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Une lumière dans les ténèbres de oska-nais



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» Auteur : oska-nais - Voir le profil
» Créé le 29/03/2024 à 17:57
» Dernière mise à jour le 29/03/2024 à 17:57

» Mots-clés :   Absence de combats   Amitié   Famille   Johto   Organisation criminelle

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Reprendre son souffle
Chapitre 4 : Reprendre son souffle

Krys regardait ses parents, sur l’écran en face de lui. Il sentit son cœur brisé se réchauffer un peu, en les revoyant, et, en même temps, se briser un peu plus. Il les revoyait, mais c’était par écran interposé. Depuis combien de temps est-ce qu’ils ne s’étaient pas parlé en face-à-face ? Depuis combien de temps est-ce qu’il n’avait pas visité la maison de son enfance ? Quand l’avaient-ils tenu dans ses bras pour la dernière fois ? Il ne savait plus. Il voulait qu’ils le prennent dans leur bras, il voulait qu’ils lui disent que tout irait bien, le réconfortent, comme quand il était petit et qu’il s’éraflait après avoir trébuché. Mais ses parents ne pouvaient pas mettre un pansement sur sa blessure ou faire un bisou magique pour tout arranger. Ils ne pouvaient pas l’aider, et il ne pouvait pas aller les voir, et il ne pouvait même pas leur dire à quel point il allait mal.

Il leur fit un sourire, en espérant qu’il était assez convaincant.

- Salut, ça faisait longtemps, comment ça va ? Et, Nathan ? J’ai ton dessin !

La tête de son petit frère apparut au coin de l’écran, et, encore une fois, Nathan sentit son cœur se serrer, et fit de son mieux pour ravaler ses larmes. Nathan… Nathan avait changé. Il n’avait pas grandi, mais son visage paraissait un peu plus âgé. Il le regardait, et, bien qu’il ait appelé à chacun de ses anniversaires, il n’arrivait pas vraiment à réaliser qu’il avait déjà vingt ans. Son petit frère. Vingt ans. La dernière fois qu’il avait pu le tenir dans ses bras, il en avait dix-sept.
En ce moment, il avait très envie de sortir de la chambre, sortir de la base avec seulement ses vêtements sur le dos, et marcher des kilomètres juste pour retrouver sa famille. Les tenir dans ses bras, les avoir , à côté de lui. Ils lui manquaient. Tellement.

Son petit frère lui fit un sourire, et les étoiles dans les yeux lui demanda s’il « pouvait le voir s’il-te-plaît ». Krys le brandit fièrement, et se sentit un peu rassuré à l’expression émerveillée de Nathan. Il était au moins doué pour quelque chose dans sa vie.

- Est-ce que tu es sûr que tu vas bien, Krys ? Lui demanda sa mère

- Tu sais que tu peux tout nous dire ? On sera là pour t’écouter, enchaîna son père

Et d’un coup, l’illusion se brisa. Évidemment qu’il était incapable de paraître heureux au seul moment où ça comptait. Inspire. Expire. Force un sourire, un rire -pas trop long-, et mens

- Non, ne t’inquiète pas, j’ai juste beaucoup de travail en ce moment, rien de grave. Et vous me connaissez, je stressais encore parce que je voulais que le dessin soit parfait.

Ses parents le regardaient avec une moue dubitative, et son frère avait l’air extrêmement suspicieux, et n’essayait même pas de s’en cacher. Puis, il s’approcha de l’ordinateur, se plaça en face de la caméra, et lui dit franchement :

« Écoute. On sait que tu ne vas pas bien, ça se voit. À chaque fois que tu appelles, tu parais un peu plus fatigué que la dernière fois qu’on t’a vu. Qu’est-ce qu’on est censés faire quand on voit ta santé se dégrader comme ça ? Juste fermer les yeux et ne rien dire ? Ton travail -il cracha ce mot comme si c’était du poison- te détruit de l’intérieur, et je m’inquiète. On s’inquiète tous alors, tu vas en parler, à nous ou à quelqu’un d’autre, peu importe, et tu démissionnes. Immédiatement, Krys. Je–

- Je ne peux pas partir, d’accord ? Le coupa Krys. Et je ne veux pas en parler.


Krys avait élevé la voix. Krys n’élevait jamais la voix.
Un silence pesant s’installa dans la pièce. Puis, ses parents et Nathan se mirent à parler tous en même temps, se coupant l’un l’autre.
Les voix se mêlaient les unes aux autres, et arrivaient brouillées aux oreilles de Krys. Il n’était pas sûr qu’il aurait réussi à les comprendre, même si elles avaient été intelligibles. Il avait l’impression d’avoir la tête sous l’eau, et que quelqu’un était là, la main sur sa nuque, en l’empêchant de se relever pour prendre une goulée d’air. Tout était loin, tout était trop bruyant, tout était trop.
Il devait partir. Il devait partir, maintenant.
Il eut à peine conscience de sa main cliquant sur le bouton pour terminer l’appel. Les voix se coupèrent brusquement.

Il avait crié sur Nathan. Oh par Arceus, il avait crié sur Nathan.
Il avait du mal à respirer. Il avait dit, devant ses parents, qu’il ne pouvait pas démissionner. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils ne fassent le lien entre ça et l’organisation criminelle qui avait commencé à faire parler d’elle il y a quelques années à Kanto. Après tout, quelle société digne de ce nom, quelle société légale empêchait à ses employés de démissionner ? Puis, cela remonterait à Giovanni et…

Nox lui mordillait le mollet. Oh. Il respirait trop vite. Il devrait essayer de ralentir.
Il n’arrivait pas ralentir. Tout autour de lui paraissait normal, le monde ne s’était pas arrêté. Rien n’allait mal, rien à part lui.
Ses mains tremblaient, et il avait des fourmis dans les bras et les jambes. Lentement, il se releva, et, trébuchant à moitié, se laissa tomber sur son lit.
Lentement, il ramena ses genoux contre son torse, et les entoura avec ses bras.
Sa vision se brouilla. Il ne savait pas si c’était à cause de ses larmes ou de sa respiration effrénée.

(Pas son corps. Pas normal. Pas lui.
Quelque chose n’allait pas. Ce « quelque chose » est lui et il ne peut rien y faire.
Il ne ressent rien. Il est vide.
Marionnette au bout de ses fils comme d’habitude sauf que cette fois les fils sont coupés.
Son corps n’est pas lui, et le miroir est brisé. C’est normal, car son corps n’est pas lui, n’est jamais lui.
Il ne reconnaît pas ses propres émotions. Anormal-Anormal-Anormal-qu’est-ce-qui-ne-va-pas-chez-moi. Ses émotions, il aurait dû les reconnaître. C’est ce qui fait de lui lui.)

Nox n’était pas là, Personne n’était pas là et il se sentait tellement, tellement seul.
Il agrippa la couverture, en tentant tant bien que mal de reprendre son souffle.
Il n’y arrivait pas. Il étouffait. Les murs se refermaient autour de lui et il n’arrêtait pas de penser que maintenant ses parents savaient, et ils étaient en danger par sa faute.
Ses mains se referment autour de la couverture (autour de sa gorge autour du cutter) et il étouffe–

Il sent quelque chose se poser sur ses épaules. C’est lourd, chaud, confortable, et ça lui fait penser à une tasse de chocolat chaud en plein hiver, aux craquements d’un feu de cheminée et à l’odeur de poussière et de familiarité d’un vieux grenier. Puis, quelque chose vient s’enrouler autour de son cou. Les mailles faites à la main, la texture régulière et douce, Le sourire fier sur les joues de son père quand il la lui avait passée… Son écharpe.

Quand il releva la tête, il se retrouva nez-à-nez avec Laura, en train d’ajuster l’écharpe sur ses épaules. Nox faisait des allers-retours autour de ses jambes en poussant des gémissements inquiets. Elle était sûrement allée chercher Laura. Laura releva les yeux brièvement, et parut surprise de voir qu’il était sorti de sa torpeur. Puis, lentement, sans faire de mouvement brusques, elle s’assit à côté de Krys sur le lit. Krys tira sur les bords de la couverture alourdie que Laura avait posée sur ses épaules, et passa sa main d’avant en arrière sur l’écharpe que son père lui avait faite. Bleu-rose-blanc-rose-bleu. Longue et confortable, même si parfois elle se prenait entre ses jambes (trop longue). Il se surprit à souffler un rire.

Le genou de Laura sautait. Elle resta en tout et pour tout immobile pendant deux minutes avant de se relever et de faire les cents pas dans la chambre. Elle regardait à droite, à gauche, et jetait régulièrement des regards à Krys. Puis, elle s’arrêta brusquement, quand son regard passa sur quelque chose qui reflétait la lumière.
Quand elle revint s’asseoir à côté de Krys, elle avait le thermos de thé au lait et une tasse dans ses mains. Il ne savait pas comment elle faisait. Elle disait n’avoir aucune expérience avec ce genre de choses -parler de ses problèmes, partager ce qui lui pesait sur le cœur avec ses amis, ne pas rester seule- et, pourtant, elle arrivait toujours à lui arracher un sourire. Quand elle lui tendit la tasse de thé au lait, la main de Krys ne tremblait pas. Le thé était encore chaud, par quelque miracle. – Peut-être que les théories abracadabrantes de Laura étaient vraies et que le thermos était vraiment magique –
Après avoir terminé sa tasse d’un trait, Krys prit une grande inspiration. De sa main droite, il se mit à gratter la tête de Nox pour se donner du courage.

« Mes parents se doutaient de quelque chose. Nathan y est allé fonce-dans-le-tas, et j’ai laissé échapper que je ne pouvais pas démissionner. Maintenant, ils savent, ou alors ils sauront très bientôt. J’ai peur, Laura. »

Sa voix se brisa sur les derniers mots, et Laura ne savait pas quoi répondre à ça. Il existait peut-être quelque chose à dire, mais elle avait peur que, quoi qu’elle dise, ce ne soit pas suffisant, que ça sonne faux. Elle glissa lentement sa main dans celle de Krys, en lui laissant le temps de retirer la sienne s’il n’appréciait pas le contact. Krys s’y agrippa comme si sa vie en dépendait. Elle devait être forte pour lui. (Krys la sermonnerait s’il savait ce qu’elle était en train de penser).

Krys posa sa tête contre l’épaule de Laura, et, enfoui encore plus profondément dans sa couverture et son écharpe, se mit à pleurer.

*************
Silver laissait traîner sa main le long du mur. Il n’avait rien à faire, et il s’ennuyait. Il aurait pu essayer, encore une fois, d’aller regarder ce que Papa faisait, mais il savait qu’il n’arriverait pas à lui arracher un seul mot. Il aurait pu aller relire un de ses livres, mais il les avait déjà lus des centaines de fois. Et le sbire auquel il avait demander d’aller acheter des graines – et des livres sur comment s’occuper des plantes, car il n’y connaissait absolument rien – n’était pas encore revenu.
Hmm… Peut-être qu’il pourrait essayer d’embêter la mécanicienne jusqu’à ce qu’il arrive à l’énerver ? Ou peut-être qu’il pourrait essayer de lui voler quelque chose ? Malheureusement, il n’avait aucun moyen de la faire chanter, et elle le savait. Il aurait pu inventer une excuse pour aller se plaindre d’elle à son père, mais c’était toujours plus drôle quand ils finissaient dans des situations compromettantes par eux-mêmes.

Oh, je sais ! Je vais aller les espionner depuis les conduits d’aération !
Silver, en visitant tous les recoins de la base, s’était rapidement rendu compte qu’il était suffisamment petit pour pouvoir se glisser dans les conduits d’aération, qui étaient, de son avis, franchement mal conçus. Sérieusement. Ils étaient beaucoup trop larges, n’importe qui étant un peu plus petit que la moyenne pouvait se glisser dedans et espionner les autres ! C’était un miracle qu’il soit le seul à y avoir pensé. Il imagina un instant ce qu’il se passerait s’il se faisait attraper en train d’écouter les conversations que son père avait au téléphone. « Oh, oui, désolé Papa, n’importe qui pourrait t’espionner en entrant là dedans, mais ne t’inquiète pas, il n’y a que moi qui le fait ! »
En y repensant, très mauvaise idée. Il ne pouvait pas lui sortir qu’il était au courant pour les conduits d’aération et qu’il n’avait rien dit. Papa pouvait être effrayant quand il était énervé. Parfois, Silver l’entendait parler au téléphone alors qu’il était en pleine discussion avec un client difficile. Il était énervé, mais, rien qu’en le regardant, comme ça, on n’aurait pas pu s’en rendre compte. C’était les petits détails, comme le sourire un peu trop figé, la ligne de sourcils juste un poil trop froncée, son doigt qui tapait sur le haut d’un meuble, ou jouait sur le manche du pistolet à sa ceinture (une sécurité en plus, ne sois jamais sans défense, mon fils). C’était sa voix qui paraissait calme et détendue, mais qui était aussi dangereuse qu’une rivière en crue après un orage. Sa voix, qui pouvait passer d’un ton plaisant à tranchant, banal à cruel, dangereux comme un Miascarade en train de se fondre dans les hautes herbes avant de fondre sur sa proie. (Tu ne savais pas ce que c’était, mais quelque chose n’allait pas.)

Silver ne l’avait jamais vu prendre ce genre de ton avec lui. Mais Silver savait qu’il pouvait, et c’était suffisant pour qu’il soit sur ses gardes. Et puis, s’il le disait à son père, alors il ne pourrait probablement plus passer inaperçu dans les conduits.
Il entra dans une salle inoccupée, posa une des chaises sur le bureau qui se trouvait devant, en dessous de la grille d’aération au plafond. Puis, il monta, sortit un tournevis de sa sacoche, et commença à dévisser la grille. Il se hissa facilement dans le conduit, et poussa la grille en la reposant sur le trou. Il avait déjà fait ça des dizaines de fois, il avait l’habitude de suivre ces étapes maintenant.

Il enleva ses chaussures – elles auraient fait trop de bruit sur le métal -, et, lentement, rampa dans les tuyaux. Il savait où aller, il connaissait tous les chemins et recoins de cette base comme sa poche. Quand il arriva sur la grille de la chambre de Laura, il se rendit compte qu’il y avait un problème : elle n’était pas dans sa chambre. Oh. Évidemment, elle était en train de travailler, il aurait dû y penser ! Quel idiot il faisait. Bon. Il avait un dernier endroit à visiter, et, si elle n’était vraiment pas là, il admettrait sa défaite et repartirait dans sa chambre pour fouiller sa bibliothèque. Encore. Quand elle n’était pas en train de travailler, Laura était souvent vue avec Krys. Elle n’était probablement pas dans la chambre de Krys. Pour être honnête, il était presque certain qu’elle était effectivement en train de travailler. Mais il s’ennuyait tellement qu’il n’avait rien de mieux à faire. Et puis, qui sait, peut-être qu’il trouverait quelque chose d’autre d’intéressant sur le chemin.
Tiens, c’était une bonne idée, ça ! Au lieu de retourner dans sa chambre, il pourrait rester dans les conduits d’aération. Peu de chances de s’ennuyer, et des chances de tomber sur des secrets et trésors oubliés.

Il rampa le long des tuyaux jusqu’à ce qu’il arrive au dessus de la chambre de Krys. Quand il observa au travers de la grille, il vit… bingo ! Laura et Krys étaient assis côte à côte… En train de prendre du thé ? Sérieusement ? C’est ça qu’ils faisaient de leur temps libre ? Il prenaient le thé ? Dans leur chambre ? Et ils discutaient ? Parfois, Silver se demandait s’il comprendrait un jour les adultes, et si c’étaient juste les adultes de la Team rocket qui étaient bizarres, ou seulement ces deux -là, ou les adultes du monde entier.

Il fallait le cacher quand on avait mal, ne jamais en parler à d’autres personnes, car tout ce que tu dirais, ils pourraient le retourner contre toi plus tard. C’était ce que son père lui avait. C’était dangereux de se confier. C’était dangereux de montrer qu’on avait mal. Et, en regardant les deux adultes côte-à-côte, il pensait toujours qu’ils se montraient beaucoup trop imprudents, qu’ils avaient trop facilement confiance. Tu pouvais te servir de cette confiance en poussant les autres à te parler, pour avoir du matériel pour les faire chanter ensuite, mais tu ne devais jamais, au grand jamais leur raconter tes propres problèmes.
Krys avait des traces de larmes séchées sur ses joues, et Laura paraissait encore plus fatiguée que d’habitude.
Il avait envie d’envoyer la grille d’aération au bout de la pièce et leur sauter dessus pour les secouer en leur demandant ce qu’ils faisaient, et est-ce qu’ils étaient stupides ou quoi, pourquoi ils faisaient ça ? (De leur demander « Est-ce que ça marche vraiment ? » « Est-ce que ça me ferait vraiment me sentir mieux ? D’en parler ? » « Est-ce que si j’avais besoin d’en parler vous voudriez bien être là pour m’écouter ? Sans me juger ? Sans me dire que je suis faible ou hypersensible ? »)

(Maman est morte.
Papa, c’est comme s’il l’était. Je ne le vois jamais.
Personne ne veut jamais être amis avec moi.

Je ne veux pas être tout seul.)

Il secoua la tête, prit ses pensées et ses doutes, les enferma à double tour derrière une porte et jeta la clé. Il ne devrait pas penser à ce genre de choses. C’était le genre de chose que les personnes qui avaient les épaules qui ployaient à la moindre difficulté pensaient. C’était le genre de choses qui finissait par de poignarder dans le dos. C’étaient des pensées d’idiot. Incompétent. Minable. Faible.

Il reporta son attention sur les deux amis qui discutaient en dessous de lui.
Krys était en train de raconter quelque chose à propos de… parents ? Et petit-frère ? À Laura. Ils buvaient à petites gorgées leur thé dans leurs tasses, enfoui sous des couettes. Krys reniflait derrière son écharpe régulièrement. Ils se tenaient la main, ou posaient leur bras sur le dos de l’autre, en traçant lentement des ronds. Ils se supportaient l’un l’autre, et ils avançaient ensemble.

(Ils ne sont pas faibles.
Pourquoi pourquoi pourquoi
Ce n’est pas logique, ça ne devrait pas être possible.
Ils ne sont pas faibles.)


Il avait l’impression d’assister à un moment beaucoup trop personnel. Il ne devrait pas être là. C’était un moment intime entre deux personnes qui se confiaient l’une à l’autre, qui se réconfortaient, qu’est-ce qu’il faisait encore là ?

Quand il fit silencieusement demi-tour sans regarder en arrière, l’idée d’utiliser ce qu’il avait appris pour les menacer ne lui traversa pas une seule fois la tête.

*************
Émelie était en train de faire les cent pas dans la cage. Elle savait que rester immobile n’était pas très bon pour ses muscles, et elle avait pris l’habitude de se lever et marcher régulièrement, pour éviter de trop affaiblir ses muscles. Et puis, ça lui faisait toujours du bien, de marcher un peu. Yuro, lui, avait apparemment décidé de rester allongé. Le pauvre petit en avait trop vu, c’était marqué dans la courbure de son dos, ses yeux perdus dans le lointain, ses traits tirés. Il commençait à se faire tard, c’était vrai. Et il venait sûrement de vivre les heures les plus dures de toute sa vie. Elle se souvenait quand elle s’était faite capturer dix ans auparavant. Elle avait vécu le pire moment de sa vie quelques jours auparavant, et elle se retrouvait soudain enfermée dans une cellule si petite qu’elle avait l’impression d’étouffer, toute seule dans un lieu inconnu. Sans Léon. Sans personne.
La douleur ne s’effaçait jamais vraiment. Elle venait, elle repartait, et petit à petit elle se faisait moins vive, et Émelie avait de moins en moins l’impression d’être constamment en train de se noyer. Mais, rien que d’y penser la douleur revenait de nouveau. Pas aussi vive, plutôt comme une vieille blessure qui n’avait jamais vraiment bien guéri.

Mais elle se souvenait encore d’à quel point les premiers mois avaient été horribles à subir. Elle savait qu’elle n’arriverait jamais à oublier. Les périodes durant lesquelles elle était tellement fatiguée qu’elle ne ressentait plus rien. Les périodes durant lesquelles tout lui revenait d’un coup et c’était tellement dur à supporter qu’elle étouffait. Un sanglot se prit dans sa gorge
(Inspire, un, deux, trois quatre
Expire, quatre, trois, deux, un
C’est passé. Même maintenant, ça fait encore mal.)


- Hé, ça va ? Tu es en train de faire le truc où tu comptes pour respirer.

C’était Yuro. Il avait dû se rendre compte qu’elle s’était arrêtée de marcher. Elle lui fit un sourire.

- Juste des mauvais souvenirs, ça va passer.

Il la regarda avec une expression qui, à elle seule, illustrait parfaitement la phrase « Non mais, tu me prends pour un idiot ? » Puis, avant qu’elle ait le temps de lui proposer de la rejoindre, il sauta sur ses pattes et se plaça à côté d’elle.

- Tu fais quoi, depuis tout à l’heure, d’ailleurs ? Si tu essaies de marcher jusqu’à creuser un tunnel pour te permettre de t’échapper, je suis au regret de t’informer que c’est impossible de faire ça tout seul. Je ne sais pas quelle matière ils ont utilisée pour faire le sol, mais, en pratique, toute notre vie ne sera pas suffisante pour user le sol sur une profondeur suffisante.

Il lui faisait cette expression de monsieur-je-sais-tout, et Émelie avait simultanément envie de lui donner un coup de patte et de lui lécher affectueusement le museau.

- Je suis en train de faire de l’exercice, idiot.

(Elle n’était pas vraiment mieux, mais bon...)

- Dans ce cas, ne fais pas attention à moi, je viens m’incruster pour te suivre dans tes efforts inutiles.

Et, fidèle à ses mots, il se plaça à côté d’elle pour marcher, tout en commentant sur à quel point il trouvait ça stupide de marcher en rond comme ça. Cependant, il paraissait évident à Émelie qu’il ne pensait pas vraiment ce qu’il disait et faisait ça juste pour l’embêter un peu, et probablement aussi pour essayer de la distraire. Peut-être aussi pour essayer de se distraire lui-même.
Et, alors qu’elle se prenait au jeu en listant toutes les raisons pour lesquelles marcher en rond servait effectivement à quelque chose, et qu’elle se surprenait à rire beaucoup plus régulièrement que ce dont elle avait l’habitude, elle sentit des blessures qu’elle n’était même pas au courant d’avoir se refermer. Solitude, une de ses blessures qui restait béante et saignait tout le temps, mais qu’elle portait depuis tellement longtemps sur son cœur qu’elle ne se rendait même pas compte qu’elle était là, commença à cicatriser. Ça faisait du bien de ne plus être seule.

*************
Laura poussa un long soupir. Elle était restée toute l’après-midi avec Krys, dans sa chambre, et elle en avait profité pour essayer de s’occuper d’un problème sur les traductions de l’oreillette, en regardant ce qui avait pu lui échapper dans le code qu’elle avait écrit (est-ce qu’elle avait encore fait une faute de frappe quelque part ? Elle ne s’inquiétait pas des possibles sanctions pour avoir manqué son travail – après tout, il ne lui restait plus grand-chose sur quoi Giovanni pouvait faire pression. Ce n’est pas comme si ses parents pouvaient venir la récupérer, elle était majeure maintenant. Ce n’est pas non plus comme si elle pouvait partir non plus. Mais qu’est-ce que Giovanni aurait pu utiliser contre elle ? La menacer de lui faire du mal ? Ce n’est pas comme si elle avait encore peur de mourir. La menacer avec plus d’années à son service ? Augmenter sa « dette » pour avoir manqué des heures ? Elle n’avait juste pas assez d’argent pour partir et s’acheter un appartement, et n’avait aucun diplôme pour aller se trouver un travail ailleurs. Et elle n’avait pas non plus envie de devenir dresseuse, non merci. Et puis, elle n’avait pas envie de devoir dire adieu à Krys. - et elle avait besoin de décompresser un peu.

Krys était assis à côté d’elle en regardant ce qu’elle faisait avec intérêt. Il se sentait beaucoup trop secoué pour retourner travailler. Ce n’était pas encore l’heure d’aller donner leur repas du soir aux Pokémon, et, s’il y avait une urgence, ses collègues savaient où le trouver.
Il avait une tasse de thé à la main. Laura n’avait aucune idée d’où il la sortait. Est-ce qu’il avait refait du thé entre-temps ? C’était quoi la quantité maximale recommandée de thé par jour ? Il fallait qu’elle note quelque part de penser à le vérifier. (Ce qu’elle oublierait probablement de faire entre temps, elle n’avait jamais été douée pour suivre une liste choses à faire).
Si ça se trouvait, Krys avait déjà vérifié, et avait décidé d’ignorer la réponse qu’il avait trouvée. Mais, peut-être que, si elle ne connaisssait pas la réponse, ce n’était pas si grave, finalement. Après tout, ce n’était pas de l’alcool, et ce n’était même pas du café… Et puis, elle n’était pas la mère de Krys, après tout.

Se submerger dans ses recherches pouvait être épuisant, et frustrant, mais il y avait une certaine familiarité dans les mouvements, un certain confort qu’elle ne trouvait nulle part ailleurs, une impression qu’elle avait du mal à définir, quand elle le faisait, ici, au calme, avec quelqu’un en qui elle avait confiance assis à côté d’elle. Quelque chose qu’elle n’avait jamais ressenti auparavant. Quelque chose qu’elle n’avait jamais compris auparavant.
(Elle avait l’impression d’être chez elle.)

*************
À peine le sbire que Silver avait embêté avait-il franchi le seuil de la base que Silver lui tomba dessus. Il avait attendu toute la journée pour ce moment, il n’avait pas envie de patienter un instant de plus. Le sbire se raidit et lui tendit les graines et les bouquins à bout de bras. Ha ! Quel trouillard. Pour la peine, Silver lui arracha les objets et partit en courant sans même lui dire merci. Après avoir traversé plusieurs couloirs sans ralentir, il entra dans sa chambre et se plaqua immédiatement contre le battant en sautillant d’excitation. Ses livres ! Et des graines ! De fleurs ! C’était le plus beau jour de sa vie. Enfin, peut-être pas. Mais, il faisait enfin quelque chose d’intéressant, quelque chose qu’il avait vraiment envie de faire. Il posa la pile de livres et de sachets de graines au sol envoya ses chaussures à l’autre bout de la pièce, puis, en manquant de trébucher sur ses propres chevilles tant il allait vite, il posa les graines sur son bureau, puis, avec sa pile de livres, il se laissa tomber sur son lit. Puis, il ouvrit le premier livre, et commença à lire.

… C’était rempli de mots trop techniques ou compliqués pour lui. Génial. Son excitation retomba aussi vite qu’elle était apparue. Est-ce qu’un des sbires qui s’y connaissait en plantes pourrait le lui expliquer ? Le problème, c’est qu’il ne savait pas quels sbires s’y connaissaient en plantes.
Bon, solution de secours, il pouvait… rechercher les mots qu’ils ne connaissait pas sur son Motismart. Il devrait pouvoir les trouver… Et, peut-être prendre des notes, pour éviter de tout oublier. Avec, d’un côté son Motismart, de l’autre un papier et un crayon, et, au milieu, le livre qu’il avait voulu commencer, il se mit au travail. Il supposait qu’il devrait dire adieu au sommeil de cette nuit, ça allait probablement prendre beaucoup de temps… Est-ce qu’il sautait le dîner ? Il hésita un instant. Oui, il allait sauter le dîner. Ce n’était pas comme si son père s’en rendrait compte, après tout. Et puis, il pourrait toujours s’introduire dans les cuisines en plein milieu de la nuit s’il avait vraiment faim, et personne n’en saurait rien.

*************
Quand Krys se releva pour aller donner à manger aux Pokémon au sous-sol, il avait des fermites dans les jambes – il était resté trop longtemps assis – et il dut faire quelques étirements avant d’être prêt à partir. Nox l’avait rejoint pour faire ses propres étirements dès qu’elle l’avait remarqué. Puis, une fois qu’elle eut terminé, sans lui demander son avis, elle sauta sur son épaule. Krys fit un pas de côté. Il était habitué à ce qu’elle fasse ça, depuis le temps. Il avait dû lui répéter plusieurs fois qu’elle n’était plus une Évoli, et qu’elle était trop grande et trop lourde pour tenir sur son épaule, mais ça rentrait par un oreille et ressortait par l’autre, apparemment. Ou alors, elle avait parfaitement compris mais le faisait quand même, juste pour l’embêter. Ce n’aurait pas été un comportement sortant de l’ordinaire pour Nox. Elle essayait probablement de le distraire, maintenant qu’il y pensait. Un sourire éphémère étira ses lèvres. Il avait de la chance de les avoir, toutes les deux. Du coin de l’œil, il vit son ordinateur posé sur le bureau. Immédiatement, il détourna le regard. (Ce n’était pas le moment de penser à ça). Son motismart vibra plusieurs fois dans sa poche. Sans même avoir besoin de regarder l’écran, il savait qui c’était. (Il ne voulait pas penser à ça.) Pourtant, il était sûr d’avoir mis son motismart en silencieux. Ce n’était pas la première fois que ça arrivait. Il ne savait pas ce que le motisma qui habitait dans l’appareil essayait d’accomplir en faisant ça, mais, s’il espérait aider, il était très loin du compte.

Son motismart sonna une nouvelle fois. Laura le regarda en levant un sourcil, son regard allant de sa poche à son visage plusieurs fois d’affilée. Le motisma avait déjà désactivé le mode silencieux.

- Ton motismart fait encore des siennes ?

- Oui. Je sais pas ce qu’il a. Peut-être que Nox a déteint sur lui, ou peut-être que j’ai juste eu la malchance de tomber sur le Motisma le plus obstiné de la planète.

Puis, poussant un long soupir, il sortit le Motismart de sa poche, et le laissa flotter devant lui. Après tout, c’était probablement ce qu’il craignait, mais, et si ça ne l’était pas ?
Il fit défiler les notifications. Appel manqué, Maman. Appel manqué, Papa. Appel manqué, Nathan. Nathan, Maman, Nathan, Nathan, Papa. Plus de vingt SMS. Et… Ah. Penser à faire une pause pour le binder. Ce qu’il allait absolument faire et n’avait pas du tout oublié. Tout comme cela ne faisait absolument pas plus de sept heures qu’il le portait. Pas du tout. Il poussa un long soupir, puis se changea dans son uniforme immédiatement, en pensant, cette fois, à enlever son binder. Il n’avait vraiment pas envie de l’enlever, mais il préférait éviter d’avoir des douleurs à cause de la durée pendant laquelle il l’avait porté. Au moins, il savait qu’il pouvait se changer devant Laura sans que ça ne la dérange. Il n’avait vraiment pas envie d’aller affronter le miroir une fois de plus aujourd’hui, non merci. Il se sentait déjà suffisamment mal à la suite de sa conversation avec sa famille, il n’avait pas envie de rajouter une vague de nausée ou de dépersonnalisation en plus.

(Ne pense pas à ce qu’il y a sur ta poitrine et ne pense pas à comment ils bougent quand tu marches et ne baisse pas les yeux)
(Ne pense pas à Nathan. Ou à Papa. Ou à Maman.
Inspire -un, deux, trois, quatre- expire -un, deux, trois, quatre)


Il posa son Motismart sur le bureau. Il espérait que cette tête de mule ne déciderait pas de le suivre.
(Il ne pouvait pas l’enfermer dans un tiroir, c’aurait été un acte ignoble envers le Pokémon. Il avait déjà fait souffrir assez de Pokémon comme ça.)
Il pouvait y aller. (Ignore la sensation affreuse de ton corps et tout ira bien)

- Krys ? Tu veux que je t’accompagnes ?

- Non, non, ça ira. Et puis, il faut que tu fasses un tour de maintenance de la base, de toute façon, je veux pas te retenir.

Laura le regarda, exaspérée.
- Tu sais très bien ce qui est le plus important pour moi entre toi et mon travail. Si tu as besoin de moi, dis-le-moi au lieu d’essayer changer de sujet. Les machines peuvent bien attendre demain. Et j’ai besoin d’une pause, de toute façon. Si je passe encore une seconde de plus sur une machine, mon cerveau risque de surchauffer.

Il ne trouvait rien à redire à ça. Il était vrai que Laura avait tendance à travailler jusqu’à l’épuisement, et à continuer à se forcer au-delà de ses limites en accumulant les tasses de café.

(Les tasses de café arrêtaient d’avoir de l’effet au bout d’un moment, mais Laura refusait d’abandonner car elle ne supportait pas l’échec. Elle lui avait dit un jour qu’elle avait l’impression que ses parents avaient eu raison de la laisser derrière quand elle s’arrêtait devant un problème trop compliqué. Qu’elle n’avait pas été assez douée pour les faire revenir.)

Si la laisser venir avec lui lui permettait de prendre une pause, il la laisserait l’accompagner.
(Il essaya de ne pas penser qu’elle ne faisait que remplacer une tâche par une autre, et n’était pas vraiment en train de prendre une pause. Il n’y arriva pas.)

(Je suis vraiment un mauvais ami, n’est-ce pas ? Même pas capable de l’aider.)
(Ferme-la. Tu fais de ton mieux. Tu n’est pas tenu de faire l’impossible. Tu ne peux pas tout arranger comme par magie.)
(Même en faisant de son mieux, ce n’était pas assez. Il n’était pas capable de l’aider.)

Il se mit à avancer en essayant désespérément de faire taire ses doutes, Nox et Laura sur ses talons.
Inspire. Expire. Tu peux le faire. Un pas après l’autre.

Quand Nox se mit à se frotter contre ses chevilles, il la laissa faire.
Et, quand Laura glissa sa main dans la sienne, il s’y agrippa comme si sa vie en dépendait.
(Parce que sa vie en dépendait)