Lignes de fracture
Un grondement sourd traversa le sol de Métropolia.
À première vue, rien n’avait changé. Les grues étaient figées, les machines silencieuses, les humains comme les Pokémon retenaient leur souffle dans une trêve fragile. Mais sous la surface, le réseau vivant qui avait commencé à renaître grâce aux balises se mit à vibrer d’une discordance nouvelle.
Kaori observa les données sur son moniteur. Des points noirs apparaissaient à l’endroit même où, quelques jours plus tôt, les cristaux naturels s’étaient allumés pour éveiller Zygarde. Mais ceux-là n’étaient pas verts. Ils pulsaient d’un rouge malsain, instable.
— Ce n’est pas Zygarde, dit-elle, le visage grave. C’est quelque chose d’autre. Une... réponse.
Gallet, penché sur ses notes, murmura :
— Une entropie miroir. L’ordre appelle le chaos. L’équilibre se défend, mais il peut se rompre si la tension devient trop grande. Zygarde n’est pas le seul à dormir dans le sous-sol de Kalos.
Il se tourna vers Lina.
— Vous avez réveillé la nature. Maintenant, elle vous met à l’épreuve.
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Pendant ce temps, Kreel avait fui Valmara.
Son laboratoire personnel, situé dans un ancien silo reconverti en tour de contrôle, s’activait dans l’ombre. L’ingénieur y avait stocké des fragments de cristal prélevés en secret sur les balises lors de leur réactivation. Ces fragments, soumis à des fréquences électromagnétiques, avaient commencé à muter. Ils formaient des modules de contrôle organiques, capables d'interférer avec les signaux émis par Zygarde lui-même.
Kreel appelait ce programme Parallaxe.
— L’ordre, disait-il à ses collaborateurs restants, doit être imposé, pas quémandé. Si Zygarde veut juger notre monde, alors qu’il voie ce qu’est la véritable maîtrise.
Il injecta l’énergie noire dans les circuits. Une lumière écarlate jaillit du noyau. Et dans les profondeurs, quelque chose s’ouvrit.
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Les premières secousses frappèrent la zone nord de Métropolia-Vie.
Un quartier encore en chantier fut englouti par une faille surgie sans avertissement. Mais ce n’était pas une simple catastrophe géologique : la roche elle-même semblait vivante, corrompue. Des formations cristallines rougeâtres poussaient à vue d’œil. Des Pokémon Sol fuyaient la zone. D’autres, comme des Triopikeur ou des Gravalanch, restaient piégés dans une transe minérale.
— Il interfère avec le lien, murmura Kaori. Il retourne l’architecture même du vivant contre lui-même.
Lina ferma les yeux.
— On doit le stopper. Pas seulement Kreel. La faille.
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Zygarde n’avait pas réagi depuis plusieurs heures. Il avait quitté la surface et n’émettait plus qu’un signal faible. Comme s’il attendait. Comme s’il testait la volonté de celles et ceux qui l’avaient invoqué.
C’est alors que Gallet proposa une solution.
— On ne vaincra pas Parallaxe avec la force. Ni même avec un autre légendaire. Ce qu’on doit faire, c’est réécrire le lieu. En faire un espace où le chaos ne peut se propager.
— Tu veux construire quelque chose... sur la faille elle-même ? demanda Lina.
— Pas un bâtiment. Une racine.
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Pendant 36 heures sans pause, humains et Pokémon bâtirent une structure d’un nouveau genre : le Cœur Lithique.
Il s’agissait d’une spirale de roche vivante, de métal organique et de végétation profonde, conçue avec l’aide de Torterra, Bouldeneu, Steelix et même un Feunard d’Alola. Le tout était centré autour d’un fragment de la première balise, intacte, que Gallet avait gardée en réserve.
— Ce n’est pas un barrage. C’est un chant tellurique, dit-il. Un point de résonance si harmonique qu’il désynchronisera la faille de Parallaxe. Mais il faut un vecteur. Quelqu’un pour fusionner brièvement avec le cristal et guider le signal.
Lina s’avança.
— Je le ferai.
Kaori voulut protester. Mais le regard de Lina était calme.
— J’ai commencé ce projet en croyant que je bâtissais pour le futur. Mais je comprends maintenant : il faut bâtir avec le présent, en le ressentant de tout son être.
Elle entra dans le Cœur.
Le cristal pulsa. Et l’énergie jaillit.
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Ce qu’il se passa ensuite ne fut jamais totalement expliqué.
Les drones de surveillance explosèrent sous la pression d’un signal inaudible. Les Pokémon autour du chantier s’immobilisèrent, leurs yeux brillants d’un éclat uni. Même Zygarde réapparut à la surface — non pas dans sa forme finale, mais sous sa forme 50 %, majestueuse et vibrante de puissance.
Il tourna la tête vers le Cœur Lithique... et se courba devant.
Un rayon vert jaillit du sol, fusionna avec la spirale, et éteignit en un instant tous les noyaux de Parallaxe. Les cristaux rouges explosèrent. Le sol se referma doucement. La faille devint racine.
Et dans l’air... plus aucun bruit.
La ville respirait.