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Une lumière dans les ténèbres de oska-nais



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» Auteur : oska-nais - Voir le profil
» Créé le 28/02/2024 à 13:43
» Dernière mise à jour le 13/04/2024 à 19:25

» Mots-clés :   Absence de combats   Amitié   Famille   Johto   Organisation criminelle

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Flamme dansante et fumée
Chapitre 3 : Flamme dansante et fumée

Tout est en train de brûler autour de lui. Le feu dévore les murs de la maison, les flammes montent jusqu’au ciel, la fumée dévore les étoiles. Il entend des cris, des pleurs, et avant de se rendre compte de ce qu’il fait, il se met à courir. Mais les appels à l’aide viennent de partout et nulle part à la fois, et peu importe dans quelle direction il se tourne, il n’arrive pas à savoir où aller.
Les flammes sont partout autour de lui.

« Krys ! »
Son sang se glace dans ses veines. Il connaît cette voix.
« Krys ! »
Sa respiration s’accélère. Il n’arrive pas à respirer. Il n’arrive pas à bouger. Il est une statue de glace, et il fond, et la fumée l’étouffe et il n’arrive pas à respirer.
« Krys, à l’aide ! »
C’est Nathan, c’est Nathan, c’est-Nathan-c’est-Nathan-c’est-Nathan-c’est-Nathan
C’est son petit frère.
Il se jette dans les flammes.

Tout son corps brûle, mais il ne sait pas si ce sont les flammes tout autour de lui ou si c’est la glace qui a figé son cœur et que son sang charrie dans de sa tête au bout de ses orteils.
Il court dans le couloir qui paraît s’étendre à l’infini. Il ouvre les portes l’une après l’autre. À chaque fois, elles dévoilent des flammes voraces, brûlant tout sur leur passage.
Il ouvre des portes, encore et encore et encore et à chaque porte ouverte il est un peu plus désespéré.

Il ouvre une porte. Il ne peut rien voir derrière l’encadrement de la porte, rien, à part des ténèbres oppressantes. La voix de son petit frère provient de là. Il s’élance sans regarder derrière lui.
À un moment il est dans le couloir en flammes, l’instant d’après il est dans la cuisine de la maison de sa famille, avec la lumière douce du jour passant par la fenêtre, éclairant les grains de poussière flottant dans l’air. Il n’y a personne.

Le bruit de la chair qu’on déchire. Un cri de souffrance et son cœur s’arrête. Un rire d’une voix grave et menaçante qui lui semble familier mais il ne peut pas s’attarder dessus car NathanNathanNathan. Il se retourne.

Giovanni tient son petit frère entre ses mains. Il a un couteau entre ses mains et la lame est couverte de sang. Il sent ses doigts se refermer sur quelque chose. C’est un objet long et mou, mais l’extrémité est couverte par quelque chose de dur et rigide. Il ne veut pas regarder ce que c’est, mais, contre sa volonté, sa main s’élève, ses doigts s’ouvrent. Un frisson lui parcours le dos, ses mains se mettent à trembler. Son corps tout entier se met à trembler. Ce n’est pas réel. Ça ne peut pas être réel. Ça ne peut pas être réel et pourtant c’est là, trop intense et réel-réel-réel et il n’arrive plus à penser.
Il vomit sur le sol. Il ne peut pas respirer. La fumée lui remplit les poumons, lui brûle la gorge, et il étouffe. Il hurle. Il pleure. Il crache.
Et tout du long, la voix de Giovanni résonne autour de lui.
« Tu as intérêt à ne pas t’approcher de la police. Si tu penses une seule seconde à la prévenir, je t’enverrai le doigt de Nathan dans une petite boîte joliment enrubannée. »

La pièce est en feu.

Il relève sa tête.

Giovanni tient le couteau– non, le pistolet, contre la tempe de son frère.
Sa main s’enroule autour (du doigt de son frère) du manche du couteau à sa ceinture.
Il court.
Le couteau glisse entre les côtes de Giovanni comme dans du beurre.


*************
La sonnerie annonçant le début de la journée retentit dans les couloirs de la base. Laura était allongée sur son lit, d’épaisses cernes soulignant ses yeux. Elle n’avait pas réussi à fermer l’œil de la nuit. Elle avait essayé, pourtant, vraiment essayé, pour une fois, au lieu de tenir seulement quelques minutes avant de – comme à l’accoutumée- sortir son Motismart pour éviter les pensées, les souvenirs, les voix, qui l’envahissaient à chaque fois qu’elle restait trop longtemps seule. Mais, bien sûr, la seule nuit où elle avait vraiment envie de dormir, elle n’y arrivait pas, alors que d’habitude, elle finissait par s’endormir sans le vouloir.

Elle ne perdit pas de temps et se leva -elle n’avait pas envie de rester une minute de plus dans son lit- pour aller s’habiller. Tout en effectuant mécaniquement toutes les tâches qui constituaient sa routine du matin, et en tentant d’ignorer les protestations de ses muscles, son esprit dériva du sommeil, aux cauchemars, et de là arriva logiquement à Krys. Avait-il réussi à dormir ? Le connaissant, il avait probablement été réveillé un peu trop tôt par ses cauchemars.
Elle passa sa main, une fois, deux fois, trois fois dans ses cheveux. Ouvrit le robinet, et s’éclaboussa d’eau. Rien n’y faisait, elle était toujours aussi peu réveillée. Argh, par Arceus, ce qu’elle avait besoin de café !
Quand elle releva la tête et se regarda dans le miroir, il lui fallut bien dix secondes avant que son cerveau n’arrive à analyser ce qu’il voyait. Ses cheveux partaient dans tous les sens, et elle avait des yeux de Barpau mort. Elle poussa un long gémissement, qui ne ressemblait pas de près ou de loin à une phrase cohérente. Elle jeta un regard à la brosse posée sur le lavabo, puis regarda ses cheveux dans le miroir, décida que ça n’en valait pas la peine, et sortit de la petite salle de bain et de la chambre aussi vite que ses jambes traînant sur le sol le lui permettaient.
D’abord, café. Ensuite je commencerai à réfléchir.

*************
Sa main se resserra sur du vide. Il n’y avait pas de manche de couteau entre ses doigts. Giovanni n’était pas en face de lui. La sonnerie venant du couloir n’était pas entièrement étouffée par la porte.

La sonnerie. Son lit. Sa chambre.
Krys poussa un long soupir de soulagement. Rien de tout ce qu’il venait de voir n’était réel. Ce n’était qu’un banal cauchemar, et Nathan était en sécurité.

C’était un cauchemar et tout allait bien.
(Rien n’allait bien, il le savait, mais il ne voulait, ne pouvait pas se l’admettre. Tout allait bien. Tout allait bien. Tout allait bien car il ne pouvait pas se permettre d’aller mal.
Tout allait très, très mal.)

Au moins il avait réussi le dessin que Nathan lui avait demandé comme cadeau d’anniversaire. Il devait se concentrer sur les points positifs, ou il n’arriverait pas à tenir toute la journée.

Pour la énième fois, il maudit Giovanni par Giratina et Yveltal pour avoir interdit aux sbires d’avoir un suivi psy.

En attendant, son addiction au thé et ses dessins allaient devoir supporter son moral, et peut-être même que Nox ou Laura arriveraient à lui arracher un rire ou un sourire timide.

Krys commença à s’habiller, et se dirigea vers le lavabo pour se coiffer. Il croisa son regard dans le miroir. Apparemment, ne pas se reconnaître dans le miroir était un symptôme de la dépression. Il savait que Laura avait commencé à ne plus se reconnaître dans le miroir quelques mois après avoir été recrutée de force par Giovanni. Il ne pouvait pas vraiment dire qu’il comprenait. D’aussi loin qu’il se souvienne, il ne s’était jamais reconnu dans le miroir. Jusqu’à ce que Laura lui en ait parlé, il avait toujours cru que c’était normal. Son corps avait toujours été la marionnette qu’il bougeait pour interagir avec le monde autour de lui, et il était difficile pour lui de ressentir quoi que ce soit pour son enveloppe de chair et d’os. C’était plus facile pour lui de vivre avec son corps s’il faisait une séparation nette entre son corps et lui.
(C’était plus facile de ne pas penser à à quel point son corps était à la fois trop et pas assez et pas comme il fallait s’il faisait la différence entre les deux).

Il avait commencé à comprendre certains aspects de « ne pas se reconnaître », cependant. Il n’avait jamais reconnu son corps comme une partie de lui, mais, depuis qu’il avait commencé à travailler pour la Team Rocket – il n’avait pas remarqué exactement quand ça avait commencé – il avait du mal à se reconnaître dans ce qu’il pensait, ce qu’il faisait, et comment il voyait le monde. Il était fatigué. Il avait mal. Il avait commencé à faire la distinction entre le Krys d’avant et le Krys d’après. Il se demandait si c’était de cela que voulait parler Laura quand elle parlait de ne pas se reconnaître.

Il avait vraiment besoin de thé au lait. Et de voir Laura. Ça l’aiderait à repousser les idées noires un moment. Se sentir vide était toujours préférable à se mettre à pleurer.
(Est-ce que tu es bien sûr de ça ?)

*************
À la vue de la queue interminable qui serpentait le long du mur, menant à l’endroit où on prenait les plateaux avant de se servir, Laura hésita pendant cinq bonnes minutes pour décider si cela valait bien la peine de rester debout pendant une bonne demi-heure juste pour un café et du pain de supermarché. Elle regarda la queue, puis la table branlante -que tout le monde évitait comme la peste, et qu’elle prenait d’habitude car elle savait que personne ne s’y assiérait-, puis de nouveau la queue, puis de nouveau la table. Oui, non, ça n’en valait pas la peine.
Elle se dirigea vers la table sans rien prendre, et s’assit à sa place habituelle. Puis, elle sortit son Motismart en attendant Krys. Même si elle ne voulait pas rester debout pendant une éternité à attendre, cela ne voulait pas dire qu’elle allait manquer une opportunité de parler avec Krys.

Il avait prévu d’offrir un dessin à son petit-frère. Est-ce qu’il l’avait terminé ? Est-ce qu’il voudrait bien le lui montrer avant de l’envoyer ? Krys était très doué en dessin, et Laura était vraiment impressionnée. Elle aurait bien aimé être capable de faire la même chose, mais c’était déjà un miracle si elle arrivait à maintenir une règle droite pendant qu’elle faisait un trait. Elle n’était pas spécialiste en dessin, et elle n’était pas suffisamment intéressée par cette activité pour y mettre tout son cœur, comme le faisait Krys. Mais, quand Krys lui racontait avec excitation comment il avait fait pour dessiner ou peindre telle ou telle œuvre, son visage s’illuminait comme le soleil qui dépassait à moitié de derrière un nuage, après un orage dévastateur, et elle ne pouvait pas s’empêcher de l’écouter. Il avait l’air tellement libre quand il parlait de sa passion. Son visage s’étirait en un sourire, ses yeux scintillaient avec une lumière qui semblait venir de son cœur. Et Laura aurait été prête à se battre contre Arceus à mains nues pour protéger cette flamme de bougie du vent et de la pluie au creux de ses mains, pour l’empêcher de s’éteindre. Krys était son meilleur ami, son frère, sa famille et elle ferait tout pour lui permettre d’être heureux, pour voir de nouveau ce sourire éclairer son visage.

Un bruit la ramena à la réalité. Krys s’était assis devant elle, avec un plateau posé devant lui. Il avait pris des tartines… beaucoup de tartines, des petites plaquettes de beurre, et des barquettes de confiture, jusque-là tout était normal. Il avait aussi un bol de lait chaud, une tasse de thé au lait, et un deuxième bol de… Laura se frotta les yeux pour être sûre qu’elle avait bien vu, car ce n’était pas possible. Mais non, elle avait bien vu. Un bol de café. Krys. Café. Deux mots qui ne se retrouveraient jamais ensemble dans une phrase sans « n’aime pas le » entre les deux, même si la fin du monde arrivait et que c’était la seule manière de l’empêcher.

- Qui es-tu et dans quel placard as-tu enfermé le vrai Krys ?

Krys lui jeta un regard exaspéré, mais son petit sourire en coin trahissait son amusement. Il tendit le bras et donna une pichenette dans la visière de sa casquette d’uniforme.

- Le café est pour toi, espèce de clown ! Tu crois que je vais te laisser encore sauter le petit-déjeuner ? Lui demanda-t-il, sur un ton un peu indigné.

- Sérieusement, tu veux parler de sauter des repas, toi ? Tu es littéralement monsieur je-saute-le-dîner-deux-fois-sur trois ! La dernière fois, il a fallu que je t’apporte des sandwich venant du distributeur directement dans ta chambre à minuit pour que tu manges quelque chose !

Krys lui jeta un morceau de pain à la figure. Laura l’attrapa d’un mouvement fluide, puis mordit dedans en regardant moqueusement Krys. Immédiatement après, elle manqua de s’étouffer avec et dut boire trois verres d’eau à la suite, les larmes aux yeux, pendant que Krys se pliait en deux de rire à côté. Quand Krys arriva enfin à se calmer, il lui passa le bol de café, et la moitié des morceaux de pain, ainsi que plusieurs barquettes de confiture et de beurre. Pour être honnête Laura était reconnaissante qu’il ait pensé à elle, car elle savait qu’elle aurait irrémédiablement fini affamée bien avant midi.

- Alors, ça avance ? Lui-demanda Krys

« ça ». L’oreillette.

D’une traite, et en ponctuant ses paroles par d’amples gestes de ses mains, Laura débita :

- Aussi lentement qu’un Ramoloss avec les pattes ligotées, ça n’a pas changé. La traduction du langage Pokémon est une impasse – Comme d’habitude –, et, concernant les autres langues, c’est-à-dire ce qui est censé être dans mes capacités, tu sais, même si les traducteurs automatiques ont déjà été inventés depuis longtemps, je n’arrive pas vraiment à faire fonctionner la reconnaissance vocale pour tout. Le micro que j’utilise n’est pas de bonne qualité, et je ne sais pas si j’arriverai à en trouver un qui soit à la fois suffisamment sensible et suffisamment petit pour tenir dans l’oreillette sans avoir à me ruiner. Et-

Laura, essoufflée, dut s’arrêter en plein milieu de sa phrase. Krys la regarda d’un air à la fois amusé et attendri. Ce n’était pas la première fois qu’elle se mettait à parler à toute vitesse, comme si elle prenait le train, en particulier quand c’était un sujet qu’elle aimait beaucoup. Elle parlait parfois tellement vite qu’il devenait difficile de la suivre, surtout quand elle se perdait dans ses explications et se mettait à employer des mots plus techniques.

- Est-ce que tu as besoin de mon aide pour quelque chose ? Je sais que je ne serai probablement pas capable de faire grand-chose, mais si je peux faire quelque chose… lui proposa Krys

- Non, non tu as déjà suffisamment de choses à faire comme ça. Enfin je veux dire, il faut – (elle se mit à compter sur ses doigts) – que tu envoies le dessin à ton frère, que tu l’appelles pour lui souhaiter joyeux anniversaire de vive voix, que tu t’occupes de nourrir les Pokémon enfermés, de vérifier qu’ils sont en bonne santé, le tout en évitant de te faire attaquer, et puis tu as ton insomnie aussi… Non, hors de question que je te donne plus de travail.

- Je fais quasiment toute la liste que tu viens de me donner chaque jour, et tu as des cernes plus grandes que les miennes. Rétorqua Krys, d’un ton un peu ennuyé

- Et tu as tout le temps l’air d’un zombie, chaque jour, et c’est rare que mes cernes soient plus grandes que les tiennes.

Krys ne trouva rien à redire à ça. Il ne comprenait pas pourquoi elle s’acharnait à tout faire toute seule. Pourtant, il voulait l’aider. Et, d’accord, c’était vrai qu’il était tout le temps fatigué, et c’était aussi vrai qu’il cherchait à se distraire pour éviter de penser au cauchemar qu’il avait eu la nuit dernière, mais quand même ! Elle devait faire des pauses de temps en temps, ce qu’elle ne faisait jamais, et, à cause de ça, elle finissait épuisée et anxieuse. Il ne voulait pas la pousser, car il savait ce que ça faisait de passer des nuits blanches à ressasser des idées noires, mais il pouvait bien l’aider d’une autre manière qu’en l’écoutant et la conseillant, non ? Il avait l’impression de ne pas faire assez pour l’aider. Et d’accord, peut-être qu’ils étaient les seules personnes à pouvoir faire sortir l’autre de sa coquille, à pouvoir faire admettre la vérité à l’autre-

(« Ça va ? Tu as l’air pâle. »
« Non, ça va pas trop. »
« Tu veux en parler ? »
Non, je ne veux pas t’embêter avec mes problèmes-
« Oui. S’il-te-plaît. »)

Mais il voulait pouvoir faire plus pour elle. Maintenant, si elle voulait bien comprendre qu’elle n’avait pas à porter le monde sur ses épaules, ce serait bien. Elle lui disait sans arrêt qu’elle était là pour lui, s’il avait besoin de quelqu’un pour l’écouter, ou le distraire, ou juste s’asseoir à côté de lui pour lui tenir compagnie, mais elle avait du mal à appliquer ses propres conseils. Parfois, elle s’ouvrait à lui, mais pas souvent, pas à propos de tout, et il voyait que ça lui faisait mal, l’écrasait. Au moins elle avait arrêté de lui mentir.
(Ça va, ça va, ça va, ça va, ça va, ça va, ça va. Alors que son sourire est brisé en milliers de petits éclats, puis, enfin, Non, ça ne va pas, Krys, est-ce que tu pourrais venir dans ma chambre ce soir, regarder un film, parler, jouer à un jeu de société, ressortir ma vieille console de jeu, quelque chose ? Je ne peux pas rester seule avec moi-même.)

Et il, comme à chaque fois, il savait quoi lui dire. Il posa sa main sur son épaule, la regarda droit dans les yeux.
« N’oublie pas que je suis là pour toi, d’accord ? Tu peux venir me parler de tout ce que tu veux, et je serai toujours là. Et, par pitié, essaie de prendre des pauses de temps en temps. Je peux m’inviter si tu ne veux pas rester toute seule. »

Elle lui fit un sourire et-
« Ne t’inquiète pas, je sais. Ça te dirait de venir avec moi ce midi ? Comme ça tu pourras être sûr que je n’oublie pas de manger. »

Krys lui fit un sourire. Ses yeux étaient fatigués, et le coin de sa bouche était juste un peu trop étiré pour que ce soit sincère. C’était à peine le matin, et, déjà, ses membres étaient lourds. Il voulait arrêter de penser. Il voulait s’allonger dans son lit et se laisser sombrer. Il voulait fixer le plafond pendant des heures en n’ayant pas conscience du temps qui passait. Il voulait que tout s’arrête.
Il ne savait pas ce qu’il voulait.
Il voulait- Il voulait- Il voulait- (les flammes, le sang, le couteau, Nathan)

Ses yeux retrouvèrent ceux de Laura, et il se rendit compte qu’elle attendait toujours une réponse. Elle avait l’air inquiète. Elle ne devrait pas être inquiète pour lui.
(Il ne le méritait pas– Il ne le méritait pas– Il ne la méritait pas–
Non
Laura lui dirait qu’il le méritait.)

Il regarda Laura dans les yeux. C’était réel. Elle était réelle. Elle était réelle et elle était .
(Il ne voulait pas être seul.
Il voulait Laura. Il voulait Nathan. Il voulait Maman. Il voulait Papa.)


Laura était là pour lui. Il serait là pour elle.
- Ça me va ! À midi, alors ? Lui dit-il, une étincelle dans son regard, braises d’un ancien feu depuis longtemps étouffé rougeoyant parmi les cendres de celui qu’il avait été.
(Elles brillaient, et brillaient, et brillaient. Elles refusaient de s’éteindre.
Un jour il arriverait à souffler dessus suffisamment fort pour les faire brûler à nouveau)

Laura lui fit un grand sourire, un vrai sourire, un sourire sincère, et, inconsciemment, il sentit ses lèvres faire la même chose. Puis, il se leva de sa chaise, lança un bref « À toute ! » à Laura et se dirigea vers la sortie. Il avait des Pokémon à nourrir.

*************
Yuro fut réveillé par des bruits étouffés provenant de derrière la lourde porte en métal. Quand il ouvrit les yeux, la première chose qu’il vit fut le plafond gris couvert de tâches d’humidité. La première pensée qui lui traversa l’esprit fut la réalisation que ce n’était pas chez lui. Les murs étaient trop lisses, il n’y avait pas de pépiement des Roucools provenant de l’extérieur, pas de vent s’engouffrant par l’entrée de la grotte.
Ce n’était pas un cauchemar.
Il se sentit soudain épuisé, comme si toute son énergie l’avait quitté d’un seul coup. Si rien de tout ça était un rêve, si tout ça était réel, alors…
Il ne reverrait jamais l’extérieur. Il ne reverrait jamais sa sœur. Il ne reverrait jamais ses parents. Il ne rentrerait jamais chez lui. Autant s’allonger et se laisser mourir.

Il posa sa tête sur ses pattes de devant, et ferma les yeux. La chaleur qui diffusait dans son côté gauche était plaisante. Peut-être qu’il arriverait à s’endormir. Peut-être que ça lui permettrait de rendre cette expérience un peu moins horrible. Mais… d’où provenait cette chaleur ? Il doutait que les murs fussent chauffés, et était sûr qu’ils n’auraient pas été si confortables. C’était presque comme quand– il releva brusquement la tête. C’est presque comme quand maman me laissait encore dormir contre son flanc. Hé mais, une minute. Où est passée Émelie ?

Lentement, il tourna la tête à gauche. Et, sans grande surprise, là, contre son flanc, se trouvait la grande silhouette de la Némélios couleur sable. Il la fusilla du regard, en essayant de lui transmettre rien que par son regard qu’il voulait rester seul. Émelie lui jeta un regard en coin, parut hésiter pendant quelques secondes, puis, elle se releva en poussant un long soupir. Immédiatement, le froid saisit les muscles de Yuro. Il regrettait déjà d’avoir essayé de faire partir Émelie. Puis, il se réprimanda de nouveau d’avoir seulement pensé à lui demander de revenir. Tout le monde finissait par l’abandonner, et personne ne l’aimait vraiment, donc, quitte à se faire abandonner, autant se faire abandonner tout de suite, avant d’avoir eu le temps de s’attacher. Avant qu’il prenne le risque de se faire mal.

De toute façon, il n’aurait fait que l’entraîner dans ses propres problèmes, et la faire sombrer avec lui. Quelque chose n’était pas normal chez lui, quelque chose qui poussait les autres à s’éloigner, à murmurer dans son dos, à le dévisager comme s’il était une bête de foire. Et si encore ça avait quelque chose à voir avec sa couleur inhabituelle, au moins il aurait pu se consoler en se disant que c’était à cause de quelque chose d’externe, n’ayant aucun lien avec lui, mais ça n’était même pas à cause de ça. Le problème était dans son comportement, dans comment il parlait, comment il marchait, comment il réagissait au monde autour de lui, et pire de tout, il ne savait pas comment faire semblant d’être quelqu’un qu’il n’était pas.
Il ne savait pas comment faire pour qu’ils le considèrent comme l’un des leurs.

Le bruit de quelque chose raclant contre le sol lui fit brusquement relever la tête. Émelie était là, devant lui, et avait poussé avec son museau des… récipients ? Jusque devant sa truffe.
Il jeta un regard ennuyé à Émelie. Elle poussa un peu plus les récipients, jusqu’à ce qu’ils touchent son museau. Elle n’abandonnait jamais ! En poussant un long soupir indiquant qu’il n’aimait vraiment, mais alors vraiment pas lui obéir, il se s’assit péniblement pour regarder leur contenu. Dans l’un des deux, il y avait de l’eau, et dans l’autre, il y avait des morceaux de… quelque chose. Il n’avait jamais vu ça auparavant, mais, si c’était là-dedans, alors c’était probablement l’idée que se faisaient les humains de ce que les Pokémon mangeaient. Il ne savait pas si ça valait le coup de se sentir offensé. Il ne savait pas s’il en aurait été capable, si cela avait été le cas. Il ne savait pas s’il avait envie de manger la nourriture, pour savoir si elle était appétissante ou non. Dans une autre situation, il aurait probablement été curieux. Il avait tendance à être curieux, avant – Les-regards-les-rumeurs-les-murmures-les-coups– (non, arrête, arrête, arrête arrête)
inspire. Expire. Inspire. Expire
Avant.
Il n’était plus curieux maintenant. Il n’était plus sûr de ce qu’il était maintenant. Il ne voulait pas manger. Il avait faim, mais il ne voulait pas manger. Son estomac grondait, mais il ne voulait pas parce qu’il ne voulait pas bouger, il ne voulait pas faire l’effort, il ne voulait pas vivre mais il avait trop peur pour y faire quelque chose.

Il était tellement perdu dans ses pensées qu’il ne sentit pas Émelie s’asseoir à côté de lui. En revanche, quand, après un silence, elle prit la parole, il sursauta immédiatement.

- Yuro ? Est-ce que tu pourrais essayer de manger un peu, s’il-te-plaît ?

Sa voix était douce, son regarda attentionné. Elle attendait patiemment une réponse, et Yuro… Yuro se dit qu’il pouvait bien manger un peu, pour cette fois seulement. Émelie était gentille avec lui. Émelie l’avait aidé quand il avait paniqué. Sans elle, il aurait été tout seul. Il ne s’imaginait pas être capable de le supporter s’il avait été tout seul enfermé entre quatre murs. Il la regarda, et, pour la première fois depuis qu’il s’était réveillé, il ressentit une émotion faire trembler son corps, et dévaster tout sur son passage. S’il-te-plaît, ne me laisse pas. Il ne le dit pas à voix haute, mais quelque chose de désespéré avait dû apparaître dans son regard, car Émelie lui fit un sourire compréhensif, et se blottit un peu plus contre lui, et se mit à ronronner. Yuro enfouit son museau dans la fourrure de la Némélios et pleura.

Cette fois, quand Émelie approcha de nouveau les gamelles, Yuro commença à mâchonner sur un des granules. Il n’avait aucun goût, mais au moins il n’était pas infect. Ça aurait pu être pire. Ha ! Il n’arrivait même pas à se mentir à lui-même. Il aurait voulu pouvoir se mentir. Il aurait tellement voulu pouvoir se mentir. Ça pourrait difficilement être pire.

Émelie commença à faire sa toilette à côté de lui, et Yuro se dit que peut-être, il devait le faire lui-aussi. Il lui fallut en tout et pour tout cinq secondes pour décider qu’il n’en avait pas envie, et recommença à grignoter. Il ne restait plus beaucoup de croquettes. Il n’y en avait déjà pas beaucoup quand il avait commencé à manger. Est-ce qu’il était en train de manger les croquettes d’Émelie ? Il devrait arrêter. Mais Émelie lui avait demandé de les manger.
Il reprit un des granules.

La porte de la cage s’ouvrit avec un horrible grincement.

*************
Émelie releva brusquement la tête au bruit de la porte. C’était l’heure à laquelle les humains venaient les nourrir. Elle jura intérieurement. Quelle idiote elle faisait, elle aurait dû prévenir Yuro !
Mais il avait l’air tellement triste et tellement fatigué, comme elle dans ses premiers mois qu’elle avait passés dans cette cage. Il serait probablement terrifié. Elle regarda frénétiquement tous les détails du visage de l’humain qui venait d’entrer, cherchant le moindre signe d’agression, mais n’en trouva aucun. Lentement, ses muscles se relâchèrent. Peau marron, cheveux noirs, yeux verts. Elle connaissait cet humain. Depuis le temps, elle les connaissait tous. Il s’appelait Krys, si sa mémoire était bonne. Il n’était pas dangereux, il n’avait juste jamais vraiment l’air d’être présent. Il avait aussi l’air de ne pas bien dormir (c’était probablement le cas). Cela ne l’empêcha pas de lentement se placer entre Yuro et l’humain. Elle ne grognait pas, mais ses yeux suivaient le moindre des mouvements de Krys. Krys regarda Émelie, puis Yuro, puis son regard revint sur Émelie. Son expression se tordit en quelque chose d’indéchiffrable, puis, il lui offrit un sourire triste. Son cœur n’y était pas, ça se voyait. Émelie n’avait pas vraiment envie de s’approcher d’une des personnes qui la maintenait enfermée ici, et pourtant, elle eut un petit pincement au cœur. Parfois, il paraissait aussi enfermé qu’elle.

Krys lui fit un mouvement de la tête, indiquant les gamelles qui étaient toujours devant le museau de Yuro. Yuro, au moment où le regard de Krys se posa sur lui, se figea comme une statue, puis recula très rapidement de plusieurs pas. Émelie fit un long détour pour passer à côté de Yuro, et lui murmura à l’oreille qu’il était en sécurité, que Krys ne lui ferait pas de mal, qu’elle le protègerait, et les tremblements de Yuro cessèrent peu à peu. Puis, elle donna un coup de patte dans les gamelles pour les faire glisser jusqu’aux pieds de Krys. Krys, ayant bien compris qu’il n’avait pas intérêt à trop s’approcher, remplit les gamelles d’eau et de croquettes, puis fit de même avec deux autres gamelles qu’il avait sorti de son sac, et puis, en faisant attention à ne faire aucun mouvement brusque, il sortit de la salle.

Yuro poussa un long soupir de soulagement, et jeta un regard reconnaissant à Émelie, qui lui fit un sourire, puis s’allongea à côté de Yuro, en l’invitant à faire de même d’un mouvement de tête. Le jeune Absol était de toute évidence traumatisé (ce qui n’était pas le moins du monde surprenant) et elle ne savait pas comment réagir, mis à part essayer d’adapter certaines méthodes qui avaient fonctionné avec plus ou moins d’efficacité pour elle. Elle voulait le réconforter, elle voulait être là pour lui, elle voulait l’aider, mais elle n’avait jamais eu de portée, ne s’était jamais occupée de jeunes Pokémon avant, encore moins de jeunes Pokémon ayant vécu une expérience traumatique. Elle n’était pas taillée pour ça, et elle ne savait pas comment faire.

Yuro s’allongea à côté d’elle, puis il lui jeta un regard du coin de l’œil, et poussa long et profond soupir qui semblait contenir tout l’épuisement du monde. Un long silence passa. Yuro ouvrit la bouche, parut hésiter, la referma, puis la rouvrit de nouveau.

- Depuis combien de temps as-tu été enfermée ici ?

C’était une question à laquelle Émelie ne voulait pas répondre. Elle n’avait vraiment pas envie de se remémorer les souvenirs de sa capture, et elle ne voulait pas effrayer encore plus Yuro. Certaines choses étaient trop difficiles à dire, et certaines choses étaient trop difficiles à entendre, et il y avait une certaine manière d’adapter la façon dont on amenait les propos selon l’âge de l’interlocuteur. Émelie était de l’avis qu’il ne fallait pas cacher certaines choses à un enfant au risque de perdre sa confiance. Émelie pensait aussi qu’il était facile d’utiliser cette excuse pour se servir de ses enfants comme de son psy, et de leur faire porter un poids, le poids des problèmes de quelqu’un d’autre, qu’ils n’étaient pas censés porter sur leur frêles épaules. Que s’ils vous disaient « s’il-te-plaît, je ne me sens pas capable d’écouter cette histoire et j’aimerais que tu arrêtes de m’en parler. » la moindre des choses était de ne pas en parler. Émelie n’avait aucune idée de comment amener la réponse d’une manière qui ne soit pas horrible, et elle ne voulait pas briser tous les espoirs de Yuro.
Émelie accordait une grande importance à l’honnêteté.
(Un regard d’acier. « S’il te plaît, ne me mens pas »
Yuro aussi accordait une grande importance à l’honnêteté.
Inspire. Expire. Tu peux le faire.
Ne regarde pas en arrière)

- Ça fait plus de dix ans, répondit Émelie, en regardant droit devant elle, en essayant de cacher le tremblement dans sa voix, le reflet des larmes dans ses yeux. - je me suis fait capturer à Kanto, et ils m’ont déplacée jusqu’ici quand ils ont déménagé à Johto.

C’était ce qu’il lui avait demandé. Est-ce que c’était bien ? Est-ce qu’elle en avait trop dit ? Est-ce qu’elle l’avait bien dit ? Est-ce qu’elle aurait dû le dire autrement ? Est-ce qu’il avait vu ses larmes?

Il la regarda, et elle vit son expression se briser, ses larmes couler, et les sanglots faisant trembler ses épaules. Il s’allongea sur ses pattes avant, et se mit à pleurer silencieusement. Émelie chercha désespérément quelque chose, n’importe quoi qui pourrait l’aider, le faire se sentir mieux, ou le distraire. Qu’est-ce quelle pouvait faire ? Qu’est-ce qu’elle savait faire ?

- Dis, Yuro ? Qu’est-ce que tu dirais d’une histoire ?

*************
Krys marcha jusqu’à la cafétéria comme dans un brouillard. Perdu dans ses pensées, il ne voyait pas le sol sous ses pieds, ne voyait pas les murs du couloir. Il n’arrivait pas à effacer de son esprit la manière dont l’Absol l’avait regardé. Tellement terrifié, comme si, au moindre mouvement, Krys allait le tuer. Et la manière dont la Némélios s’était interposée entre eux, déterminée et inébranlable. Il y pensait trop, il le savait. Il mettait les autres avant lui-même, et c’était pourtant pour cette raison qu’il était tellement facile de menacer les personnes qu’il aimait et de lui faire faire n’importe quoi. Il était censé être un éleveur, normalement ! Et il était là, à enfermer des Pokémon dans des cages et à participer à du trafic illégal parce que Giovanni avait entre ses mains la vie des personnes à qui il tenait le plus. Ce qu’il faisait allait à l’encontre de tout ce qu’il voulait, tout ce qu’il était, et il ne pouvait pas y faire quoi que ce soit. Sauf qu’il pouvait, il pouvait, mais il avait peur pour sa famille. Est-ce que ça faisait de lui une mauvaise personne ? Sacrifier quelqu’un pour sauver quelqu’un d’autre ? Sacrifier quelqu’un qu’il ne connaissait pas pour sauver quelqu’un qu’il connaissait, parce qu’il accordait plus d’importance à la personne qu’il connaissait, alors que leur vie n’avait pas plus de valeur que celle de quelqu’un d’autre ? Parfois son esprit pouvait s’attarder sur des pensées sombres et s’enrouler autour de lui-même, tourner en rond comme un escalier qui descendait, descendait, descendait.
Il détestait son esprit. Au moins il ne mangerait pas tout seul ce midi.

Quand il arriva à la cafétéria, sans grande surprise, une queue interminable l’attendait. Immédiatement, il fut pris de l’envie de faire demi-tour. Il poussa un long soupir. Mais, non, il ne devait pas. S’il faisait ça, il s’en voudrait plus tard pour avoir laissé tomber Laura, et pour être parti le ventre vide. En parlant de Laura, où était-elle ? Elle finissait en général un peu plus tôt que lui avant midi, elle devrait être en train de l’attendre quelque part. Il la chercha du regard. Elle était effectivement déjà là, appuyée contre le mur, un casque sur ses oreilles, sa tête bougeant de haut en bas au rythme d’une musique inaudible aux oreilles de Krys, les yeux perdus dans le vide. Il rit silencieusement. Pourquoi est-ce que ça ne l’étonnait pas ? Le mouvement de ses épaules avait dû alerter Laura, parce qu’elle releva la tête, son regard se fixant fermement sur celui de Krys, et elle leva un sourcil, faisant semblant d’être offensée. Elle ne put tenir que quelques secondes avant de lui faire un grand sourire, le coin de ses yeux se plissant avec le mouvement.

Krys ne savait pas pourquoi, ni comment, mais il se sentait un peu mieux, un peu moins lourd quand il était à côté de Laura. Ses épaules se redressaient, et il se sentait moins vide. Le monde autour de lui lui paraissait vivant comme il ne l’avait pas été depuis très longtemps. Il avait besoin de quelqu’un qui le comprenait.

En quelques pas, Laura se plaça dans la queue, et lui fit signe de le rejoindre. Il s’exécuta d’un pas léger.
(Il n’était plus seul)

*************
Laura n’arrivait pas à rester en place. Debout dans la queue, elle se balançait d’avant en arrière sur ses pieds, les mains fourrées dans les poches de son pantalon, le regard sautant d’un endroit à un autre sans jamais se fixer trop longtemps sur une seule chose.
L’attente lui paraissait interminable. Alors que, le matin et le soir, les sbires qui vivaient pas loin mangeaient chez eux, presque tout le monde mangeait sur place le midi. Au moins elle n’avait pas à attendre seule. Elle balaya Krys du regard. Il avait l’air plus stressé que d’habitude. Est-ce que c’était parce qu’il stressait pour l’appel qu’il ferait à sa famille ? Le connaissant, c’était très probable que ce soit pour ça, mais ça aurait pu être en rapport avec son sentiment de culpabilité. Ce ne serait pas la première fois. Elle regarda ses cernes, ses yeux fatigués, ses épaules baissées.

- Hé, est-ce que tu vas bien ? Lui demanda-t-elle

Krys la regarda dans les yeux pendant quelques secondes qui parurent être une éternité, puis détourna le regard. Son pouce traçait des cercles concentriques sur le plateau qu’il tenait. Puis, il poussa un long soupir en fermant les yeux.

- Non. Non, pas vraiment.

Des larmes brillaient dans ses yeux. Il prit une inspiration, il expira mais c’était tremblant et trop rapide et Laura savait qu’il avait besoin d’aide, tout de suite. Il ne voudrait probablement pas se mettre à parler de ce qui le dérangeait en plein milieu de la cafétéria. Ce n’était pas grave. Plus tard, ils pourraient le faire plus tard. Une chose à la fois, Laura.
(Un pas après l’autre.
Ne regarde pas en arrière.)
Elle s’approcha lentement de Krys, lui apportant silencieusement son réconfort s’il le voulait. Immédiatement, Krys posa sa tête contre son épaule. C’était une position étrange, côte à côte, les bras encombrés de leurs plateaux, mais ils se débrouilleraient. Krys prit une profonde inspiration, releva sa tête, et cette fois, bien que ses yeux fussent encore en train de briller, il ne tremblait plus.

- Est-ce qu’on pourra en parler ? Une fois qu’on se sera installés, je veux dire.

Laura sourit. Voilà une question à laquelle elle savait répondre.

- Évidemment.

Il lui fit un grand sourire. Il paraissait un peu forcé. Et pourtant. Et pourtant, et pourtant,
(Il paraissait un peu vrai.)

Ils discutèrent durant toute l’attente, et, une fois installés, Krys fouilla dans son sac et en sortit…
Évidemment. Son thermos de thé au lait. Laura, haussant un sourcil, lui jeta un regard peu impressionné. Plus le temps passait, plus Laura pensait qu’il ne s’en séparait jamais.

Il remplit son verre de thé, et souffla dessus pour le refroidir. Comment était-il encore chaud ? Est-ce que Nox utilisait Lance-Flammes pour le réchauffer ? Est-ce que les Noctali pouvaient même apprendre Lance-Flammes ? Non, ils ne pouvaient pas. Est-ce que Krys était secrètement un Zoroark et utilisait Lance-Flammes pour réchauffer son thé ?
… Elle manquait vraiment de sommeil. Et puis, Krys n’aurait jamais utilisé Lance-Flammes, même s’il avait été un Zoroark. Dirait probablement quelque chose du genre « c’est vraiment pas sécurisé » puis éteindrait toutes les bougies qu’il verrait sur son chemin (Essaie de ne pas de disperser, Laura. Krys a besoin de toi)

Puis, Krys prit la parole.

- Ils me regardent comme si j’étais un monstre.

Les Pokémon, donc. Ce n’était pas la première fois qu’il lui racontait avoir du mal à être dans la même cage qu’eux, à supporter la manière dont ils le regardaient.
- Tu n’es pas un monstre, tu es au courant de ça, quand même ? Tu me l’as dit toi-même, tu n’as pas envie d’enfermer des Pokémon, tu as juste peur. C’est très humain, comme réaction. Tu as peur pour ta famille, c’est normal. Enfin, pas que je sache ce que ça fait, bien sûr. - (Elle grimaça aux souvenirs désagréables que cette réflexion faisait remonter) – mais, ce qui est sûr, c’est que si quelqu’un te menaçait et me demandait de faire quelque chose d’affreusement immoral, je ne choisirai pas de te laisser mourir. Et Giovanni est très sérieux à propos de ses menaces. (Elle illustra ses propos en empalant un morceau de viande de Tauros sur sa fourchette. Krys regarda le morceau de viande avec répulsion.)

- C’est pas vraiment très moral ce que tu viens de dire, lui fit remarquer Krys

- Tenir à sa morale ne fait pas vraiment partie des critères d’embauche dans la Team Rocket, rétorqua Laura.

- Mais… Mais c’est mal !

Krys n’était pas énervé, pas vraiment. Il avait juste du mal à comprendre pourquoi quelqu’un serait prêt à tout faire pour quelqu’un comme lui. Anxieux, dépressif, et juste pas assez doué pour qu’il en vaille la peine.

- Et te laisser mourir sans rien faire, ce serait bien, peut-être ? Est-ce que si les rôles étaient inversés tu ne ferais pas la même chose que moi ?

Elle ne comprenait pas. Il devait lui faire comprendre.

- Si, mais… Mais c’est pas la même chose, Laura ! Tu vaux quelque chose, toi !

Laura haussa un sourcil. Elle allait vraiment devoir lui expliquer ça ? Elle prit son verre, vida son contenu d’un trait, et regarda Krys droit dans les yeux.

- Tu vois, c’est ça, ton problème. Tu es une bonne personne, Krys. Aie un peu confiance en toi. Tu n’as pas besoin de mériter l’amour que les gens te donnent. Tes parents t’aiment. Ton petit frère t’aime. Moi je t’aime.

- Mais… Mais pourquoi ?

- Je viens de te le dire. C’est mal, d’accord. Mais on menace des membres de ta famille pour que tu obéisses, pour moi c’est loin d’être une situation dans laquelle tu as un choix.

Krys resta là, à regarder Laura, pendant une bonne minute avant de pousser un long soupir. Il savait, il savait, que, logiquement, il n’avait pas à être parfait pour les autres, il savait, logiquement, qu’il n’avait pas à mériter l’amour pour qu’on le lui donne. S’il avait n’importe quelle autre personne en face de lui, n’importe qui lui faisant le même discours qu’il venait de faire à Laura, il aurait eu la même réaction que Laura. Et pourtant, pourtant, il y avait toujours un écart entre ce qu’il savait en théorie et ce qu’il appliquait à lui-même, et il n’arrivait toujours pas à se débarrasser de ses doutes, peu importe le temps qu’il y passait…

Mais, pour son propre bien, il devait essayer. Essayer d’arrêter de se détester. Essayer d’arrêter de se demander pourquoi les autres l’aimaient. Essayer d’arrêter de penser qu’il ne méritait pas d’avoir des amis, une famille. Si toutes ces personnes avaient choisi de rester avec lui, il n’était pas en train de les forcer à rester. Il n’était pas en train de les forcer à l’aimer.

(Inspire. Expire. Tout ira bien.)

- J’ai peur, avoua-t-il d’une voix tremblante. Je vais devoir parler à mes parents, et à mon petit frère, et je vais devoir faire comme si tout allait bien. Je ne peux rien leur dire. Je n’ai pas envie de leur mentir. J’ai peur, Laura.

Laura le regarda pendant de longues secondes, la main sur sa bouche, les sourcils froncés, pensive. Elle ne savait pas quoi lui dire. Elle ne savait pas quoi faire. Elle n’avait jamais eu de relation normale avec sa famille. Il serait même plus vrai de dire qu’elle n’avait pas eu de relation tout court avec eux. Elle commençait à peine à comprendre à quel point sa relation avec sa famille était anormale, à démêler le vrai du faux, et elle ne s’en rendait compte qu’en comparant ses parents (ses « parents ») à ceux de Krys. Comment pouvait-elle lui donner des conseils quand elle ne savait pas comment une famille normale se comportait ?

Krys leva ses yeux rougis vers elle, et elle savait qu’il savait à quoi elle pensait. Il lui fit un sourire, mais ils savaient tous deux qu’il était faux.
Elle ne pouvait pas le laisser comme ça. Il fallait au moins qu’elle essaie. Mais peu importe ce qu’elle disait, ce ne serait jamais assez, jamais approprié, jamais ce qu’il fallait. Mais il fallait qu’elle dise quelque chose.

- Tout ira bien. Ça se passera bien, tu verras.

(Mensonges.
Ce n’est pas assez et il le sait et vous le savez tous les deux et ça va mal se passer et il va aller encore plus mal à cause de toi-)

-… Et, si ça ne se passait pas bien… Tu serais là pour moi ? Lui demanda Krys d’une petite voix.

- Oui. Oui, oui, oui, évidemment que je serai là. Est-ce que tu veux que je passe te voir avant le dîner ?

Sans dite un mot, Krys hocha la tête. C’était un oui.
(C’était un oui s’il-te-plaît ne me laisse pas tout seul.)
Ça, elle pouvait faire. Ça, elle savait faire.
(Il y avait trop de choses qu’elle ne savait pas faire)

- Est-ce que… tu veux un câlin ? Tu as l’air d’en avoir besoin. Et, je ne suis pas très douée pour parler de ce genre de choses, alors...

Krys la regarda d’un air désabusé. Il fit un grand geste de ses bras, englobant la cafétéria, les gens assis aux autres tables qui faisaient de leur mieux pour garder leurs yeux rivés sur leur repas tout en leur lançant des regards en coin, ceux qui ne se cachaient même pas et qui les dévisageaient, et ceux qui n’en avaient absolument rien à faire. Puis, il lui fit signe de venir, en se relevant. À peine eut-elle franchit la distance qui les séparait que Krys l’enlaça dans ses bras. Elle lui rendit immédiatement son étreinte, et traça lentement des cercles dans son dos avec sa main. Elle sentait son dos trembler entre ses mains, et entendait ses sanglots juste à côté de son oreille.

Tout du long, pas un mot ne fut échangé, juste deux personnes qui s’accrochaient désespérément l’une à l’autre, seules au monde. Ils étaient serrés si forts l’un contre l’autre qu’il était difficile de les distinguer l’un de l’autre, dans leurs uniformes gris sombre. Leurs poings étaient serrés autour de l’uniforme de l’autre, comme s’ils avaient peur qu’on les arrache de leur étreinte. Laura ne se rendit compte qu’elle avait commencé à pleurer que quand elle sentit le tissu rugueux de l’uniforme de Krys contre sa joue s’imbiber de ses larmes.

Quand ils se séparèrent enfin, Krys avait les yeux rougis, mais un sourire prudent étirait ses lèvres. Pas un sourire heureux, non, il était loin d’être heureux. Mais c’était quelque chose. La lumière dansait dans son regard, et ce tout petit sourire, fragile et éphémère, illuminait les alentours et faisait naître en Laura quelque chose ressemblant à de l’espoir.

*************
Krys se tenait devant son armoire, en train de regarder les quelques tenues de civil qu’il avait pu emporter quand la Team Rocket s’était relocalisée à Johto. Il avait eu du mal à expliquer son départ précipité à ses parents, et n’avait pas réussi depuis à faire taire leurs soupçons que quelque chose n’allait pas. Ils savaient qu’il leur cachait quelque chose, ils savaient qu’il allait mal, et ils essayaient de le pousser à le leur dire. Il voulait tellement se confier à eux, leur raconter ses inquiétudes, la peur, les menaces, mais il ne pouvait pas. Sa main passait sur le bord des vêtements suspendus entre les uniformes, essayant de s’empêcher de partir, de s’accrocher à la réalité par la sensation du tissu sous sa main, sur sa paume, entre ses doigts serrés en poing, sous ses ongles pendant que sa main tremblait, alors que ses yeux étaient perdus, regardant à l’horizon sans rien voir.

La sensation de quelque chose d’humide poussant sa main gauche le ramena à la réalité. Nox poussait sa main avec son museau, ses pupilles dilatées par l’inquiétude. Avec un petit rire qui sonnait faux, Krys se baissa pour caresser la tête de Nox, qui se mit immédiatement à ronronner en espérant le rassurer. Cela ne marcha qu’à moitié.

Krys se décida finalement pour une simple chemise blanche, et un Jeans noir. Il avait mis une couche de vêtements en trop ce matin en pensant à tort qu’il risquait d’avoir froid, et mettre une chemise plus légère était un soulagement. Il cacha son uniforme hors du champ de vision de la webcam de son ordinateur. Il ne faudrait pas que sa famille le voie. Alors qu’il s’étirait, son Motismart vibra dans sa poche. Il n’avait pas donné son numéro personnel à beaucoup de monde, c’était donc soit sa famille, soit Laura. Il déverrouilla son Motismart, et ce qu’il vit lui arracha un petit rire. C’était un dessin de qualité douteuse le représentant en train de poursuivre sa Noctali après que celle-ci lui ait volé sa casquette. C’était la scène qui avait accueilli Laura la première fois qu’il l’avait invitée dans sa chambre pour une soirée cinéma, un dimanche.

Il passa ses cheveux derrière ses oreilles, et passa plusieurs fois sa main dans ses cheveux. C’était plus par nervosité que par un désir de paraître présentable. Il inspira, (un, deux, trois, quatre) et expira (un, deux, trois), puis s’assit à son bureau. Il s’empara du dessin qu’il avait fait pour son frère. Est-ce qu’il l’avait montré à Laura, déjà ?… Non, pas encore. Rapidement, il prit une photo du dessin et l’envoya à Laura. C’était un dessin de Nox et de Diana, la Mentali de Nathan, allongées l’une en face de l’autre, se regardant droit dans les yeux, leurs museaux se touchant. Il avait été fait sur une feuille épaisse, et Krys avait utilisé des crayons aquarelle pour le colorier.
Le dessin était réussi, mais Krys ne pouvait s’empêcher de repérer chaque petite imperfection qui serait passée inaperçue pour un œil moins aguerri. Est-ce que ce brin d’herbe n’était pas un peu trop courbé ? Est-ce que le reflet dans les poils de Diana avait la bonne forme ? Est-ce que Diana n’était pas un tout petit peu trop petite par rapport à Nox ? Est-ce que Nathan s’en rendrait compte ? Est-ce qu’il serait déçu, mais n’oserait pas le lui dire ? Et si ses parents lui posaient des questions ? Et s’il laissait s’échapper des informations ? Et si quelqu’un qui passait dans le couloir l’entendait ? Et si Giovanni l’apprenait ?
(Et s’il recevait un jour une petite boîte et que quand il l’ouvrait...)
Il ne pouvait plus respirer. Son cœur s’affolait dans sa poitrine, il ne pouvait plus respirer-il ne pouvait plus respirer-il ne pouvait plus respirer-il-

Sa main agrippa de toute ses forces le bord de son bureau son autre à son cou. Plié en deux, il haletait, il– (inhale la fumée, tousse, s’étouffe pendant que Nathan appelle à l’aide et ses jambes brûlent–)
Des aboiements. Nox.
Nox ?
Nox.
Nox était en train d’aboyer. Nox était à côté de lui, et était en train d’aboyer.
Sa main était agrippée au bureau qui n’était pas en train de brûler, Dans sa chambre qui n’était pas en train de brûler, et il s’apprêtait à appeler Nathan à qui il ne manquait pas de doigts.
Il était en sécurité. Nathan était en sécurité.
(Inspire, Un, deux, trois, quatre. Expire.)
Il n’y avait pas de feu.
Il pouvait respirer.

Sa main relâcha le bord de la table. Ses doigts tremblaient. Il pouvait respirer.
Il respira.

Il pouvait le faire. Il était venu pour faire ça. Il pouvait le faire, alors il s’assit. Nox sauta immédiatement sur ses genoux, s’allongea, et ne bougea pas. Elle le regardait d’un air inquiet, et poussa son front contre son ventre. Nathan, répondant à la demande inaudible de Nox, se mit à la caresser son dos. Ses mains arrêtèrent petit à petit de trembler.

Il ouvrit son ordinateur, et lança un appel vidéo.

*************
Silver marchait dans les couloirs, comme il en avait l’habitude en début d’après-midi, pour essayer de tromper son ennui. Comme d’habitude, cela ne marchait pas vraiment. Son plan d’aller « instiller la peur dans les yeux de ses subordonnés » comme le disait son père -il aurait dû lui demander ce que « instiller » voulait dire- n’avait pas marché. Ce n’était pas facile de faire peur à Laura ; La seule chose qui arrivait systématiquement à lui faire, peur, c’était son père. Ce n’était pas juste, pourquoi est-ce que tout le monde avait peur de son père, mais personne n’avait peur de lui, hein ? Il savait faire la voix mielleuse puis d’un coup dure comme de l’acier de Papa, les mots tranchants de papa, le regard-de-la-mort de Papa, alors pourquoi est-ce que personne ne le respectait ? Pourtant, il faisait tout bien, il cochait toutes les cases ! Est-ce que c’était parce qu’il était petit ? Il pouvait être fort. Il pouvait être intimidant. Il pouvait être comme Papa, alors pourquoi est-ce qu’il n’arrivait pas à faire peur sans mentionner son père ?

Il donna un coup de pied dans un mur, mais s’arrêta au dernier moment pour éviter de se faire mal au pied.

Il voulait bien faire les choses, il voulait être capable de faire les choses, il devrait être capable d’impressionner Papa ! Il avait visité tous les recoins de la base et catalogué tous les endroits qui feraient des bonnes cachettes quelques jours seulement après le déménagement à Johto pour impressionner Papa.
Il avait fait un joli dessin pour impressionner Papa.

Il avait été responsable et avait continué à apprendre à lire tout seul comme un grand quand Maman était tombée malade et qu’elle avait dû aller à l’hôpital. Il avait été fort et il n’avait pas pleuré quand l’hôpital avait appelé. Il était allé toquer jour après jour à la porte du bureau de Papa quand Papa avait arrêté de prendre des pauses et refusait de dormir ou de sortir. Il avait appris à faire du café pour que Papa le laisse entrer et lui dise merci. Il avait été fort et il avait été responsable et il avait été courageux et il avait gardé le dos droit, il avait été un bon fils, alors pourquoi est-ce que Papa ne lui parlait pas ? Qu’est-ce qu’il ne faisait pas bien ?

(Non, ne pleure pas, espèce d’idiot ! Pleurer, c’est pour les faibles. Tu peux pas pleurer en plein milieu du couloir, où n’importe qui pourrait te voir. Maman ne voudrait pas que tu sois triste.)

Il avait forcément fait une erreur quelque part. Il pouvait mieux faire. S’il s’appliquait suffisamment, Papa serait fier de lui. Papa lui manquait.

Les larmes lui venaient aux yeux, et peu importe ce qu’il faisait, il savait qu’il n’arriverait pas à les retenir. Il ne pouvait pas laisser quelqu’un le voir comme ça. La vision brouillée par ses larmes, il se mit à courir dans les couloirs qu’il connaissait par cœur, tournant, une fois, deux fois, trois fois, passant par ce passage peu fréquenté, cette galerie qui était tellement étroite qu’il n’était même pas sûr qu’elle était censée être empruntée, enjambant des tuyaux de chauffage en métal brûlant.
(Tu vaux mieux que ça)
Il se faufila entre les machineries contrôlant le système de surveillance. L’air était chaud et humide, et il se repérait aux lumières clignotantes des ordinateurs. La salle était plongée dans le noir. Au loin, il entendait des ventilateurs tourner à plein régime. Personne ne venait jamais ici. Enfin, personne à part lui.
Il ouvrit une lourde porte métallique en dessous de laquelle filtrait de la lumière en s’appuyant de toutes ses forces dessus.

Le vent lui fouetta le visage. C’était son petit coin de dehors, son endroit secret. Un carré de quelques mètres de côtés, coincé entre quatre bâtiments. Un arbre, un banc, un sol boueux avec quelques carrés d’herbe par-ci par-là.
Ici, personne ne le verrait pleurer. Il avança lentement, comme par peur de perturber le silence qui régnait dans le lieu, et se laissa tomber sur le banc. Puis, il ramena ses genoux contre lui, et laissa ses larmes couler.

Maman lui manquait. Papa lui manquait. Papa était là, pourtant, donc c’était seulement une autre preuve d’à quel point il était faible. Il inspira et expira longuement, comme sa mère le lui avait montré. Une fois, deux fois. Il allait un peu mieux, mais il se sentait toujours triste. Il devait arrêter d’être triste comme ça, mais il ne savait pas comment faire. Maman savait toujours quoi faire, avait toujours le mot qu’il fallait, quand il se faisait mal, quand il se sentait triste, quand il n’allait pas bien. Mais Maman était morte et enterrée au cimetière de sa ville de naissance, à des kilomètres d’ici, dans une autre région, et il ne pouvait même pas aller déposer des fleurs sur sa tombe.
Il était seul. Il était perdu. Il ne savait pas être fort comme Papa.
Il était tellement fatigué. Il essayait de lire, mais la magie des univers fictifs ne l’emportait plus comme elle le faisait avant. Quand il pensait encore que Maman allait pouvoir s’en sortir.
La douleur n’était plus aussi intense qu’au départ, mais elle était toujours là, comme une blessure qui n’aurait pas correctement cicatrisé. Il avait eu le temps de s’habituer à la douleur avec les années, mais c’était dans les moments comme ça, quand il se rappelait à quel point il était seul, qu’elle revenait le frapper de plein fouet.

Puis, soudain, une idée lui vint. Il ne savait pas comment il avait fait pour ne pas y penser avant, mais c’était probablement dû au fait qu’il essayait d’éviter de penser à tout ce qui avait quelque chose à voir avec la mort de sa mère, ces temps-ci (même si ça ne marchait pas vraiment). Il devrait planter des fleurs pour sa mère ici !

Il était toujours triste, mais, maintenant, il avait un objectif, quelque chose à faire, alors il sauta du banc et repartit vers sa chambre, tout en faisant une liste de tout ce dont il aurait besoin, et de comment l’obtenir. (peut-être qu’en faisant du chantage à deux ou trois sbires…)

*************
- Dis, Yuro ? Qu’est-ce que tu dirais d’une histoire ?

Yuro ne savait pas ce qu’il devait répondre à ça. Il savait que c’était probablement la première idée qui était passée par la tête d’Émelie pour le distraire, et il avait envie d’oublier son désespoir, sa terreur et sa tristesse un moment, mais il ne pensait pas que l’idée d’Émelie marcherait. Il ne reverrait jamais ses parents. Il ne reverrait jamais sa petite sœur. Il ne rentrerait jamais à la maison.
Ses parents seraient tristes, mais ils ne le chercheraient pas, et c’était ça qui lui faisait le plus mal. Parce que ses parents disaient qu’ils l’aimaient, mais ensuite ils écoutaient ce que les autres disaient dans son dos. Ils faisaient semblant de ne pas voir. Ils n’avaient jamais essayé de le comprendre, et c’était toujours à lui d’être comme il fallait, de faire comme les autres, d’être normal.

Il voulait rentrer à la maison.
(Mais cet endroit n’avait jamais été sa maison, n’est-ce pas ?
Est-ce qu’il se sentirait toujours chez lui dans cet endroit qui l’étouffait ?
Quand est-ce qu’il avait arrêté de se sentir chez lui ? Pourquoi est-ce qu’il n’arrivait pas à être comme les autres
Était-ce quand il n’avait pas réussi à chasser comme les autres autour de lui, parce qu’il n’arrivait pas à tuer ?
Était-ce avant ? Quand ? Où est-ce qu’il avait échoué ? Qu’est-ce qu’il aurait dû faire ? Comment aurait-il dû faire pour être normal ? Il avait essayé tellement de fois d’imiter les autres. Mais à chaque fois ils lui jetaient un regard confus ou moqueur ou dégoûté. Et ensuite ils s’en allaient. Et les murmures derrière son dos s’amplifiaient.
Il ne se souvenait plus.
Peut-être qu’ils avaient raison de le détester, après tout.

Sa sœur était gentille avec lui, même si elle était encore jeune.)


Les mots étaient sortis de sa bouche avant même qu’il ne se soit rendu compte qu’il les avait prononcés.

- Je veux une histoire avec une famille heureuse où personne ne se déteste. S’il-te-plaît.

La vieille Némélios le regarda avec surprise, puis, quelque chose se brisa dans ses yeux. Elle lui fit un sourire tendre, et se rapprocha un peu plus de Yuro.

- Okay. D’accord, je peux faire ça. (Elle se racla la gorge) Donc. Notre histoire commence il y a dix-sept ans, durant un voyage. Il était une fois une jeune Hélionceau de cinq ans et son dresseur de douze ans…

- Tu avais un dresseur ?

- Oui, j’avais un dresseur Yuro. Donc, je disais…

*************
« As-tu déjà entendu parler d’Unys, petit ? C’est une région lointaine, se situant au-delà du vaste océan. Là-bas, les vents s’engouffrent dans ta fourrure et te font plisser les yeux. Durant l’automne, les feuilles mortes s’accumulent au sol, en formant un tapis de rouge et de doré, tu t’y enfonces jusqu’à mi-patte. Le temps change en quelques secondes, suivant les humeurs des dieux de la météo, Boréas, Fulguris et Démétéros. Un moment il fait tellement chaud que tu as l’impression d’étouffer, puis, au loin, tu vois un rideau de pluie, et, trente minutes plus tard, il est sur toi. Je préférais de loin la campagne à la ville. Le vent battant sur les champs et l’herbe folle, les lacs immenses à l’eau claire, les Pokémon sauvages qui te sautent dessus en apparaissant de nulle part…
J’ai visité des villes, aussi. Des petites maisons dans les villages aux immenses tours dominant l’horizon à Volucité. Volucité est immense, vraiment impressionnante. Je comprends pourquoi autant de personnes aiment la visiter, mais, moi, elle me faisait peur. Le bruit des voitures, la foule circulant dans les grandes avenues, les odeurs mélangeant fumée et essence, les lumières qui ne s’éteignent pas… La ville ne dort jamais. »

- Tu es en train de me raconter l’histoire d’une région, là, pas l’histoire d’une famille. Lui dit Yuro, l’air ennuyé.

- Mais attends, j’y viens ! Une fois, durant notre voyage, nous avons traversé une grotte, parce que mon dresseur adorait visiter les grottes les plus étranges qu’il pouvait trouver dans les revues touristiques. Il a toujours adoré les grottes, d’aussi loin que je m’en souvienne. Il suffisait de le lancer sur le sujet, et il pouvait en parler pendant des heures sans s’arrêter, en listant une suite de faits obscurs sur ses grottes préférées. Hé hé. (Elle poussa un long soupir) … Il me manque. Nous étions comme deux doigts de la main, tous les deux. Je suis sûre que, quelques fois, il se prenait pour mon grand frère. « Léon et Émelie, à la recherche de secrets oubliés ! ».

Nous étions en train de visiter la grotte de Parsemille. C’est une grande grotte, à flanc de montagne. Nous pensions que nous étions prêts. Nous avions une lampe torche, plusieurs batteries, des vivres, et de quoi camper. Puis, Léon a trébuché, et la lampe s’est cassée. Il faisait tellement sombre que nous n’arrivions pas à voir à plus de quelques pas devant nous. À ce moment-là, Yuro, j’avais peur. Je n’avais jamais été à l’aise dans les endroits sombres, encore moins quand ils étaient confinés. Dans les ténèbres, tout prenait une allure plus menaçante. Un simple rocher pouvait prendre l’apparence d’un Pokémon gigantesque prêt à nous dévorer. Et, le [i]silence[/u], Yuro. Au départ, il paraissait complet, et puis, plus les secondes passaient, plus je me rendais compte que tout était loin d’être silencieux. Les échos des bruits de pas, les battements d’ailes des Chovsourir, et le bruit de l’eau qui gouttait depuis le plafond. La moindre ombre que je voyais passer à la périphérie de mon champ de vision me faisait sursauter. Mes pattes butaient sur les pierres et je ne voyais pas où j’allais.

Je tremblais de tous mes membres, et Léon a dû s’en rendre compte, parce qu’il s’est assis sur le sol humide, et a commencé à me gratter derrière les oreilles en me murmurant des encouragements. Il m’a aidé à sortir de ma panique, en utilisant cette technique pour calmer sa respiration. Inspire jusqu’à quatre, expire jusqu’à quatre, et recommence. Après que je me sois calmée, il m’a demandé de faire naître une flamme au bout de mon museau. Je pensais qu’il voudrait l’utiliser pour s’éclairer, alors je l’ai fait. Il n’avait pas du tout l’intention de partir, Yuro ! Il a décidé d’utiliser la lumière pour faire des figures avec ses mains. Il donnait aux ombres l’apparence de Pokémon, et il a commencé à leur inventer des histoires. En y repensant, nous ne sommes pas restés si longtemps assis par terre, mais, sur le coup, rien n’était plus important que le moment présent. Les ombres dansaient sur les parois, comme si elles étaient vivantes, et, pourtant, je n’avais plus peur. Les ombres n’étaient plus des monstres menaçant qui s’apprêtaient à nous sauter dessus, elles étaient deux Psystigri en train de jouer ensemble, ou un Lucario prenant soin d’un Riolu. Elles étaient tout ce que mon dresseur voulait leur faire faire. À cet endroit, à cet instant, nous étions un frère et une sœur en train de jouer à faire semblant, et rien n’était plus important à nos yeux. C’était lui, et moi, et c’était magique. Quand Léon s’est finalement relevé, je ne voulais plus partir.

Maintenant, quand j’ai peur, ou quand je me sens seule, quand j’ai l’impression qu’il serait mieux de tout abandonner, je me remémore ce souvenir, et je m’y accroche de toutes mes forces. J’invente des histoires, et je m’évade. Prends une grande inspiration. Tout ira bien. »

Quand elle jeta un regard à Yuro, il était en train de la regarder. Et il souriait. Il se blottit tout contre elle, et enfouit son museau contre ses poils. Puis, si bas qu’elle eut du mal à l’entendre…
« Merci. »