Sous les racines, la colère
Le sol vibrait.
Lina courait entre les arbres, suivie de près par Archéduc et Kaori. Le cri aigu d’un Évoli résonna quelque part à leur droite, suivi du rugissement mécanique d’un bulldozer autonome. Les drones d’observation zébraient le ciel en cercles nerveux, transmettant les images en temps réel vers le centre de commande, où Mérand, furieux, hurlait déjà dans ses oreillettes.
Mais sur le terrain, c’était Lina qui prenait la direction.
— Les balises de protection étaient censées empêcher toute intrusion dans cette clairière ! souffla-t-elle.
— Censées, ouais, mais elles ont été désactivées manuellement, répondit Kaori, penchée sur son terminal de terrain. J’ai plus de signal depuis quinze minutes sur la balise delta. Quelqu’un a brouillé les fréquences.
Elles débouchèrent sur une zone dévastée. Trois bulldozers mécaniques progressaient à vitesse lente mais régulière, écrasant buissons, nids, et tunnels de Fouinar. Autour d’eux, des Pokémon affolés fuyaient dans toutes les directions : un Ursaring protégeait maladroitement deux Teddiursa, tandis qu’un groupe de Passerouge voletait désespérément, incapable de comprendre ce qui leur tombait dessus.
Lina activa son bracelet de contrôle environnemental. Elle synchronisa Archéduc avec le système de commande des machines, espérant les arrêter à distance. Mais l’interface renvoyait une réponse confuse : Accès refusé. Protocole administratif prioritaire.
— Quelqu’un a verrouillé les commandes, gronda-t-elle. C’est plus qu’un bug.
Kaori attrapa une Poké Ball de sa ceinture.
— Alors on va faire ça à l’ancienne.
— Non, attends ! On ne peut pas détruire ces machines. Elles coûtent plus cher que ta maison et la mienne réunies. Et ça va juste envenimer les choses.
Mais le regard de Kaori était déterminé. Elle lança sa Poké Ball : un Luxray apparut dans un éclair bleu, ses yeux brillant d’électricité et de colère.
— Luxray, Vive-Attaque, sous les chenilles !
Le Pokémon électrique bondit comme un éclair, glissant sous la première machine, frappant juste assez fort pour déséquilibrer son système de traction. Le bulldozer ralentit, clignota, et s’immobilisa dans un sifflement électronique.
— Pas détruit. Juste neutralisé, dit Kaori avec un demi-sourire.
Archéduc s’envola à son tour, décochant un Tranch’Herbe chirurgical pour dégager une portée de Laporeille piégés sous une branche brisée. Lina courut jusqu’à eux, s’agenouilla, et murmura des paroles rassurantes pendant qu’Archéduc levait calmement les débris.
Les autres machines s’arrêtèrent progressivement, signalant une alerte de sécurité : "Obstacles biologiques détectés".
Lina soupira, essuyant la sueur de son front. Derrière elle, le sol vibra de nouveau — cette fois sous les pas lourds d’une escouade de Rangers Pokémon, accompagnés de leurs partenaires : un Rhinastoc, un Staraptor, un Noadkoko.
Le chef de l’escouade s’approcha, casque vissé sur le crâne, regard sévère.
— Vous êtes Lina Stroud ?
— Oui, confirma-t-elle, droite malgré la fatigue.
— Vous avez entravé une opération prioritaire classée N3 par la Commission d’Urbanisation Stratégique.
Lina ouvrit la bouche pour répondre, mais un autre homme arriva, visiblement essoufflé : Mérand.
— Laissez-la, elle a fait ce qu’on aurait dû faire dès le départ. Qui a autorisé cette opération ? Qui a désactivé les balises ?
Les Rangers se regardèrent, mais n’eurent pas besoin de répondre. Un drone s’approcha, projetant l’image granuleuse d’un visage familier à Lina.
— Directeur Oskar Kreel, de la Commission Exécutive, dit Mérand d’un ton glacé.
L’homme affiché à l’écran souriait avec une politesse administrative venimeuse.
— Je me devais d’accélérer les procédures, dit-il. Nous avons reçu des pressions de la Chambre de Commerce de Kalos. Le terrain devait être dégagé avant l’installation du nœud énergétique principal.
— En pleine zone de reproduction ? s’exclama Kaori. Vous vous fichez complètement des écosystèmes locaux ?
— Le bien commun exige des sacrifices, dit Kreel, son sourire intact. Et la ville ne peut attendre les humeurs d’un Ursaring.
Lina serra les poings.
— Alors c’est à nous de redéfinir ce qu’est le "bien commun". Et ce que veut dire "ville". Parce que ce que vous faites, ce n’est pas de l’urbanisme. C’est du colonialisme écologique.
Kreel haussa les sourcils.
— Belle formule. Vous êtes douée pour les slogans. Mais ce chantier avance, que vous le vouliez ou non. La première phase d’urbanisation commence demain.
L’écran s’éteignit. Le silence retomba, pesant.
Kaori soupira.
— Il faut qu’on fasse front ensemble. Urbanistes, biologistes, dresseurs, Rangers de terrain. Parce que si on les laisse faire, Métropolia va devenir un autre Volucité : bétonnée, polluée, inhospitalière pour tout ce qui ne paie pas de loyer.
Lina hocha la tête.
— Il faut qu’on documente tout. Chaque espèce déplacée, chaque balise désactivée, chaque décision prise hors procédure. Et qu’on propose des alternatives solides.
— Tu veux dire... créer un contre-projet ? demanda Mérand, intrigué.
— Pas juste un contre-projet. Une Contre-Métropolia. Une version de la ville construite avec les Pokémon, pas contre eux. Une vision que même les politiciens ne pourront ignorer.
Kaori sourit.
— Alors on va avoir besoin d’alliés. Et d’un architecte aussi têtu que toi.
— Je connais quelqu’un, dit Lina en souriant.
Son regard se tourna vers l’horizon. Là-bas, au-delà des collines, dans un petit village reculé, vivait un vieil ami, autrefois célèbre pour ses constructions en harmonie avec les Pokémon Roche. Un certain Gallet, accompagné de son fidèle Gigalithe.
Mais il leur faudrait plus que des plans et des convictions pour affronter ce qui se préparait.
Ils allaient devoir affronter la machine politique de Métropolia.