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Aux Pieds des Géants de Kibouille



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» Auteur : Kibouille - Voir le profil
» Créé le 14/12/2022 à 18:22
» Dernière mise à jour le 01/03/2023 à 15:30

» Mots-clés :   Action   Galar   Slice of life

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Chapitre 3
« Vous êtes prêt, challenger Cothland ? »

Je réponds au guide d'un signe de tête. Derrière moi s'affairent, se préparent, angoissent la dizaine d'autres compétiteurs. J'observe sans rien dire le long couloir sombre s'en allant mourir dans un éclat de lumières multicolores. Dans ma main serrée, une pokéball. À mes pieds, Oswald clopine.

Je n'ose observer les dresseurs éparpillés dans le vaste vestiaire, par pudeur plus que par timidité. Tous doivent actuellement ressentir un bouillon de sensations, toutes mélangées et devenues innommables, mais qui pourtant ont chacune gardé leurs senteurs. Nul besoin d'yeux pour les sentir étrillés ; le poids des gradins repose tout entier sur le brasier qui couve en eux. À moins qu'il ne repose sur moi.
Mon âme me déborde par les oreilles, massacrées par la musique infernale qui dehors forme une dyarchie avec les lumières. Vingt-deux mille spectateurs écrasent mon corps trop maigre jusqu'à m'empêcher d'évacuer quoi que ce soit ; quelque émotion ou sensation. Je me sens comme un Limonde sous leurs sièges, sous leurs clameurs.

Pourtant, ô que j'aimerais leur hurler mon indifférence, leur vomir mon mépris ! Mépris aux goinfres venus pour le spectacle. Mépris aux ignorants, à ceux venus étouffer leur musique. Mépris aux sans-goût, attirés par le son et lumières à la manière des insectes. Mépris enfin à tout ceux n'étant pas réprouvés par ce tableau immense et criard, ceux pour qui la mesure ne sied qu'à de fictifs prétentieux.
Mais quand on méprise, on ne peut faire la guerre : on se contente d'être recouvert par le monde, de subir sans bouger, sans pester le passage d'une troupe de Fermite.

Le Guido me fait signe d'approcher, et son geste mêlé au couloir sombre m'évoque quelque chose de sordide. Je prends Oswald sur mes épaules et le devance d'un pas décidé, qui du moins mime la résolution. Mon cœur semble s'être arrêté. J'avance à présent sur cette grande ligne noire dont je ne distingue même pas les bords. La tempête des voix m'attend à l'extérieur. Elle m'appâte avec ses leurres lumineux. Je ralentis le pas. Le couloir me paraît soudain d'un incroyable calme. Ici, je suis entre deux eaux, à la frontière de l'objet de ma déconsidération. Cet équilibre précaire m'emplit d'une sensation douillette, je voudrais rester là pour de bon, mourir ici. Devenir tout entier ombre, éternel observateur fantômatique : cela me serait délicieux. Mais j'ai un but.

Je débouche finalement dans le stade effervescent ; dans une compétition comme celle-ci, il y a certes peu de supporters, mais beaucoup de curieux. La voix du commentateur – un animateur quelconque de chaîne sportive – m'assaille dès le premier pas posé sur le terrain et avec elle les applaudissements de circonstances.

« Numéro 227 : David Cothland ! Cinq badges à son actif ! »

Oswald prend peur. Je lui prodigue quelques caresses, bien qu'au fond je sois tout aussi écrasé que lui par le monde. Je distingue mon opposant : moins grand mais plus solidement bâti que moi, la coupe courte, yeux bruns génériques, il arrive dans l'arène en trottinant avec un air déterminé comme une parodie de Kabu. Le public semble l'enivrer : il a du feu dans le regard. Le mien doit être bien terne en comparaison. Nous ne sommes pas sur le même plan. Là où il bout, je suis froid, désespérément, obstinément froid. Rien sinon mon mépris et ma naturelle timidité ne fait surface en moi. C'est au delà de la simple réserve : je n'arrive simplement pas à ressentir quelque excitation que ce soit.

Mon adversaire prend place en mimant de petits échauffements superflus. Je l'envie presque ; si sa vie n'avait pas autant l'air de lui suffire, je lui aurais précipité mes marques de respect.
Ma préparation mentale est rapide ; je déplie puis pose mon casque sur les oreilles, à la surprise de l'arbitre et de mon opposant qui me fixent interloqués. Le monde alors disparaît. Ne restent plus que les lumières, taquines, qui m'effleurent de temps à autre le visage ; une nuisance largement gérable comparée au bruit. Je dépose Oswald à mes côtés et fais signe que je suis prêt à l'arbitre toujours étonné.

Le silence s'abat sur le stade, comme si l'on avait prononcé une punition pour vingt-deux mille têtes. Quelques cris d'encouragement s'échappent de cet océan de lourdeur. L'arbitre lève le bras : nous ne sommes plus que trois sur Terre. J'apprécie ces moments suspendus presque passionnément.

« Commencez ! »

Un cri de l'adversaire et un Mélodelfe jaillit du côté adverse. J'envoie pour ma part Ulrich, prenant dès le départ l'avantage de type. L'adversaire prend peur et retire immédiatement son pokémon pour envoyer un Magnézone, lequel encaisse facilement une Tête de Fer de mon Lançargot. Le Magnépiège adverse le contraint à rester sur le terrain, mais Ulrich, le pied rapide, fond sans un moment de répit sur son opposant et l'atteint d'un Close Combat. Le pokémon Aimant se défend en lançant des attaques Tonnerre, mais bien qu'atteignant leur cible, ces dernières ne lui arrachent rien sinon des râles de délice. Mon opposant perd contenance et rappelle son pokémon dans la précipitation.

« Challenger Krane, pénalité ! » crie l'arbitre.

La pénalité me donne droit à un changement après que mon adversaire ait envoyé un pokémon. Un Dracolosse titanesque apparaît dans un éclat de lumière. Je retire un Ulrich fulminant pour envoyer Uther. La tempête de sable se lève. Mon Tyranocif pose d'entrée ce que l'on nomme poliment "les amabilités de dresseur", à savoir les Pièges de Roc. L'immense Dracolosse réplique en plaçant une Danse Draco, mais le Hurlement d'Uther le contraint à céder sa place à Mélodelfe. Ce dernier pose Piège de Roc à son tour. Uther réplique avec une Lame de Roc, esquivée de peu par sa cible.

Je change à nouveau pour Percy, qui encaisse sans problème un Pouvoir Lunaire. L'envie de le placer avec Machination est grande, mais je préfère le réserver pour plus tard. Mon adversaire échange Mélodelfe contre Scalproie, j'échange Percy contre Uther. Avant que j'aie le temps de donner un ordre, le pokémon Tranchant atteint mon Tyranocif de plein fouet avec une Tête de Fer. Celui-ci se relève difficilement alors que le Scalproie adverse place une Danse-Lames, puis se jette sur lui à plusieurs reprises. Mais au moment du dernier impact, mon pokémon stoppe net son adversaire avec ses deux bras, le saisit à la tête et l'écrase violemment au sol d'une attaque Surpuissance dans un rugissement terrible.

« Scalproie du challenger Krane : K.O. ! »

Mon opposant rappelle son pokémon, visiblement estomaqué. Uther respire bruyamment, comme essayant de réprimer des hurlements qui lui viendraient par saccades. Il envoie un Gorythmic trapu. Je dois changer pour Galahad, et le voir pour la première fois sur un terrain de combat fait naître en moi une expression de joie enfantine contenue. En une fraction de seconde, mon pokémon décide de lui-même d'effectuer un Anti-Brume qui dégage le terrain et dissipe la tempête de sable, puis de paralyser l'adversaire d'un Regard Médusant.

Bien que souffrant, le Gorythmic frappe sa poitrine en guise d'intimidation. Avec une vocifération semblable à un cri de guerre, il s'élance difficilement à la poursuite de mon Majaspic, lequel esquive gracieusement ses attaques et réplique d'une Tempête Verte. La paralysie contracte ses membres, secoue son corps de petits spasmes, mais le pokémon Batteur demeure résolu à vaincre. Je m'imagine un instant en le regardant ce qu'Oswald aurait pu devenir…

Gorythmic cède sa place à Lanssorien. Mon Majaspic en le voyant se dissimule derrière un clone en continuant d'abuser de Tempête Verte. Le pokémon Furtif fend l'air pour esquiver, puis tire deux Draco-Flèches : l'une abattant le clone et l'autre atteignant Galahad à la tête. Malgré le choc reçu, il se relève, imperturbable, et tente de paralyser sa cible avec Regard Médusant, laquelle évite encore.
Je change Galahad pour Uther, qui par son type incapacite totalement Lanssorien. Ce dernier tente bien deux nouvelles Draco-Flèches, mais mon Tyranocif les encaisse comme de rien, se dissimulant dans la tempête de sable qui s'est de nouveau levée. Lanssorien bat en retraite, remplacé par Dracolosse, qui gémit en se prenant de plein fouet les Pièges de Roc qu'Uther venait de reposer.

Nous gardons l'avantage, tant sur les K.O. que sur le rythme de l'affrontement. Je peux me permettre de pousser l'adversaire à la faute ; je tiens surtout à faire sortir son Dracolosse, qui m'est un gros handicap. Mon Flambino me tient fermement la jambe, ne me lâche pas depuis le début du combat. Il tient à rester près de moi, à suivre tous mes mouvements ; c'est sa façon de combattre à mes côtés.

L'adrénaline monte peu à peu, bien que la saveur ne me parvienne point. Le fond de mon âme me reste inaccessible, comme retranché derrière une épaisse muraille, de sorte que je ne fais que l'apercevoir de loin. Mes ordres sont mécaniques et froids, je suis loin de mon propre match, et pourtant cette froideur me réussit. Je regarde un instant mon opposant crier, se démener, remuer tout l'air au-dessus de sa tête. Je secoue tout à coup la tête à en faire tomber mon casque : pourquoi rien ne remonte en moi dans de tels moments ?

Uther et le Dracolosse se font face. Le commentateur, par des paroles qui me sont indiscernables, fait des longueurs sur ce duel. Tout à coup, l'adversaire se jette au sol pour fendre la terre d'une attaque Séisme, qui fait lourdement choir mon Tyranocif. Je redoute d'autant plus ce pokémon, qui met à mal à lui seul la moitié de mon équipe. J'opère un échange risqué en retirant Uther pour lancer une masse ball dans l'arène battue par le sable volant. Entre alors Conrad. Tout le stade émet un « Oh » tandis que le commentateur s'ébahit sur sa taille imposante : il dépasse le Dracolosse. Mon Galvagon se tourne alors vers moi, l'air intimidé. « Au combat ! Montre-lui qui est le plus fort ! » lui criè-je. Il obéit.

Le pokémon adverse s'élance de nouveau, préparant un nouveau Séisme. Mais Conrad s'est déjà élancé, fulgurant, et le bec crépitant d'éclairs, mord son opposant à la gorge et l'entraîne au sol. Le Dracolosse se débat et finit par s'échapper en frappant avec Poing Glace, vole plus loin et son attaque fend de nouveau la terre. Conrad rauque, le souffle coupé, mais se réceptionne et recouvre son bec d'éclairs bleutés. Il feinte, le Dracolosse suit et avant même de s'apercevoir de son erreur, voit son ventre lacéré par l'attaque Prise de Bec. Les deux géants se débattent au sol, échangeant des hurlements. La tempête de sable balaie encore le stade, mais j'aperçois tout à coup mon Galvagon au sol, maîtrisé par le Dracolosse qui s'élève dans les airs pour retomber et l'écraser.

« Colère, vite ! » m'écriai-je.

Conrad feule puissamment. Ses yeux chatoient. Son corps se couvre d'une intense lueur rougeâtre. Le Dracolosse retombe sur lui, coupant son souffle, mais mon Galvagon se relève, repoussant au loin le pokémon Dragon, puis se jetant sur lui avec sauvagerie. Ce dernier a beau le frapper de ses Poing Glace, la furie de Conrad augmente encore et encore, tranchant et écorchant ce qui est désormais sa proie. Le Dracolosse s'effondre, Conrad fond sur lui avec un cri strident en le lacérant au niveau de l'épaule d'un coup de patte. La tempête de sable se dissipe, révélant une mare de sang et les deux colosses luttant au sol. Un nouveau « Oh », d'horreur cette fois-ci, transit le public. La fascination qu'il éprouve me fait horreur plus encore que la scène. Je suis le seul à rester de marbre devant mon Galvagon, d'ordinaire si calme, rendu aux portes de la folie destructrice, non point que j'en fasse une fierté…

Conrad relève la tête, comme si, jusqu'alors, il formait avec son adversaire une seule entité mouvante et ensanglantée. Son bec s'ouvre, crachant une hurlée gutturale indicible. Le Dracolosse est étendu dans la poussière et sur le sol craquelé, sa poitrine rougie et déchirée à plusieurs endroits se soulevant faiblement. Mon pokémon se détache du corps qu'il ravageait pour ramper vers moi en feulant. Son regard est redevenu celui d'une bête craintive ; il y a du désarroi, des excuses à l'intérieur. L'excuse et les reproches de s'être laissé aller à la colère. Il s'effondre.

« Dracolosse du challenger Krane et Galvagon du challenger Cothland : K.O. ! »

Je rappelle mon pokémon et regarde mon adversaire, accroupi au chevet de son Dracolosse. Le public prend fait et cause pour lui : des huées stupides commencent à pleuvoir des tribunes, perçant mon casque. Des huées qui tandis qu'elles attisent ma colère, m'amusent soudain. Un petit rire sous cape incontrôlable que mon opposant et l'arbitre remarquent. Je m'efforce de l'étouffer en grinçant des dents : je n'ai pas honte. Je n'ai pas à avoir honte. Dans ce défilé d'inconnus qu'est le tournoi amateur de Kickenham, le moindre motif est bon pour se choisir un favori. Le public, rendu un par la bêtise collective, a choisi le sien : plus vertueux, plus méritant et ayant comme lui un dégoût uniquement apparent du sang. Je préfère cette situation : avoir le plus grand nombre à dos m'est plus confortable.

Après une interruption durant laquelle mon adversaire a apporté les premiers soins à son Dracolosse, ce dernier se relève et fait un signe de victoire à la manière de Tarak qui s'assure du bon soutien du public. Va, tu es le héros de ce soir, mon bon, mon brave opposant. Bientôt, tu réaliseras à temps que ce n'est pas le stade qui t'offre la victoire.
Le plus valeureux d'entre nous renvoie son Mélodelfe. J'envoie Ulrich et lui ordonne de placer une Danse-Lames. Le pokémon adverse ne bat surprenamment pas en retraite, préférant replacer les Pièges de Roc. Ulrich se jette sur sa cible, qui utilise Téléport pour revenir dans sa pokéball et céder sa place à Lanssorien. Mon Lançargot tente de l'atteindre avec une attaque Sabotage, mais échoue. L'adversaire, trop rapide pour lui, le brûle avec Feu Follet et lui arrache un crissement de douleur. Je le rappelle et envoie Uther. Mon adversaire rappelle à son tour son pokémon mais n'en expédie aucun autre : je sais ce que ça signifie.

Le poignet dynamax luit. La pokéball décuple de volume et une explosion de lumière libère un géant derrière le dresseur adverse. Ce que je redoutais le plus, mais qui allume en moi une pure rage de vaincre, est arrivé. Le véritable combat commence maintenant.

Je retire Uther pour Percy. Mon Ectoplasma se jette en avant et utilise un Feu Follet qui ne parvient pas à brûler sa cible. Apeuré, il se recroqueville derrière un Clonage, vite détruit par un Spectromax adverse assourdissant. Percy bondit, forme une Ball'Ombre qu'il projette de toutes ses forces sur l'ennemi. Un autre Spectromax s'abat sur l'arène et fait tout trembler. La Ball'Ombre atteint sa cible mais la fait à peine tressaillir. L'énergie se dissipe : Percy est au sol.

« Ectoplasma du challenger Cothland : K.O. ! »

J'envoie Énide dans la précipitation, malgré le grand désavantage de type. Elle utilise une Prescience d'entrée de jeu puis attend mes ordres. Le Lanssorien gigantesque précipite un Spectromax que ma Roigada évite en se téléportant dans les airs. Elle se réceptionne avec un nouveau Téléport puis utilise Abri. La barrière psychique ne peut contenir un nouveau Spectromax et cède, projetant Énide à mes pieds. Oswald se jette vers elle, mais je le retiens pour éviter la pénalité. Énide se relève et se téléporte vers son adversaire pour le viser d'une Ébullition vaine, qui se disperse avant de l'atteindre.

Le Lanssorien dynamaxé envoie une énième attaque spectre, difficilement encaissée par un autre Abri d'Énide. Ma Roigada se tourne vers moi, le regard peiné : elle sait pertinemment ce qui va arriver. Je ne lui réponds que d'une moue peinée. Elle acquiesce et fait face à l'ennemi. Tout à coup, le géant vacille et s'écroule, car l'attaque Prescience l'a atteint à ce moment. Je profite de ce moment de répit pour échanger Énide contre Uther et sa tempête de sable, qui parvient à encaisser un nouveau Spectromax.

L'arbitre lui-même me fait signe pour me dire que je suis apte à faire moi aussi dynamaxer mon pokémon. Je lui montre alors mon poignet dynamax, ou plutôt son absence. En réponse à ce geste, le référent me demande si je veux déclarer forfait. Imbécile ! Bien évidemment que non : laisse donc ce match se poursuivre avec un seul géant !

Uther cède sa place à Galahad, qui parvint in-extremis à infecter le Lanssorien avec Vampigraine, puis Ulrich le remplace pour empoisonner le pokémon adverse avec Toxik. Les attaques du titan se poursuivent, destructrices, stridentes, absurdes. Mes pokémon se relaient pour les encaisser chacun à leur tour, le peu d'énergie récupéré grâce à la Vampigraine étant instantanément détruit par un énième Spectromax. Le public me hue pour ma stratégie très anti-spectaculaire. J'entends ses injures se faufiler à travers mon casque. Lentement mon expression impassible s'effrite, et un masque de colère et de tristesse tombe devant mes yeux.
Harassée, Énide s'effondre la première, non sans avoir placé une Distorsion au tout dernier moment. Galahad, fatigué de ces allers-retours, garde néanmoins son expression superbe.

Alors le dynamax prend fin. Le Lanssorien retrouve sa taille originelle, visiblement éreinté par le face-à-face avec cinq de mes pokémon. Uther, qui était sur le terrain à ce moment, fond sur lui et plante sa Mâchouille près de sa gorge. Le pokémon Furtif se dégage avec peine. J'entends mon adversaire pester. Une insulte en ma direction lui sort de la poitrine. Il n'est pas de bon ton pour un héros comme toi de se laisser aller à la colère.

Le Lanssorien cède à nouveau sa place au Gorythmic, qui abat un puissant Martobois sur le crâne de mon Tyranocif. Uther se relève, sonné mais bel et bien conscient. Je le retire et renvoie Ulrich. Mon équipe est soudain en lambeaux. Lui et le Gorythmic se jaugent, impassibles. C'est ce dernier qui se lance d'abord avec une Surpuissance, contrée par mon Lançargot qui réplique avec une Mégacorne droit dans le foie. Étourdi, le pokémon adverse n'a pas le temps de voir s'abattre un nouveau coup de lance sur sa nuque. L'arme grince sous la force du coup, renversant le primate. Ulrich place une, deux Danse-Lames en tournant lentement autour de son opposant à terre. Sa brûlure lui inflige de petits spasmes de douleur, mais un crissement saccadé, semblable à un rire, s'échappe de son heaume.

Le Gorythmic se redresse dans un suprême effort, mais est rapidement mis au tapis par Ulrich d'une Mégacorne. Son semblant de rire habite maintenant toute l'arène. Sa chitine est maculée de larges traces noirâtres de brûlure. Les pointes de ses lances étincellent sous la lumière des projecteurs. Il ne reviendra plus à présent, pensè-je. Ivre de violence, il restera sur le terrain jusqu'au K.O., emportant avec lui le plus de pokémon possible.

Le Lanssorien réapparait, comme l'ombre tenace d'une malédiction. Il est exsangue, a le souffle court, mais la vengeance lui embrase les yeux. Sans lui accorder de répit, Ulrich fonce lance en avant et manque de peu sa cible, qui réplique en vomissant une longue trainée de flammes. Mon Lançargot bondit afin d'éviter la capacité, puis se replace en posture offensive. Le Lanssorien disparaît, Ulrich observe les alentours comme une bête traquée, toujours avec cette sorte de ricanement qui fait vibrer sa cuirasse. L'ennemi réapparaît dans son dos, Ulrich voit venir l'attaque et, opérant un rapide volte-face, donne un puissant coup de lance retourné à sa cible qui va s'écraser plus loin.

« Lanssorien du challenger Krane : K.O. ! »

L'adversaire sait que son Lanssorien mis hors d'état de combattre signe la fin de son parcours. Il me regarde, comme pour me demander si je n'ai rien à en dire. Nous nous faisons face sans rien faire pendant plusieurs secondes. Ce hiatus prend des allures de tribunal ; ma faute étant que je n'ai pas laissé gagner le champion. Je me suis opposé à lui avec toute la force brutale de mes calculs froids. La passion, bête fragile, est morte, par ma faute. J'ai envoyé un voile de lourdeur recouvrir le stade entier. Désormais, les vingt mille spectateurs éprouvent la même éternelle déception, la même apathie que moi.
J'observe le héros déchu en détail ; ses lèvres qui se pincent, sa tête enfouie dans ses bras. Il sait qu'envoyer une pokéball, c'est envoyer le pokémon qu'elle renferme à la douleur. Je vois clair dans son pantomime. Je ne me sentirai pas coupable. J'éprouve soudain la même soif de coups qu'Ulrich. Je ne tiens plus sur mes jambes. Il ne me volera pas le délice de la victoire par quelques expressions navrées de mauvais perdant : je cherche ce doux breuvage depuis trop longtemps.

Avec un geste de dépit, mon opposant envoie son Magnézone. Ulrich n'attend même pas que l'éclat de lumière de la pokéball se soit dissipé pour se jeter immédiatement sur lui et le matraquer d'un Close Combat. Le pokémon Aimant s'écrase lamentablement dans la poussière. Toutes les attaques Tonnerre et Mur de Fer qu'il peut lancer n'altèrent pas la folie furieuse du Lançargot, qui avait complètement baissé sa garde pour frapper son adversaire avec toute sa force. Les lances pleurent sous la violence des coups. Le sable volant est propulsé, repoussé dans l'air par le seul souffle des armes de bois et de résine qui s'abattent sur leur cible. Ce n'est rien qu'un fracas indiscernable qui retentit dans l'arène, un vacarme porté par la masse jaunâtre de la tempête de sable.

Le Magnézone s'effondre inanimé au moment où la poussière retombe. Mon adversaire est à genoux. Il renverse théâtralement la tête en direction du ciel en serrant les poings. Il n'est décidément qu'un acteur. Il se relève, saisit l'hyperball de son dernier pokémon, mais demeure perplexe. Une bonne minute s'écoule dans le silence et la consternation. Ulrich fulmine, désireux de combattre, frappant le sol de ses lances. Je m'impatiente moi-même. Il n'oserait pas m'en priver…

Au terme d'un instant interminable, mon adversaire baisse les yeux et lève la main en direction de l'arbitre.

« Le challenger Krane déclare forfait. La victoire revient donc au challenger Cothland, qualifié pour les huitièmes de finale ! »

Les applaudissement pleuvent, mais je sais pertinemment qu'ils ne me sont pas destinés. Ulrich vrombit de rage. Je le rappelle avant qu'il ne s'en prenne à quelqu'un. Mon opposant remercie le public en lui faisant des signes, puis s'avance vers moi avec un sourire. Décontenancé, je ne me mets en marche que tardivement, de sorte que nous nous rencontrons au second tiers du terrain au lieu de son milieu. J'enlève mon casque ; le monde revient. Il tend une main vers moi que je saisis. De sa bouche ne s'extirpe qu'un « Bien joué » à peine susurré.

Je ne réponds rien. Les quelques mots de politesse qui me viennent restent coincés dans ma gorge brûlante. Levant ses petits yeux ronds vers moi, Oswald a l'air de me demander si nous avons bel et bien gagné, tant mon visage doit dire le contraire.
Cette victoire n'a même pas un goût amer ; elle n'en a aucun. La musique infernale reprend : elle me nargue, se moque de moi, vainqueur incapable de savourer les fruits de son œuvre. D'aucun pourrait dire que j'ai dominé le match de bout en bout – sans pénalité de surcroît, que j'ai su triompher du dynamax sans l'utiliser, mais pour moi ce ne sont au fond que de vaines consolations, des vues de l'esprit. Il aurait fallu que ce soit une victoire sans partage ; c'était mon premier match dans la compétition.

Je me souviens avoir quitté le stade en quatrième vitesse et être sorti sans même défaire ma ceinture de pokéballs. Je me suis jeté dans la première avenue et le froid du soir d'hiver. De nouveau juché sur mes épaules, Oswald s'emmitoufle dans mon écharpe. je marche seul, indifférent aux sons, aux lumières, aux senteurs. J'ai traversé le marché nocturne de Kickenham sans m'en rendre compte, promenant simplement mes yeux sur des couleurs, des lueurs sans pour autant identifier les choses qu'elles forment.

De nouveau conscient, j'achète au passage un morceau de pain d'épices que je partage avec mon Flambino. Je mastique chaque bouchée sans en tirer la moindre saveur. La foule m'enveloppe, coule le long du bitume, pressée, myrmicéenne, indifférente. Je suis incapable de distinguer le moindre visage dans cette mélasse d'hommes et de femmes. Je regarde sans voir cet amas. Peuvent-ils voir rien qu'en me regardant que je suis le vainqueur d'un combat ?

Mes pas me mènent le long des jardins, me font longer les grands boulevards, emprunter les ruelles médiévales et les longs escaliers. Mes pensées s'entremêlent, habitent chaque mur que je frôle. Je les trouve sur ma route, au détour d'un croisement, sur le glacis d'une fenêtre. Je les attrape au vol et les ajoute à ma mixture cérébrale bouillonnante. Ma victoire me colle désormais aux semelles, elle m'embarrasse comme une chose honteuse, comme deux lourdes valises à chaque main. J'aimerais en passant près d'un canal l'y jeter et la voir couler à pic.
Je m'enfonce en direction des remparts, j'évite à présent les artères gorgées de monde. Depuis combien de temps n'ai-je pas cherché dans une foule une présence, une personne, un regard ? Depuis quand regardè-je les humains comme de simples plantes, de simples pierres ? Les bâtiments et les allées comme le décor d'un songe ? Je suis sans fatigue et sans réponse. J'ai l'obsession de la marche, gardant le petit Oswald bien contre ma joue.

J'échoue soudain au milieu du carrefour névralgique de Kickenham, quasi vide. Ses commerces embourgeoisés, l'hôtel de ville illuminé, sa statue centrale dont j'ai oublié l'histoire du personnage, ses écrans publicitaires géants. Je réalise avec une surprise feinte que la nuit est largement consommée. Ma marche invétérée prend sa fin quand je vais m'asseoir sur un banc pour regarder pensivement les quelques passants fuyant le sommeil. Je voudrais devenir statue, observateur impassible du monde figé dans une gloire éternelle. Mais je n'ai pas la sagesse d'une statue ; je m'énerve bien vite et de nouveau, me revoilà à marcher. Je me fixe un but dérisoire : rejoindre le campus à pied. Oswald, patient et dressé comme une petite girouette, se contente d'être le passager de mon errance nocturne en grignotant son pain d'épices. Quand nous sommes seuls, je lui pose des questions auxquelles il ne répond bien sûr pas. Il m'empêche de complètement m'évaporer, il m'ancre dans la nuit.

Le matin point quand j'arrive enfin à l'université. En franchissant le grand portail, je suis comme soulagé d'être revenu dans mon grand antre de solitude, là où personne ne soupçonne, où personne ne sait que David Cothland a gagné un combat difficile.