Les Fondations de Métropolia
Le soleil filtrait à travers les vitres teintées du train magnétique qui filait à grande vitesse sur les rails suspendus reliant Illumis à la plaine de Valmara. Lina Stroud, la tête appuyée contre la vitre, observait le paysage défiler. Champs labourés, bois clairsemés, hameaux paisibles… tout cela allait bientôt disparaître sous les fondations de la plus grande entreprise urbanistique jamais tentée dans le monde Pokémon.
Métropolia.
Une cité pensée pour accueillir humains et Pokémon dans une harmonie totale, conçue à partir des dernières avancées en architecture écologique, biotechnologie et éthologie. Un rêve pour les urbanistes comme Lina. Un cauchemar pour les conservateurs de la Ligue Verte. Et un défi colossal pour tout le monde.
Lina sortit de sa rêverie lorsqu’une voix douce s’éleva de l’interphone :
> « Prochaine station : site Alpha, base d’installation de Métropolia. »
Elle se redressa, arrangea la lanière de son sac à dos et jeta un coup d’œil à la Poké Ball fixée à sa ceinture. Un léger cliquetis répondit à son regard : Archéduc, son partenaire depuis ses années d’étude à l’université de Myria, était prêt.
Le train ralentit et s’arrêta dans un silence presque irréel. La porte coulissante s’ouvrit sur un quai encore en chantier, avec quelques ingénieurs en gilets orange et plusieurs Pokémon Ouvrifière et Charpentor transportant poutres et câbles. Le site Alpha n’était pour l’instant qu’un vaste chantier boueux entouré de dômes techniques, de modules de vie temporaires et de drones zébrant le ciel.
— Lina Stroud ? appela une voix énergique.
Elle se retourna pour voir un homme d’une quarantaine d’années, souriant malgré les cernes qui creusaient ses joues. Il portait un uniforme d’ingénieur de terrain et un casque suspendu à sa main.
— Commandant Elias Mérand, coordinateur du chantier. Bienvenue à Métropolia.
Lina le salua poliment. Il était célèbre dans les cercles urbanistes pour ses travaux sur la fusion des systèmes de transport Pokémon-humain à Hoenn. Mais ses méthodes avaient aussi été jugées expéditives par certains.
— J’ai lu vos publications sur la régulation des flux urbains à Unionpolis, dit-il avec un clin d’œil. Impressionnant pour votre âge. On aura besoin de votre cerveau ici.
Ils montèrent dans un véhicule autonome qui les emmena à travers les premiers balbutiements de la ville : des plateformes empilées, des générateurs solaires et, au loin, la silhouette d’une tour d’observation en construction. Tout était encore abstrait.
— Le plus dur commence, dit Mérand. Pas les plans. Les négociations.
Il fit un geste vers une tente blanche dressée non loin d’un enclos improvisé où des Pokémon de toutes sortes semblaient en attente de relocalisation.
— On a des naturalistes qui s’opposent à l’abattage de la forêt au nord. Un clan de Noeunoeuf y niche depuis des décennies. Et puis il y a les syndicats des ouvriers Pokémon qui exigent des conditions de travail équitables. On a même un groupe de défenseurs des Pokémon sauvages qui a menacé d’actes de sabotage.
Lina fronça les sourcils.
— On n’était pas censés travailler en concertation avec l’Institut Écocivique ?
— Censés, oui. Mais la Ligue veut que les premières zones résidentielles soient livrées en six mois. Alors on avance. Parfois, trop vite.
Ils arrivèrent devant un dôme de verre. À l’intérieur, une maquette holographique de Métropolia flottait dans l’air. La ville y apparaissait radieuse : réseaux organiques de transports aériens, fermes urbaines pour Pokémon plante, quartiers perméables où les Pokémon pouvaient cohabiter librement avec les résidents, tours d’habitat semi-vivantes construites à base de matériaux biogénétiques.
— Voilà votre terrain de jeu, déclara Mérand. On a besoin de vous pour redessiner la zone delta. C’est là que les conflits émergent. Entre zone industrielle et couloir migratoire de Lakmécygne. Un casse-tête.
Lina hocha la tête, son esprit déjà en ébullition. Ce n’était pas juste une question de bâtiments. C’était une question d’écosystèmes, de mémoire collective Pokémon, de traditions humaines et de cohabitation interespèces.
Elle s’installa dans l’un des postes de travail. L’interface holographique se synchronisa à son compte. Elle fit glisser des blocs, redessina des zones tampon, modifia les tracés pour suivre les courants d’air naturels que les Lakmécygne utilisaient chaque printemps.
— Il faut penser comme eux, murmura-t-elle. Penser Pokémon.
Une voix l’interrompit.
— Ou penser comme une entreprise qui veut du béton et du profit.
Elle leva les yeux. Une jeune femme aux cheveux rouges, le regard acéré, l’observait.
— T’es l’urbaniste star dont tout le monde parle ? J’suis Kaori. Biologiste de terrain. J’suis là pour éviter qu’on détruise la moitié de la chaîne alimentaire locale pour poser un parking.
Lina sourit, sans hostilité.
— Et moi je suis là pour éviter qu’on pose un parking sans comprendre ce qu’il détruit. On va sûrement devoir bosser ensemble.
Kaori haussa un sourcil. Puis elle tendit la main.
— Marché conclu, alors.
Une alerte résonna dans le dôme. Sur l’écran central, une caméra de drone montrait des Pokémon paniqués courant à travers la clairière nord. Un groupe de bulldozers autonomes avait pénétré une zone encore protégée par la charte de sauvegarde.
— Mauvais paramétrage des balises, gronda Mérand en arrivant. Ou sabotage.
Lina se leva d’un bond. Archéduc surgit de sa Poké Ball dans une volée de plumes.
— On va là-bas. Maintenant.
Ce n’était plus seulement de l’urbanisme. C’était un champ de bataille entre deux visions du monde. Et Lina n’allait pas rester spectatrice.