Le murmure des Titans
La pluie s’abattait sur Métropolia comme si le ciel lui-même tentait d’effacer les cicatrices du chantier. Mais l’eau ne suffisait pas. Les arbres morts ne repoussaient pas sous les flaques. Les cris étouffés des Pokémon délogés n’étaient pas couverts par le tonnerre.
Dans l’amphithéâtre naturel que Gallet avait aidé à bâtir en quelques jours à la lisière Est, un rassemblement avait lieu. Pas un meeting, pas une conférence officielle, mais une veillée. Pokémon et humains, rassemblés autour d’un dôme de lumière projetée, où défilait lentement la maquette de Métropolia-Vie. Pas une seule parole n’était prononcée. Juste des regards. Des connexions.
Un Ténéfix s’était glissé près de Lina, observant le plan projeté comme un vieil architecte. Une Roserade versait une fine pluie de spores lumineuses autour d’un simulateur de plantation. Un Lockpin agenouillé tenait dans ses pattes une tablette tactile où tournait une vidéo de construction d’abri végétalisé.
Kaori, debout près du podium, murmura :
— Ils comprennent. Sans même qu’on leur parle.
— Ce n’est pas à eux qu’on doit convaincre, répondit Lina. C’est à ceux qui ne les écoutent pas.
---
Les 48 heures étaient presque écoulées.
La Commission Internationale d’Urbanisme Pokémon n’avait pas encore statué. Les rumeurs enflaient : Kreel aurait promis aux dirigeants de Galar une zone d’investissement exclusive dans Métropolia. Sinnoh, de son côté, craignait un précédent juridique si la co-conception Pokémon était reconnue comme une norme.
Mérand claqua un dossier sur la table.
— Voilà. Toutes les propositions de Kreel ont un point commun : elles effacent le vivant. Aucun couloir de migration. Aucune continuité végétale. Et des Pokémon relocalisés de force dans des "réserves périphériques" comme s’ils étaient des déchets à classer.
Kaori fit défiler une image satellite : les zones rouges d’alerte couvraient déjà 27 % de la forêt initiale.
— Il nous faut un levier, dit-elle. Un choc. Une preuve irréfutable que la nature n’est pas passive. Qu’elle résiste.
— Pas un levier, murmura Gallet. Un éveil.
Il posa un vieux carnet sur la table, relié de cuir et couvert de terre séchée.
— Ce carnet appartenait à mon mentor, un chercheur de Sinnoh. Il parlait d’un lieu ancien, au cœur du substrat de Kalos. Un endroit que les Pokémon Sol appellent le Nœud. Un sanctuaire géologique. Si ce lieu existe encore... il pourrait attirer un Gardien.
Lina fronça les sourcils.
— Tu parles d’un Pokémon légendaire ?
Gallet hocha lentement la tête.
— On l’appelait Zygarde. Le régulateur. Celui qui surveille l’équilibre. Il ne se manifeste que lorsque l’ordre naturel est gravement menacé.
Kaori siffla doucement.
— Et on fait quoi, on envoie une invitation gravée dans une pierre ?
— Non, dit Gallet. On relie les fragments de son signal.
Il leur expliqua. Il fallait activer un réseau oublié de balises géo-organiques, dispersées dans les sous-sols de la région. Ces cristaux naturels, alignés selon des lignes de faille, captaient les vibrations de l’environnement et émettaient une fréquence unique. En les réactivant, ils pourraient restaurer le signal de Zygarde — le faire entendre.
Mais c’était une course contre la montre.
Kaori, Lina et Mérand se répartirent les zones. Chaque balise était protégée par un écosystème particulier. Dans les Marais de Vellure, Kaori fut confrontée à une colonie de Colhomard agressifs, perturbés par les machines de drainage. Dans les grottes de Valtor, Mérand négocia avec une tribu de Pokémon Spectre, notamment des Branette et des Tutankafer, qui considéraient les balises comme des autels funéraires.
Lina, elle, descendit dans la carrière oubliée de Granivoile, à 200 mètres sous la surface. Avec l’aide d’Archéduc et d’un vieil Exagide prêté par Gallet, elle traversa un tunnel effondré, activant le cristal le plus profond.
Quand elle posa la main sur la balise, un éclair verdoyant la traversa.
Pas une douleur. Un chant.
Des images sans formes. Des sensations d’écoulement, de pression, de mémoire minérale. Et une voix. Lente, sourde, ancienne.
> "Équilibre rompu. Émergence en cours."
---
48 heures plus tard.
La Commission se réunit en urgence. Les premières manifestations anormales s’étaient produites autour de Métropolia : les arbres morts repoussaient en spirales tordues. Le béton se craquelait sans cause. Des Pokémon des sous-sols — Triopikeur, Kraknoix, Tritosor — affluaient vers le centre de la ville en formant des cercles étranges.
— C’est Zygarde, murmura Gallet. Pas sous sa forme finale. Mais un avatar. Un messager.
Kreel, dans une conférence transmise à tous les médias régionaux, parla de "phénomènes aléatoires", de "terrorisme éco-simulé", de "mise en scène orchestrée par des extrémistes environnementaux".
Mais les images parlaient d’elles-mêmes.
Une caméra automatique, dans un tunnel en construction, avait filmé une silhouette serpentine immense, couverte de prismes verts, se glissant lentement dans la roche et la recousant derrière elle comme une plaie qui se referme.
Zygarde était bien là.
Et il jugeait.
---
Le Conseil d’Urbanisme convoqua immédiatement une session de crise. Lina, invitée à y prendre la parole, se tint une fois de plus devant les représentants des régions.
— Il ne s’agit plus de nous contre vous. Il s’agit de savoir si vous voulez être les bâtisseurs d’un monde vivant, ou les derniers gestionnaires d’un monde mourant.
Elle montra les images : les Pokémon aidant les constructions naturelles, les zones où Métropolia-Vie prenait racine, les premiers prototypes d'habitats mixtes.
Puis elle conclut :
— La nature n’est pas notre adversaire. Elle est notre co-auteur. Nous ne proposons pas une utopie. Nous proposons une co-évolution.
Silence.
Puis, pour la première fois depuis le début de leur lutte, les visages du Conseil hochèrent la tête, les uns après les autres.
---
Un vote fut organisé. Résultat : 4 pour, 1 contre.
La région de Galar s’abstint, mais la majorité était acquise.
Un moratoire de six mois était instauré.
Et pour la première fois dans l’histoire urbaine des régions unifiées, un projet de ville Pokémon-humains allait être officiellement co-dirigé par un Conseil Écosystémique, composé à moitié de chercheurs, à moitié de représentants Pokémon volontaires, désignés par observation comportementale et liens de confiance.
Mais une ombre subsistait.
Kreel ne s’avouait pas vaincu.
Et dans les souterrains de Métropolia, les drones qu’il avait envoyés clandestinement enregistraient déjà un phénomène inquiétant : un fragment corrompu du réseau de balises... pulsait en noir et rouge.
Quelqu’un — ou quelque chose — semblait vouloir inverser le processus.
Et réveiller l’autre face de l’équilibre.