Ecouter l’Arum… ou pas
L’air marin était glacial, un froid qui, gant ou pas, mordait vos doigts jusqu’à ce que vous ne ressentiez plus leur présence. C’était encore pire lorsque vous vous appuyiez sur la rambarde, vos petites articulations grinçant douloureusement en se recroquevillant sur le métal. Quelque chose qui ne semblait pas le moins du monde affecter Arthur alors que Sarah, qui venait tout juste de monter sur le pont (et ayant exceptionnellement décidé de mettre un manteau), frottait ses bras et se dandinait d’un pied sur l’autre, ses lèvres commençant déjà à gercer.
Le statut de capitaine donnait-il une immunité au gel ? Sarah aurait pu y croire si en s’approchant, elle n’avait pas remarqué le bout du nez rougi et les lèvres craquelées du leader Aqua. Evidemment que lui aussi souffrait des lacérations du vent, voilà pourquoi, même s’il lui arrivait de s’étirer de bon matin dans le froid, Arthur savait aussi apprécier un bon café dans sa cabine, attendant de voir si la fine pellicule de glace qui couvrait les hublots disparaitrait d’elle-même ou l’obligerait finalement à sortir.
Sarah souffla un fin nuage de brume devant elle, discernant au travers les traits tirés de son chef, la crispation des muscles et de la mâchoire. Arthur aimait la mer, il l’aimait d’autant plus quand il avait besoin de réfléchir et qu’elle devenait sa conseillère. Une petite manie qu’il avait toujours eue, mais qui s’était faite de plus en plus fréquente depuis qu’il avait reformé la Team Aqua. Et après tout, Sarah devait bien admettre qu’il y avait beaucoup à penser ; comme la peinture de leur pauvre navire qui n’avait toujours pas été refaite ou, plus simplement, le fait que réveiller Kyogre n’était peut-être pas une si bonne idée que ça.
- Ça sent la tempête, remarqua-t-elle.
- Alors j’ai plutôt intérêt à bien manœuvrer.
Sarah tressaillit, étonnée qu’il l’ait entendue et encore plus d’avoir eu le droit à une réponse.
- Tu es nerveux ? se plaça-t-elle à côté de lui.
- Pt’être, sourit-il discrètement.
Tu vois Matthieu, je ne suis pas la seule à m’inquiéter pour cette « fichue » peinture, se plût-elle à penser quelques secondes avant que le capitaine ne reprenne la parole :
- J’étais pour au début, j’étais même le premier à dire que c’était ce qu’on devait faire et maintenant… J’sais pas, j’peux pas m’empêcher de penser que ça pourrait juste foirer comme la dernière fois.
Pas une seule fois il ne s’était tourné vers elle, mais ce qui l’inquiéta réellement, et qu’en vérité elle avait déjà remarqué depuis plusieurs semaines, était cette manière qu’il avait, que Le Arthur qu’elle connaissait avait, de regarder au-delà de la mer.
- Ça aurait pu finir à ce moment si… Mais, quand ça veut pas, ça veut pas, hein ? s’esclaffa-t-il d’un rire amer.
Sarah frissonna, se souvenant d’une autre chose qu’elle avait remarqué chez lui depuis qu’il avait reformé la Team Aqua, d’autant plus perturbante qu’elle ne comprenait pas comment il y parvenait. Elle fronça les sourcils et plissa les yeux comme pour deviner ce que le leader Aqua voyait, quel était l’étrange magnétisme qui lui permettait, à chaque fois qu’il s’accoudait ainsi à la rambarde, de toujours regarder dans la même direction comme une boussole bloquée sur le nord.
- Galar ?
La respiration d’Arthur se coupa alors que pour la première fois, il se tournait vers sa subordonnée.
- Comment tu sais ça ?
- Un peu de triangulation, rien de bien compliqué.
- Juste en m’observant ?
- Arthur, qu’est-ce qui se passe quand une ancienne de la Devon Sarl se trouve une passion pour la navigation ? Ça me vexe que tu penses que je puisse faire moins.
Il la fixa, un léger éclat dans son regard comme elle n’en avait pas vu depuis longtemps.
- Qu’est-ce qui s’est passé là-bas ? Je te connais depuis longtemps et... J'ai l'impression que cette fixation-là, c'est nouveau, et que donc je devrais savoir ce que c'est mais... C'est comme ton idée de réveiller une deuxième fois Kyogre, c'est sorti de nulle part. En fait, beaucoup de choses sont sorties de nulle part à partir de là.
- …
- Arthur, maintenant, j'ai besoin que tu m'expliques.
- Tu aimes la pongée, Sarah ?
Elle aurait bien voulu lui dire que ce n'était pas la question, mais elle ne put s'empêcher d'effleurer ses lunettes de nage, se délectant quelques instants du roulis sous ses pieds qui lui donnait l'impression de flotter.
- J'aime ce que je ressens là dessous, oui, avoua-t-elle.
- Moi aussi. Des fois j'me demande même si je pourrais pas y rester.
- Qu'est-ce qui t'en empêche ?
Un sourire résigné tandis qu’il grattait sa tempe.
- Parce que tôt ou tard, il faut bien remonter pour respirer.
- Arthur…
- Non… Non. Ça fait trop longtemps que je suis en apnée et même si… Ok, c’est vrai que ces derniers temps j’me dit qu’en fait c’est pas si mal, que ça pourrait durer mais tu vois… J’en ai besoin. J’en ai besoin depuis que j’ai échoué là-bas, que j’ai vu mon échec là-bas.
Les vagues gonflaient au loin pendant que les nuages s’amoncelaient, noirs et épais.
- Tu n’aimes pas l’idée d’échouer ? demanda Sarah.
- Les erreurs, siffla-t-il. Disons que je ne supporte pas les erreurs.
Charriées par le vent, Sarah sentit les premières gouttes de pluie sur son visage tandis que les nuages dévalaient le ciel vers eux, l’odeur de la tempête étouffant les embruns marins.
- Alors tu ferais mieux de regarder la mer.
Pourtant, ce serait bien les terres qui subiraient la violence de cette tempête et ce ne serait pas le jeune employé du centre météo qui dirait le contraire. Son bureau pile devant la fenêtre lui donnait tout le loisir d’épier les camions embourbés dans la boue, leurs formes à peines visibles au milieu de la pluie.
Ce n’était pas quelque chose qui attristait particulièrement Victor – après tout, si c’étaient eux qui acheminaient la nourriture du self ce n’était franchement pas une grande perte – en revanche, l’idée que sa voiture devait être à peu près dans le même cas était autrement plus ennuyeuse, surtout pour son dos. Victor fit craquer ses vertèbres en grimaçant. Dormir la semaine au dortoir, d’accord, il pouvait le supporter parce que c’était mieux que de se taper tout le trajet pour rentrer chez lui et repartir dans la foulée, mais le week-end… Pourquoi avait-il choisi de bosser dans ce centre de recherche éloigné de tout déjà ?
- Ça va peut-être se calmer demain… ou après-demain.
Victor avait appelé son père pour éviter qu’il s’inquiète, mais au final cela semblait avoir l’effet inverse. En même temps, il ne devait pas avoir une tête très reposée vu tout le travail qu’il avait eu ces derniers jours.
- Non, jusqu’à la fin du week-end, soupira le jeune homme.
- Ce n’est peut-être pas…
- Si je me trompe, c’est que j’ai mal fait mon job.
Son père se renfrogna, non sans émettre un petit grognement déçu. Victor n’était pas rentré non plus la semaine d’avant à cause d’un nouveau dossier extrêmement important, et maintenant ça.
- Tu es vraiment sûr de n’avoir aucun moyen pour revenir ? Tiens, tes collègues, ils ont bien dû…
- Ils sont aussi bloqués que moi, se crispa Victor.
- Tu leurs as demandé ?
Le scientifique roula des yeux. Qu’est-ce que son père croyait à la fin ? Alors, oui, il avait peut-être un peu forcé ces derniers jours comme le prouvait sa migraine carabinée, mais là, c’était bel et bien sa voiture qui ne l’emmènerait pas plus loin que ce ramassis de camion empêtré et coincé depuis des jours et des jours et qui… et qui…
- Non, je ne leur ai pas demandé et je n’ai pas besoin de le faire pour savoir qu’aucun d’eux n’a prévu d’opération suicide sur les prochains jours. Ensuite, je peux toujours essayer de la mener. D’ailleurs, puisque les voitures sont inutilisables, on en profitera pour passer par le pont suspendu, ça nous fera gagner du temps.
- Ce n’est pas ce que… Très bien, j’ai compris, abandonna-t-il finalement. Mais on se revoit le week-end prochain.
- Papa…
- Promets-le.
La voix de son père avait tremblé, son anxiété palpable même à travers l’écran. Victor effleura discrètement ses pommettes, se rendant compte qu’il en sentait les saillies bien plus facilement qu’auparavant.
- Mes papilles et mon dos le jurent, et je pourrais difficilement ne pas les suivre.
Son père lui fit un maigre sourire qui mit mal à l’aise Victor, le poussant à fermer au plus vite la fenêtre de conversation. Je dois vraiment avoir une sale tête, pensa-t-il tandis qu’il frottait ses yeux gonflés et douloureux. Crois moi papa, si j’avais eu le choix je serais rentré mais il y a la tempête et…
5
Victor posa ses mains sur son bureau, fixant le dossier qu’il venait de rouvrir sur son écran.
5
Un dossier sur lequel il travaillait, sur lequel il était censé travailler mais…
5
Un gémissement de douleurs tandis qu’il essayait de se souvenir : dormir, manger, griffonner, discuter avec ses collègues mais eux aussi… eux aussi… On ne fait qu’attendre.
5
Les mains crispées, son dos figé qui lui faisait mal tout comme sa nuque qui l’empêchait de détourner le regard.
5
Heureusement qu’il y avait la tempête.
5
Oui, heureusement.
5
Parce que comme ça il n’avait pas besoin de trouver une autre excuse.
5
Parce que comme ça ils n’avaient pas à trouver une autre excuse.
5, 5, 5
S’il était vrai que Serena n’avait pas eu un voyage de tout repos depuis son arrivée à Hoenn, au moins le temps s’était toujours montré clément. Beau soleil, agréable chaleur, alors pourquoi changer si soudainement ? Serena se pressa un peu plus contre l’écorce, son chapeau de feutre posé sur ses genoux tremblotait sous l’effet du vent, risquant bien de définitivement s’envoler si elle n’y faisait pas plus attention. Mais elle ne pouvait s’empêcher de lever la tête pour voir les frondaisons ployer sous la pression, écouter le fracas de l’eau contre les branches, les craquements, comme de qu’on broie, qu’on mord, comme la sensation d’éclater et de se noyer en même temps, sans rien comprendre, sans personne et le froid, une brûlure glaciale, une… Un peu de chaleur. Elle se posa sur ses épaules, une sensation qu’elle connaissait depuis un certain temps et qu’elle avait encore plus appris à connaître ces derniers jours.
- Juste un peu fatiguée, admit-elle.
Elle éternua et un léger grognement agacé lui répondit tandis que dans son dos un sang bouillant ruisselait dans les fines veinules comme la pluie sur les nervures. Combien de fois se serait-elle effondrée s’il n’avait pas été là, s’il ne l’avait pas réchauffée durant les nuits ou protégée quand brutalement la tempête empirait. Dracaufeu avait mis toute son énergie pour la soutenir, et il était difficile de ne pas admettre que depuis l'incident du Tunnel Merazon, il semblait déterminé à tout donner pour elle, que ce soit contre les chemins transformés en bourbiers, les torrents nouveaux nés, ou le ciel déchainé. Et le gros problème, c’est que tous ces « dra dracau ? » ou « dracaudra ? » d’un pokémon inquiet pour sa dresseuse avaient le don de la faire rougir.
- Dracaufeu ? hoqueta-t-elle.
- Dra, releva-t-il mollement la tête avant qu’elle ne retombe doucement sur l’épaule de la jeune fille.
Elle le sentit encore bouger un peu, jusqu’à ce que la joue du reptile se cale parfaitement dans le creux de sa nuque et qu’il soupire de contentement. D’accord… Dracaufeu était fatigué, et il avait besoin de se recharger un peu, donc il s’était juste mis – par hasard – contre son épaule. Et puis elle devait être un peu plus confortable qu’un arbre ou qu’un caillou donc forcément… voilà. Serena jeta un coup d’œil au reptile dont un léger sourire étirait les lèvres, et sentit presque immédiatement une vague de bonheur lui soulever la poitrine. Ou de peur ? C’était peut-être de la peur vu la vitesse à laquelle battait son cœur.
- Ah !
Il l’avait surprise à se relever aussi vite alors qu’elle… Serena secoua la tête. Dracaufeu découvrait les crocs et fixait avec attention les broussailles détrempées. Elle ne savait pas ce qu’il avait senti ou entendu, mais ça n’allait pas tarder à apparaitre. Dans pas longtemps. Ça ne devrait plus tarder…
- J’ai l’impression que quelqu’un a fait un cauchemar, remarqua-t-elle après dix bonnes minutes.
Sacha ne pouvait pas vraiment protester, d'autant plus que les formes bleutées et nébuleuses qu'il avait vu les yeux fermés avaient... eh bien avaient disparues au moment où il les avait ouverts, donc cela avait bel et bien tout d'un mauvais rêve ou d'une espèce d'hallucination. Toutefois, le métamorphosé n'arrivait pas à s'en convaincre, son corps et surtout son âme hurlant que quelque chose de distordu approchait.
- Dracau...
- Attends un peu ! Tu ne comptes tout de même pas...
- Dra !
- C'est hors de question ! lui saisit-elle la main avant qu'il ne fonce seul en pleine tempête. Peu importe ce que tu as senti ou cru sentir là-bas, tout ce que tu vas réussir à faire si tu y vas c'est te mettre en danger.
- Dracau, cau !
Serena souffla, avant de finalement se décider à le lâcher.
- Très bien, vas-y.
- Caufeu ?
- Oui, pas de soucis, je vais juste t'attendre ici toute seule, complètement seule.
Le métamorphosé se figea, il ne voulait pas que Serena s'approche de ce qu'il percevait comme un danger mais la laisser derrière lui était aussi un peu... Et si au final la meilleure option était de foncer du côté opposé ?
- Dracaufeu, se désespéra la jeune fille en devinant son idée de rebrousser ce chemin (quitte à sacrifier leur temps de pause sous le maigre abri qu'ils avaient trouvé). Qu'est-ce qui t'inquiète autant à la fin ?
"Toi !"
Il mit sa patte devant sa gueule, trop tard malheureusement vu comment Serena le dévisageait bouche-bée.
- C-C'est très gentil de t'inquiéter pour moi, bégaya-t-elle, mais tu sais des fois j'ai l'impression... Tu sais, je suis ta dresseuse et en tant que dresseuse c'est plus à moi de veiller sur toi que l'inverse.
- Dra ! Dracau, acquiesça-t-il vivement.
Et pourtant, Serena devinait toujours la crainte qu'il avait pour elle, et ce n'était pas très compliqué parce que Dracaufeu était extrêmement mauvais pour dissimuler ce genre de choses, il suffisait de voir sa queue qui balayait nerveusement le sol pour le comprendre.
- Dracaufeu, je sais bien que pour toi je suis...
Une amie ? Sacha se crispa, son cœur tambourinait dans sa poitrine. Il savait ce qu'il allait entendre et étrangement ce petit mot qu'il appréciait énormément d'habitude aurait une consonance amère si c'était elle qui le prononçait. Mais, elle ne pouvait pas dire autre chose, il savait bien qu'elle ne pouvait pas dire autre chose et si une part de lui essayait de se convaincre que c'était pour le mieux, l'autre espérait secrètement que...
- Une sorte de maman.
Il faillit s'étouffer. Non, il ne la voyait certainement pas comme sa mère ! Alors oui, toutes les deux étaient, chacune à leur manière, très importantes pour lui, et si on devait lui demander laquelle il devrait sauver d'une maison en feu... Qui pouvait bien poser ce genre de questions stupides ?! Quoiqu'il en soit, le fait que Serena croie ça lui faisait encore plus mal que si elle lui avait dit qu'ils étaient amis. Enfin, pas comme s'il ne voulait pas qu'ils soient amis c'était juste... juste...
- Tu pleures ?
"C'est la pluie ! La pluie !"
Un fin bruissement couvert par l'averse. Celui-ci aurait pu échapper au métamorphosé, disparaître dans la tempête, rester le mirage, l'âme tordue et vacillante, contenue dans un rêve. Oui, peut-être aurait-il mieux valu que les choses se fassent ainsi et que jamais ils ne se croisent, parce que c'était justement ce qui aurait dû être mais... Ils étaient là. Tous les deux, où ils ne devaient pas, ils étaient là.
La poitrine de Victor se relevait par à coup, le bout de ses doigts fendu par le froid, la bouche entrouverte presque agonisante, le suintement noirâtre le long des bords déchiquetés de ses vêtements.
- S’il…
Le ventre de Serena se tordit. Le jeune homme fit quelques pas chancelants vers eux, suppliant désespérément d’une voix enrouée et pâteuse, essayant dans un effort surhumain d’articuler chaque mot :
- S’il… Arh, s’il-vous-plaît !
Il tomba, les yeux écarquillés de surprise alors que sa tête cognait contre la branche. Il se remit lentement à genou, effleurant du doigt la plaie qui lui ouvrait la lèvre et les morceaux de terre qui s’y étaient incrustés. Perdu, les mains tâtonnants le sol, il se tourna vers Serena, implorant de l’aide, simplement que quelqu’un vienne :
- S’il… vous… plait.
Mais elle ne bougeait pas, les jambes tétanisées, l’air chargé d’eau, la morsure dans son épaule. S’il vous plait… Adriane, quelqu’un, s’il vous plait, s’il vous plait, s’il vous plait !
- Dra !
Elle sursauta alors que le dragon aidait le jeune homme à se relever malgré la boue et la pluie. Serena s’empressa de les rejoindre, le ventre encore noué alors qu’elle observait le visage sidéré de l’inconnu.
- Qu’est-ce qui…
Mais le garçon ne l’écoutait pas, jetant des regards paniqués vers le fond des bois, recroquevillé contre l’écorce comme s’il pouvait se fondre dedans. Serena prit une grande inspiration, s’accroupit à côté du jeune homme et essaya de sourire du mieux qu’elle pouvait.
- Désolée de ne pas l’avoir fait plus tôt : je m’appelle Serena, et vous ?
Un coup d’œil vers Serena, un autre vers les broussailles, à nouveau Serena qui lui faisait un léger signe de tête d’encouragement.
- Victor.
- Très bien Victor, je suis ravie de vous rencontrer.
Il respirait plus calmement, sans doute parce qu’il venait de trouver un visage amical mais aussi peut-être un peu parce qu’il tenait désormais dans sa main un gros caillou qui pourrait lui servir à tout moment.
- Et lui c’est Dracaufeu, continua-t-elle. Il est beaucoup plus gentil que ce qu’il en a l’air... Et plus bizarre aussi.
- Dracau ! se plaignit-il.
- Bref, on n’a pas l’intention de vous faire du mal donc…
Il suivit le regard de la jeune fille et après un temps, décida de finalement lâcher son arme improvisée.
- Merci, souffla-t-elle. Et maintenant… Est-ce que vous pourriez me dire ce qui est arrivé ?
Le jeune scientifique frotta son visage fatigué, grimaçant alors qu’un nouvel accès de migraine lui vrillait le crâne.
- La Team Magma, croassa-t-il.
Les yeux de Serena s’agrandirent.
- Vous voulez dire…
- Ils ont attaqué le Centre Météo. Ils nous ont attaqués !
Serena se tourna vers le dragon, son cœur battant à tout rompre, mais elle savait qu’avec lui…
- On doit y aller.
- Dra, acquiesça-t-il. Dracau, dracaudra ! Dra... Caudra !? s'arrêta-t-il soudain.
Il dévisagea sa dresseuse qui sans aucun doute se montrait très courageuse et attention, lui-même était parfaitement et totalement d’accord avec l’idée d’aider leur nouvel « ami ». Oui, très clairement, ça ne lui faisait pas peur, ça ne lui avait jamais fait peur, et donc aujourd'hui encore... Il attrapa la jeune fille par le bras et la tira un peu à l'écart.
- Dracaufeu ?
- Draaaa cau ? proposa-t-il.
Serena le dévisagea avec de grands yeux, croyant d'abord avoir mal compris avant de se rendre compte qu'il était on ne peut plus sérieux.
- Ça prendrait trop de temps…
Trop de temps, trop de temps, ce n'était pas parce qu'ils n'avaient pas croisé de ville depuis un moment qu'il n'y en avait pas. Et Sacha était certain qu'en volant, même avec la tempête, il trouverait un poste de police. Alors, oui, il faudrait encore qu'ils reviennent, et avec toute cette boue les voitures seraient inutilisables, mais il ne doutait pas...
- Dracaufeu !
"Je sais !" gémit-t-il en se tenant la tête.
Serena ne s'attendait pas à ce que son pokémon se montre si anxieux, toutes ses écailles hérissées, semblant plus que jamais redouter le combat.
- Ce n'est pas la première fois qu'on les affronte, déglutit-elle, et on est devenu plus fort alors je suis certaine que cette fois…
"C'est dangereux, Serena !" hurla-t-il.
Un peu de fumée sortait du coin de ses lèvres, la colère et la crainte se mêlant sans qu'on puisse les dissocier.
- Mais... On ne peut quand même pas les abandonner, souffla-t-elle.
Sacha recula la tête, tapant sa queue contre les racines et les cailloux. Bien sûr qu'il ne pouvait pas, évidemment, mais quand il regardait l'épaule de Serena... Son estomac vrilla, lui envoyant d'horribles crampes de douleurs.
- Dracau… Dracaudra, caudra feu feu
- Quel autre moyen ?! Dracaufeu, à chaque seconde qui passe ils pourraient… Tu sais aussi bien que moi ce dont ils sont capables.
Le métamorphosé se mordit la langue, sentant le goût du sang sous ses canines. Il savait bien tout cela et ne demandait qu’à agir mais… S’il n’y arrivait pas, si Serena était blessée ? Ensuite, il pouvait toujours y aller seul (et prier pour qu’aucun sbire ne se balade dans la forêt et…) Aaaah ! Je sais plus quoi faire !
"Serena ?" paniqua-t-il en la voyant retourner auprès du jeune homme.
- Est-ce que vous savez si on peut encore appeler de là-bas ?
Sacha crut déceler un fin sourire chez le garçon, mais sans doute était-ce son imagination.
- Ils ne peuvent pas bloquer les communications, pas s’ils veulent utiliser les PC.
- Ça te convient ? demanda Serena en se tournant vers le dragon. On appellera l’agent Jenny du Centre Météo et on se débrouillera en l’attendant pour…
- Caufeu ?
Elle croisa les bras, essayant de rester la plus assurée et ferme possible.
- Ça dépendra de si tu acceptes de me soutenir ou pas.
Sacha grogna, la désagréable sensation d’être de retour dans le Bois Dédale où Serena décidait de le suivre, de lui dire que ce n’était pas grave. Mais elle ne comprenait pas, non elle ne pouvait pas comprendre à quel point la décevoir était… Le métamorphosé serra les poings jusqu’à ce que ses griffes lui entament les paumes. C’était toujours quand on avait besoin d’une ou deux boules de neige qu’il devait pleuvoir.
5, 5, 5
Ta ! Ta ! Tou ta ta !
Si, si, Sacha allait parfaitement bien alors qu'il fonçait vers le repaire où l'attendait une centaine de sbires en chantonnant le thème de Mission Impossible. Et il fallait au minimum ça pour couvrir cette petite voix qui lui hurlait de faire demi-tour.
Touloulouuuuuuu ! Toulouloulouuuuu !
Comment ça vous ne voulez pas y aller ? Agent Sachacaufeu, Agent Serena, vous êtes les seuls à pouvoir les tirer d'affaires. Surtout que celles-ci sont particulièrement mauvaises, voyez ?
Lou Lou !
Et puis, tout pouvait très bien se passer : ils entraient, ils les sauvaient et hop, terminé, générique de fin, en espérant que les studios ne les rappellent pas pour une suite.
TA ! TA ! Tou ta taaaaaa !
- Dracaufeu, sifflait nerveusement sa partenaire derrière lui.
Un bout d'aile ou de queue qui devait dépasser de leur cachette (compliqué de chanter dans votre tête et de rester concentré sur l'infiltration), mais qu'elle ne s'inquiète pas, tout était parfaitement sous contrôle. Et hop ! Touloulouuuuu ! Sous contrôle !
- Dracaufeuuuuuu... gémissait-elle en même temps qu'elle se faisait éclabousser de boue.
Porte de service repérée. Ta ! Ta ! Phase d'approche enclenchée. Ta ta taaaa ! Contact !
- S'il te plait Dracaufeu, il faut...
- Dra ! fit-il signe à sa partenaire
- Huuuu, se retint-elle de crier pendant qu'elle cherchait dans ses poches le badge que leur avait donné Victor. Sauf que ce n'était pas facile de trouver quand vous aviez le bout des doigts anesthésiés à cause de toute cette pluie, ce vent glacial, et les délires de votre pokémon !
Qu'est-ce qui te prends encore ? se désespéra-t-elle après avoir enfin réussi à dénicher le passe. Accroupi, il effleurait d'une griffe l'encoche, l'ouïe collée au métal.
"Je m'occupe de la désamorcer," dit-il gravement.
- La porte ?
"Pas que ! On ne sait pas ce qu'ils ont trafiqué et si ça se trouve à la seconde où on va y toucher elle va... "
- S'ouvrir ?
"Je suis sérieux ! Ils ont forcément mis des Electrodes derrière, ou bien des flèches, ou encore des sévipers, à moins qu'ils aient mis un gros caillou qui va tomber sur nous dès qu'on entrera."
- Tout ça derrière une petite porte de service ? croisa-t-elle les bras.
"Exactement ! Parce qu'ils savent qu'on pense qu'ils vont oublier de la surveiller, mais ils sont malins, extrêmement malins."
Serena leva les yeux au ciel, écartant d'agacement les mèches trempées qui collaient ses joues et son front.
- Quand je dis que tu regardes trop de films, murmura-t-elle entre ses dents.
Et il était grand temps que ça cesse.
- Dra ? DRA ?!
Sacha sauta sur la jeune fille et l'enveloppa de ses ailes, certain de l'explosion imminente. Pourquoi avait-elle utilisé le badge ?! Pourquoi l'avait-elle utilisé avec les électrodes, les sévipers, le gros caillou, les flèches et le millier de sbires qui les attendaient derrières !
- Je... Je pense que tu prends un peu trop à cœur ton rôle de garde du corps, bégaya-t-elle sous lui.
Le métamorphosé releva la tête, surpris de voir la porte ouverte et que, de toute évidence, absolument aucun danger mortel ne semblait les attendre... A moins que ce ne soit quelque chose d'invisible ! Comme le gaz toxique d'un smogogo !
- Hu ? Hmmmm huhmmm ! se débattait la jeune fille dont la bouche et le nez étaient désormais bloqués par la patte du reptile.
Et si elle en a déjà respiré ?! Qu'est-ce que je vais faire ? Qu'est-ce que... Le bouche à bouche !
- Hum hm ? écarquilla-t-elle les yeux complètement terrifiée, ayant le pressentiment que quoi que ce soit qu'il ait imaginé, cela n'allait pas lui plaire.
Très bien, elle s'était retenue jusque-là, mais vu l’état du dragon, elle allait devoir lui donner une bonne pichenette sur le museau (ce qui tombait bien puisqu'il était justement en train de l'approcher !). Enfin, encore faudrait-il pour cela qu'elle puisse bouger les bras, chose qui serait somme toute aisée si le reptile ne la tenait pas aussi serrée.
Bien, de toute évidence, si elle analysait les choses de manière réfléchie (contrairement à un certain reptile – suivez son regard), le mieux était de le laisser finir ce qu'il avait en tête et attendre ensuite qu'il se calme. Ça va aller, se répétait-elle alors que le reptile continuait d'approcher, ça va all- ça ne va pas aller ! Ça ne va pas alleeeeer ! Si les larmes de Serena se mêlaient à la pluie, leur odeur salée n'échappait pas si facilement au reptile. Il cligna plusieurs fois des yeux, inquiet qu'elle ait mal quelque part avant de se rendre compte que cela pourrait bien être de sa faute vu comment il la serrait et la manière dont elle semblait le supplier du regard de la libérer.
" Mais le poison..."
- Hm~hm, essaya-t-elle de lui faire comprendre.
Est-ce que le bouche à bouche fonctionnait vraiment pour ce genre de situation ?
- HUM ! s'exaspérait-elle.
Y avait-il seulement du poison ? Il relâcha finalement Serena, restant sans bouger à contempler l'ouverture, dans l'incompréhension qu'il ne se soit toujours rien passé (question de point vue étant donné que Serena s'était faite écrasée, étouffée, et qu'elle avait évité de peu... disons quelque chose comme Romance à Unys 3 – version longue.)
- Dra ! cria-t-il en la voyant s'engouffrer dans le couloir.
Elle se retourna vers lui, couverte de boue de la tête au pied.
- On y va maintenant ! hurla-t-elle.
Il rentra sa tête dans ses épaules comme s'il venait de se faire sermonner par sa mère. Une grimace lui échappa alors qu'il s'empressait de reprendre sa place à l'avant. C'est vrai que c'était le genre de relation qu'elle imaginait entre eux. Pas une bonne amie ou une amie proche, mais une maman tout ce qu'il y avait de plus maman.
Sauf qu'il se trouvait qu'il en avait déjà une et que celle-ci lui convenait parfaitement sans que Serena n'ait besoin de prendre sa place. D'accord, peut-être que cela pouvait prêter à confusion à cause de... oui, à cause du bisou, de ce fichu bisou qu'il n'aurait jamais dû faire ! (Et il ne comptait pas celui aux urgences puisque Serena ne s’en souvenait pas). Parce que oui, quand il rentrait de l'école pour le goûter, il en faisait un petit sur la joue de sa mère pour la remercier avant de s'installer devant ses tartines. Et puis il avait arrêté de le faire, même le jour de son départ du Bourg Palette il avait préféré rester sur un simple et pudique « au revoir » entre deux attaques Tonnerre - et sa mère qui lui rappelait de bien changer ses sous-vêtements tous les jours.
Enfin, bref, il était un garçon d'à peu près son âge donc non, elle n'était certainement pas sa mère ! Tiens, d’ailleurs, il ne faisait jamais de bisou sur le front de sa mère ce qui était bien une preuve que… Ah ! Avec tout ça il en oubliait toutes les règles d'infiltration ! Vite, relever les écailles, garder le museau aux aguets, surtout ne pas faire de gestes brusques et...
- Dracaufeu...
Sacha ouvrit grand les yeux en remarquant que la kalosienne restait debout en plein milieu du couloir, sans se soucier d’être complètement à découvert.
- Dracau ! s'écria-t-il.
Serena se frotta les yeux, lassée par l'attitude de son dragon alors qu'elle disait :
- Je ne me mettrai pas à couvert.
- Caudra ?!
- Parce que c'est un couloir, et un couloir qui va tout droit, mima-t-elle.
Donc le reptile pouvait bien s'accroupir et longer les murs, il n'en serait pas moins visible surtout avec sa flamme caudale.
- Dracaufeu, là tu es complètement paniqué donc il vaudrait mieux, même pour quelques minutes, que tu...
"Évidemment que je panique ! Je dois paniquer parce que si je crois que tu attrapes un rhume en fait c'est une mémin... méningui... Rah ! Quoiqu'il en soit, on doit absolument rester discret !"
- Quelle discrétion ?! Tes roulades dehors dans la boue, tu crois que c'était discret ?
- Draaaa ? S'étouffa-t-il. Caufeu feu...
- Mais c'est ce que tu as essayé de faire, se crispa-t-elle, sauf que tu n'as pas un corps fait pour passer sous les camions et c'est là où tu...
- Dracau dra caudra ? rouspéta-t-il.
- Mais je te l'ai dit ! Je n'ai fait que ça ! Et ce n'est pas faute de t'avoir proposé de rester dans ta pokéball au moins le temps qu'on entre, sauf que tu étais complètement ailleurs comme si... Comme maintenant !
Touloulouuuuuuu ! TOULOULOUUUU LOU LOUUUUU !
Pourquoi avait-elle cherché si désespéramment son accord au lieu de le ramener dans sa ball à la seconde où il avait lancé un caillou qui avait fracassé une des vitres du centre météo puis qu'il avait enchaîné en faisant la roue - non, pas une roulade, ça aurait été trop beau s'il avait commencé par les roulades, mais bien la roue avec les deux ailes orange vif écartées et sa flamme caudale décrivant un bel arc de cercle des fois que certains sbires ne les aient pas encore remarqués.
- Je ne comprends pas pourquoi tu réagis comme ça alors que... On a gagné plein de concours ces derniers temps et tu as vu comment tu as battu tous les dresseurs qui nous ont défié à la sortie de Lavandia ? Tu es devenu beaucoup plus fort, on l'est tous devenu, et j'ai confiance en toi et...
"Pas moi !"
Elle recula d'un pas, ramenant sa main contre son cœur.
"J'ai... Je veux pas qu'ils te fassent du mal," avoua-t-il en baissant les ailes.
- Tu vas me laisser seule ici ?
"Non !" s'offusqua-t-il.
- Et tu comptes rester sans rien faire s'ils nous attaquent ?
"Certainement pas !"
- Alors qu'est-ce que j'ai à craindre ?
Sacha commença à se gratter la joue, les dents légèrement apparentes. Vraiment, ravi que Serena lui accorde autant sa confiance, presque comme lui avec ses pokémons.
"Qu'est-ce que tu cherches à faire Serena ?"
Soudainement, le reptile semblait avoir repris tous ses esprits, un peu trop au goût de la jeune fille d'ailleurs.
- Je t'ai dit...
"Serena."
Il s'était approché, lui avait saisi les mains pour qu'ainsi les tremblements qui les parcouraient ne lui échappent pas. Il n'était plus Salamèche, ni Reptincel, et... il n'était pas non plus Sacha. Sacha qui lui demandait si elle pensait à ses prochaines performances quand Palermo lui avait proposé de se séparer de ses amis pour la suivre, peut-être aussi la raison pour laquelle il s'était énervé contre elle dans le Bois Dédale, parce qu'il n'imaginait pas qu’elle, Serena, puisse être... Complètement terrifiée, morte de peur, et si ça avait été la Team Aqua au lieu des Magma, sans doute n'aurait-elle jamais proposé ne serait-ce que de s'approcher de ce Centre Météo.
- Je ne veux pas fuir, avoua-t-elle. Je veux avancer, dépasser tout ça, et... Ne plus t'obliger à veiller sur moi pour éviter que je fasse des cauchemars.
- Dr-
- S'il te plait Dracaufeu. On... On peut se battre, plus que tout on peut les vaincre et... J'en ai besoin. On en a tous besoin et... Dracaufeu ? hoqueta-t-elle.
Quelque chose dans son regard la fit tressaillir. Peut-être aussi l'étrange sensation de la main du reptile se posant sur sa joue avec douceur, de telle sorte qu'elle relève légèrement la tête vers lui. Il ne voulait pas de louanges, pas pour cela, et s'il regrettait déjà d'avoir accepté, une autre chose qu'il venait de profondément graver en lui l'aidait à supporter sa décision. Serena frissonna quand il se recula, et elle crut se souvenir d'une chose qu'Orium avait dit peu de temps après...
C'est de la douceur Mademoiselle.
Mais elle n'avait pas écouté ce jour-là, parce que tout ce qu'elle pouvait penser à ce moment était...
De la douceur Mademoiselle.
Ce qu'elle était pour lui.
De la douceur.
Sans remarquer la promesse qu'il s'était faite et la raison pour laquelle il l'avait faite.