Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Une lumière dans les ténèbres de oska-nais



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : oska-nais - Voir le profil
» Créé le 18/12/2023 à 18:23
» Dernière mise à jour le 20/01/2024 à 19:16

» Mots-clés :   Absence de combats   Amitié   Famille   Johto   Organisation criminelle

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Les gens que tu connais
Chapitre 2 : Les gens que tu connais

Yuro avait l’impression de sombrer. Les larmes coulaient le long de son museau et brouillaient sa vision, et sa respiration était beaucoup trop rapide, et son cœur battait beaucoup trop vite, il avait des Fermite dans les pattes, et il ne pouvait plus bouger. Il n'entendait plus que le cliquetis des griffes sur le sol dur, qui se rapprochait dangereusement, et les battements affolés de son cœur qui s'emballait. Il ne savait pas qui était en train d'approcher, mais il était sûr que la personne, qui qu'elle soit, allait lui faire du mal. Les inconnus lui faisaient toujours du mal, et, vu la chance qu'il avait eue récemment, cette fois, il allait sûrement y passer.

« Petit ? Petit, est-ce que tu m’entends ? Respire ! »

Une voix éraillée perça le bruit du sang qui battait à ses oreilles, et il s'y accrocha comme à une bouée de sauvetage. L'inconnu n'avait donc pas l'intention de lui faire du mal. Il le savait, il venait d'en avoir la preuve, et pourtant, sa respiration ne voulait pas ralentir, pas plus que les battements affolés de son cœur. Il était toujours figé de terreur.

« Petit ? Je vais me rapprocher, essaie de lever la tête et de suivre ma respiration, d’accord ? »

Yuro leva la tête et, au travers de ses larmes, put discerner deux yeux rouge vif qui le regardaient d’un air inquiet. Son regard se fixa sur le torse du Pokémon en face de lui, et il lui fallut quelques secondes pour se rendre compte qu’il prenait d’amples inspirations, pour lui donner l’exemple. Il tenta de caler sa respiration sur celle de son interlocutrice, et au bout de ce qui lui parut être une éternité, il parvint enfin à reprendre le contrôle de sa respiration.

Il observa de nouveau le Pokémon en face de lui, en faisant plus attention aux détails maintenant qu’il n’était plus en train d’hyperventiler. Devant lui se tenait une Némélios âgée aux yeux rouge vif soulignés de cernes, et au pelage sable parsemé de poils gris et blancs, avec une longue crinière rouge et orange. Tiens, c’était étrange, il était presque sûr que les Némélios n’étaient pas censés avoir un pelage de couleur sable. Cela dit, il était mal placé pour parler, après tout, ses seules connaissances sur les Némélios venaient de ce que lui avaient raconté les quelques Absol de sa meute qui étaient nés à Kalos.

Peut-être qu’il se trompait mais peut-être – et peut-être que ça n’était qu’un espoir vain et irrationnel de trouver quelqu’un qui le comprenait, qui connaissait les regards en coin, les murmures derrière son dos qui se taisaient dès qu’il se retournait (silencieux ; ne vient jamais chasser ; refuse de sortir ; les autres jeunes le laisseraient tranquille s’il arrêtait de se comporter de manière anormale ; au moins ils en ont réussi une sur les deux ; moi si j’avais eu un fils aussi fainéant je ne l’aurais pas gardé) – arrête d’y penser arrête d’y penser arrêtedypenser

Peut-être que la Némélios était comme lui. Peut-être qu’elle avait vécu quelque chose de similaire. Et, même si les autres avaient raison même s’il était fainéant – inutile, boulet, ta mère a raison quand elle te dit que tes parents seraient bien plus heureux si tu n’étais pas là –, ça lui ferait sûrement du bien de pouvoir en parler à quelqu’un.

«  Euh… petit ? Pourquoi me regardes-tu comme ça ? J’ai quelque chose sur le museau ? »

Yuro se rendit compte qu’il s’était encore perdu dans ses pensées, et qu’alors qu’il réfléchissait, son regard perdu dans le vague était resté fixé sur la Némélios. Il se mit à paniquer intérieurement, cherchant sur le museau de la Némélios le moindre signe d’agacement ou de colère, mais se sentit immédiatement rassuré quand il ne vit qu’une expression d’incompréhension un peu amusée. Il ne savait pas ce qu’il aurait fait s’il avait déjà offensé la Némélios avant même de lui avoir adressé la parole.

- Non, non non non pas du tout, vous n’avez rien sur le museau, j’étais juste en train de réfléchir. Comment vous appelez-vous ? Lui demanda-t-il d’une voix dans laquelle on pouvait encore entendre un léger tremblement.

Il pouvait presque entendre la voix de sa mère le prévenir pour la dixième fois, quand il était encore tout jeune.
« Ne fais pas confiance aux Pokémon que tu ne connais pas »

La surprise puis l’inquiétude se succédèrent en un éclair sur le visage de la Némélios, et si Yuro n’avait pas été en train d’observer attentivement l’expression de la Némélios, prêt à se mettre à courir au moindre signe d’agression, il l’aurait sans doute manqué.
Elle avait sans doute compris de quoi il s’inquiétait, car elle s’allongea en face de lui pour paraître moins intimidante.

- Je m’appelle Émelie, et tu peux laisser tomber les formalités avec moi, petit, ça ne me dérange pas que tu me tutoies. Et toi, comment t’appelles-tu ?

Avec le temps, il avait rajouté une deuxième règle, que cette fois, il entendait avec sa propre voix quand il se la récitait intérieurement.
« Ne fais pas confiance aux Pokémon que tu connais. »

Il prit une grande inspiration, essayant encore une fois de se calmer. Ce n’était surtout pas le moment de se remettre à paniquer.

- Yuro. Est-ce que vous… Tu sais où on est, Émelie ? J’étais chez moi, et puis j’ai entendu une explosion, et ensuite j’ai vu un humain…

Une course poursuite à travers les bois. Une piqûre à la cuisse puis tout qui devient noir.
Des yeux d’un bleu glacial, fixés sur lui comme un prédateur qui fixerait – une proie il fallait qu’il s’en aille il fallait qu’il parte tout de sui-
Il prit une grande inspiration. Calme-toi. C’est passé. Tu n’y es plus. Elle ne peut plus te blesser.
Il expira.
Quand il se remit à parler, sa voix trembla sur les premiers mots de sa phrase.

- … et mes souvenirs sont très confus à partir de là. Il y a eu une course-poursuite, je crois, et ensuite quelque chose me pique la cuisse, puis je me retrouve ici. Est-ce que tu sais ce qu’on va me faire ?
Il y eut une pause, puis Yuro rajouta quelque chose en catastrophe.
- S’il-te-plaît, ne me mens pas. J’ai besoin de savoir.

Emelie soupira.
- C’est malheureusement l’histoire de tous ceux qui passent par ici. Ils sont tous chromatiques, comme toi et moi. Ils arrivent, restent quelques temps, et puis un jour ils viennent les chercher et on ne les revoit plus. Je suis ici depuis longtemps, et, d’après ce que j’ai pu entendre, je crois qu’ils les vendent à des personnes prêtes à payer une fortune pour avoir un Pokémon rare.

À peine Emelie eut-elle prononcé les derniers mots qu’un frisson lui parcourut l’échine. Il y eut un moment de flottement, puis la gravité de la situation frappa Yuro de plein fouet. Vendus. Les Pokémon qui finissaient ici étaient vendus. Il avait envie de pleurer. Il avait envie de vomir. Il avait envie de hurler et griffer les murs et de se jeter contre les barreaux et de creuser un trou dans le sol pour ne plus jamais en sortir. Il se mit à sangloter violemment, et il enfouit son museau entre ses pattes pour pleurer. Il allait être vendu. Il allait être vendu à un humain qu’il ne connaissait pas pour être une pièce de collection et il ne pouvait rien y faire.

Il entendit le bruit de griffes cliquetant sur le sol se rapprochant, et une ombre passa devant ses yeux, puis, il sentit un corps appuyé contre son flanc. Sans un mot, Émelie, qui s’était allongée contre lui, se mit à ronronner, lentement d’abord, puis de plus en plus fort, en lui léchant doucement le museau.

La température du corps appuyé contre le sien monta graduellement jusqu’à arriver à une température relaxante. Il fallut une éternité pour qu’il sèche ses larmes, et s’endorme contre Émelie, bercé par ses ronronnements.

*************
Encore un tour de vis… Là, ça devrait être bon. Cette fois, cette fois, ça devrait marcher.

Laura jeta un regard sur les deux Pokémon endormis côte-à-côte à travers la vitre, puis reposa son tournevis sur le rebord du petit bureau de la salle de surveillance et poussa un long soupir d’épuisement. Cette phrase serait beaucoup plus encourageante si l’oreillette sur laquelle elle travaillait marchait vraiment, mais cela devait au moins faire la quinzième fois qu’elle avait pensé cette phrase, et il y avait à chaque fois un problème à réparer, quelque chose auquel elle n’avait pas pensé qui faisait tout rater. Elle essayait, pourtant, elle essayait encore, et encore et encore mais, même avec les connaissances qu’elle avait en informatique et en mécanique, elle était seule, travaillait sur ce projet personnel uniquement durant son temps libre, et s’était donné un objectif aussi impossible à atteindre que le sommet du Mont Argenté quand on n’a que ses deux mains et aucun anorak. Oh, elle avançait, bien sûr, mais chaque problème résolu en dévoilait trois autres, et les échecs ne devenaient jamais moins décevants que ceux qui étaient venus avant, mais elle ne pouvait pas abandonner, car c’était la seule qui lui permettait d’avancer.
Ça, et Krys.
Oh merde, Krys !
Il était censé prendre le tour de surveillance après elle, mais elle était tellement absorbée par son oreillette qu’elle n’avait pas vu le temps passer. Et, le connaissant, il n’avait probablement pas voulu la déranger quand il avait remarqué qu’elle était toujours dans la salle. Argh, il était vraiment trop gentil, des fois. Cela dit, ça ne pouvait pas être si catastrophique que ça, elle avait à peine dépassé de… -elle jeta un rapide coup d’œil à l’horloge- trente minutes ?! Oh c’était pas vrai, elle était vraiment incapable de respecter des horaires.

Un peu nerveuse, elle s’empara de ses affaires à la hâte, se précipita vers la porte en manquant de trébucher (sa cheville, le doc lui avait pourtant dit de ménager sa cheville), reprit sa marche de manière plus mesurée et ouvrit la porte. Elle déboucha dans une petite salle d’attente au papier peint jauni qui n’avait visiblement pas été changé depuis bien longtemps, couvert de tâches d’humidité et qui pelait même à certains endroits, révélant des murs de béton nu derrière. Quelques chaises en plastique noir étaient alignées à intervalle régulier sur le mur en face de l’entrée de la salle de surveillance. Sur celle située directement à côté de la sortie, un homme à la peau marron clair était assis. Krys. Son torse se soulevait à intervalles réguliers, son menton reposait sur son torse, et il avait les yeux clos. Il dormait, et Arceus savait à quel point il en avait besoin. Pour une fois qu’il arrive à dormir. pensa Laura J’aurais peut-être dû rester un peu plus longtemps dans la salle de surveillance. Histoire de lui permettre de rattraper quelques heures de sommeil. Krys, comme Laura, n’arrivait pas à dormir, ce qu’attestaient les cernes sous leurs yeux. Laura hésita un instant, et pendant un moment, elle pensa sérieusement à retourner dans la salle de surveillance pour prendre le carat de Krys. Puis, Krys se mit à bouger dans son sommeil, et à murmurer des mots inintelligibles. Bien qu’elle ne comprît pas ce qu’il disait, son ton désespéré et la grimace en laquelle sa bouche se tordait étaient largement suffisants pour que Laura sache exactement ce qu’il se passait. Elle savait ce qu’il voyait, car elle vivait la même chose presque chaque soir.
Des cauchemars.
Des milliers de visages anonymes au regard accusateur qui défilaient en boucle.

Laura, viens à la salle d’interrogation, j’ai besoin d’aide pour tout mettre en place.

À vos ordres, Boss.

(Du sang tellement de sang
sur le sol sur les couteaux sur les chaînes
pourquoi est-ce que tu l’as laissé faire
Ce n’est pas le moment de penser à ça)


Elle se pinça fortement le bras pour revenir à la réalité. Ce n’était pas le moment de se rappeler, Krys était dans une situation pire que la sienne. Elle ne pouvait pas le laisser comme ça. Elle s’agenouilla lentement à côté de lui, et chuchota près de son oreille.

« Hé, psst, Krys, réveille-toi, c’est ton tour de garde. »

Immédiatement Krys bondit sur ses pieds, alerte et prêt à se protéger au moindre signe de danger, une main à quelques centimètres seulement du fouet accroché à sa ceinture, l’autre sur l’unique Pokéball située de l’autre côté.
Son regard paniqué scanna les environs, mais, quand ses yeux croisèrent ceux de Laura, sa posture se relâcha immédiatement. Il inspira profondément, puis poussa un long soupir, et les dernières traces de tension dans ses muscles s’effacèrent, et son visage fin reprit une expression calme.

- Tu m’as fait peur, Laura, lui reprocha-t’il, bien que sa voix n’ait contenu aucune vraie colère.

- Désolée, j’ai vu que tu faisais un cauchemar, et… (sa phrase resta en suspension dans l’air, non-dits lourds de sens laissés derrière.)

Krys soupira de nouveau
- Je sais. (Oh, Arceus, il savait) Je ne t’en veux pas, j’ai juste eu un peu peur pour toi. J’ai tendance à réagir brusquement quand je suis réveillé en sursaut. Je n’ai pas envie d’accidentellement te blesser.

Laura savait qu’il ne plaisantait pas. Krys avait été entraîné au combat au corps à corps et à distance, comme tous les autres sbires. Là où Krys différait des autres sbires, c’est qu’il était extrêmement doué au combat. Il lui avait fait part, à de nombreuses reprises, que son talent le terrifiait. Car Krys était un pacifique, et ne voulait pas se battre, même si ça avait été pour se protéger lui-même. Mais la peur pouvait lui faire franchir beaucoup de limites morales qu’il n’aurait jamais songé à dépasser en temps normal.
Laura comprenait.
(Si elle n’avait pas eu peur, elle n’aurait jamais laissé Giovanni faire ce qu’il avait fait devant ses yeux sans intervenir.
Mais elle avait trop peur de mourir, donc–
Elle avait laissé faire.
Arrête de te chercher des excuses.)

Krys et elle avaient le même genre de problèmes de conscience, et ils avaient probablement mutuellement reconnu quelque chose dans le regard de l’autre à leur rencontre à la cafétéria.

(« Je veux déjeuner loin des autres, tu veux déjeuner loin des autres, alors ça te dirait d’aller s’asseoir à la table branlante là-bas et qu’on ne se parle pas ? »

Et c’est comme ça que c’était censé se passer.
C’est comme ça que ça avait commencé.
Mais au moment où elle avait croisé son regard, elle avait eu l’impression de se voir elle-même.
Car leurs regards disaient la même chose.
J’ai peur.
S’il-te-plaît ne m’abandonne pas.
Je ne peux pas rester seul avec moi-même.

Et elle n’a pas pu l’ignorer.

« Salut, je m’appelle... »)

Krys lui fit un bref « au revoir » de la main avant de prendre place dans la salle de surveillance.
Laura lui fit un petit sourire d’encouragement et prit la direction de sa chambre.

*************
Laura referma la porte de la salle d’attente doucement, sans un bruit. S’agrippant à la poignée comme si sa vie en dépendait. Elle ne se sentait pas capable de supporter le son d’une porte qui claque. Les souvenirs qui étaient remontés quelques instants auparavant tournaient encore en boucle dans sa tête, et elle n’avait vraiment pas envie d’en rajouter d’autres en plus.

(Un sourire dont elle avait appris à se méfier,
une bise sur le front dans le meilleur des cas.
« On t’a laissé de l’argent sur la table, tu sais te débrouiller. »
Puis la porte d’entrée claquait,
et elle savait que ses parents ne rentreraient pas avant plusieurs semaines.
Ce n’est pas le moment de penser à ça.)

Elle posa son front contre la porte, prit une longue inspiration, Retint son souffle pour plusieurs secondes, puis expira longuement, ses épaules s’abaissant à mesure que ses poumons se vidaient.
C’était déjà passé, elle n’avait pas à avoir peur, elle n’avait pas à être triste, elle était trop loin d’eux pour qu’ils puissent l’atteindre.
Elle irait bien.
Elle irait bien.
Et même si elle n’allait pas bien, Krys avait plus besoin d’elle qu’elle n’avait besoin d’elle-même.

Elle était encore en train d’essayer de fuir ses problèmes.
Elle savait que c’était une mauvaise habitude,
Elle savait qu’essayer de se distraire ne pouvait marcher qu’un temps, qu’elle ne faisait que boucher d’immenses fissures dans un mur avec de la terre boueuse.
Mais ce fragile château de cartes allait devoir surmonter la tempête encore un peu plus longtemps.
Le temps qu’elle se sorte de là.
(Tu n’arriveras jamais à sortir de là.)
Elle savait, elle n’était pas stupide, mais elle avait besoin de se raccrocher à cet espoir, à quelque chose, sinon… (Elle ne savait pas ce qu’elle ferait.)

Elle releva la tête, et fit face au couloir, bordé de portes conduisant à des cages, terminé par une porte métallique blindée, derrière laquelle se trouvaient le reste de la base, et se mit à marcher.

Elle avait besoin de repos.
(Tu ne trouveras pas le sommeil.)
Oui, eh bien elle devait essayer.

Le bruit de ses pas la suivit tout le long du chemin pour rentrer dans sa chambre.
(Peut-être que si elle marchait le plus bruyamment possible, cela ferait taire ses propres pensées.)

*************
Krys poussa la chaise située devant la table de la salle de surveillance et se laissa tomber dessus avec un soupir. Il était à peine arrivé qu’il avait déjà envie de partir, mais il savait que ça ne changerait rien. Il avait du mal à avoir envie de faire quoi que ce soit depuis… un moment déjà. Passer du temps avec Laura quand il le pouvait aidait un peu, et il se sentait un peu plus léger quand il pouvait lui parler, mais cela avait l’effet immédiat de lui donner l’impression que toutes les autres heures de la journée passaient encore plus lentement en comparaison. C’était plus facile pour lui de laisser les jours s’écouler comme s’il était en dehors de son propre corps quand il n’avait pas ces moments de joie avec Laura, quand personne n’était capable de franchir la distance qui le séparait du monde réel et lui prendre la main pour le faire revenir à lui-même. Mais c’était aussi tellement, tellement plus fade, et, avec Laura, il pouvait enfin ressentir quelque chose d’autre que la fatigue et la tristesse et la douleur.

Son regard se posa sur l’autre côté de l’épaisse vitre en verre le séparant de la cage.
La Némélios et l’Absol s’étaient endormis côte à côte, leurs épaules se soulevant et s’abaissant à intervalles réguliers. Un mélange de tristesse et de douleur lui bloqua la gorge et sa vision se brouilla. Il lui fallut quelques secondes avant de se rendre compte qu’il était en train de pleurer.
Son corps fut parcouru de frissons, et il resserra sa veste autour de ses épaules.
Sa famille lui manquait.
Son petit frère lui manquait.
Ça faisait longtemps qu’il ne les avait pas appelés, et ne se souvenait même plus de la dernière fois où il avait pu aller les voir en personne. Il avait tellement, tellement envie de les voir. Mais Giovanni surveillait ses sbires et refusait de les autoriser à les laisser aller voir leur famille, car ce serait prendre le risque de les perdre de vue pour une trop grande période de temps, à un endroit où il ne pouvait pas surveiller ce qu’ils faisaient.

Il ne voyait pas comment ses parents faisaient pour continuer à l’appeler régulièrement.
Ils auraient dû l’abandonner il y a longtemps déjà.
À leur place, il se serait déjà abandonné lui-même.
Il était un mauvais fils.

(Peut-être qu’il pouvait prendre le cutter et–
Non. Non non non.
Il n’allait pas recommencer.)


Inspire
Expire


Il se massa le torse lentement, en essayant de faire passer les sanglots qui menaçaient de remonter le long de son corps. Puis, une fois qu’il fut plus ou moins sûr qu’il n’allait pas s’effondrer au sol dans les instant qui suivraient, il fouilla dans son sac pour en sortir un thermos, et d’une main tremblante, se versa du thé au lait dans une tasse en plastique. Il savait que boire autant de thé n’était probablement pas bon pour sa santé (il avait déjà dépassé de très loin les quatre à six tasse maximum par jour recommandées) mais ça l’aidait à se calmer quand il allait mal.
Il prit une longue gorgée de thé, et, petit à petit, sa respiration revint à un rythme normal. Alors qu’il allait reposer sa tasse, il entendit un cliquetis métallique provenant de sa ceinture, suivi d’un flash lumineux, puis quelques secondes à peine plus tard, il sentit Nox, sa Noctali, se frotter contre sa jambe en ronronnant. Nox avait toujours un don pour savoir quand il allait mal, même depuis l’intérieur de la Pokéball. Krys baissa son regard vers elle, et lui offrit un sourire fatigué. Il arriva à le tenir pendant dix secondes à peine avant qu’il ne se transforme en grimace. Il ne lui dit pas qu’il allait bien, car ils savaient tous les deux que ç’aurait été un mensonge.

Nox le regarda pendant deux secondes, ses yeux sautant des cernes de Krys, à ses traits tirés, aux traces de larmes sur ses joues, et elle n’hésita pas avant de sauter sur ses genoux. Elle s’allongea, et se mit à ronronner fort, en se blottissant contre Krys. Krys lâcha un rire surpris et le début d’un sourire s’esquissa sur ses lèvres sans qu’il s’en rende compte. Il passa lentement sa main sur le dos de la Noctali, entremêlant ses doigts dans sa fourrure, et le monde lui parut un peu moins gris, son sourire un peu moins faux. Nox se mit à lui lécher la main, puis elle jeta un regard sur le sac de Krys, posé à côté du siège, plissa les yeux, et, soudain, son sac s’ouvrit de lui même, et un cahier ainsi qu’une trousse en sortirent en flottant dans les airs. Ils se posèrent en douceur sur la table, puis la trousse s’ouvrir toute seule, et les crayons de couleur, crayons à papier, le taille crayon et la gomme s’alignèrent les uns à côté des autres. Elle savait toujours quelles choses arrivaient à remonter le moral de Krys. Nox paraissait extrêmement fière d’elle, et Krys remercia tous les Légendaires qu’il ait pensé à lui apprendre Psyko. Depuis qu’elle savait utiliser la capacité, Nox avait beaucoup moins besoin de faire des charades où mimer des choses pour qu’il comprenne ce qu’elle voulait, elle le faisait flotter devant lui, et cela rendait leur communication beaucoup plus simple.

Krys prit une grande inspiration, la tint quelques secondes, puis la relâcha. Elle était plus tremblante qu’il ne l’aurait voulu.
Il tira le cahier vers lui, l’ouvrit, passa une par une les pages capturant des rêves, des yeux étincelant d’espoir, des souvenirs de jours meilleurs, avec un pincement au cœur, et s’arrêta à la première page vierge.
Le lendemain, ce serait l’anniversaire de son petit frère, et même s’il n’était pas autorisé à rentrer pour aller le voir, il pouvait au moins lui envoyer un dessin.

Sa prise sur son crayon était ferme quand il traça la première courbe.

*************
La porte de sa chambre n’était pas fermée à clé.
Laura était sûre, sûre et certaine, de l’avoir verrouillée en partant.
Il n’y avait que six personnes dans toute la base possédant un passe-partout. Quatre d’entre elles -les quatre commandants- étaient parties aux quatre coins de la région pour organiser des opérations futures, et la cinquième -le boss lui-même- était trop occupé à tirer les ficelles dans l’ombre et vérifier que tout se déroulait selon le plan pour aller fouiller les quartiers d’un simple sbire.
Ce qui laissait la sixième personne. Silver, le fils du boss.
Silver, qui, quand il n’était pas fourré le nez dans un livre, était connu pour passer sa vie à espionner les sbires pour obtenir des informations compromettantes sur leur vie privée et les faire chanter.
Silver, qui avait l’habitude d’aller fouiller dans les chambres des sbires, et qui laissait la porte déverrouillée en partant, pour que l’occupant de la chambre sache qu’il était passé.
Un frisson remonta le long de son dos.
Elle détestait vraiment ce gamin.

Elle poussa lentement le battant de la porte, en espérant de toutes ses forces que Silver était déjà parti.
Silver était assis à son bureau, et s’amusait à tourner sur la chaise à roulette comme si elle lui appartenait. Laura poussa un long soupir, en se massant les tempes. C’était connu, pourtant. Ne jamais espérer très fort quelque chose, car Arceus fera alors tout son possible pour que les choses se passent exactement comme vous ne voulez pas qu’elles se passent. Il était sûrement en train de regarder en mangeant du pop-corn, cette ordure.

Quand Silver se rendit compte que Laura était déjà entrée et le regardait d’un air exaspéré, son expression passa de sourire enjoué à la surprise, à l’embarras, à un sourire mesquin qu’il avait emprunté à son père (le gamin ne manquait jamais une occasion d’imiter son père, dans ses expressions, son regard, sa posture, et même sa façon de se déplacer), et, à la vue de ses yeux gris, si semblables à ceux de Giovanni

(Elle était de retour dans cette salle)

le cœur de Laura sauta un battement

(Le froid du carrelage pénètre dans ses vêtements
Le talon de la botte entre dans ses côtes et elle retient un cri de douleur
Je ne veux pas mourir)

Elle prit une grande inspiration, la relâcha, une fois, deux fois. Elle n’était plus là-bas, elle n’était plus là-bas, c’était terminé, et ce n’était pas lui. Elle détourna les yeux, et se mit à fixer du regard les cheveux de Silver.

(Rouges, pas noirs.
Rouges, pas noirs.
Rouges pas noirs.
C’est Silver, Silver, pas Giovanni, pas lui)

Puis, lentement, ses yeux revinrent sur ceux de Silver. Il avait une expression moqueuse, et semblait amusé de sa réaction. Depuis que Silver avait remarqué la réaction qu’avaient certains sbires en croisant son regard, il en usait et en abusait. Pour son bien, Laura espérait qu’il n’apprendrait jamais pourquoi. Elle ne souhaiterait jamais ça, même à son pire ennemi, encore moins Silver, qui était un enfant.

(Giovanni avait une préférence pour les scalpels.
Inspire)

Elle se forçait encore à inspirer, compter jusqu’à quatre, et expirer, mais ses yeux était restés rivés sur ceux de Silver, cette fois-ci, et elle ne laissait transparaître aucun autre signe de la panique qu’elle avait éprouvé quelques instants auparavant, de cette envie de partir en courant qui la prenait à chaque fois qu’elle croisait ses yeux (Silver-Silver-pas-Giovanni-Silver-respire).

Silver ouvrit la bouche. Elle le coupa avant qu’il n’ait pu former un seul mot.

« Alors, que me veut le fils de Giovanni ? Tu n’es pas censé être au lit ? Qu’est-ce que tu fais encore, à rôder dans les couloirs à cette heure ? »

Il la fusilla du regard, furieux de ne pas avoir pu placer un mot. Il prit une longue inspiration, et Laura n’avait pas besoin de savoir lire dans les pensées pour se rendre compte qu’il essayait très probablement de garder son calme et de s’empêcher de crier. Dans la base, tout le monde savait qu’il détestait qu’on l’appelle « le fils de Giovanni » pour des raisons connues de lui seul. Laura supposait qu’il n’aimait pas qu’on le compare sans cesse à son père, alors même qu’il utilisait la peur que son père inspirait pour faire tout ce qu’il voulait.

«  Si tu veux tout savoir, je penses que tu essaies de faire quelque chose que Pap- Je veux dire, le boss- n’aimerait pas. Je te vois te balader avec des tournevis, et d’autres… trucs à machines. tout le temps. C’est louche. Je cherchais des preuves que tu cherchais à t’enfuir, pour aller le dire à Papa »

Laura, peu impressionnée, le regarda avec une posture et un visage qui exprimaient les mots « Est-ce que tu es sérieux, là ? » mieux que si elle les avait énoncés à voix haute. Puis, lentement, en détachant bien ses syllabes car elle était fatiguée et aimerait aller se coucher sans avoir à se répéter, elle lui répondit :

« Je suis mécanicienne. C’est un peu mon travail d’avoir des outils sur moi, gamin. »

Il ouvrit la bouche, chercha ses mots pendant quelques secondes, ses yeux se posant à différents endroits de la chambre, et ses poings s’ouvrant et se fermant répétitivement, de plus en plus nerveusement au fur et à mesure que rien ne lui venait.
Il finit par refermer sa bouche sèchement, et, au lieu de dire quoi que ce soit, il fouilla dans ses poches un instant, sortit un papier chiffonné, et l’agita devant les yeux de Laura, un sourire triomphant se dessinant sur son visage.

Le sang de Laura se glaça dans ses veines. Il tenait entre ses mains les tout premiers plans de son oreillette, ceux qui dataient de plusieurs années auparavant. Elle savait que Silver ne pouvait pas faire grand-chose de cette information, mis-à-part peut-être l’utiliser comme excuse pour aller voir son père et se plaindre en lui disant que si elle avait le temps de construire des objets à côté de son travail, elle avait trop de temps libre. Elle le savait, et pourtant, l’idée qu’un gamin de huit ans puisse si facilement accéder à sa chambre sans se faire remarquer, fouiller dans ses affaires, et voler des choses qui lui tenaient à cœur – et qu’il aurait réussi à sortir sans se faire remarquer s’il n’avait pas décidé de s’amuser sur sa chaise de bureau – la mettait mal-à-l’aise. Elle savait que Silver était un voleur hors-pair, mais le savoir et en être la cible étaient deux choses très différentes. Qui sait ce qu’il pourrait trouver ? Qui sait quelles informations embarrassantes il pourrait utiliser pour la faire chanter ?

Elle ne put pas dire un seul mot alors que, figée, elle suivait des yeux Silver, qui avança à pas mesurés vers la sortie. En passant à côté d’elle, il lui dit à voix basse « Tu ferais mieux de te tenir à carreaux. » puis, la porte se referma derrière lui. Les échos de sa voix résonnèrent longtemps après qu’il ait disparu.

Et évidemment, évidemment, Silver avait tout laissé en désordre derrière lui. Sa chambre avait l’air d’avoir vu le passage d’un ouragan.

Laura savait déjà qu’elle n’arriverait pas à fermer l’œil, alors, elle se retroussa les manches et commença à ranger.

*************
Le regard de Krys était perdu dans le vide, regardant sans les voir les deux silhouettes des Pokémon allongées côte-à-côte. Il les enviait. Il savait qu’il n’en avait aucun droit. Il s’en voulait. Et pourtant, il n’arrivait pas à s’en empêcher. Il avait Laura. Il avait Nox. Et pourtant, il se sentait tellement, tellement seul. Seul et triste et épuisé et vide. Quand il pensait que les sbires qui étaient assignés à la salle de surveillance l’avaient réaménagée et s’y réunissaient pour jouer aux cartes !
Il ne comprenait pas comment ils faisaient, pour se lever, jour après jour, se réunir, et discuter, et plaisanter, alors qu’ils avaient tous suivi les ordres de Giovanni sans protester, qu’ils étaient tous des criminels.

La sonnerie de son Pokématos le sortit de ses pensées. C’était l’heure pour lui de rentrer. Il avait envie d’aller le plus vite possible jusqu’à sa chambre, et de se laisser tomber sur son lit. Il savait qu’il aurait probablement des cauchemars, mais au moins il aurait un peu dormi.
Il sortit de la salle de surveillance, Nox sur ses talons.
Allons-y. Les trois « D ». Douche, dîner, dodo. Ha. C’est pas comme si j’allais sauter les deux premières étapes.

Le chemin jusqu’à la porte de sa chambre passa en un battement de cils, Krys ayant à peine conscience d’être en train de marcher, trop fatigué pour faire attention à ses alentours.
Il ouvrit la porte, la referma, fit quelques pas en traînant des pieds et se laissa tomber sur son lit tête la première. Il avait l’intention d’enlever ses chaussures en utilisant des pieds et de s’assoupir comme une souche encore tout habillé, mais, alors qu’il déjà en train de somnoler, Nox se mit à lui mordiller les orteils. Avec beaucoup d’efforts, il arriva à tourner à moitié sa tête pour que ses yeux puissent voir ce qu’il se passait. Nox le regardait avec une expression exaspérée, et Krys savait déjà ce qu’elle voulait -c’était loin d’être la première fois qu’elle le lui rappelait de cette manière- et se releva en s’appuyant sur ses mains.

- Oui, oui, c’est bon, j’ai compris. « Enlève tes vêtements avant de te coucher, Krys ! », « ne t’endors pas avec ton binder, Krys !», grommela Krys, d’un ton fatigué, mais aussi un peu amusé.

Nox leva les yeux au ciel. Krys lui fit un sourire fatigué, se déshabilla difficilement, se glissa sous ses couvertures, et après quelques minutes, il dormait comme une pierre. Nox le regarda, satisfaite d’elle-même, puis sauta à l’autre bout du lit, tourna plusieurs fois sur elle-même puis s’endormit à côté des pieds de son maître.