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Une lumière dans les ténèbres de oska-nais



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» Auteur : oska-nais - Voir le profil
» Créé le 18/06/2025 à 22:35
» Dernière mise à jour le 18/06/2025 à 22:35

» Mots-clés :   Absence de combats   Amitié   Famille   Johto   Organisation criminelle

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Prémonition
Chapitre 9 : Prémonition

Yuro se réveilla en sursaut. Son cœur battait la chamade et il lui fallut plusieurs secondes pour retrouver le contrôle de sa respiration. Déjà, les souvenirs du cauchemar s’estompaient, ne laissant derrière eux que des bribes, des mots et des images, et cette sensation d’impuissance et de terreur qui le prenait à la gorge et serrait, et serrait.
Émelie. Où est Émelie?
Il la chercha des yeux désespérément. Émelie était en danger, il le savait, il le sentait.

Quelque chose à sa gauche se souleva et se rabaissa doucement, et il tourna la tête brusquement dans sa direction. Émelie était allongée à côté de lui. Elle respirait profondément et régulièrement, et sa panique redescendit lentement. Il se força à caler sa respiration sur celle d’Émelie. Après plusieurs secondes, sa respiration reprit un rythme normal. Émelie était là, et elle allait bien et c’était juste un cauchemar. Mais ça avait paru si réel, et ça avait fait si mal
C’était juste un cauchemar.
(Mais et si ça avait été réel ?)

Ça ne pouvait pas avoir été réel. Ce n’est pas comme s’il avait déjà eu des prémonitions avant, après tout. Et puis, de ce que les adultes de sa meute en disaient, les prémonitions n’arrivaient que pour les évènements vraiment désastreux, comme les séismes, les éboulements…
Non, ça ne pouvait pas être ça.
Il prit une grande inspiration, et la relâcha.

- Yuro ? Tu vas bien ?

Tous les muscles de son corps se contractèrent d’un coup. Émelie. C’était Émelie, il était en sécurité. Il était en sécurité.

- … Non, je ne vais pas bien. J’ai fait un cauchemar. Tu étais allongée sur le sol et tu avais du mal à bouger, et c’était… C’était horrible. (Pendant quelques secondes il hésita, avant de continuer.) Je… Je pense que c’était une prophétie.

Yuro remarqua le raidissement des muscles du dos d’Émelie, la manière dont ses griffes étaient sorties, la manière dont ses oreilles s’étaient rabattues à l’arrière de son crâne, la manière dont elle le regardait droit dans les yeux.
C’était Émelie, il se dit à lui-même. Elle ne me ferait pas de mal. Mais il avait l’habitude de chercher le moindre signe de colère dans l’apparence des adultes autour desquels il était, et il avait l’habitude d’être tout le temps, tout le temps, sur ses gardes. Il ne pouvait pas faire taire cette peur qui était ancrée dans ses os et son souffle et son cœur.
(Un, deux, trois quatre...)
(Expire)
Il allait bien. Il allait bien.

- Okay. Okay. (Sa voix se brisa. Elle prit une grande inspiration. Elle tremblait de tous ses membres) Ça m’étonne pas. Ça fait un moment que je sais que finirai ma vie ici. Je suis vieille, Yuro.

Ces mots lui firent l’effet d’une douche froide. Il avait espéré qu’Émelie le rassurerait, lui dirait qu’il avait juste fait un cauchemar, que c’était juste trop improbable pour arriver.
Il ne pouvait plus sentir ses pattes. (Ce n’était pas réel.) Il tenta de prendre une inspiration. Elle se bloqua dans sa gorge. (Ce n’était pas réel.) Sa vision se brouilla. Il était en train de pleurer.
Ses griffes se crispent sur le sol mais le son n’arrive pas jusqu’à ses oreilles, car les mots tournent en boucle dans sa tête et reviennent et résonnent. (Ce n’est pas réel.) Ses épaules tressautent et peut-être qu’il rit, peut-être qu’il pleure, il fait froid tout d’un coup et il serait bien en peine de différencier les deux. Émelie est en danger et c’est trop réel. C’est absurde.
Il a l’impression d’être en train de mourir.

- Yuro ? Yuro… (Il sentit Émelie le pousser du bout du museau)

Il l’entendait, et il ne pouvait pas comprendre comment elle pouvait être si calme après lui avoir dit ça, comment elle pouvait parler de sa propre mort sur un ton si désinvolte, comment elle pouvait avoir l’air si peu affectée alors qu’il était en train de se noyer-
Il la regarda, et il voyait, dissimulées derrière ce masque qu’elle gardait toujours près d’elle pour pouvoir prendre le rôle de l’adulte responsable, la détresse, la tristesse… la résignation.
C’était elle qui risquait de mourir.
(Et il n’avait pas le droit de se plaindre.)

- Pourquoi-
un sanglot lui coupa la voix et dut s’arrêter pour reprendre son souffle. Émelie se mit à ronronner pour le réconforter, lui répétant qu’il allait bien, que tout irait bien.
- Pourquoi est-ce que tu parles de toi comme ça ?
Sa voix était faible, presque comme un murmure, et le moindre coup de vent aurait pu l’envoyer se briser en mille morceaux, (Comme lui, comme lui, comme lui)

Émelie ouvrit la gueule, puis la referma, un millier de choses passant dans ses yeux, mais Yuro ne savait pas ce qu’elle pensait. Il ne savait pas toujours ce que pensaient les autres.
Elle prit une grande inspiration, hésita, la relâcha, puis recommença.
Presque par réflexe, il cala sa respiration sur la sienne, en comptant les secondes.

- Je parle de moi comme ça, Yuro, parce que, quand tu passes autant de temps dans une cage, espérer fait mal, parfois même bien plus mal que ne pas espérer du tout. Quand… (son regard partit sur le côté, sa voix resta en suspens quelque secondes, puis elle reprit) quand ma douleur liée à la perte de mon dresseur a commencé à diminuer, j’ai commencé à espérer pouvoir sortir d’ici, mais, les jours passaient, et plus j’attendais, plus je perdais espoir. Et, de nouveau perdre espoir après être sortie d’une situation très difficile pour moi, ça… ça a fait presque aussi mal.
C’est plus facile de prendre les choses les unes après les autres, et de trouver de l’espoir dans les petites choses, et de m’évader dans des rêves, et dans des souvenirs, sans me bercer d’illusions que d’espérer un jour pouvoir sortir.

C’est logique. pensa une partie de Yuro. C’était aussi très triste. Il savait ce que ça faisait de perdre espoir et d’arrêter d’espérer que quelque chose change.

- Je veux sortir d’ici, Yuro. Autant que n’importe qui d’autre. Je pense juste que c’est impossible.

Il se blottit un peu plus contre elle. Elle lui dirait sûrement qu’il ne devrait pas s’inquiéter pour elle, ou que ce n’était pas son rôle d’essayer de l’aider.
Il ne savait pas quoi faire.
(ça faisait mal.)

- J’ai peur, Yuro avoua. Je ne veux pas te perdre. J’ai tellement peur.
Sa voix était basse, presque éteinte, mais plate comme la surface d’un lac, et pourtant… Il était terrifié. Il avait froid. Il avait peur. Tout son corps tremblait. Émelie posa sa tête sur ses pattes, et la chaleur de son corps monta d’un cran. Sa voix était enrouée quand elle lui répondit. Moi aussi.

*************
Krys était, pour le moins qu’on puisse dire, inquiet. Laura et lui avaient décidé qu’ils iraient aujourd’hui dans la grotte la plus proche pour trouver un Nosferapti, et Silver n’avait pas arrêté d’en parler en boucle depuis ce matin. Il était impatient, et excité, et normalement, Krys aurait été heureux pour lui, mais il n’arrêtait pas de repenser à ce moment, plus tôt dans la journée, où il était allé nourrir la Némélios et l’Absol. Il les avait retrouvés blottis l’un contre l’autre, au lieu d’être en train de marcher comme ils en avaient l’habitude. Il avait hésité à les accoster, mais il avait finalement décidé de les laisser en paix, et, maintenant, il se demandait si ça avait vraiment été la bonne chose à faire. Maintenant, il regrettait. Parfois, un « Est-ce que ça va ? » pouvait beaucoup aider.

Il était trop tard maintenant pour aller leur poser la question, car ils étaient en chemin pour aller acheter des Pokéballs pour Silver, et qu’ensuite, ils se dirigeraient vers la grotte. Laura estimait que tomber sur un Nosferapti ne prendrait pas beaucoup de temps, mais Krys avait un peu peur qu’ils ne décident de s’enfuir dès qu’ils verraient Nox. Et Nox serait très visible, étant donné qu’elle avait accepté d’apprendre Flash pour l’occasion.

Silver et Laura étaient en tête et il marchait quelques pas derrière eux. Ils discutaient avec animation et Laura avait un sourire aux lèvres. Il n’avait pas l’air d’être faux.
Ils avaient tous deux laissé leurs uniformes pour une tenue civile, et Laura avait sorti un t-shirt jaune et orange par dessus son short bleu foncé et ses tennis bleu clair. Krys, lui, commençait à penser qu’il aurait dû faire la même chose au lieu de prendre un haut large par habitude. Il avait mis son binder, et il commençait à cuire là-dessous. Mais comment était-il censé savoir qu’il ferait si chaud que ça ?

Quand ils arrivèrent à la boutique, Krys s’adossa contre un mur pour souffler un coup alors que Laura et Silver allaient acheter une dizaine de Pokéballs. Une Honor Ball reçue en cadeau plus tard et ils étaient en route.

- Dis, ça aurait pas été mieux de prendre des Sombre Ball ?

- J’ai pas le budget, Silver.

Même s’ils se chamaillaient un peu, ils avaient l’air heureux. Est-ce que Nathan et Krys étaient comme ça, avant ? Il n’était pas sûr. Ils se chamaillaient probablement moins que ça. Est-ce que c’était une mauvaise chose ? Nathan lui manquait. Ses parents lui manquaient. Est-ce qu’il leur manquait aussi ?
Il prit une inspiration, se recentra. Ce n’était pas la même chose, mais, il avait toujours leur numéro, et il pouvait les appeler s’il en avait besoin.
(Mais ça faisait mal.)

La boutique n’était pas loin d’une sortie de la ville, et le contraste si net entre les bâtiments et la route serpentant à côté et au travers des hautes herbes était déstabilisant. En une enjambée, le ciment lisse et bien entretenu de l’avenue et les immeubles bas étaient remplacés par de la terre sèche et sablonneuse, sans aucun espace de transition. Les touffes irrégulières d’herbe se balançaient lentement dans le vent. Nox sortit de sa Pokéball et se mit immédiatement à se rouler et jouer dans l’herbe. Ça faisait longtemps que Krys ne l’avait pas vue si heureuse. Le cœur de Krys se serra de manière inattendue, si violemment qu’il en eut presque le souffle coupé. Il avait vraiment négligé de prendre soin de Nox, n’est-ce pas ? Elle n’avait même pas besoin de sortir tant que ça dehors, comparé à d’autres Pokémon, et il était un éleveur, il savait ce genre de choses.
(Quel piètre éleveur il faisait.)
Sa main se serra autour de l’extrémité de sa manche et ses doigts se mirent à courir sur le tissu rèche, pour se calmer. Il devrait arrêter de penser à lui et ce que ça disait sur lui, et réparer les erreurs qu’il avait faites au lieu de se morfondre.
(Mauvais éleveur. Mauvais frère, négligeant tous ses devoirs et toutes ses responsabilités car il allait mal.)
(Prends tes doigts et fais les glisser le long de ton bras et pince-toi pour les faire taire et prends tes mains et mords-les pour arrêter d’y penser.)
(Prends le cutter dans ta trousse et-)


Non. Non. J’ai arrêté de faire ça. Je suis plus fort que ça.
Je suis plus fort que ça et que ce que cette douleur me faisait faire.


Quelque chose lui toucha la jambe, et le tira de ses pensées. Il ouvrit les yeux, et Nox était là, collée contre sa jambe, et le regardait, l’air inquiète. Il lui fit un sourire, une façade de papier mâché rafistolé au scotch. Nox le fusilla du regard, et son sourire disparut aussi vite qu’il était apparu. Il ne serait pas capable de lui faire croire qu’il allait bien, n’est-ce pas ? Il s’abaissa à son niveau, un genou au sol, et commença à lui gratter la tête pour se faire pardonner.

- Désolé Nox, j’aurais dû faire plus de sorties que ça, au lieu de rester dans la ville. Tu mérites mieux que ça. (Tu mérites mieux que moi, eut-il envie de lui dire.)

Elle avait toujours été là pour lui quand il se réveillait le matin et que la première chose qu’il voulait faire était de se rendormir, car il se sentait si vide et épuisé que rien n’avait plus de sens.
Et comment l’avait-il remerciée ?
Nox se frotta à ses jambes en ronronnant, et il poussa un soupir attendri. Il supposa que c’était un manière de lui dire qu’elle lui pardonnait.
Nox mordit le bord de son pantalon et le tira en avant. Krys manqua de trébucher, alors Nox changea de tactique, et vint se placer derrière lui pour le pousser. Krys n’eut d’autre choix que d’avancer jusqu’à se retrouver juste derrière Laura et Silver.

Silver et Laura se retournèrent et il leur fit coucou de la main, un peu gêné. Laura chercha ses yeux, et son regard trahissait son inquiétude. Elle ouvrit la bouche, hésita, jeta un regard à Silver et se mordit la lèvre. Il la supplia du regard. Il n’avait pas envie d’en parler, encore moins devant Silver. Il avait juste besoin d’une distraction, n’importe quoi.

Laura claqua ses mains une fois pour attirer l’attention.
- Dites, est-ce que vous saviez que les Super-Repousses et les Repousses sont plus rentables que les Max-Repousses ?

C’était une distraction comme une autre, il supposait. Il se sentait toujours mal, mais si ça pouvait l’empêcher de penser, alors il prendrait ce qu’il pouvait. Il n’aimait pas faire semblant, mais il n’avait pas à faire semblant, et ils comprendraient.

- Woaaaah c’est vrai ? répondit Silver avec des étoiles dans ses yeux et un grand sourire sur ses lèvres. Hé hé hé, je vais voler tout leur stock et le revendre !

- C’est une très mauvaise idée, lui répondit Laura d’un ton plat, en fronçant les sourcils.

- Exactement, renchérit Krys.

- Tu risquerais de te faire prendre et de finir en prison, continua Laura

- C’est ça qui t’inquiète ? S’exclama Krys.

Sa voix tremblait un peu, mais ce n’était pas grave, car il n’aurait pas à mentir à ses parents la prochaine fois qu’il les appellerait, car il pourrait échanger des mèmes stupides avec Nathan, car Nox marchait à côté de lui, et car Laura était quelques pas devant lui.
Et Laura était en train d’expliquer à Silver étape par étape comment il devait s’y prendre s’il voulait gagner de l’argent facilement sans se faire prendre. Sérieusement Laura ?

Elle haussa les épaules sans rien dire, un sourire malicieux aux lèvres, et Krys eut envie de pousser un long soupir. Franchement, il ne devrait jamais laisser ces deux-là ensemble sans supervision plus de cinq minute, sinon il les retrouverait en train de planifier de prendre le contrôle du monde. Cette pensée lui arracha un petit rire, malgré tout ce qui s’était passé.
Et, malgré l’alternance ininterrompue entre douleur (tout trop et ça faisait mal) et fatigue (rien- vide-vide-vide-vide)
(et douleur et fatigue et douleur et fatigue et douleur et fatigue et-)
à l’instant, il avait l’impression que peut-être, un jour, les choses s’arrangeraient.
Le bras de Laura autour de ses épaules. Et il ne se sentait pas heureux, pas vraiment.
Mais il y avait quelque chose, là, et ce quelque chose n’était pas désagréable.
Une blague et un sourire.
Il allait s’en sortir.

*************
Tout était beaucoup plus lumineux et coloré que la base, et les yeux de Silver passaient d’une chose à l’autre, animés d’une curiosité qu’il n’avait pas l’habitude de ressentir aussi intensément. C’était nouveau, et coloré, et beau de la manière dont seules les choses naturelles peuvent l’être : imparfaites et irrégulières mais vivantes. Bien loin de ces couloirs gris et rectilignes, froids et impersonnels et trop parfaits. Étouffants.
Ici, il pouvait respirer. Le vent jouait avec ses cheveux. Il pouvait courir dans n’importe quelle direction et il savait qu’il ne tomberait pas sur un mur.

Une partie de lui, une blessure encore béante, souffrait que ni sa mère ni son père ne soient ceux qui l’avaient amenés ici. Au lieu de la faire taire, de l’écraser comme son père lui avait appris à le faire, il la laissa en paix. Ça teintait ce qui aurait dû être un moment joyeux d’une douleur, vieille et nouvelle tout à la fois, mais ce n’était pas suffisant pour lui couper le souffle, pas suffisant pour faire taire cette chaleur dans son cœur et cette lumière dans son regard, car, malgré tout, il n’était pas seul.
Tu as le droit de pleurer. Lui avait dit Laura. Je serai là pour toi.
Et elle était là. Et même si ça n’était pas parfait, ça n’avait pas besoin de l’être.

Ça faisait mal. Mais ça faisait du bien, aussi.
Et la douleur faisait du bien, d’une certaine manière, elle aussi. Car il a le droit de la ressentir. Il a le droit d’avoir mal. Il n’a pas à cacher ses larmes.
Il accepta la douleur comme une part de lui, et, ce faisant, il l’empêchait de s’accumuler jusqu’à ce qu’elle l’étouffe.

- Silver ? Est-ce que tu vas bien ?

Laura le regardait, inquiète, et ce n’est qu’à ce moment là qu’il se rendit compte qu’il était en train de pleurer.
Il lui fit un grand sourire, et lâcha un petit rire. Il avait probablement l’air fou. Il n’en avait rien à faire.
- Je vais bien. Je vais bien.

Et il ne mentait pas. Il allait mieux qu’il ne s’y serait attendu, et son sourire était grand et radieux.
Le soleil brillait fort ce jour-là, mais Silver ne savait pas si c’était effectivement plus lumineux que ce qui était normal pour la saison, ou si c’était l’ombre que faisaient les grands immeubles autour de la petite cour intérieure qui lui donnaient cette impression. L’herbe était très verte, le sol était sec, et il faisait chaud, contrairement à tout endroit dans la base, qui était à moitié souterraine et n’avait aucune fenêtre. Il allait avoir un Pokémon, un compagnon qui ne l’abandonnerait pas du moment qu’il le traitait bien.
Il prit une grande inspiration, et l’odeur de la nature et du soleil et de la chaleur lui chatouilla les narines. Il avait tellement de questions à poser.

Il commença à marcher à l’avant, avançant d’un pas dansant, en murmurant un air qu’il avait entendu quelque part.

Le chemin serpentait, et devenait progressivement plus caillouteux alors qu’ils s’approchaient de l’entrée de la grotte, une grande arche creusée dans le mur de roche. Les bords avaient été polis pour arrondir les arrêtes acérées qui auraient pu blesser des dresseurs qui se seraient cognés accidentellement.

*************
Il ne ressentait rien. Il y avait une distance entre lui et ses émotions, et lui et son corps, et lui et lui, et il ne ressentait rien. Émelie était allongée à côté de lui, et elle lui parlait, mais il n’était pas assez présent pour comprendre ce qu’elle disait, alors qu’il savait qu’elle parlait, et qu’il était juste assez présent pour savoir qu’il lui répondait, pour sentir sa gueule bouger, sa mâchoire se mouvoir.
Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il lui répondait, et rien n’était réel.
Il y avait une distance entre le monde et lui, et ce monde n’était pas réel.

Il posa son museau sur ses pattes, et ferma les yeux. Il voulait juste arrêter de penser.

- Yuro ?

Il ouvrit les yeux à moitié, et leva les yeux vers la silhouette d’Émelie qui le surplombait, lui lançant un regard épuisé. Elle paraissait inquiète pour lui, ou, du moins, c’était l’impression qu’il s’en faisait. Il n’était pas sûr d’avoir bien interprété son expression, mais il avait enfin compris qu’elle, au moins, s’inquiéterait pour lui s’il allait mal.
Il n’était pas sûr que qui que ce soit d’autre en aurait quelque chose à faire de lui, et il en faudrait beaucoup, beaucoup plus que ça pour qu’il commence à faire confiance à d’autres Pokémon.

Il avait été blessé, encore et encore, et avait fiché dans sa chair les fragments de la confiance qu’il avait, il fut un temps, accordée aux autres, tranchants comme des éclats de verre et reflétant des images incomplètes et déformées de son museau, scintillant comme des étoiles.
(comme lui)
Il portait la méfiance comme des bijoux précieux, son sang s’écoulant milliers de plaies lui rappelant que c’était ça qui arrivait quand il commençait à espérer et qu’il osait arrêter de s’attendre au pire.
S’il s’attendait toujours à être blessé (insulté, moqué, humilié, griffé, mordu, poussé violemment contre le sol) alors, quand il se ferait inévitablement trahir, il aurait moins mal.
(Et il décidait d’ignorer qu’en faisait ça, il s’empêchait de se réjouir quand les choses se passaient bien.)
(Ça ne s’était jamais bien passé auparavant, si ça se passait bien maintenant, ce n’était qu’une question de temps avant que-)
Tu ne te rends pas compte du nombre de choses que j’ai sacrifié pour toi !
Tu n’aurais pas pu naître normal ?
Tu fais un scandale pour rien, c’est juste un peu de sang. Tu n’as pas vraiment peur, tu veux juste qu’on te remarque.
Lève-toi, je n’ai pas de temps à perdre avec tes crises.
Je ne t’ai même pas mordu, tu exagères, tu es juste hypersensible


Mais, pour Émelie, il savait. Elle l’aimait, et il pouvait lui faire confiance.
Et ça faisait d’autant plus mal parce qu’il le savait.
Il venait à peine de trouver quelqu’un qui l’acceptait, qui l’écoutait. Il ne pouvait pas la perdre.
Il ne pouvait pas la perdre.

Il revient à lui, les yeux rivés sur le sol, la voix paniquée d’Émelie répétant son nom encore et encore. Il releva les yeux vers elle. Oh, il s’était encore perdu dans ses pensées ? Un jour, ça lui causerait des problèmes. Ça lui causait déjà des problèmes. Il devrait vraiment arrêter. Il ne savait pas arrêter.
Il prit une grande inspiration, et la relâcha lentement, sentant l’air emplir ses poumons, et l’utilisant pour se recentrer, revenir à la réalité, sortir juste assez de sa tête pour recommencer à sentir le monde autour de lui.
Il était dans la prison. Émelie était à côté de lui. Le sol était froid et humide sous ses pattes. La grande barre lumineuse accrochée au plafond grésillait et clignotait au dessus de lui. Émelie était inquiète. Émelie lui posait des questions. Il devait lui répondre, il ne pouvait pas la laisser s’inquiéter pour lui comme ça. Il devait lui dire quelque chose.

- Hé, salut Émelie.
Sa voix ne laissait paraître aucune émotion. Elle était aussi vide que lui, et ça en disait déjà long sur son état mental. Ç’aurait peut-être même été une meilleure idée de se taire. Il tenta de forcer une expression heureuse. D’après l’expression que faisait Émelie, qu’elle était loin d’être convaincante.

Il sentait ses pensées tourner en boucle à toute vitesse. Il n’arrivait pas à les faire taire, et, il savait que s’il ne trouvait pas un moyen de s’ancrer à la réalité, il-
(Des mains qui s’agrippaient à sa fourrure, se posaient sur sa tête et la poussaient, et la maintenaient sous la surface jusqu’à ce qu’il relâche son souffle, tiraient sur ses chevilles pour l’entraîner vers les profondeurs.
Perdre tout contact avec le monde autour de lui, et il-)

-se noierait.

Émelie allongée à côté de lui, son flanc chaud sans être brûlant, et il prit une grande inspiration. Elle avait cette odeur de fumée qu’il avait associée à la chaleur, la protection, le réconfort qu’elle lui fournissait. Si un jour il avait un chez lui, loin de sa mère et de son père et des autres Absol et de tous ceux qui l’avaient blessé, il pensait que c’était cette odeur qui flotterait dans la pièce.
Il avait besoin d’aide.

- Émelie. Est-ce que tu pourrais… parler ? De tout et n’importe quoi, je m’en fiche. J’ai juste besoin d’entendre ta voix. J’ai… besoin de savoir que tu es là.

Émelie le regarda, et, dans ses yeux, il se voyait. Fatiguée, portant le monde sur ses épaules. Étouffant et tremblant de tout son corps.
Pendant un instant, elle hésita, puis, elle le poussa du bout du museau. Elle se râcla la gorge, puis, d’une voix théâtrale, elle commença à parler.

- Est-ce que je t’ai déjà raconté la fois où, quand Léon était en train de faire son voyage initiatique, on s’est retrouvés à faire des tâches ménagères dans un hôtel à Illumis ?

*************
La transition entre la route et la grotte était brutale, et Silver ne savait pas s’il préférait la chaleur étouffante du dehors ou le froid et l’humidité de l’intérieur.
Il frissonna, et frictionna ses bras pour les réchauffer. Il y avait des cris de Pokémon qui résonnaient, tout près de lui, mais il faisait noir comme dans un four, et les ombres qu’il voyait bouger du coin de l’œil le terrifiaient.

- Nox, est-ce que tu pourrais nous éclairer la voie, s’il-te-plaît ?

C’était la voix de Krys. Aussitôt, les cercles sur le corps de la Noctali, se mirent à briller intensément, éclairant les alentours sur plusieurs mètres, et d’un coup, Silver se sentit un peu plus en sécurité. Au moins, maintenant, il arrivait à voir où il mettait les pieds.
Il commençait à regretter d’avoir lu des histoires d’horreur sur des dresseurs qui étaient entrés dans des grottes sans Pokémon connaissant Flash ni lampe torche et s’étaient perdus dans leurs profondeurs. Il n’avait pas peur du noir, pourtant. Il avait l’habitude de traverser la salle avec toutes les machines avant d’arriver dans la petite cour, et il n’avait pas peur. Mais ça, c’était dans la base, et c’était un endroit qu’il connaissait. Il savait comment y naviguer, où trouver les choses, et où aller. Ce n’était pas le cas ici.
Il s’approcha un peu plus de Nox, restant près de la source de lumière. Il ne voulait pas trop s’éloigner. Il ne voulait pas se perdre.

Pas-à-pas, lentement, ils s’enfoncèrent dans la grotte. L’entrée débouchait immédiatement sur une grande étendue de terre, de pierre, et de poussière.
Les sons résonnaient étrangement entre les murs, déformés jusqu’à ce qu’ils deviennent méconnaissables. Silver se demanda si c’étaient les âmes de tous les dresseurs morts qui étaient revenues pour les hanter, et prit garde à rester très proche de Nox. Les fantômes avaient peur de la lumière, pas vrai ?

- On devrait rester près de l’entrée, dit Laura. Les Nosferapti sont partout dans ce genre de grottes.

Il poussa un soupir de soulagement. Il n’avait vraiment pas envie de s’éloigner de la sortie.
Ils firent quelques pas de plus, et d’un coup quelque chose se cogna contre sa tête. Il porta les mains à sa tête, alors que la chose qui l’avait heurté continuait de se débattre et de lui donner des coups de pattes… donc, pas une chose, un Pokémon ?
Il le prit à deux mains, et tira de toutes ses forces. Le Pokémon le lâcha, et, quand il arriva à l’éloigner suffisamment de son visage, il put enfin prendre une grande inspiration, et regarder à quoi le Pokémon qui lui avait sauté dessus ressemblait.
C’était un Nosferapti. Sans qu’il s’en rende compte, un grand sourire étira ses lèvres. À peine quelques pas et il était déjà tombé sur le Pokémon qu’il cherchait.
Oh, mais, qu’est-ce que Krys avait dit à propos des Nosferapti déjà ? Comment est-ce qu’il était censé s’y prendre pour faire ça bien ?

- Salut ! Je m’appelle Silver. Je suis ici pour obtenir mon premier Pokémon. Je veux un Nosferapti. Tu veux bien être mon Nosferapti ?

Le Nosferapti eut pour seule réponse de se poser sur le bras de Silver et d’y rester. Silver lança un regard désespéré à Laura.

- C’est… normal ? Qu’est-ce que je fais, Laura ?

Laura regardait le Nosferapti avec incompréhension. Puis, elle haussa les épaules et fouilla un instant dans son sac à dos pour en sortir une des Pokéball qu’ils avaient achetées.
Elle la tendit à Silver, et celui-ci hésita, sa main maintenue au dessus de la Pokéball, pendant un moment, avant que ses doigts ne se referment sur la surface lisse et froide de la sphère métallique. Il la tourna dans sa main, la regarda sous tous ses angles. C’était la première fois qu’il voyait une Pokéball d’aussi près, la première fois qu’il en tenait une dans ses mains, et il était curieux.

Elle avait une moitié rouge et une moitié blanche -évidemment, c’était une Pokéball- et elle avait aussi une bande noire séparant les deux, légèrement surélevée comparée au reste, et un bouton au milieu. Il appuya dessus, et, soudain la Pokéball tripla en taille. Cela le surprit plus qu’il n’aurait voulu l’admettre – après tout, il savait déjà que les Pokéball changeaient de taille, ça faisait partie des connaissances générales que n’importe qui, dresseur ou non, devrait savoir- mais c’était la première fois qu’il voyait ça de si près, et il ne s’y attendait pas du tout.

Il appuya sur le bouton. La Pokéball rétrécit. Il rappuya dessus. La Pokéball grandit. Il se mit à sourire. C’était vraiment amusant, en fait ! Il appuya sur le bouton, puis rappuya dessus, puis rappuya encore. Il aurait pu y passer la journée, mais il se rappela soudain qu’il n’était pas tout seul, et qu’il y avait Laura, et Krys, et Nox, qui étaient probablement en train de le juger. Et, maintenant, il s’était ridiculisé devant eux (et ils allaient l’abandonner comme- Non, non arrête de penser comme ça, ça arrivera pas, tu le sais bien)
Il arrêta quand même de jouer avec le bouton. Puis, il présenta la Pokéball au Nosferapti.

- Donc, si tu veux venir avec moi, tu appuies sur le bouton, juste là…

Le Nosferapti ouvrit la geule, mais son cri était probablement inaudible, car seul Nox baissa les oreilles. Immédiatement, Krys fut à ses côtés, lui demandant si elle allait bien, si elle avait envie de rentrer dans sa Pokéball (Silver espéra qu’elle refuserait. La grotte serait vraiment trop sombre si elle rentrait). Nox lui donna un coup de patte exaspéré.
Puis, alors que Silver était distrait par Nox, Le Nosferapti fonça sur le bouton de la Pokéball, et, après avoir bougé seulement une fois, le bouton brilla vert, suivi d’un clic, et des petites étoiles holographiques scintillantes apparurent pendant quelques secondes dans l’air, indiquant une capture réussie.

- Hein ? Mais ! Il… il est rentré tout seul ? Il est rentré tout seul ! S’exclama Silver.

- Ça arrive, parfois, intervint Krys.

- Comment est-ce qu’il a pu voir où était la Pokéball s’il a pas d’yeux ?

- Écholocalisation. Il crie pour produire des ultrasons et est capable, grâce à l’angle et la distance à laquelle lui revient l’écho, de faire une image mentale de l’endroit où il se trouve, ce qui lui permet de traverser avec aise les endroits les plus obscurs.

- Oh, c’est vrai, ils en parlaient sur le site du Pokédex officiel en ligne !

Le Pokédex en ligne était une bonne ressource pour les dresseurs débutants, les dresseurs expérimentés, les scientifiques, les éleveurs… et presque tout le monde, en fait. En plus des informations générales telles que le poids et la taille moyennes des individus de l’espèce, ainsi que leur type, et des modèles de leur apparence – utiles comme référence quand on voulait les dessiner selon Krys, un monde distorsion à manipuler avec une souris sur un ancien modèle d’ordinateur non-holographique selon Laura – il regroupait toutes les informations sur leur biologie, lieu et cycle de vie, interactions sociales, tempérament, la liste de leurs forces et faiblesses, de leurs talents, de leurs attaques apprises, etc, etc.
Silver avait essayé de lire la page des Nosferapti et de la lignée évolutive (Nosferalto, Nostenfer), mais une bonne partie des parties dédiées à l’écologie et la biologie étaient pleines de jargon scientifique compliqué. La rubrique sur les conseils pour les dresseurs, par contre, était très informative !

Il y était indiqué, par exemple, que, la peau des Nosferapti étant très fine, ils finissaient avec des brûlures s’ils restaient à la lumière du jour trop longtemps. Ses évolutions n’avaient plus ce problème, mais ils restaient des Pokémon nocturnes.

Krys l’avait informé que leur alimentation était à base de sang, et lui avait donné une liste de recommandations de marques qui fournissaient des croquettes spécialisées de bonne qualité et pas trop chères.

Il regarda la Pokéball dans sa main. C’était réel. Il y avait un Pokémon dans cette Pokéball. Il avait un Pokémon dans cette Pokéball.
Il était heureux, mais, quelque part, il s’attendait toujours à ce que ce ne soit qu’un rêve. Cet instant de flottement (Est-ce que c’est réel ? Ça paraît trop beau pour être vrai. Pourquoi est-ce que quelqu’un serait si gentil avec moi ? Pourquoi est-ce que quelqu’un prendrait la peine de passer du temps avec moi ? Pourquoi est-ce que quelqu’un ferait attention à moi ?)

Il se pinça le bras, juste pour vérifier que c’était réel, qu’il était là, puis, se rappela qu’il était tout a fait possible de ressentir de la douleur dans un rêve. Autre technique, quelle autre technique connaissait-il pour vérifier qu’il n’était pas en train de rêver ? Les doigts !
Il compta ses doigts, car apparemment, quand on rêvait, le nombre de doigts était quelque chose que le cerveau avait du mal à répliquer de manière fidèle à la réalité.
Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq.
La sensation de flottement se dissipa quand il se rendit compte que c’était vraiment réel, que c’était là. Que c’était vrai.
La joie explosa, et il serra la Pokéball contre son cœur. Il ne la lâcherait pas. Oh, les dresseurs sur PokéTube mettaient des Pokéballs de leur équipe sur des ceintures adaptées, peut-être qu’il lui faudrait ça ? Mais il ne pouvait pas vraiment demander ça à Krys et Laura, ils avaient déjà acheté des Pokéballs pour lui, et puis ils l’avaient accompagné, et il leur avait déjà trop demandé…

- Qu’est-ce qu’il y a, Silver ? Y a un problème ?

C’était Laura. Évidemment que c’était Laura. Toujours là pour voir quand ça ne va pas et lui demander comment il allait pour essayer de régler la situation.

- Non, rien. (Laura détourna le regard sans essayer de le pousser à parler, et c’est ce respect qui finit par lui faire dire) En fait… Ce serait cool d’avoir une ceinture pour mettre ma Pokéball dessus. Mais je voulais pas trop vous le demander parce que vous aviez déjà acheté les Pokéballs et… Et je voulais pas gaspiller mes chances. C’est stupide, hein ?

Il sentait les larmes monter. Il savait bien, pourtant, il savait qu’ils n’étaient pas comme Papa, mais…

- Non, non, ne t’inquiète pas, tu n’es pas stupide du tout de penser ça.
Elle lui ébouriffa les cheveux et lui passa une boîte de mouchoirs en papier. Il en prit un et se moucha. Le pas ralentit le temps qu’il sèche ses larmes complètement, puis ils repartirent sans se presser vers la ville.

- Je crois qu’ils en donnent aux nouveaux dresseurs la première fois qu’ils passent voir le centre Pokémon, Krys indiqua. Histoire de les pousser à faire attention à leurs affaires.

- Les… Les dresseurs ont besoin de faire attention histoire de ne pas oublier leurs Pokéball occupées ? Ces mêmes Pokéball qui sont programmées pour revenir automatiquement vers le dresseur une fois qu’elles sont lançées ? Laura demanda, incrédule.

- Tu as vu l’état des routes ? Le nombre d’objets perdus qui finissent à des endroits limite inaccessibles ? Lui répondit Krys.

- Tu marques un point.

Et Krys lui fit un sourire. Pas un sourire comme Papa, Silver remarqua. Pas un sourire moqueur, dédaigneux, cruel, ou ennuyé. Juste un sourire, un vrai sourire.
Mais, Laura sembla voir quelque chose qu’il ne voyait pas, parce qu’elle glissa lentement ses doigts dans la main de Krys, et la serra, lui apportant son soutien. Le sourire de Krys s’effaça, et ils parurent soudain épuisés, tous les deux. Érodés par les années alors qu’ils étaient encore jeunes. Laura posa sa tête sur l’épaule de Krys, et Krys posa sa joue sur le haut de la tête de Laura. Ils soupirèrent de concert.

- Non mais si vous voulez on peut rentrer directement, hein ! Silver leur lança. On est pas obligés de passer au centre Pokémon !

- Oh, non, on va prendre cette ceinture ! S’exclama Laura, et, sans les attendre, elle partit en marchant à grandes enjambées vers l’entrée de la ville.

Krys poussa un long soupir. Silver passa sa main sur la surface de sa Pokéball, de nouveau. Il n’arrivait toujours pas à y croire. Il emboîta le pas à Laura. Il ne voulait pas être laissé derrière.
Krys marchait quelques pas derrière lui, ses boucles lui retombant sur ses yeux. Il paraissait ne pas être totalement là les yeux perdus dans le vague, et, même s’il ne le connaissait pas bien, ça l’inquiétait un peu.
Il se demanda comment Laura et lui s’étaient rencontrés. Il ne savait pas si ça serait impoli de demander. Avant, il n’en aurait rien à faire de poser une question indiscrète. Il ne savait pas quand, exactement, ça avait changé. Peut-être quand il s’était rendu compte qu’il avait quelque chose à perdre.

Krys était silencieux. Ce n’était pas inhabituel, en soi. Ça lui arrivait de parler beaucoup, mais seulement quand la discussion tournait autour de quelque chose qu’il aimait beaucoup, comme l’élevage de Pokémon, ou le dessin.
Laura, elle, trouvait toujours un sujet de discussion et pouvait parler en continu, pendant très longtemps. À l’exception faite, Silver avait remarqué, de quand elle était en train de travailler sur cette oreillette qu’elle gardait toujours dans son sac. Quand elle était assise au bureau, un tournevis à la main, ou un ordinateur sur les genoux, elle était silencieuse et son visage était tendu, concentré uniquement sur son objectif, son genoux tressautant de haut en bas sans qu’elle s’en rende vraiment compte. Silver avait commencé à suspecter que parler autant n’était qu’une manière d’essayer de se distraire. Le distraire… est-ce que ça fonctionnerait ?
Parfois, Silver n’aimait pas jusqu’où il pouvait sombrer quand il laissait ses peurs le contrôler, et quand il s’arrêtait trop longtemps, et qu’il se souvenait.
Il prit une grande inspiration. Il pouvait le faire. Il était un grand garçon, et les grands garçons étaient capables de se débrouiller et de faire des choses. Ils n’hésitaient pas, et ils n’avaient pas peur de parler à des adultes avec autorité. Mais… peut-être que c’était d’autre chose dont il avait besoin. L’autorité… c’était quelque chose que papa faisait bien. C’était quelque chose que, lui-même, il arrivait bien à imiter quand il faisait comme lui. Ce n’était pas quelque chose qu’on utilisait pour réconforter, ou distraire, ou créer des liens avec quelqu’un.

- Donc… T’as des conseils à me donner pour Nosferapti ?

Oh, il était vraiment incapable de parler normalement. C’était humiliant. Pourquoi est-ce qu’il ne pouvait pas être meilleur à être normal ? (Il était censé être le meilleur pour papa)
Non, c’était faux. Il n’avait pas à être parfait. Il n’avait pas à être fort.
Mais, alors qu’il allait continuer de se réprimander mentalement, quelque chose se ralluma dans le regard de Krys. Il tourna son regard vers lui, et Silver eut l’impression qu’il le voyait, vraiment, au lieu de donner l’impression d’être ailleurs, à un autre endroit, à un autre moment (comme papa peu de temps après la mort de maman).

Krys le regarda pendant un moment, et Silver pouvait presque voir la manière dont il se maintenait de force dans l’instant présent pour essayer de réfléchir. Krys referma ses mains autour de ses bras, avant-bras à moitié croisés.
Nox vint se frotter contre ses jambes, et, ça, plus que toutes les tentatives de Silver, parurent réussir à le faire revenir entièrement. Il caressa distraitement Nox, sachant automatiquement, sans même avoir besoin de regarder, quels endroits elle préférait (au milieu du cercle jaune sur sa tête, derrière les oreilles, sous le menton). Ils se connaissaient depuis tellement longtemps qu’ils n’avaient même pas besoin de se parler pour se comprendre.

- Tu… (il commença, et sa voix était enrouée, alors il se racla la gorge avant de se remettre à parler) Tu dois lui trouver un endroit sombre, et ce, même après qu’il devienne un Nosferalto. (C’était sa voix sérieuse d’adulte, Silver pensa. Celle de l’éleveur qu’il avait été avant d’atterrir ici.) La peau des Nosferapti est fine et brûle à la lumière du soleil, donc ils chercheront toujours à se cacher dans un endroit sombre. Toute leur ligne d’évolution est nocturne, donc il faut que tu le laisses dormir durant la journée, et que tu ne le déranges pas. Tu pourras interagir avec lui sans affecter son cycle de sommeil négativement si tu joues avec lui le soir. Il…

Il fit une pause pour pouvoir respirer, et, immédiatement après avoir repris son souffle, continua où il s’était arrêté. Il avait un petit sourire aux lèvres, et parler de ce qu’il aimait, en plus d’avoir caressé Nox, paraissait lui avoir fait du bien, au moins un petit peu.

Il continuèrent de parler en suivant Laura à distance. Elle marchait d’un bon pas, et Krys et Silver avaient abandonné l’idée de la rattraper. Quand ils la rejoignirent enfin, elle était assise sur un des sièges à l’intérieur centre Pokémon, en train de les attendre.

- … Et, si tu veux pouvoir savoir quelle saveur de croquettes lui prendre, il faudra que tu connaisses sa Nature. Pour ça, il faudra connecter ta tablette à la Pokéball. Tous les appareils sont capables de le faire, mais tu devras demander à Laura de l’aide pour ça, car, normalement, la capture a automatiquement enregistré la Pokéball sur son Motismart, car c’est elle qui a acheté la Pokéball.

- Hm ? J’ai entendu mon nom ?
Laura leva les yeux de son Motismart.

- On était en train de parler de comment enregistrer la Pokéball du Nosferapti sur la tablette de Silver.

- J’ai un Motismart ! Intervint Silver.

- Oh, je vois. (Elle passa la main dans ses cheveux en soupirant, mais elle avait un sourire aux lèvres) t’inquiète pas pour ça, je m’en occuperai quand on sera rentrés à la base. D’ailleurs (elle pointa son Motismart du doigt) j’ai regardé les infos et apparemment, ton Nosferapti est de Nature jovial. Je… crois que les Pokémon de Nature joviale aiment tout ce qui est sucré... ?

Elle laissa sa phrase en suspens, et tourna son regard vers Krys, lui demandant silencieusement si elle se souvenait correctement des choses et qu’elle n’avait pas dit n’importe quoi. Krys hocha la tête d’une manière beaucoup trop solennelle pour la situation, et compléta d’un :

- Et ils détestent tous les aliments trop secs, donc, prends préférentiellement des aliments comme de la pâtée, de la purée, de la poudre de sang qu’on peut réhydrater, ce genre de choses qui ne sont pas sèches.

Sa voix était professionnelle, et Silver arrivait facilement à deviner que, s’il n’avait pas fini entre ces quatre murs, dans la base, alors ça aurait été ça, son métier.

- Bon, alors ? Demanda Laura, un grand sourire aux lèvres. On y va ?

Silver lui répondit avec un sourire bien à lui, loin des imitations de son père qu’il faisait d’habitude.
Il se sentait… heureux. Plus heureux qu’il ne l’avait été depuis longtemps.
Sa Pokéball dans sa main. Il avait toujours du mal à se rendre compte que c’était réel.
Si ce n’était qu’un rêve, alors il ne voulait pas se réveiller.

*************
Émelie était allongée à côté de Yuro. Durant la journée, ils n’avaient pas fait des tours de cage comme ils en avaient l’habitude. Même s’ils en avaient eu l’énergie (ce qu’ils n’avaient pas) aucun des deux n’en aurait eu la motivation. Alors même qu’Émelie essayait de distraire Yuro, de se distraire elle, aucun des deux n’arrivait vraiment à détourner ses pensées de l’inévitabilité qui planait au dessus d’eux. Ils arrivaient à peine à se maintenir dans l’instant présent, à se raccrocher autant qu’ils le pouvaient à la réalité. Yuro le savait. Émelie le savait. Ils se sentaient partir.
Et, une fois que toutes les histoires furent épuisées, qu’est-ce qu’il restait, vraiment ?
Lui, et elle, et la terreur, la douleur, la peine, écrasantes.
Et la cage.
Ça fait mal.
Elle était énervée.
Ça fait mal !
Elle avait peur. Malgré tout, malgré qu’elle ait accepté cette possibilité il y avait longtemps déjà, elle… était terrifiée.
Elle ne voulait pas mourir. Et il lui a fallu du temps pour retrouver l’envie de vivre, et, maintenant, elle allait tout perdre de nouveau. Elle avait eu raison d’arrêter d’espérer.

- Yuro, est-ce que tu es sûr ? Que je vais mourir, que ce n’est pas autre chose ? Elle s’entendit dire.

Sa patte arrière lui faisait mal, mais la douleur lui paraissait lointaine. Elle ne voulait pas être ici. Elle ne voulait pas mourir ici. Elle voulait sortir et revoir le soleil, et s’étendre sur une prairie, quelque part.
Yuro regardait dans le vide. Il n’était plus exactement là, lui non plus.

- Je… ne sais pas, Émelie. La vision n’était pas claire, je sais juste que ça me terrifiait, et que tu étais en danger. Les détails… ne sont pas restés. Je suis désolé. Je suis un incapable. Je suis désolé.

- Ne dis pas ça, Émelie lui dit sur un ton sec. Yuro sursauta, et elle prit une grande inspiration, et, reprit, sur un ton plus calme. Tu n’es qu’un enfant Yuro, tu n’es pas un incapable, et tu n’as pas à tout savoir faire du premier coup. Et tu n’as pas à t’excuser.

Yuro ouvrit la gueule, probablement pour s’excuser de s’être excusé, mais parut réfléchir à deux fois, et la referma. Au lieu de dire quoi que ce soit, il enfouit son museau dans la fourrure d’Émelie.
Émelie le laissa faire. Elle aussi avait besoin du contact. Elle ne savait pas si elle allait mourir ou pas, mais. Mais elle savait qu’elle était en danger, et… Elle ne voulait pas être seule.

Elle savait qu’elle était vieille. Elle savait qu’elle n’était pas en bonne santé. Elle savait qu’elle finirait par mourir, tôt ou tard. Elle pensait s’être faite à l’idée. Elle pensait qu’elle s’y était préparée. Elle avait tort. Elle posa sa tête par terre, entre ses pattes de devant.
Au moins… Au moins, elle n’était pas seule.

Elle ne sut pas combien de temps ils restèrent, là, allongés côte à côte sur le sol dur. Elle n’avait pas le temps de compter le temps qui passait, mais, elle savait que c’était suffisamment longtemps pour que le sol se réchauffe sous leurs pattes. Elle espérait que ça n’était pas trop chaud pour Yuro. Elle n’était pas vraiment la bonne personne pour savoir ce qui était trop chaud pour quelqu’un d’autre -elle était de type feu, après tout. Être capable de supporter des températures très chaudes était un de leurs avantages-, aussi, elle avait du mal à l’évaluer. Elle espérait qu’il le lui dirait si la température montait trop, mais, même s’il avait commencé à s’ouvrir à elle, il avait toujours la mauvaise habitude de ne pas se plaindre, de toujours regarder le sol et de se taire, pour essayer de ne pas se faire remarquer. Ça ne marchait jamais, n’est-ce pas ? Pauvre petit.

Le bruit d’un coulissement sur le sol. Les oreilles d’Émelie se redressèrent sur sa tête, et Yuro leva les yeux de l’endroit où il était allongé, les muscles tendus pendant quelques secondes (prêt à fuir) avant de se relâcher (où est-ce qu’il aurait bien pu fuir de toute façon ?).
La tête de Krys apparut dans l’encadrement, légèrement penché en avant, tournant la tête à droite, à gauche, avant que son regard ne s’arrête sur eux et qu’il s’avance entièrement dans la pièce.

Il avait l’air un peu moins triste que d’habitude, mais aussi épuisé, Émelie nota. Nox était sortie de sa Pokéball et marchait quelques pas derrière lui.
Il sent bizarre. Remarqua Émelie. Puis, Oh, il sent le dehors.
Il avait une odeur d’herbe et de soleil que quelqu’un ne prenait qu’après avoir récemment passé du temps dehors, sur les routes. Oh, comme elle avait envie de retourner sur les routes, de retourner chez elle.

Krys la regarda pendant un moment, figé comme une statue, avant d’aller remplir leurs gamelles. Puis, sans un mot, il s’approcha lentement, et s’accroupit devant elle. Yuro lui lança un regard noir, mais ne bougea pas pour le mordre. Krys lui répondit par un sourire triste qui ressemblait plus à une grimace (et des yeux tellement, tellement fatigués).

- Ne t’inquiète pas, je ne lui ferai pas de mal.

Il tendit la main, ses doigts s’arrêtant à quelques centimètres du bout du museau d’Émelie, (comme Léon le faisait), lui laissant le choix. Émelie lui renifla les doigts – il sentait toujours le dehors- et les lécha une fois. C’était une permission. Il déplia ses doigts et commença à la gratter derrière l’oreille et sous le menton. Ça lui avait manqué, un humain qui la caressait. C’était agréable, et elle se mit à ronronner. Le sourire de Krys retomba rapidement, laissant une expression pensive derrière. Il avait les yeux perdus dans le vague. Nox lui donna un coup de tête, et il sursauta.

- Est-ce que tu vas bien ? J’ai eu l’impression que quelque chose n’allait pas ce matin.

Sa voix était basse, et enrouée. Il se sentait coupable. Il était facile de deviner pourquoi. Après tout, c’étaient lui, ainsi que les autres sbires, qui les maintenaient enfermés ici. S’il ne s’était pas senti coupable, elle ne lui aurait pas fait confiance du tout.

- J’ai mal à la patte. Elle lui répondit, sachant très bien qu’il ne la comprendrait pas.

Il pencha la tête sur le côté, pensif, pendant quelques secondes. Puis, il ouvrit la bouche – probablement pour lui dire qu’il ne comprenait pas – mais, avant qu’il n’ait pu prononcer un mot, Nox s’approcha et pointa du museau la patte arrière droite d’Émelie.
Krys se releva d’un mouvement fluide, et commença à contourner Yuro pour aller voir ce que Nox lui indiquait. Yuro se mit à gronder dans sa direction, son poil se hérissant sur son dos. Émelie appréciait qu’il s’inquiète pour elle, mais elle avait besoin d’aide et, Krys était le plus susceptible de l’aider. Elle lui donna un coup de tête, mais cela ne sembla pas le dissuader. Nox se positionna entre Krys et Yuro, ne faisant aucun mouvement -pour l’instant-, mais prête à défendre son dresseur si le besoin s’en faisait sentir.

- Je vais juste regarder, c’est promis.
Il leva les mains en l’air, paumes tournées vers l’avant, pour prouver qu’il n’avait rien dans les mais et ne comptait pas toucher la blessure. Yuro ne se calma pas, au contraire, il se hérissa encore plus, et commença lentement à se remettre sur ses pattes, et Émelie sentit qu’il fallait qu’elle intervienne, tout de suite avant que ça ne dégénère en combat. Et Yuro n’écouterait probablement que si ça venait d’elle. Il ne faisait pas confiance facilement.

- C’est bon Yuro. Il est là pour nous aider.

Yuro la regarda pendant quelques secondes, comme pour lui demander si elle était bien sûre que c’était ce qu’elle voulait, puis, quand Émelie confirma d’un mouvement de la tête, il s’écarta juste assez pour que Krys puisse accéder à la patte d’Émelie, sans pour autant arrêter de lui lancer un regard noir. Le message était clair : fais attention à ce que tu fais car je te surveille de près.
Par Arceus, il devait vraiment être désespéré s’il laissait Krys s’approcher d’elle.

Krys s’approcha lentement, main levées en l’air, toujours bien en vue. Il ne fit aucun mouvement brusque quand il s’agenouilla près d’elle.
Krys était fatigué, ça se voyait.
Elle était fatiguée, elle aussi. (Elle en avait marre d’espérer) Mais… Elle n’abandonnerait pas. Pas maintenant. Elle devait vivre, au moins pour Yuro. Au moins pour Léon.
Au moins pour elle.
Elle en avait tellement marre de s’empêcher d’espérer.
Elle avait envie de ressentir de la joie de nouveau. Et elle avait envie d’avoir mal. De tomber et de se relever à nouveau. Elle avait envie de prendre ce risque, considérer la possibilité que tout pourrait s’arranger. Pour Yuro. Pour elle.

Je ne veux pas mourir.
Et je veux avoir le courage d’y faire quelque chose.
Et si j’échoue, au moins j’aurais essayé.


Krys se mit à observer les blessures. Il se mit à parler à voix haute, s’adressant à eux bien qu’il fût en train d’éviter leur regard, les yeux rivés sur la patte d’Émelie.

- Je ne suis pas médecin. Je ne sais pas à quel point c’est grave. Mais... (Il jeta un regard à Émelie, et, dès qu’il se rendit compte qu’elle l’avait remarqué, il glissa vers sa patte.) Je vais vous faire confiance pour ça. Si vous pensez que ça l’est suffisamment pour me demander de l’aide, alors ça l’est.

Il se releva, en s’appuyant sur ses genoux avec ses mains, comme si le monde pesait sur ses épaules.

- On n’a pas grand-chose en terme de médicaments, et aucun médecin, malheureusement. Et c’est pas comme si je pouvais emmener l’infirmière Joelle ici. Et, même dans ce qu’on a, je ne sais pas ce que je pourrais te passer et ce qu’il faudrait mieux éviter. E n’ai pas envie de te donner quelque chose que je ne devrais pas parce que je n’aurais pas compris la notice.

Il passa sa main sur son visage lentement, et poussa un long soupir.
Si Émelie avait été humaine, elle aurait sûrement fait la même chose. La seule personne qui aurait pu faire quelque chose ici, pour les aider, refusait car il avait peur de mal faire, et qu’il ne pouvait pas désobéir aux règles de manière directe.

- Ça devrait être facile, pourtant. De désobéir. De faire ce qui est juste. Mais… j’ai peur. On doit avoir quelque chose contre la douleur dans l’armoire à pharamacie, mais je ne connais pas le dosage, et…

Ses yeux bougeaient de droite à gauche, de haut en bas frénétiquement. Il butta sur le mot « et », essayait de le dire, avala sa salive difficilement, puis le répétait, encore et encore, mais il n’arrivait pas à le dépasser, les mots se bloquant dans sa gorge. Il respirait trop vite, trop fort.
Il commençait à paniquer, Émelie réalisa. Elle devait faire quelque chose.
Elle poussa la main de Krys avec son museau, et il sursauta violemment. Il ferma les yeux, plissant les paupières, et inspira un grand coup. Puis, il passa ses mains plusieurs fois sur son visage. Quand il les releva pour les passer dans ses cheveux, Émelie put voir les larmes qui perlaient au coin de ses yeux. Il relâcha lentement sa respiration, et ses mains se rabaissèrent le long de son corps. Elles tremblaient plus qu’Émelie n’ait jamais vu chez lui.

- Je suis désolé, commença-t-il, la voix enrouée. (Puis, il fit une pause, se racla la gorge, prit une grande inspiration, recommença à parler.) Je suis désolé. J’ai… du mal avec la chaleur. Et… Il fait chaud ici.

Oh, c’était probablement son corps à elle qui était trop chaud. Les Pokémon de type Feu avaient tendance à avoir du mal à réguler leur température quand ils étaient en mauvaise santé physique ou mentale. Il lui fit un sourire.

- Ne t’inquiète pas pour moi, j’ai l’habitude, ce n’est pas la première fois. Bon. (Il étira ses bras au dessus de sa tête, en se dirigeant vers la sortie). Essaie de ne pas trop bouger, je reviens. On doit avoir des potions quelque part en stock. (il tourna la tête vers elle.) Ça aidera un petit peu, mais ça ne sera pas suffisant. C’est tout ce que je peux faire pour l’instant.

La porte automatique se referma derrière lui, et il ne resta plus qu’eux deux, allongés l’un contre l’autre, dans le silence. Yuro grogna.
- C’était inutile ! Il l’a dit lui-même, il ne peut rien faire !

- Il a dit qu’il ne pouvait pas faire grand chose Yuro. C’est… mieux que rien. (Elle poussa un long soupir) Ce n’est pas suffisant, mais il est la seule personne qui essaierait de nous aider un minimum ici. Il a accès aux potions, et ça aidera un peu, même si ça ne sera pas suffisant pour soigner une blessure aussi vieille que celle-là. Ça sera quelque chose, au moins.

Elle reconnaissait la panique dans le regard de Yuro. Elle le poussa du museau, doucement, pour le rassurer.
- Hé. Hé, ne t’inquiète pas. Je ne vais pas mourir. Il est trop tôt pour que je meure, tout ira bien.

Et, quelque part, elle fut surprise de voir qu’elle croyait vraiment ce qu’elle était en train de dire.
- Tout ira bien.
Elle posa sa tête par terre, et Yuro posa sa tête sur la sienne.

Quand Krys revint avec des potions dans ses bras (normales, pas des super potions ni des hyper potions, car elles étaient moins chères), Yuro ne lui accorda qu’un bref coup d’œil avant que son regard ne revienne se fixer sur le sol, et ne lui grogna pas dessus.
Krys fit tout de même attention à s’approcher lentement et sans faire de mouvements brusques. Émelie lui en était reconnaissante, car Yuro ne s’est pas mis à paniquer, comme il pouvait facilement anticiper les mouvements de Krys.

Cette fois, les yeux de Krys étaient rivés sur son objectif, et il y avait une détermination et une concentration dans son regard qu’Émelie n’avait jamais vues auparavant. Il était sérieux, et il pulvérisa les potions sur sa blessure avec attention. Il avait déjà fait ça avant, Émelie le voyait. Probablement pour Nox, étant donné qu’elle ne voyait aucune autre Pokéball à sa ceinture.
Elle savait d’expérience que les potions avaient été très utiles durant son aventure avec Léon, quand ils étaient partis faire le tour de Kalos ensemble, quand il avait dix ans. Elle savait aussi qu’au fur et à mesure qu’elle était devenue plus forte, il avait dû passer aux super potions, puis aux hyper potions. Ça, ça n’était que des potions classiques. Ça ne soignait pas de grandes blessures, seulement des petits bobos. Mais, elle doutait que même les guérisons aient pu faire quoi que ce soit au long terme. Il lui faudrait un centre Pokémon pour vraiment pouvoir y faire quelque chose, mais elle doutait que même Krys accepte de l’emmener se faire soigner. La Team Rocket se cachait. La Team Rocket n’était pas censée se faire remarquer, et arriver au centre Pokémon avec une Némélios chromatique était un moyen sûr de se faire remarquer. Elle comprenait, mais elle n’aimait pas ça du tout.

Il finit de pulvériser la potion, prit les bouteilles vides, et remplit les gamelles avant de repartir, la porte se refermant derrière lui.
Elle n’était même pas sûr qu’il était censé utiliser ces potions sur elle. Après tout, si personne ne l’avait jamais soignée avant, c’est peut-être qu’ils attendaient tous de la laisser mourir. Ou peut-être qu’ils étaient juste négligents au point de ne pas se rendre compte qu’elle allait mal. Ou peut-être qu’ils étaient sous ordre strict de ne pas utiliser de potions, car cela ne serait qu’un moyen de diminuer la douleur qui ne changerait pas grand-chose à ses chances de survie sur le long terme.

Elle poussa un long soupir. Elle était fatiguée. Elle sentait l’épuisement dans chaque parcelle de son corps, dans ses muscles, dans ses os, dans la douleur avec laquelle elle avait pris l’habitude de vivre, chaque jour. Elle se faisait vieille, et elle ne mourrait pas avant d’avoir revu les étoiles.

*************
Krys sortit de la cage, la porte métallique se refermant avec un bruit derrière lui. Dès qu’il fut hors de vue, il s’appuya contre le mur, puis s’y adossa. Il prit une grande inspiration, juste assez pour se donner la force de se traîner sur des jambes tremblantes jusqu’à une des chaises disposées contre le mur. Il se laissa tomber et s’appuya de tout son poids contre le dossier. Il n’arrivait plus à contrôler sa respiration, elle était rapide, forte. En pilote automatique impossible à désactiver, et il n’arrivait plus à reprendre son souffle. Il leva ses mains vers ses yeux, et tenta de compter sur ses doigts.
Un deux trois quatre inspire un deux trois quatre expire lentement. Mais ses mains tremblaient. Ses mains tremblaient violemment, et les fourmillements qu’il sentait progresser depuis les extrémités de ses membres n’aidaient en rien.
Toutes les techniques qu’il avait mises en place pour pallier à ce genre de situations soudain échouaient.
En désespoir de cause, il porta son poignet à sa bouche et mordit, pas aussi fort que ce qu’il avait fait, il y a longtemps, quand il était dans un état encore pire, mais suffisamment pour que ça lui fasse mal. La douleur agit comme un choc, et il prit une grande inspiration, comme s’il avait été en train de se noyer et qu’il avait soudain réussi à retrouver la surface.
Il inspira, mais sa salive se bloqua dans sa gorge et il fut pris d’une quinte de toux. Il avala sa salive, et il reprit. Il inspira. Un. Deux. Trois. Quatre. Il expira. Un. Deux. Trois. Quatre. Recommence. Recommence. Recommence jusqu’à ce que tu n’aies plus à compter dans ta tête et que tu arrives à garder le rythme sans avoir à y penser.
Il laissa sa tête se poser sur le mur derrière lui. Ouvrit les yeux. Les larmes qui s’étaient accumulées derrière ses paupières se mirent enfin à couler, et brouillèrent et distordirent la lumière des néons au plafond. Elle lui brûlait les rétines. Il referma les paupières, les plissa très fortement jusqu’à ce qu’il vît des points de lumière danser dans son champ de vision.

Il allait bien. Tout allait bien. Un. Deux. Trois. Quatre. Il allait bien. Tout allait bien.
Il allait bien, tout à l’heure, ou, du moins, aussi bien qu’il aurait pu espérer compte tenu de la situation. Il avait bien réussi à ne pas perdre le contrôle de sa respiration depuis ce matin.
Mais, il avait vu la Némélios. Et elle allait mal. Et il s’en était rendu compte, depuis un moment, mais, comme tous les autres sbires il n’avait rien foutu pour l’aider jusqu’à ce qu’elle vienne et lui demande. Et, oh, il se détestait, car il n’avait pas été fichu de réagir avant. Car, même quand elle lui avait demandé, il n’avait fait que le minimum.
Il détestait qu’il avait été si détaché de tout autour de lui, et de lui-même, et de toutes ses émotions, et du monde entier, pour réagir. Parce qu’il avait peur de briser les règles, peur des conséquences pour sa famille. Mais aussi, mais aussi, parce qu’il n’arrivait plus à ressentir.
(marionnette au bout de fils, et le monde s’efface autour de toi.)
Eh bien, il en ressentait des choses, maintenant. Et putain que ça faisait du mal. Et putain que ça faisait du bien.
Il se mit à rire, tout seul assis sur une chaise au milieu d’un couloir.
Et putain que ça faisait du bien.
Et c’était toxique, ce genre de mentalité, il le savait bien, mais il ne pouvait pas s’empêcher de penser, qu’au moins, au moins il ressentait quelque chose.

Il regard ses mains devant lui. Referma ses doigts sur sa paume, sentit ses ongles reposer contre sa peau. C’était toujours aussi étrange, elles paraissaient toujours appartenir à quelqu’un d’autre. Il ne savait pas ce que ça faisait de ne pas avoir l’impression qu’elles appartenaient à quelqu’un d’autre.
Il les rouvrit, et ses doigts répondirent à son ordre. Ça paraissait toujours aussi irréel.
Il prit une grande inspiration. Elle tremblait encore un peu, mais pas de risque de replonger.
Il se mit à rire. C’était tellement absurde.

Bon, eh bien. Il était trop longtemps resté immobile, n’est-ce pas ? Il serait peut-être temps d’arrêter de mettre ses morales de côté. Il serait peut-être temps de faire quelque chose.

Il se releva, et cette fois, ses jambes ne tremblaient pas. Il remonta le couloir, un sourire aux lèvres, fredonnant une chanson sans paroles. Il avait l’impression qu’un poids énorme venait de disparaître de ses épaules.

Il était tellement énervé contre lui-même, et ça faisait du bien.