"
"Eh bien…" réfléchit Sacha. "La dernière fois vous n’aviez pas demandé combien alors… Ah !"
Les pouvoirs psychiques de Goupelin commençaient doucement mais sûrement à se renforcer, au point d’en sentir la pression sur son crâne.
"S-Serena !" paniqua-t-il. "Ils ne sont pas beaucoup là-haut, c’est bien ça ?"
Son regard faisait des allers-retours entre la renarde et le plafond, alors que Serena acquiesçait timidement.
"Très bien !" commença-t-il à s’avancer vers les marches alors que Goupelin sortait son bâton. "On va tout de suite les sortir de là !"
Une décision qu’il regretta dès les premières marches passées. Ensuite, c’était vrai qu’il aurait fini par accepter, mais il aurait au moins eu le temps préparer un plan du style…
- Il faut que tu arrêtes avec ça, soupira Serena.
"Je n’ai rien dit !" se défendit-il.
- Parce que tu n’avais pas l’intention de jeter une chaise pour faire diversion ?
"Non !" s’offusqua-t-il. "Plutôt un bureau…"
Serena soupira. Combien de fois devrait-elle lui dire qu’il s’inquiétait beaucoup trop ? Et puis, il avait bien vu comment les choses s’étaient passées en bas, donc il devrait se montrer un peu plus confiant. Les Magmas ne s’étaient pas préparés à ce qu’on vienne les attaquer, et Serena avait beau être une coordinatrice, mettre en déroute quelques sbires était parfaitement dans ses cordes.
- Ça va bien se passer.
Elle ne s’était pas rendue compte qu’elle le répétait pour la dixième fois, contrairement à un certain reptile.
- Quoi ?
- Dra…
- Non, non, ça va. Et puis, tu es là, non ?
Elle s’était cependant arrêtée, le teint livide et les jambes tremblantes. Cette fois, même la présence du dragon ne semblait plus suffisante pour la rassurer. Exactement ce que Sacha espérait, et en même temps quelque chose qui au fond, lui rappela sa défaite contre Urup, la manière dont il avait fui parce que s’il était resté il n’aurait pas pu…
- Dra ! appela-t-il sa dresseuse repartie de plus belle.
- Je te l’ai dit : je n’ai pas l’intention de les laisser faire, encore moins de fuir, dit-elle la main sur la poitrine pour calmer sa respiration.
Non pas que Sacha n’admirait pas la détermination de sa partenaire, voir même la trouvait… Enfin, si elle pouvait quand même l’attendre un peu avant de foncer tête baissée !
"Un vrai rhinocorne… Serena ?"
Elle lui fit signe de garder le silence et d’approcher, pointant du doigts l’une des seules portes du couloir qu’ils venaient d’atteindre. Sacha ne perdit pas de temps pour s’accroupir, le « Touloulouuuuu » soudain revenu dans sa tête.
- Pas de bureaux, s’empressa de lui rappeler Serena.
- Caufeu ?
- Et pas d’armoire non plus…
- Cau ? Caufeudra ?
- Justement, en ne lançant rien.
"Mais comment on récupère les scientifiques alors ? On ne va quand même pas juste entrer, les prendre sous le bras et sortir !"
- Déjà on peut essayer de jeter un coup d’œil à ce qu’il se passe, souffla-t-elle.
Sacha lui attrapa la main, la forçant à se remettre à genou.
"Juste, avant qu’on y aille, que ce soit bien clair : je n’ai pas besoin que tu me prouves quoique ce soit, d’accord ?"
- Je sais.
"Non, je veux que tu le dises."
Serena observa les griffes qui effleuraient doucement ses doigts, et le reptile qui ne craignait pas d’avoir peur. D’avoir peur pour elle.
- Tu sais bien que je ne comprends pas tout ce que tu dis… ou grogne plutôt, lui rappela-t-elle.
- Dr-
- Mais je pense avoir saisi l’idée générale, ajouta-t-elle avec un petit sourire.
Sacha la fixa quelques secondes avant de souffler bruyamment, puis de mettre ses mains devant sa gueule en se maudissant cent fois de ne pas avoir fait plus attention alors que leurs ennemis se tenaient dans la pièce juste à côté. Toutefois, et à son grand étonnement, personne n’arriva, au point que ce fut finalement Sacha qui tourna la poignée et passa discrètement le museau par l’entrebâillement.
Effectivement, il n’y avait pas grand monde. Une seule personne habillée de l’uniforme rouge dans le fond de la pièce, et elle semblait trop occupée à regarder les écrans pour se soucier des scientifiques regroupés dans un coin, les mains attachées maintenant qu’ils n’avaient plus d’utilité. Sacha déglutit, prêt à entrer, mais Serena le retint. S’il voulait vraiment être discret, il valait mieux que ce soit elle qui y aille.
- Cau-
Elle lui fit signe de faire silence, sauf s’il voulait vraiment qu’ils se fassent repérer. Sacha serra les dents, sa queue tordue autour de ses jambes pendant qu’elle avançait en se cachant derrière les bureaux. Il renifla plus attentivement l’air, ne percevant pas d’autres odeurs humaines ou de pokémons que celles déjà repérées. Un seul ennemi, peut-être un Admin, mais un seul ennemi quand même.
Son cœur battait à toute allure alors qu’il observait la jeune fille s’approcher des captifs. Les Magmas étaient justes venus recueillir des données, et ils n’étaient pas prêts à une attaque, donc c’était gérable, totalement et parfaitement gérable. Serena… S’il te plait dépêche-toi, implo-ra-t-il les flammes plein la gorge. Elle se tourna vers lui, un grand sourire aux lèvres en lui mon-trant les liens qu’elle venait de défaire. Sacha écarquilla les yeux, n’en revenant pas que ce soit fini, que ce soit bel et bien…
Hein ?
Serena cria. Le regard terrifié juste avant qu’elle ne soit plaquée au sol.
"Ah…"
Elle se retrouvait les bras et la tête retenue, incapable de se retourner, de se dégager, ne pouvant que lancer des regards perdus aux scientifiques qu’elle venait de sauver.
"ARRETEZ !"
A moitié fou, Sacha renversa chaises et bureau dans sa course, son rugissement résonnant dans tout le centre. Il pouvait se rattraper, il pouvait encore se rattraper ! Malgré les larmes, malgré le poids qui venait de s’abattre dans son dos et le sang qui lui giclait dans les yeux, Serena, Sere-na, Ser-
"SERENA !"
Sacha cracha ses flammes. A présent, ils n’auraient pas d’autres choix que de s’écarter s’ils ne voulaient pas brûler ! Ces certitudes volèrent cependant en éclat alors qu’au milieu des cendres, un des hommes se relevait, à peine gêné par les flammes qui finissaient de s’éteindre sur sa blouse et que derrière lui, ses camarades bien protégés ne s’étaient pas écartés d’un centimètre de la dresseuse.
Sacha sentit son corps se tordre et se paralyser, sa gueule emprisonnée dans un pelage blanc crème tandis qu’il tombait, les flammes dans sa gorge soudain entravées.
- Qu’est-ce que vous lui faites ?!
La joue pressée contre les dalles, Serena ne pouvait qu’entendre son pokémon, les gémissements qui faiblissaient de plus en plus.
- Lâchez-moi ! Lâchez-moi tout de suite !
Il n’était censé y avoir que « quelques » sbires et les scientifiques à sauver. Elle voulait juste aider ces gens, faire en sorte qu’ils ne vivent pas la même chose qu’elle et…
- Il avait étonnamment raison à ton sujet.
Deux bottines rouges étaient apparues devant elle sans que Serena puisse voir à qui elles appartenaient. Elle devina pourtant qu’on se penchait vers elle, des doigts gantés glisser le long de sa nuque jusqu’à écarter le haut de sa robe et dévoiler la cicatrice.
- Je ne te connaissais pas si bien que ça au final.
Serena gémit alors que la Magma lui saisissait les cheveux, la forçant à tordre son cou jusqu’à ce qu’elle puisse voir les petites cornes noires sur la capuche.
- Mais je suppose qu’au fond on veut tous la même chose.
- Que…
Serena oublia la douleur quelques secondes, distinguant entre la buée des larmes le visage de la Magma, de celle qui l’avait piégée.
- Adèle ? hoqueta-t-elle.
Un petit sourire alors qu’elle continuait de tirer sur les cheveux de la jeune fille.
- P-Pourquoi tu les as rejoints ? Ils… C’est eux qui ont saboté Magnet, c’est à cause d’eux tout ce qu’il s’est passé à la centrale et…
- Je sais.
- Alors pourquoi les aider ?! hurla-t-elle. Adèle, tu n’es pas comme ça, tu n’es pas du genre à…
- A quoi ? crispa-t-elle les lèvres. A gagner la confiance de Voltère et toute sa clique pour entrer à New Lavandia, à utiliser une gamine pour accéder aux
réseaux informatiques centraux d’Hoenn, à laisser un salamèche blessé rejoindre sa dresseuse pour combattre une machine hors de contrôle ?
Serena resta figée, les yeux grands ouverts.
- Adèle… balbutia-t-elle.
La femme relâcha sa prise d’un geste agacé avant de se relever et de remettre correctement ses gants en place.
- Courtney. C’est Courtney, claqua-t-elle des mâchoires. J’ai beau ne pas être très regar-dante là-dessus, j’ai quand même mes préférences.
Serena n’entendait presque plus son pokémon. La gorge sèche, elle mit toutes ses forces pour relever la tête vers l’Admin.
- Mais… Toi aussi… Toi aussi tu dois savoir qu’ils ont déjà échoué. Tu… Tu réfléchis tou-jours aux risques que tu prends, et… Adèle, qu’est-ce que tu as à gagner en les suivant ? Comment tu peux même être sûre qu’ils ne vont pas échouer ?
- Tout simplement parce que nous sommes là, siffla-t-elle vexée. Enfin, peu importe. Démolosse, je te laisse faire comme on a dit.
Le pokémon fraichement sorti de sa pokéball observa quelques secondes la jeune fille avant de se retourner vers sa maîtresse.
- Quelque chose à redire ?
- DRAAAA !
Courtney se tourna vers le reptile en train de se relever malgré la pression qu’exerçait Feunard. Et, si son Lance-Flammes était bloqué, ses Draco-Griffes en revanche attendaient juste un peu plus de liberté pour frapper.
- Hey ! cria Courtney. Que ce soit bien clair, elle prendra chaque attaque que tu donneras, pareil pour celles que tu éviteras, pointa-t-elle du doigt la jeune fille à ses pieds.
Les yeux de Sacha se révulsèrent d’horreur alors que Démolosse s’approchait de sa dresseuse, les babines imprégnées de flammes.
- Ne l’écoute pas ! paniqua Serena. Je vais me débrouiller ! Je te promets que je vais…
Elle vit son pokémon voler à travers la pièce et briser quelques bureaux quand il retomba. Un frisson de terreur la parcourut alors qu’il relevait péniblement la tête, jetant un regard vers elle.
- Adèle… Tu… Tu m’as aidé à le sauver ! Sans toi je ne l’aurais jamais re-trouvé et… Aaah.
Feunard approchait, les griffes sorties, se léchant les babines alors qu’il reniflait la flaque de sang qui s’étendait sur le sol.
- E-Et… Et tu t’es battue avec nous contre ces voleurs. Tu t’es battue pour le protéger et maintenant tu cherches à le blesser… ça n’a pas de sens !
Un nouveau gémissement, plus faible et étouffé que les précédents.
- Adèle !
- Ils allaient gâcher notre meilleure chance, alors bien sûr que j’ai dû intervenir !
Le cœur de Serena se serra, comprenant cette fois qu’elle ne pourrait pas la convaincre, qu’elle n’avait jamais eu cette possibilité.
- Esquive Dracaufeu ! Je t’en supplie, tu dois esquiver !
Les oreilles de Sacha bourdonnaient, à peine conscient des cris de Serena alors que les menaces de l’Admin étaient encore bien présentes dans son esprit. Mais qu’elle ne s’inquiète pas, il avait juste besoin d’un peu de temps pour trouver une idée et les sortir tous les deux de là, et en attendant il pouvait bien encaisser une attaque, ou deux, ou trois… une… cinq… il perdait un peu le fil.
- Dracaufeu… gémit Serena.
Il était tombé, le visage et le cou ensanglanté, son regard trouble alors qu’il essayait péniblement de se relever. Il refusait de fuir, il endurait les choses alors que c’était elle qui l’avait amené ici, qui ne l’avait pas écouté. Il… Il avait le droit de dire qu’elle n’avait qu’à se débrouiller, que ce n’était pas à lui de payer pour elle…
- J’ai toujours eu du mal à comprendre pourquoi il se démenait autant pour toi, admit-elle.
Serena se recroquevilla.
- Les dracaufeus, ils protègent les dresseurs qu’ils estiment, ceux dont ils ont éprouvé la force. Mais lui… Il n’a pas l’air de réfléchir plus que ça à si tu en vaux la peine ou pas.
- Il a perdu sa famille, souffla-t-elle.
C’était ce passé qu’elle ne connaissait pas, celui qu’elle avait deviné à la centrale quand il avait si désespérément cherché à la protéger. Il souffrait, il était perdu et… Ils s’étaient rencontrés à ce moment, il s’était attaché à elle à partir de ce moment.
Courtney s’était penchée vers elle, une main sur son épaule et sa voix toute proche de son oreille :
- Dis-moi Serena, ton Dracaufeu… Qu’est-ce qu’il est exactement ?
La dresseuse remarqua soudain avec quelle curiosité Courtney observait le dragon, son petit sourire satisfait en détaillant les écailles et les traces de sang. Elle comprit soudain que ça n’avait jamais été les données du Centre Météo qui avait attiré la Team Magma, qu’ils attendaient autre chose.
- Ne me dis pas… déglutit la jeune fille.
Courtney se tourna vers elle, un petit sourire alors qu’elle lui tapotait la tête en guise de félicitation, pour la remercier de leur avoir bien gentiment amener ce qu’ils voulaient.
- Feunard, ne perd pas plus de temps.
Le dernier ordre pour achever son partenaire. Le sang de Serena se figea dans ses veines, elle discernait sur le sol les ombres des pokémons qui s’étendaient, les pieds métalliques des chaises qui brillaient de reflets ondulés.
- Ne fais pas ça ! Par pitié, ne fais pas ça !
Démolosse releva le museau, quelques secondes où il fut certain de la victoire de sa maîtresse, un instant où il ne remarqua pas l’éclat sortant de la poche de la jeune fille. En revanche il le sentit très bien, surtout lorsqu’il se matérialisa en une attaque Cogne contre sa joue. Le chien de garde glapit de douleur libérant la jeune fille, il n’en fallut pas plus à Serena pour se relever et courir, sentant à peine les griffes labourer son bras dans une ultime tentative pour la retenir.
Courtney resta sans bouger tandis que la fumée et les éclats de verre retombaient. Un bureau à moitié en cendre là où aurait dû se tenir le dragon. La Magma contourna la table avec précaution, retrouvant le reptile accroupi derrière.
"Tu vois, ah, ah, tu vois que ça fonctionne," articula-t-il difficilement.
Serena remarqua Pandespiègle en train de narguer Démolosse et ses autres poursuivants en sautant de table en table, leur tirant la langue. Heureusement, il allait bien et Dracaufeu aussi il… il… Serena sentit tout le corps du dragon s’alourdir sur elle, glisser le long de son épaule sans qu’elle puisse le retenir.
- D-Dracaufeu ?
Elle lui secoua l’épaule, une fois, encore, un peu plus fort.
- Dracaufeu ! Qu’est-ce que tu as ?! DRACAUFEU !
Une mauvaise migraine. La lieutenante frotta sa tempe, la mâchoire crispée, on l’avait déjà protégée elle aussi lorsqu’il y avait eu cette explosion, il aurait pu la laisser tomber, et pourtant il s’était interposé face au feu. Elle aussi voulait faire de son mieux pour le protéger en retour. Pour Max…
La femme se tordit, émettant des cris gutturaux de douleurs, attirant par la même l’attention de ses deux pokémons.
- Dracaufeu ! Dracaufeu, debout ! Il faut que tu te lèves ! hurlait Serena.
Pandespiègle était revenu vers eux, et il essayait tant bien que mal de l’aider, même s’il ne pouvait pas faire mieux que porter la queue du reptile (et encore, que le dernier tronçon en devant faire attention à ne pas se brûler).
- Allez, souffla Serena.
Dracaufeu était lourd sur ses épaules, trainant le pas, et elle avait beau tout faire pour lui murmurer des paroles rassurantes alors qu’ils arrivaient devant les escaliers, elle ne pouvait s’empêcher de vérifier si si Courtney n’était pas déjà derrière eux, la main tendue, prête à les attraper.
- Dra, refusa-t-il d’une voix faible.
S’il ne discernait plus grand-chose en ce moment, il était encore capable de voir la capsule bicolore qu’elle avait sorti, ainsi que le visage de sa dresseuse bien décidée à l’enfermer dedans.
- Je m’occupe de la suite, lui promit-elle.
Les griffes se posèrent sur sa main pour arrêter son geste.
- Caufeu, la supplia-t-il.
Elle se dégagea rapidement et le rayon rouge frappa le pokémon juste avant de virer au bleu, refusant de ramener le monstre.
- Non ! Pas encore, s’étrangla la dresseuse refaisant plusieurs tentatives sans succès.
Elle entendit les aboiements de Démolosse et le bruit de ses griffes contre le sol alors qu’il se mettait à courir vers eux. Serena descendit la première marche et sentit sa jambe trembler. La deuxième, son pokémon était si lourd sur ses épaules. La troisième… Son pied glissa sous le cri effrayé de Pandespiègle et elle dévala les escaliers en compagnie du type feu.
Le petit panda lui secoua l’épaule, aidant la jeune fille à reprendre ses esprits avant de se tourner vers le dragon.
"Qu’est-ce que tu fais encore ?" gronda-t-il.
Le pokémon gémit quelques mots incompréhensibles.
"Je m’occupe d’elle, donc rentre dans cette pokéball parce que là, tu es juste un boulet !" s’agaça-t-il.
- Pandespiègle ! l’arrêta Serena avant que l’attaque Cogne ne parte.
Elle jetait des coups d’œil effrayés vers le haut des escaliers, s’attendant à tout moment à y voir ses poursuivants. Jamais Serena ne s’était sentie aussi terrifiée de sa vie, aussi perdue alors qu’elle tirait son dragon pour l’éloigner. Sa respiration ténue, sa flamme rabougrie, ses écailles disloquées, bougeant à peine malgré les larmes et les appels de la jeune fille.
- Pan ! l’appela son pokémon.
Elle se dépêcha d’entrer dans la pièce qu’il lui indiquait et d’en verrouiller la porte avant que ses jambes ne l’abandonnent et qu’elle retombe contre la porte.
- C’était Dracaufeu qu’ils voulaient, hoqueta-t-elle en se tournant vers Pandespiègle. C’était lui qu’ils voulaient et par ma faute…
La culpabilité lui tordait les entrailles, mais plus que tout s’imposait l’horreur qu’elle puisse le perdre. La douleur dans son cœur s’intensifia, la faisant agripper sa robe, se courber vers l’avant pour atténuer la brûlure devenue insupportable. En cet instant, ce pokémon lui paraissait bien plus important que tout ce qu’elle avait pu imaginer, l’indicible impression qu’il était en ce moment la chose la plus précieuse qu’elle ait jamais possédé et faillit perdre.
- Il ne m’a pas laissée. Il ne voulait pas me laisser et je suis sûre qu’ils le savaient, qu’Adèle le savait.
Elle se recroquevilla sur elle-même, la douleur devenue insoutenable tout comme la vue de son dragon peinant de plus en plus à respirer.
- Je suis désolée, dit-elle sa voix éraillée par les pleurs qui ne s’arrêtaient plus. Je suis tel-lement, tellement, tellement désolée.
La pression contre son bras lui fit lentement reprendre conscience du monde qui l’entourait. Le petit panda à ses côtés lui tendant une de ses feuilles en guise de réconfort tandis que sa petite patte restait crispée contre le bras de sa dresseuse.
- Je ne sais pas quoi faire Pandespiègle, avoua-t-elle. Je ne sais vraiment pas quoi faire.
Il baissa la tête, on entendait ses dents craquer tant il les serrait fort.
"Sacha…" souffla-t-il excédé. "C'était vraiment pas malin."
Silence jusqu’à ce que le dragon griffe le sol, répondant péniblement dans un râle douloureux :
"J’avais un plan…"
"Ah oui ? Parce que moi j’ai juste vu un sac de frappe !"
"J’allais le trouver," haleta-t-il. "Juste du temps. Juste besoin de temps."
- Pandespiègle ! hurla Serena.
Trop tard. Cette fois, l’attaque Cogne avait bien frappé la joue du faux-pokémon.
"T’avais aucune idée… Avoue juste que t’avais aucune idée."
Sacha ouvrit un œil, distinguant difficilement la silhouette de sa précieuse partenaire. Il se souvenait de son corps paralysé, de ses pensées qui s’enchainaient à toute vitesse et pourtant l’impression qu’elle tournaient au ralenti. Ils l’avaient. Ils avaient Serena et s’il bougeait, s’il respirait… J’ai failli la perdre.
Il se mit à pleurer, un gémissement guttural qui s’échappa de sa gueule et de grosses larmes qui dévalèrent ses joues.
- Oh, Dracaufeu, s’inquiéta la jeune fille que le panda ait vraiment réussi à faire mal à l’énorme reptile. Tu n’avais pas à faire ça Pandespiègle
"Tout de suite, c’est ma faute," se vexa-t-il. "Je te signale que c’est toi qu’il regarde."
- Ce n’est pas moi qui l’ai frappé !
"Ce n’est pas moi qu’il a embrassé !"
- Que… C’était juste un bisou ! cria-t-elle.
"Bon sang, Serena," grimaça le panda. "Il y avait un Démolosse sur toi il y a même pas cinq minutes ! Evidemment, qu’il allait perdre à moitié la boule !"
"Je l’aime," renifla-t-il.
"Complètement la boule !"
"Je crois que je l’aime, vraiment."
"Je sais, Sacha ! JE SAIS ! TOUUUUT. LE. MOOOONDE le sait !"
Serena dévisageait le reptile, les yeux écarquillés face à la soudaine déclaration et Pandespiègle allait devoir gérer le Coming-Out de Sacha et celui de Serena en même temps et… Où était Goupelin quand on avait besoin d’elle !
- Je… Je crois qu’il a vraiment mal, Pandespiègle.
"Serena."
- Q-Quoi ?
Il pointa du doigt le faux-pokémon. La jeune fille cligna plusieurs fois des yeux, semblant encore plus perdue que Nymphali quand on lui expliquait ce que voulait dire un bisou chez les humains, ou même chez les humains transformés en pokémon, ce qui finit d’achever le panda.
"Il a compris avant toi, et ça veut tout dire."