Plans et fractures
La nuit était tombée sur Valmara, et avec elle, un calme trompeur s'était installé sur le site de Métropolia. Sous le dôme de commande, les écrans clignotaient encore, veillant sur un chantier figé par les événements de la journée. Lina, les traits tirés, observait la carte holographique de la zone Delta, désormais marquée de dizaines de signaux rouges : foyers d’agitation, habitats déplacés, arbres à baie millénaires abattus.
À ses côtés, Kaori tapotait sur une tablette, répertoriant les espèces recensées lors de la catastrophe de l’après-midi.
— Trois familles de Goupix, un couple de Noadkoko, une colonie entière de Parecool. Et ce n’est que ce qu’on a pu confirmer, dit-elle. On a perdu des signaux de balise dans les zones humides. Ça veut dire que les Couaneton et les Bargantua sont probablement déjà partis.
— Ou morts, murmura Lina.
Elle se redressa. Il était temps de passer à l’étape suivante.
— On part pour Rocheval demain.
Kaori haussa un sourcil.
— C’est pas exactement la porte à côté.
— Non. Mais si on veut bâtir un projet alternatif, on a besoin d’un contre-modèle. Et Gallet est le seul architecte que je connaisse capable de penser une ville vivante. Ses ponts sont faits d’Onix fossilisés. Il utilise les déplacements naturels des Pokémon pour déterminer les flux urbains. Il pense comme un géologue et construit comme un dresseur.
Kaori haussa les épaules.
— Alors on part.
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Le voyage jusqu’à Rocheval prit une journée entière. Un ancien village minier dans les contreforts nord de Kalos, cerné de gorges profondes et de falaises striées de minerai. La locomotive s’arrêta dans un crissement métallique, et Lina et Kaori descendirent sur un quai désert.
Ils furent accueillis par un bruit sourd et régulier, comme le martèlement d’un tambour géant. Gallet n’était pas difficile à trouver : il travaillait à ciel ouvert, entouré de blocs de grès, avec son Gigalithe taillant les pierres d’un futur amphithéâtre naturel.
— Lina ! s’écria-t-il, sa voix grave couvrant les coups de burin.
Il l’attrapa dans une étreinte poussiéreuse. Ancien maître bâtisseur de Sinnoh, exilé de ses fonctions pour avoir refusé de participer à la bétonisation de Vestigion, Gallet était à la fois célèbre et oublié.
— Tu arrives pour quoi ? Des conseils ? Un abri ? Ou une révolution ?
— Les trois, répondit-elle en souriant.
Ils s’assirent autour d’un feu de camp. Gigalithe, silencieux, les écoutait en fermant ses yeux lumineux. Lina exposa tout : les pressions politiques, les sabotages, l’utopie qui se transformait en mégapole incontrôlable.
— On veut construire une Contre-Métropolia, dit-elle. Pas juste un plan. Une preuve vivante qu’on peut bâtir avec les Pokémon, sans leur nuire.
Gallet resta silencieux un long moment, puis hocha la tête.
— Alors il va falloir plus que des plans. Il va falloir des symboles.
— Des symboles ?
— Tu veux que ton projet touche les esprits ? Il doit raconter quelque chose. Chaque quartier. Chaque rue. Chaque structure doit incarner un lien. Un pacte. Une mémoire.
Il se leva, traça au sol des lignes entre des pierres disposées en cercle.
— Voilà une cité née de l’écoute : le quartier des Échos, construit autour du cri migratoire des Bruyverne. Ici, le parc Mnémonique, où chaque arbre est planté par un dresseur et son Pokémon en souvenir d’un événement marquant. Et là, une place ouverte aux Pokémon Spectre pour qu’ils puissent veiller sur les leurs sans être chassés.
Kaori observa, les yeux brillants.
— Ce n’est pas une ville. C’est une... symphonie.
— Exactement, répondit Gallet.
Il accepta de rejoindre leur cause. Mais pour que leur contre-projet existe, ils allaient devoir obtenir un droit fondamental : un moratoire sur les constructions dans la zone Est de Métropolia. Un gel temporaire, afin de présenter leur alternative devant le Conseil Fédéral d’Urbanisme Pokémon.
Et pour cela... il leur faudrait entrer dans l’arène politique.
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De retour à Valmara, la situation avait empiré. Les drones patrouillaient avec des Pokémon mécaniques : Métang, Magnéton, Chapignon génétiquement modifiés pour résister à la fatigue. La section sécurité, dirigée par un colonel zélé, avait installé des portiques de reconnaissance à chaque entrée du chantier.
— On va vers la militarisation, murmura Mérand, inquiet. Kreel a flairé qu’on préparait quelque chose. Et il veut tout verrouiller.
Kaori claqua la porte du centre de biologie environnementale.
— C’est maintenant ou jamais.
Lina activa son terminal de communication. Une vidéoconférence allait commencer dans deux heures. Elle serait diffusée devant le Conseil, composé de représentants de toutes les régions majeures : Kanto, Sinnoh, Kalos, Galar, Alola.
Un seul discours. Un seul plan. Une seule chance.
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Quand l’heure arriva, Lina, Gallet et Kaori se tenaient devant un pupitre, dans une salle sombre. En face d’eux, les visages projetés du Conseil.
— Mme Stroud, dit la voix calme du président. Nous sommes à l’écoute.
Lina prit une inspiration.
— Métropolia devait être une ville du futur. Elle est en train de devenir le cimetière du passé. On arrache les racines, on piétine les mémoires Pokémon, on remplace la forêt par du ciment. Mais nous avons une autre voie.
Elle activa la projection de leur plan.
— Voici Métropolia-Vie. Une cité en cohabitation. Des toits végétaux pour les Pokémon Insecte. Des murs de roche vivante pour les espèces cavernicoles. Des réseaux d’eau douce interconnectés pour permettre la migration des Pokémon aquatiques. Des quartiers dédiés à la mémoire des Pokémon tombés.
Gallet s’avança.
— Nous proposons une ville polycentrique, où chaque zone est pensée selon un écosystème local. Nous avons intégré plus de 140 espèces dans notre maquette vivante. Chaque bâtiment respire, s’adapte, évolue.
Kaori montra les données.
— Et ce modèle est énergétiquement plus durable, économiquement moins coûteux à long terme, et écologiquement résilient.
Silence.
Puis la voix du président.
— Vous avez 48 heures pour convaincre les commissions. Passé ce délai, les bulldozers reprendront.