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Aux Pieds des Géants de Kibouille



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» Auteur : Kibouille - Voir le profil
» Créé le 23/02/2023 à 14:22
» Dernière mise à jour le 23/02/2023 à 14:33

» Mots-clés :   Action   Galar   Slice of life

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Chapitre 5
Falaise imprenable,
Torrent de rocailles aigües
Sème les pertuis.

La débâcle me prend au cou. Elle m'implore de la suivre dans sa danse déraisonnée alors que Conrad s'écroule de toute sa masse devant moi. L'arbitre gueule. Au loin derrière son géant, l'adversaire – un gentilhomme cinquantenaire au chapeau melon – étire sa longue moustache en un sourire de triomphe. Il peut se le permettre : il m'a déjà pris Ajax, Uther et Percy. Je n'ai en échange mis aucun de ses pokémon K.O.. Le stade tourne. Mes jambes veulent fléchir ou fuir.

Avec Conrad, je viens de perdre la vitesse suffisante pour devancer son Torgamord gigamaxé. C'est une guerre des climats qui nous oppose depuis maintenant trente-huit minutes, chiffre qui du haut de l'écran géant défile en me sommant de réagir. À son Bekipan poseur de crachin, je répondais par mon Tyranocif qui déchaîne le sable. Nous nous répondions l'un à l'autre de la sorte, à son avantage depuis le début. L'on a l'impression de voir une leçon donnée par le vétéran au jeune challenger, au matage de sa vaine et puérile tentative d'imposer le sable par dessus la pluie. J'étais en mauvaise posture depuis le début et je l'ai su dès le moment où cet oiseau de malheur s'est libéré de sa sphère. Oswald me serre contre lui, de plus en plus fort.

Je n'ai une fois n'est pas coutume pas le public avec moi. Les images de mon Galvagon déchiquetant un adversaire au sol ont tourné sur la toile, insinuant l'antipathie parmi le spectateur moyen et le seul soutien d'une petite poignée d'internautes cyniques en mal de violence, que j'estime adolescents ou marginaux pour la plupart. Ce constat, je l'ai dressé par curiosité morbide, en m'aventurant sur les réseaux sociaux que j'abhorre et évite d'ordinaire. Par une sorte de pulsion grégaire, encore et toujours elle. Une poussée de fièvre m'intimant le désir de voir quel public je fédèrerais. Une énième conclusion amère me faisant comprendre que je n'ai décidément pas la solitude tranquille, que je n'ai encore rien du sage reclus, que je suis encore trop frêle sur jambes, grelottant dans les hauteurs. Je ne fais que m'y aventurer, encore pris de vertige et de soif de camarades, moi qui croyais, qui crois toujours pouvoir trouver le moyen de ne plus ressentir cette dernière.

Trente-neuf minutes tombent, sans plus de geste de ma part. « Que va faire le challenger au Flambino ? » me nargue à l'instant le commentateur avec ce sobriquet attribué par le Net. Les chants de supporters pleuvent, ou plutôt habitent l'arène comme la bruine. Quelques spectateurs quittent les gradins, persuadés de ma défaite imminente. Rien d'autre ne me vient que l'envie de m'enfuir ou de me réveiller d'un cauchemar.

J'envoie Ulrich sans réfléchir, qui encore trempé de son dernier passage sur le terrain fait claquer ses mandibules. Je suis moi-même trempé jusqu'à ma chemise. Les pierres pointues laissées par l'adversaire fusent et viennent se loger sous sa cuirasse, mais mon Lançargot n'en a cure.
Je n'ai pas le temps de le placer avec Danse-Lames : déjà que le Torgamord me prendra de vitesse, je ne veux pas lui assurer deux coups gratuits. Il me reste bien Galahad et son avantage de type, mais je caresse encore l'espoir de lui faire terminer le match. J'opte donc pour un Close Combat : affaiblir la cible le plus possible en jouant la montre, pour la pluie comme pour le Gigamax, qui ne devrait plus prendre beaucoup de temps. Mais de temps, quelle notion ai-je, pris comme je le suis dans les vapeurs de mon match ?

L'adversaire fait le choix évident d'un Hydromax, et envoie une énorme trombe d'eau s'écraser sur mon pokémon. Ulrich se couche pour minimiser les dégâts, puis surgit, détrempé, pour se ruer en direction des pieds du Torgamord. Ce dernier ne se laisse pas approcher, précipitant Hydromax sur Hydromax afin d'immobiliser mon Lançargot. Malgré cela, Ulrich tente, Ulrich bondit lances en avant, Ulrich affronte les geysers qui s'étendent sur son chemin, véritables barrières d'eau. Rien n'y fait. Le géant demeure inaccessible.

Mon Lançargot me regarde tout à coup, furieux, la crinière de son heaume dégoulinant sur sa tête. Je sais de quoi il m'accuse et j'ai grand honte. Je baisse le regard, ne libère pas les mots qui me pèsent dans la bouche et qui de toute façon ne seraient que de confuses et plates excuses.

Je sais mon match perdu, voilà mon tort. Ou plutôt : j'aimerais déjà le perdre. Toute énergie qui me viendrait à l'instant ne serait que celle du désespoir et je refuse obstinément de me laisser infuser par un tel sentiment qui serait déjà une défaite en soi. De tous ceux que je ne veux pas être, je ne veux pas être celui qui se débat. Je veux des victoires éclatantes, ou pas de victoire du tout. Ulrich frappe le sol de ses lances en grognant. Il m'ordonne de m'y remettre. Je n'ose rien pour lui, que la forte pluie lessive au point de presque totalement effacer les contours de son corps rutilant. À l'esquive d'un énième Hydromax suit une deuxième sommation de la sorte, toujours sans réponse de ma part. Je relève le regard et manque de sursauter quand j'aperçois Ulrich fondre tout à coup dans ma direction. Il lève la lance gauche en guise d'intimidation, me hurlant au visage des borborygmes courroucés. Il s'apprête à me frapper. Une part de moi fait surface en tendant mon échine trempée dans la direction de l'arme. « Je ne mérite pas de donner d'ordre à un tel combattant » s'exprime cette même part de ma personnalité.

Je remarque soudainement que le stade tout entier s'est arrêté. Le public n'est devenu qu'une rumeur passante, mon adversaire une lointaine figure interloquée. Même le commentateur d'ordinaire si bavard semble se taire pour moi. L'arène a subitement suivi ma volonté affichée de tout arrêter. Tout se calma au rythme de la mer qui se retire. Je m'en réjouis mollement. Je deviens enfin le maître du temps que j'ai toujours rêvé d'être.

Je me souviens avoir à ce moment-là regardé mon Lançargot avec plus de détail, plus de complétude que jamais ou presque auparavant. J'ai bu silencieusement à la source de sa colère, son intarissable colère, sa colère sculptrice qui à elle seule tire la moindre des formes de sa silhouette ramassée. J'en ai tiré le pur extrait de sa rage de vaincre ; la seule et unique raison de son passage sur Terre. Lui, mon deuxième pokémon, le Carabing assoiffé de sang qui en éclosant sous sa forme larvaire s'est jeté avidement sur mon doigt pour le mordre. Lui qui même malade a combattu à chacun de mes entraînements pendant bientôt quatre ans. Mon pokémon sur qui a toujours pesé le plus lourdement les victoires comme les défaites, qui a toujours écrasé les adversaires vaincus plus qu'il a simplement triomphé d'eux, lui qui tient son ire et sa lance, qui possède les moyens de ses ambitions, qui se jetterait au feu en riant pour atteindre son firmament, lui qui m'est si obéissant et pourtant si inaccessible ; je tenais enfin la raison limpide de son acharnement et de sa rage.

Cet oléolat que j'ai sorti de l'onde de la colère, je me souviens l'avoir brièvement retenu entre mes doigts avant de le laisser s'échapper. Il était un concept encore trop brûlant, encore trop visqueux pour ma pleine compréhension. Il a rejoint la masse liquide avec une promesse en l'air de me revenir un jour, et j'ai benoîtement acquiescé.
Tout cela n'a duré évidemment qu'un instant. Je m'en suis rendu compte quand une honte soudaine et intense s'est infiltrée dans toutes mes veines en un battement de cils. Une solitude si ardente, si embarrassante qu'elle me pousse précipitamment à tous les gestes pour m'en défaire.

« Ulrich, Danse-Lames ! » m'écriè-je, seul au monde.

Ulrich s'exécute immédiatement, comme si nos pensées ne faisaient qu'une. Décontenancé, le gentilhomme adverse donne un ordre bref d'une main tendue à son Torgamord, qui prépare un nouvel Hydromax. Le geyser part, mais s'écrase derrière mon pokémon, qui élancé, frappe de toutes ses forces et à moult reprises le pied droit de son opposant. Ce dernier vacille, chancelle, s'écrase enfin sur mon Lançargot dans un « Oh ! » à l'unisson du public qui me fait frissonner. Plusieurs secondes défilent. Le Torgamord, menton à terre, davantage sonné par sa chute que par l'attaque de mon pokémon, peine à se relever. Ulrich est encore sous son corps. L'inquiétude ne monte cependant, curieusement pas en moi. Je suis comme au-delà de la crainte, l'envie de finir ce match toujours intense mais le défaitisme quelque peu enfoui. Je suis porté. Je ressens comme des vibrations qui me parviennent.

Le bras droit du pokémon adverse se soulève par à-coups, puis tout à coup. Ulrich vient de hisser à la force des bras le membre de la bête au moins aussi haut qu'une maison avant de le jeter en arrière. D'un revers de la lance, à présent à portée de la tête immense enfoncée à moitié dans le sol, il délivre un coup qui électrise le public, puis un autre, le tout en hurlant comme un possédé. Le géant hurle et tente de se relever, mais Ulrich , après plusieurs tentatives et malgré les lents débattements de sa cible, plante ses lances à travers sa peau rocailleuse et commence à l'escalader de la sorte. Arrivé en haut du front, il continue de frapper de toutes ses forces en balançant ses lances derrière sa tête à la manière de marteaux. Mon adversaire fait alors le geste de ramener son pokémon dans sa ball, mais le dynamax se termine au même moment, redimensionnant le Torgamord à ses proportions normales.

Mon Lançargot s'écrase sur lui et commence à l'enchaîner au corps-à-corps. Confus, l'adversaire exhibe sa carapace pour se protéger, mais ploie vite sous les coups assénés : il s'écroule sur le ventre. En ce qui semble être un rire, Ulrich glisse sa lance droite sous la panse de la bête pour la retourner sur le dos et lui infliger un nouveau Close Combat. Il fait de son adversaire ce dont il désire, et rien ne le met plus en joie. Frappe en revers, frappe oblique, frappe plongeante : l'opposant est dépassé et son maître n'ose rien pour lui tant l'action est rapide et à peine retranscrite par mes propres mots. Enfin, comme pour clore la punition, Ulrich relève sa victime sonnée avec la même technique de levier pour lui donner le coup de grâce. C'est à ce moment que le gentleman semble se réveiller du cauchemar et ordonne à son pokémon un Aqua-Brèche, bravement exécuté par son Torgamord à bout de forces. Mon Lançargot est jeté en arrière, se réceptionne sur son pied et toise son opposant groggy. Mais mon adversaire a à peine le temps de finir le mot « Lame de Roc » qu'un coup oblique en pleine tête assomme son pokémon. Le Torgamord s'effondre enfin pour de bon.

« Torgamord du challenger Reid : K.O. ! » hurle l'arbitre.

Tout s'est déroulé en quelques minutes seulement, sans que j'aie donné un seul ordre ni prononcé un seul mot. Ulrich grogne en frottant ses lances l'une contre l'autre, exigeant sur-le-champ un nouvel adversaire. Le stade se soulève comme un ventre qui inspire ; il enfle tout à fait, galvanisé par la voix extatique du commentateur qui lui fait miroiter un retournement de situation.
Mon corps est comme engourdi. Je baigne dans un océan de sensations, une flottaison et une acuité qu'il m'est impossible de traduire en mots. Je perçois l'engouement du public, la frénésie d'Ulrich, la crainte de mon adversaire tout comme s'ils étaient portés par la pluie. Mes pensées deviennent lointaines, enveloppées de brouillard ; mes facultés logiques se taisent pour que ne s'exprime qu'une pure mais nébuleuse intuition. Seuls mes vêtements gorgés d'eaux me maintiennent une coque charnelle : je ne suis plus qu'idée et mouvement.

Le gentilhomme libère d'une Rapide Ball un immense Fulgulairo qui prend des airs d'oiseau de mauvaise augure : il s'agit en effet d'un pokémon que mon Lançargot ne peut pas toucher. J'interroge Ulrich des yeux, bien que je connaisse déjà sa réponse : « Qu'importe ». Le Frégate projette immédiatement un Fatal-Foudre dont mon pokémon minimise les dégâts en plantant sa lance dans le sol afin de faire paratonnerre. Sans lui laisser de répit, l'oiseau vole en piqué vers sa cible à moitié désarmée et la vise d'un Ball'Météo qui fait mouche en plein visage. Ulrich a beau agiter sa seule lance, son adversaire s'en tient à bonne distance dans les airs et le harcèle avec Vent Violent.

Mon opposant ne semble rien faire pour empêcher son pokémon de me dévoiler ses attaques, ce qui d'ordinaire est un faux pas stratégique. Il y a de la colère derrière son flegme impeccable. Lui aussi sans doute ne jure que par les victoires sans partage, et la perte de son Torgamord l'en a définitivement privé. J'étais à mille lieues de le penser si revanchard. Cette analyse semble peut-être bien abstraite, mais c'est tout ce qui me frappe sur le moment ; même l'impasse dans laquelle se trouve mon pokémon m'est lointaine. D'une main j'essuie mon visage ruisselant. Je me laisse porter par mon intuition.

Ulrich récupère sa lance et la propulse dans les airs en direction du Fulgulairo. L'attaque manque, malgré la surprise engendrée chez l'adversaire, qui riposte avec un nouveau Vent Violent esquivé de peu. Mon Lançargot bondit vers son arme plantée plus loin, échappant aux attaques ennemies qui le poursuivent et franchissant les crevasses gorgées d'eau laissées par les capacités Hydromax. Il récupère son long épieu de bois et de fer et le relance dans la foulée, mais c'est un nouvel échec anticipé par son opposant qui continue les capacités Vent Violent. L'une d'entre elles emporte Ulrich, le fait tourbillonner à plusieurs pieds au-dessus du sol détrempé avant de l'y rabattre dans un fracas spongieux. Il s'extirpe de la boue en titubant, tente de s'appuyer sur sa seule lance qui s'enfonce. La confusion l'a atteint.

La situation est on-ne-peut-plus délicate, pourtant je suis à mille lieues de la panique, toujours embué dans cette sorte de clairvoyance irréfléchie, cette improvisation totale qui guide mes gestes. Mon Lançargot chancelant laisse éclater quelques borborygmes de frustration, puis sautille à la poursuite du pokémon Frégate qui continue de se maintenir hors de portée de ses attaques. Il tombe face contre terre à plusieurs reprises, mais se relève toujours avec la même rage. Le Fulgulairo s'élève, amasse des nuées noires pour préparer une attaque Fatal-Foudre qui transperce Ulrich de part en part, n'ayant pas eu le temps de s'en prémunir. À demi assommé, il s'effondre, et le Fulgulairo de lui tournoyer autour en le mitraillant au sol avec Ball'Météo. L'arbitre lève progressivement le bras pour annoncer le K.O..

« Allez, debout... » marmonnè-je en même temps que le public crie.

La pluie s'arrête peu à peu. Je demeure paralysé, comme sonné à mon tour. Je contemple béat les milliers de supporters qui me clament de faire quelque chose. Une force en moi se refuse à leur faire plaisir. Je terminerai ce match comme ça : les bras ballants, les pieds enfoncés dans la glaise, en attendant de perdre sur chronomètre. Je saurai perdre à défaut de savoir gagner, et profiter de mes victoires. Un frisson me parcourt l'échine à cette idée savoureuse, aigre douce. Je m'imagine déjà les titres des journaux : « en huitièmes de finale du tournoi amateur de Kickenham, le challenger Cothland a perdu cinq à zéro contre plus fort que lui. »

Un pas, puis deux me lancent tout à coup sur le terrain de combat. Je marche calmement, déconsidérant totalement le danger. Le Guido hurle vers moi, m'intimant l'injonction de regagner ma zone sous peine de pénalité. Je l'ignore. J'avance jusqu'à me trouver à une huitaine de pieds de mon pokémon au sol. Le Fulgulairo s'interrompt et regagne la position de son dresseur. De là, je peux parler posément.

« Ulrich, le match est perdu. Il faut lâcher prise. »
Le stade tourbillonne à mesure que je dis ces mots. Tout semble sur le point de s'effondrer, pour autant j'éprouve une sorte d'ivresse à m'exprimer sur ce ton déphasé, à parler avec un tel transport. Je sais ma défaite et cela me fortifie. J'en serai presque fier au fond de moi. La faculté de dressage nous apprend le « savoir-perdre », or c'est bien au-delà de cela. Je me sais perdu. Je soupèse et reconnais toutes les composantes de ma défaite, tous mes manquements et toutes mes fautes. C'est grisant. La volonté de vaincre et d'être maître s'exprime même dans la volonté de perdre.

« Challenger Cothland, voulez-vous déclarer forfait ? » me demande le Guido en s'étant approché de moi. Je ne réponds pas un mot. Il répète la question, un ton plus fort, de façon à ce que je ne puisse pas faire semblant de ne pas avoir entendu… et je l'ignore encore. Je suis le seul maître du match, l'arc parfait sur lequel pèse tout entier ce dernier et qui pourtant ne sent rien du poids qu'il supporte.

C'est au même moment que mon Lançargot s'extirpe de la terre en vociférant pour ensuite propulser sa seule lance à travers le stade, lance qui vient se planter à quelques pieds seulement du Fulgulairo posé au sol.
Je ne l'espérais plus, et pourtant tu t'accroches, Ulrich. Tu as cette faiblesse, aussi fort que tu sois, de ne jamais te savoir vaincu.

« Challenger Cothland : pénalité pour interruption du match ! Quittez le terrain sous peine d'une pénalité disqualifiante ! »

Je regagne ma place presque en courant, honteux et un peu déçu, comme un enfant disputé sur qui le sermon reprendrait. Mon carré rejoint, je replace mes yeux dans l'action pour voir Ulrich sauter à grands bonds vers sa première lance plantée dans la boue et le Fulgulairo adverse le poursuivre. Un Vent Violent de ce dernier fait mouche mais à l'effet d'emporter mon pokémon plus loin : en direction de son arme. Il s'en saisit, et s'étale dans la terre détrempée.

Son opposant fond sur lui, mais mon Lançargot a le temps de se retourner et de pointer son épieu vers celui-ci. En un éclair, le Fulgulairo se stoppe dans les airs et fait demi-tour, mais de cette façon il s'offre comme une proie facile. Ulrich lance, Ulrich touche : la lance a traversé l'aile sans s'arrêter, déviée seulement et sonorement par l'os probablement brisé. Le puissant volatile s'effondre dans un débarras de plumes, et à Ulrich boitillant de venir le cueillir. Avec ses pattes nues et en se plaçant sur l'aile, il immobilise son adversaire. Et faisant dégouliner de ses mandibules une salive rouge sang, il les plante avidement dans la chair de l'oiseau qui se débat, s'assurant de bien sonder dans tous les sens l'intérieur de sa nuque. Ainsi empoisonné par Toxik, cloué au sol par l'attaque, le Fulgulairo n'en a plus pour très longtemps. Mon Lançargot ricane de nouveau, de cette sorte de rire aspiré accompagné d'un cliquetis des mandibules. Il abandonne cependant sa proie pour récupérer une à une ses lances, et mal lui en prend quand cette dernière, bien que souffrante, étend difficilement ses ailes pour s'aider dans sa course au sol.

En planant maladroitement à quelques pouces seulement de la terre ferme, le Fulgulairo parvient à invoquer de nouveau la foudre qui tombe à six pieds environ derrière mon Lançargot, qui récupère ensuite sa première lance. Un deuxième éclair tombe, faisant mouche cette fois-ci, mais Ulrich, bien que groggy, reprend bien vite sa cavalcade direction l'autre côté du terrain. La scène est surréaliste et électrise une partie de la foule, qui paraît à l'instant se fendre en deux. Faute de Fatal-Foudre, le Fulgulairo tente des attaques Tonnerre, mais étant trop loin de sa cible, celles-ci échouent toutes. Sa deuxième lance récupérée, Ulrich se met soudain à pavaner, l'abdomen bombé, en pointant sa lance droite vers le ciel. La folie du public grimpe d'un cran. L'oiseau s'écroule sous l'effet du poison et Ulrich n'en demandait pas moins pour déchaîner ses armes.

D'abord, les deux s'abattent de concert. Puis c'est un tempo de percussion malhabile qui est joué sur le dos du pauvre volatile. Ulrich relève sa victime d'un mouvement sa lance, mais au moment de frapper, une attaque Tonnerre le tétanise et dure, s'éternise. Une maigre odeur de métal chaud se met à flotter par-dessus celle du pétrichor. Son corps entier crépite durant de longues secondes. Quand l'attaque cesse, Ulrich balance immédiatement son épieu en pleine tête du Fulgulairo qui s'écroule.

« Fulgulairo du challenger Reid : K.O. ! »

L'impensable s'est produit, mais mon adversaire ne me laisse cette fois-ci pas de répit. Il envoie de toutes ses forces son Bekipan de malheur au centre du terrain, et la pluie recommence.

Ulrich est cloué au sol, les deux lances et la tête baissées. Je l'ai rarement vu à ce point terrassé, et j'ignore avec quelle énergie il peut bien tenir debout. Le Bekipan n'a qu'à l'arroser d'attaques lointaines, mais plutôt que cela, mon adversaire lui ordonne de lancer un simple Demi-Tour. L'oiseau s'élance en rase-motte, mais au moment de rencontrer Ulrich, la lance gauche de ce dernier se lève puis s'abat brutalement sur sa tête. Le Bekipan à moitié assommé par le coup est alors rappelé manu militari et à toute vitesse vers sa poké ball. Une hyper ball la succède, libérant un Hydragon noirâtre de toute beauté, sans doute acheté à l'élevage à chromatiques de Winscor. Ulrich ne tiendra pas la prochaine attaque, à moins d'un énième miracle. Je décide de le rappeler, mais me voyant décrire ce geste, ce dernier fulmine dans ma direction. Je me ravise ; il ne pourra de toute façon plus revenir sur le terrain à cause des dégâts des damnés Piège de Roc. Je m'approche alors à l'extrême limite de mon carré de terrain, désireux de voir où mènera cette prochaine, cette ultime passe d'armes.

L'Hydragon superbe jaillit sans même que son dresseur ait esquissé un geste. Sa gueule béante déborde d'une eau visqueuse. Je me rappelle avoir instinctivement fermé mes yeux sous le coup de l'impact, puis les ayant rouvert, d'avoir trouvé le corps gisant d'Ulrich à mes pieds, sa lance droite un peu plus loin.

« Lançargot du challenger Cothland : K.O. ! »

La foule s'est alors figée. Quelques applaudissements ont retenti, mais ç'a été un océan de silence qui s'est engouffré au sein du stade énorme. Sous une pluie battante, la crinière rabattue sur les yeux, couvert de brûlures, on le croirait endormi. À croire qu'il s'est simplement couché sous l'averse pour plonger dans un sommeil de plomb. Oswald s'avance, se permet le frisson de le toucher –chose que moi seul peut faire d'ordinaire. Son souffle dégonfle lentement son abdomen. Je le laisserais volontiers ici : il a tant l'air de s'y plaire.

Je trottine pour récupérer la lance manquante. Quelques applaudissements fusent du côté opposé aux précédents. Je les ignore. L'arme à moitié fendue pèse bien dans les trente livres. Je la replace dans la patte d'Ulrich avant de le rappeler et de lui adresser, depuis sa poké ball, des remerciements tiédis par la pluie. Je n'ai plus aucun espoir, mais le K.O. de mon Lançargot m'a intimé l'ordre de me battre jusqu'au bout.

J'envoie donc mon honor ball restante. S'en libère mon sublime Majaspic, et la peine m'envahit en l'envoyant de la sorte dans la boue et l'eau. Princier, il se tourne vers moi, plaçant son œil dans le mien et attendant mes ordres. Je n'ose rien lui dire, espérant qu'il comprenne de lui-même mes maigres attentes.

« Bats-toi, Galahad. » me contentè-je de lui ordonner.

L'Hydragon adverse monte lentement à l'assaut. Galahad, en m'adressant une dernière œillade incrédule, se déroule pour se mettre en position de combat. La gueule béante du Fossile se couvre de givre, mais mon Majaspic, juste à temps, esquive son attaque et fait trébucher sa cible à l'aide de sa queue. Aussitôt, un Tempête Verte s'écrase sur l'Hydragon au sol. Mon adversaire demande un changement, accordé par l'arbitre. Il retire son pokémon et envoie dans l'arène détrempée un Cizayox rutilant. Un regain de vigueur m'incite à l'empêcher de se placer, mais ma voix, par honte ainsi qu'une sorte de fierté imbécile, ne sort pas. Galahad se retourne à nouveau vers moi, et je lis dans son regard un souverain mépris. Il se replace et feule, alors que le CIzayox adverse fond sur lui.

Un premier Pisto-Poing, pourtant rapide comme l'éclair, est évité. Mon Majaspic tente d'enrouler sa queue autour de son opposant, mais sa tentative est repoussée. Un second Pisto-Poing fait cette fois-ci mouche au centre du corps serpentin de mon pokémon, puis le Cizayox recule, se mettant à bonne distance de ce dernier. Galahad siffle, feint une première attaque qui pousse le Cizayox à la retraite avant de darder un Regard Médusant qui le paralyse. Rendu beaucoup moins vif, l'adversaire tente néanmoins une Danse-Lames, mais se trouve cueilli par un Puissance Cachée de type Feu projeté à ras le sol, puis par un autre qui l'ébouillante au niveau de la poitrine. Déjà bien affaibli, le Cizayox rutilant vrombit en luttant contre la paralysie tandis que mon Majaspic le guette assidûment. Il s'élance avec Piqûre, mais voit son attaque balayée par un revers de la queue de sa cible, qui le chasse avec une deuxième Tempête Verte.

Galahad projette une autre Puissance Cachée. Le Cizayox l'esquive de peu, mais une seconde l'atteint en pleine tête : la première n'était qu'une nouvelle feinte. Le pokémon insecte est totalement dérouté, mis en échec de toute part. Son dresseur lui-même est partagé, sa longue moustache une barre coupant son visage en deux. Lui qui partait avec un avantage de type certain doit tout à coup composer avec un redoutable adversaire. Une pointe de fierté me traverse le cœur, mais je la réprime ; ce match demeure perdu. Je sais mon adversaire largement capable de trouver une parade et de vaincre. L'œillade méprisante de Galahad me reste en tête. Elle y tourne sans s'arrêter. Je suis un piètre dresseur.

Mon inquiétude était à raison : le Cizayox, dans un regain de vitesse, trompe la vigilance de mon Majaspic en feintant à son tour pour lui asséner une violente Piqûre, puis une autre. Galahad se relève tout en feulant, sa Draco-Queue manque sa cible. Le Cizayox repart à la charge : n'ayant pas d'autre membre que sa queue pour contrer ses attaques soudainement et inexplicablement plus vives, mon pokémon subit celles-ci de plein fouet. Le pokémon Pince ne réduit pas la distance malgré des mouvements progressivement plus lents, ce qui empêche Galahad de répliquer avec Puissance Cachée. Comme pour infliger le coup de grâce, le Cizayox s'élance dans les airs pour frapper mon Majaspic d'une Piqûre plongeante. Or, l'attaque manque : ces quelques centièmes de seconde auront été suffisants pour donner le temps à Galahad de réagir en plongeant à droite. Une troisième Tempête Verte part, éloignant le pokémon rutilant : mon Majaspic est désormais pleinement placé. Ce dernier renvoie dans la foulée une attaque Puissance Cachée surpuissante qui punit une tentative de Piqûre adverse, puis une autre qui atteint sa cible aux jambes ; le Cizayox s'effondre. Galahad s'élance pour lancer une autre capacité, mais ce n'est pas finalement nécessaire.

« Cizayox du challenger Reid : K.O. ! »

Le public rugit. L'adversaire rappelle son pokémon et renvoie son Bekipan dans le même geste, ne me laissant pas le temps d'une célébration qui ne m'est de toute façon pas venue à l'esprit. Je réalise soudain que je connais à présent l'équipe entière de l'adversaire, et que sans son Fulgulairo et son Cizayox, il n'a d'avantage de type à m'opposer que Bekipan. Mon Majaspic sort cependant de son affrontement avec suffisamment de fatigue pour que je ne croie plus du tout à sa capacité à tenir durant le reste du match.

En parlant du Bekipan, celui-ci bat des ailes pour envoyer un Vent Violent inévitable, et que pourtant Galahad évite en bondissant à l'opposé. Il réplique avec un Clonage, chose stupéfante compte tenu de l'énergie restante que je lui suppose, et l'oiseau adverse de renvoyer un autre Vent Violent qui envoie valdinguer le clone tandis que Galahad a de nouveau bondi au loin. Profitant de l'épuisement de l'opposant, il projette une Tempête Verte monstrueuse ; l'attaque semble avoir été lancée trop à droite, or en anticipant du mauvais côté, le Bekipan se la prend de plein fouet. Le volatile s'écrase dans la boue. Son dresseur demande un changement : accepté. Il le rappelle dans la foulée, anéantissant l'action de Galahad qui s'était rué à sa poursuite.

L'Hydragon superbe revient sur le terrain, préparant immédiatement un Crocs Givre. Galahad se tient à bonne distance. Un pas enfoncé dans la glaise, puis un deuxième lancent péniblement le Fossile à travers le stade. Galahad renvoie à nouveau un Tempête Verte trop à droite, et à nouveau l'adversaire anticipe mal. Le déluge d'énergie verdâtre lacère l'Hydragon, qui poursuit cependant sa cavalcade, mais arrivé à destination, aveuglé dans sa course par la précédente capacité, il ne trouve rien sinon une vaste étendue de terre lessivée par la pluie. Galahad a bondi derrière, et abat sur lui une Draco-Queue sonore qui le cloue dans la boue. Très vite, il serpente à l'opposé et libère une nouvelle déferlante verte : fatale. L'Hydragon, enfoncé dans le sol et coupé de toute part, laisse échapper une longue expiration qui portée par les microphones résonne à travers tout le stade.

« Hydragon du challenger Reid : K.O. ! »

Le public s'électrise. Je les sommerais presque de se taire. Ils ne voient pas, ils ne voient rien...

Un Crapustule immense jaillit et lance immédiatement Cradovague. Galahad esquive comme une farce et croise le regard de sa cible, qui s'en sort paralysée. Immobilisé, le pokémon Vibration croasse de douleur. Un Tempête Verte unique le renvoie immédiatement dans sa pokéball.

« Crapustule du challenger... » s'arrête l'arbitre, devancé du geste par mon adversaire qui a déjà renvoyé son Bekipan.

Tout tourne de nouveau, mais plus rien n'a la même saveur. L'atmosphère se remplit d'une sorte d'odeur aigre-douce qui me remplit d'excitation enfantine. Je suis comme pressé de recevoir quelque chose : les lauriers de ma victoire ?

Le volatile envoie sans y croire un Vent Violent qui rate : Galahad n'a pas oscillé. Un nouveau Regard Médusant pétrifie sa cible : la même stratégie se met en place sans que je n'aie quoi que ce soit à redire. Tout s'accorde à merveille. Je secoue la tête comme un diable pour revenir à la raison. Le songe m'égare, il voile ma vision : ce n'est qu'ainsi que je m'explique ce qui arrive. Pourtant, la pluie tiède tombe toujours sur mes épaules, alourdit ma veste qui désormais ruisselle sur mes chaussures. Tout est bien réel. Quand je reviens à moi, le Bekipan est au sol.

« Bekipan du challenger Reid : K.O. ! La victoire revient au challenger Cothland, qualifié pour les quarts de finale ! » s'égosille l'arbitre.

Une folie générale secoue le public, m'écrase totalement. Je me tourne vers Oswald qui de ses petites pattes bouche ses oreilles. Je le prends dans mes bras sans réfléchir : pour l'abriter. Le public continue d'acclamer je ne sais quoi. Moi ? Le spectacle d'une remontée fantastique ? Tout cela me semble si lointain ; j'ai presque envie d'acclamer à leurs côtés. La pluie s'arrête, la nuit revient. Je tourne des talons.

Une main se pose aussitôt sur mon épaule : mon adversaire a traversé le terrain. Je lève le regard vers sa tête : son visage rayonne de bonheur, avec toutefois un certain dédain aristocratique dissimulé ; il a perdu contre la plèbe et je comprends ce sentiment. Il place sa main gauche sous son coude pour serrer vigoureusement la mienne droite.

« Bravo jeune homme, bravo. Vous m'avez offert là une rencontre des plus électriques ! » me félicite-t-il dans un langage affecté qui m'est immédiatement sympathique. « Bravo à vous. » lui répondis-je mécaniquement, ne sachant comment réagir. Ce gentleman a tellement de maintien dans la défaite que je lui donnerais bien la victoire que l'on m'attribue…

Devant moi se tient Galahad, fier et droit. Il a l'air de goûter pleinement son triomphe, tournant lentement la tête de gauche à droite tel un empereur antique. Il se tourne alors vers moi et je recule, me prenant tout à coup pour l'un de ses adversaires. Une sorte d'emballement du cœur me prend, comme de la tachycardie. Je m'en inquiète, j'ignore ce qui m'arrive. Le sentiment de la victoire m'est lointain, or mon défaitisme l'est tout autant, sinon plus. Je demeure encore à côté de mon corps, me demandant quelle mine je peux bien afficher, et si celle-ci n'est pas un peu ridicule ou arrogante. Je me répète, incrédule, que je suis en quarts, mais ces mots ont autant de valeur qu'un rêve rabâché. Je cherche un quelconque ressenti à me mettre au cœur mais je continue de flotter à la dérive. Loin, si loin de mon propre corps…

Je m'abîme dans le grand œil cuivre de Galahad ; il me prend l'envie de copier son attitude, d'être comme lui princier et indifférent, mais savourant intérieurement la victoire durement acquise. Je suis en quarts, répétè-je une énième fois, reste à voir quand je m'en estimerai digne.

Le stade trempé
Longues écailles feuillues
Récolte les palmes.