Baliyru ou les fantômes de la bibliothèque de FireHana

Diana se précipite pour rattraper sa maladresse :

— Je suis désolée que tu n'aies pas gagné... Mais t'es super bien battu ! Tu peux être fier de toi !

Mais Alistair ne bouge pas. Nox s'assoit à côté de lui, les oreilles un peu pendantes alors que son sourire doux-amer laisse place à une grimace attristée.

— J'avais... J'avais tellement peur de décevoir tout le monde... mes parents... mes amis... moi.

Diana l'écoute avec attention.

— Je crois... que j'ai fini par me... me persuader que... quoique je fasse... je ne pouvais pas gagner...

— Mais pourquoi ? ne peut s'empêcher de s'exclamer Diana, provoquant un sursaut chez le jeune garçon. Tu étais si bien parti...!

Les bras d'Alistair se resserrent autour de ses jambes. Diana espère une réponse, mais il se mure dans le silence. Elle ne peut parvenir à comprendre, même si elle ne demande que ça. Jamais encore elle n'a eu à expérimenter le cruel sentiment que, quitte à échouer, autant le faire volontairement. C'est plus rassurant d'être capable d'organiser sa propre chute que de la subir, car au moins on est au contrôle de quelque chose.

Ce n'est pas pour autant que l'on peut s'en féliciter. Ce n'est pas pour autant qu'il n'en a pas honte.

Voyant qu'il ne semble pas sortir de son attitude taciturne, Diana change de sujet en espérant le sortir de ses idées noires :

— Hey, tu veux que je te montre un tour de magie ?

Il semble se redresser un petit peu dans sa direction.

— Ne bouge pas ! sourit-elle en se penchant vers lui.

Il a un mouvement de recul, basculant sur le dos dans le pouf.

— N-N'enlève pas m-mon masque ! panique-t-il.

Nox s'est dressé, en alerte. Les sourcils de Diana se froncent dans une moue contrariée.

— C'est pas un tour de magie, ça ! Tu connais pas la pièce magique ?

— Euh... Distorsion... ? propose-t-il sans grande conviction. 

— Mais non ! Ça, c'est une attaque de Pokémon. Je te parle de tour de magie ! insiste-t-elle avant d'expliquer : Je vais faire apparaitre une pièce à partir de ton oreille !

La tête d'Alistair se tourne lentement vers Nox, comme pour l'interroger du regard.

Diana promet de rien tenter en faisant des grands gestes des bras. Elle se garde de dire qu'elle est bien entendue intriguée par ce qui se cache en dessous, mais si ça le fait autant paniquer elle évitera de chercher à le savoir. Une partie d'elle a un peu peur de découvrir ce qu'il y a en dessous.

Peut-être que c'est juste un visage normal. 
Peut-être qu'il n'y a rien du tout. Un immense vide béant qui l'aspirera comme un trou noir. 
Peut-être qu'il y a juste un deuxième masque. Puis encore un troisième, un quatrième, et ainsi de suite...
Peut-être qu'il est juste très moche. (Ce n'est pas grave d'être très moche, mais c'est vrai que c'est embarrassant.)

— Bon... D'accord, finit-il par accepter.

La mine de Diana se réjouit à vue d'œil. Avec un sourire joueur, elle entame son petit texte qu'elle connait maintenant par cœur :

— On a tous une petite richesse cachée au fond de soi ! Et celle d'un magicien, c'est de la dénicher...

Elle passe sa main autour de l'oreille d'Alistair avant de la ramener devant lui, révélant une pièce entre l'index et le pouce.

— Et de la rendre visible, comme ça !

Alistair a un petit sursaut, avant de pencher la tête, témoignant de sa fascination. La petite pièce en argent roule entre les doigts de Diana avant qu'elle ne la ramène vers elle.

— C'est une pièce vraiment spéciale... Tellement spéciale que je crois pouvoir la dédoubler ! Attention...! prépare-t-elle en agitant ses mains. Par Abra et Kadabra, dédoublez cette pièce !

Et sur cette formule magique, elle frappe la tranche de la pièce sur la table ; une deuxième pièce jaillit, puis saute sur le meuble avant de rebondir plus loin.

— Oups ! s'exclame-t-elle en sautant sur ses pieds pour aller la chercher.

L'Ectoplasma a un petit ricanement. Il ne sait rien faire d'autre ? pense Diana en gonflant les joues. C'est néanmoins avec un grand sourire qu'elle se retourne vers le duo.

— Ta-dam ! s'écrit-elle en montrant les pièces dans chacune de de ses mains.

Nox est le premier à applaudir avec enthousiasme, suivit d'Alistair. Il semble vouloir dire quelque chose mais rien ne franchit ses lèvres...

Soudain, l'Ectoplasma bondit devant eux pour se mettre en face de la table. C'est à son tour qu'avec une expression concentrée il se met à agiter ses mains. Et là... il ramène ses paumes entre elles... les écarte brièvement pour regarder à l'intérieur... avant de les refermer brusquement comme s'il cache un trésor. Enfin, il tend sa patte à Diana. À l'intérieur repose des petits bonbons au chocolat.

— Des chocochuètes ! s'écrit-elle à nouveau avec émerveillement. Je peux en avoir un ?

Le Pokémon acquiesce avant de lui en mettre deux dans la main. Diana le remercie et ne se fait pas prier pour les enfourner dans sa bouche. La fine couche de chocolat éclate sous ses dents avant que le cœur en cacahuète soit écrasé en miettes.

— Héhéhé... Ce sont ses préférés... Il adore... les cacahuètes... explique Alistair avant de recevoir un chocochuète à son tour.

Les autres sont avalés tout rond par l'immense bouche de Nox. Les deux enfants rient de son appétit. Sans autre forme de procès, l'Ectoplasma se recouche sur le côté en se grattant une fesse.

— Tu as... des pouvoirs magiques ? lui demande alors naïvement Alistair.

Diana secoue la tête en repartant s'assoir sur l'un des énormes poufs.

— Nan, c'est juste un "trucage".

Tout en disant ceci, elle illustre ses propos en rapprochant les deux pièces d'argent. Celles-ci se collent aussitôt l'une contre l'autre, révélant qu'elles ne sont qu'en métal banal si ce n'est leur capacité à s'aimanter.

— Oh...

— C'est mon papa qui m'a appris comment faire. Il m'a appris pleeeeein de tours de magie !

Elle souffle sur la pièce qui disparait entre ses doigts. 

— J'aurais trop voulu avoir des pouvoirs magiques, confesse-t-elle avec un petit sourire triste, mais pouvoir faire pour de faux, c'est déjà bien ! 

Tout en disant cela, elle remet la pièce dissimulée sous sa manche dans sa poche. Cette pièce, c'est aussi son porte-bonheur car c'est un cadeau de son papa, mais Alistair n'a pas besoin de le savoir. Son regard tombe sur le livre, toujours sagement sur la table.

— C'est quoi ton histoire préférée ? 

— Oooooh... Je ne sais pas... Il y en a trop...

— Moi c'est Peter Pan ! J'aime trop quand ils se mettent à voler, et quand ils affrontent le Capitaine Gamblast !

Tout en disant cela, elle agite ses bras pour distribuer des coups de poings à des adversaires invisibles. Alistair la fixe jusqu'à ce qu'elle s'épuise à force gesticuler. Un souffle amusé s'échappe par la fente de son masque. Alors que Diana s'écroule dans le pouf, il finit par lui dire :

— J'aime bien... les histoires de fantômes... les histoires qui font peur... Je les trouve... marrantes à raconter...

Ça n'étonne pas Diana. C'est un dresseur spécialisé dans le type Spectre ! Évidemment qu'il doit avoir une tolérance de type Acier aux histoires de fantômes !

(Elle espère que Georges aurait été fier de sa blague.)

— Celles qui parlent de l'Au-delà... Elles sont intéressantes, celles-là aussi. Dans le livre... il y a une histoire comme ça, continue-t-il en se levant pour se rapprocher d'elle.

Diana se retourne pour lui faire face. Les pas d’Alistair sont si petits qu’il parait marcher sur place.

— C’est l’histoire… d’une dame... qui trouve accidentellement un passage... vers le monde des esprits... en explorant une grotte…

Il s’assoit à genoux à distance respectable de la petite fille, mais c’est la première fois qu’il se tient aussi près. À la lueur de la lampe, Diana peut apercevoir ses yeux d’un mauve très foncé par les trous de son masque.

— Et après ? demande-t-elle.

— Au début… elle a peur… elle ne comprend pas très bien les spectres… Mais elle rencontre le roi des morts… et...

Silence. La pluie se fait plus faible. Le léger tambourinage contre les vitres est apaisant.

— Et après ? demande-t-elle à nouveau, suspendue à ses lèvres.

— Après…

Il se redresse, et le peu qu'elle a vu de son visage disparaît dans l’obscurité.

— A-Après, il faut que tu lises la suite toute seule… Si je te raconte tout, ça n’a plus d’intérêt, bafouille-t-il très rapidement.

— Hmpf ! Je vois ! Tu voulais juste me donner envie de le lire en fait !

— ...Peut-être...

La lumière se met subitement à clignoter. Alistair se raidit brusquement, et passe une main dans ses cheveux dans un mouvement agacé.

— Diana...

— Hum ?

— Est-ce que tu as peur des fantômes ?