Baliyru ou les fantômes de la bibliothèque de FireHana

— Tu as... quel âge...?

Facile. C'est avec assurance qu'elle répond :

— J'ai 7 ans trois quart. Et toi ?

— 8 ans...

Diana ouvre la bouche avant de la refermer : ce n'est plus son tour.

— Hmmm... Qu'est-ce que... vous étiez en train de faire... en haut ?

Ah. Les doigts de Diana s'agrippent autour du tissu élastique du pouf.

— On était en train de faire le rituel du fantôme de la bibliothèque.

— Le -

Il s'arrête subitement de parler.

— Le... ? demande Diana avec une fausse naïveté.

— C'est à toi...

Bon, elle aura essayé. Elle hésite sur quoi demander en premier.

— Est-ce qu'on... Est-ce qu'on s'est déjà rencontrés avant ?

Alistair semble réfléchir sérieusement à la question. Il prend même la peine de s'avancer jusqu'à apparaître timidement dans la lumière de sa lampe.

— Hmm... Je-Je ne crois pas... ou... si c'est le cas... je ne m'en souviens pas...

— Oh.

Pourtant cette impression ne s'efface pas complètement. Alistair se recule pour disparaitre à nouveau alors qu'il demande :

— Quel fantôme... vous essayiez d'invoquer ?

— Parce qu'il y en a plusieurs ?! ne peut s'empêcher de s'exclamer la petite fille.

Diana ne se rend compte de son erreur que trop tard.

— Tu as perdu…

Une goutte de sueur dégouline le long du front de Diana. Elle espère qu'Alistair ne lui donnera pas un gage trop méchant...

— Éteins la lumière... hm... pendant trente secondes...

Diana se mord les lèvres.

— T-T'essaieras pas de me faire peur, hein ?

— N-Non... Promis...

Il paraît bizarrement aussi nerveux qu'elle. Le plancher craque.

— OK...

Elle tend la main vers la lampe, inspire un grand coup, et appuie sur le bouton. La bibliothèque plonge dans l'obscurité.

— 1 ! 2 ! 3 ! commence-t-elle à compter très rapidement.

Des pas claquent brutalement contre le plancher grinçant.

— 4 ! 5 ! 6 !

L'Etcoplasma ricane.

— 7 ! 8 ! 9 ! 10 !

Quelque chose saute d'une hauteur.

— 11 ! 12 ! 13 !

Quelque chose se déplace à toute vitesse dans sa direction.

— 14 ! 15 ! 16 !

Ses yeux s'habituent un peu à l'obscurité. Quelqu'un court, puis ralentit en arrivant face à elle.

—17… 18... 19… murmure-t-elle en serrant sa lampe contre elle.

Il reste immobile, l'observant malgré la pénombre étouffante. 

— 20... 21… 22, 23...

Il pose quelque chose sur la table basse à côté d'elle, avant de repartir dans des pas tellement légers qu'elle ne peut les entendre qu'en tendant l'oreille.

— 24, 25, 26 !

— Tu-Tu comptes trop vite ! proteste Alistair, mais Diana ne prend pas en compte ses propos :

— 27, 28, 29, 30 !

Elle appuie aussitôt sur le bouton, et la lumière revient. Elle pousse un cri en découvrant que l'Ectoplasma a décidé de prendre une place dans l'un des autres poufs, ce qui ne manque de lui arracher un nouveau rire moqueur. Diana grommelle. Mais que peut-elle bien faire d'autre ? Ce n'est pas avec ses petits poings qu'elle va lui faire peur.

Son regard se pose ensuite sur ce qu'Alistair a apporté. C'est un livre illustré sur diverses mythologies du monde.

— Tu... Tu dois répondre à... ma question maintenant...

— C'était quoi déjà ? redemande-t-elle distraitement en prenant le livre entre ses mains.

— Quel... fantôme...

— Ah oui, reprend Diana sans le laisser finir sa phrase. On essayait d'invoquer Baliyru.

— Baliyru...

Il semble songeur. Diana a envie de l'interroger là-dessus, mais elle demande d'abord avec le plus d'assurance qu'elle peut :

— Est-ce que tu es un fantôme ?

— ... Moi ?

Nox se couche sur son pouf en s'étirant.

— Non... Je-Je ne suis pas un fantôme... Même si beaucoup ont l'air de le penser…

Diana ne sait pas si elle est rassurée ou déçue.

— Pourquoi... vous vouliez... invoquer Baliyru...?

C'est à son tour de s'étirer pour tenter de se réveiller. Nox se cure les dents.

— C'était une idée de Georges. Il est très intéressé par les fantômes, les mystères, ce genre de choses, explique-t-elle en feuilletant le livre. Moi aussi d'ailleurs, mais pas autant que lui ! Il veut prouver par des méthodes scientifiques que "la science occulte" existe… En dehors des Pokémon Spectre, évidemment. Et Sam... Sam dit "oui" à tout ce que propose Joe parce qu'il est plus grand et que c'est son cousin. Je suis un peu étonnée que tu nous aies pas entendu.

Les illustrations sont très jolies. Elle aurait pu faire l'effort de lire le texte, mais elle est trop fatiguée pour ça.

— Moi, je voulais pas monter… bougonne le garçon, C’est à cause de Nox…

L’Ectoplasma se lève en protestant avec virulence, agitant ses bras dodus dans tous les sens. Mais il en faudra plus pour convaincre Alistair qui insiste avec fermeté :

— Si ! C’est ta faute ! J’ai dû te chercher partout en haut en faisant attention à ce qu’ils me trouvent pas ! Tout ça pour que tu leur fasses peur !

Nox soupire tellement fort qu’il parait se dégonfler comme un ballon. Les yeux de Diana passe du Pokémon aux ténèbres devant elle. Est-ce qu’elle devrait intervenir ? Non pas que le Pokémon ait besoin de son aide pour chasser l’obscurité et retrouver son ami, mais peut-être pour le convaincre de ne pas être trop fâché ? Mais avant qu’elle puisse se décider, Nox s’enfonce dans le noir en trottinant.


Plusieurs secondes s’écoulent. Diana s’efforce à tendre l’oreille, et hésite même à se lever pour aller les chercher.


— C’est bon, c’est bon… Je suis pas… fâché… Mais ça aurait pu… être dangereux… Tu comprends ?

La petite fille prend sa lampe pour les chercher depuis là où elle se trouve. Mais sans surprise, elle ne trouve rien si ce ne sont des toiles de Statitik au plafond.

— Baliyru… reprend alors Alistair. Ce n'était pas... quelqu'un de très gentil...

— Ah bon ? Pourtant la légende dit que...

— Elle n'est pas vrai.

Alistair ne dit plus rien pendant un moment. Peut-être cherche-t-il ses mots, ou est-il embarrassé d'avoir parler aussi sèchement.

— Ambre... elle est très gentille... C'est elle... qui m'a conseillé le livre...

— Il est très joli.

Elle ne voit pas qui est Ambre, mais elle suppose que c'est l'une des bibliothécaires. Elle est loin de les connaître de toutes ! Surtout qu'elle ne va pas très souvent à la bibliothèque. Au loin, elle croit voir quelque chose bouger ; elle devine un acquiescement.

— Je... Je l'aime beaucoup... Le livre m-mais Ambre aussi... !

Il se tait à nouveau. L’empreinte de Nox dans le tissu du pouf commence à s’effacer.

— La légende... elle dit que c'est... un livre qui a rendu Baliyru méchant... Mais... il n'y a jamais eu de livre maudit... Juste un homme méchant... vraiment, vraiment méchant.

Diana ne sait pas quoi dire tant elle est choquée.

— Pourquoi il est mort alors ?

— Il a eu... trop peur des répercussions... que ça se sache, ce qu'il a fait...

— ... Il a préféré mourir que d'aller en prison, déduit Diana d'une voix sombre.

Il n'y a plus rien à dire. 

— Heureusement qu'on a pas réussi à l'invoquer alors... souffle Diana. Mais, comment Ambre connait la vraie histoire ?

— Ça te fait... au moins deux questions de suite, fait remarquer Alistair.

— Pfffff ! Zuuuuuuuuuuuut ! s'exclame-t-elle en s'allongeant sur son pouf.

Le petit rire d'Alistair se fait entendre.

— Tu n'es... pas très forte... à ce jeu...

— Je suis trop fatiguée pour jouer, rétorque-t-elle, je suis au lit normalement !

Elle zieute la fenêtre. Il pleut un peu moins fort, mais pas assez pour sortir. Si les choses continuent comme ça, elle devra dormir dans la bibliothèque ! Elle risque à coup sûr de se faire prendre ! Et là, aïe aïe les oreilles quand pépé va se mettre à rugir ! Et aussi, elle espère aussi que ses deux amis sont sains et saufs à leur maison... Surtout qu'il n'y a aucun adulte chez eux.

— Je n'ai pas... d'idées de gage...

Elle se redresse d'un seul coup et se retourne à quatre pattes : Alistair est juste derrière elle. Nox s'est installé à côté de lui, ayant visiblement retrouvé le sourire.

— Depuis quand tu es là ?!

— Ça fait... trois questions...

— Rhoo bah oui, hein ! Je joue plus, voilà !

Alistair souffle du nez dans son masque, provoquant un son étouffé. Nox attrape ses petits pieds avec ses petites mains. Elle doit le reconnaitre, elle ne s'est pas attendu pas à ce qu'Alistair se tienne aussi près d'elle après tout ce temps à la fuir. Peut-être qu'il est timide, et qu'il se sent un peu mieux en sa présence maintenant ?

La garçon masqué tourne la tête vers les fenêtres.

— Je ne pense pas... qu'on aura des problèmes... avec les gardiens... ils sont certainement... dans le rez-de-chaussée... en face...

— Tu viens souvent ici ?

Il acquiesce.

— Pourquoi tu viens pas le jour ?

— Il y a... trop de monde... ça me met... mal à l'aise...

Donc il est vraiment timide. Ce doit être le plus timide de tous les timides que Diana a rencontré si venir à la bibliothèque le met dans un tel état. Au square, elle peut comprendre un peu qu'on soit intimidé : il y a du bruit, tout le monde court partout... Mais la bibliothèque ? Où on a le droit que de lire et faire des dessins ?

Alistair est sans aucun doute le roi des timides, pense-t-elle en s'installant sur le ventre pour faire face à celui-ci.

Ils se fixent un long moment sans un mot... avant que Nox se mette dans le dos d'Alistair pour lui faire des oreilles de Laporeille. La petite fille rit, tandis que qu'Alistair chasse le Pokémon non sans le faire ricaner lui aussi. L'Ectoplasma s'enfuit derrière un rayon.

— C'est ton Pokémon ? Je veux dire, il est rien qu'à toi ?

Il hoche la tête.

— La chance ! Tu en as d'autres ? demande-t-elle avec des étoiles dans les yeux.

— J'en ai sept...! déclare-t-il avec un brin de fierté dans sa voix.

Tout à coup, c'est le déclic.

— Tu es Alistair ! s'écrit-elle en se relevant d'un seul coup. LE Alistair ! Celui qui a affronté Faïza pour la finale des Jeunes Espoirs de Galar !

Quelque chose dans sa posture donne l'impression qu'il s'écroule sur lui-même. Sa tête bascule en avant dans un mouvement désarticulé, évoquant une marionnette dont on vient de couper les fils. Mais Diana ne s'en rend pas compte, continuant avec enthousiasme :

— J'ai vu ton match à la télé ! Enfin, seulement une partie parce que ça finissait trop tard ! Tu as gagné ?

Alistair ne répond pas à sa question. Il ramène ses jambes contre son torse qu'il enserre dans ses bras, pose sa tête contre ses genoux. Nox réapparait de nulle part pour caresser le dos de son ami, non sans une expression peinée.

Oh...