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Un monde ouvert de Feather17



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» Auteur : Feather17 - Voir le profil
» Créé le 15/09/2022 à 23:31
» Dernière mise à jour le 15/09/2022 à 23:37

» Mots-clés :   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life   Suspense

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Un après-midi avec Socrate
Seviper se mord la queue
Notre comportement est directement lié à notre besoin de survie. Je l’ai observé à de multiples reprises au sein de ma harde, à l’époque où je pensais suivre l’évolution logique de la vie d’une Laporeille. Il me semble d’ailleurs que les humains ont inventé un domaine de recherche pour étudier les comportements des êtres vivants. Moi, j’ai ma théorie.

Je pense que chaque individu, Laporeille, Écrémeuh ou même humain, agit selon des règles qui lui ont été transmises par l’apprentissage de ses ancêtres qui, au fil des années, ont accumulé un tas de réflexes comportementaux, qui échappent évidemment à leur conscience, acquis dans le cadre d’une nécessité à survivre dans un environnement hostile. J’en suis venu à cette conclusion à force d’observer mes semblables. Quand vous êtes une Laporeille rose avec une patte atrophiée, vous avez beaucoup de temps pour observer les individus qui vous ont rejetés.

Figurez-vous qu’un Laporeille, ça n’a que quatre occupations : répondre aux besoins du corps, gérer le collectif de la harde, aménager un terrier, s’assurer une descendance. Quel que soit le comportement, qu’il soit routinier, exceptionnel, en réflexe d’urgence, ou que sais-je encore, un Laporeille se retrouvera dans une de ces quatre catégories. Chacune de ses actions, de la plus anodine à la plus singulière, puise la source de sa raison dans une de ces quatre occupations. Et j’ai toujours cru que, si cela était vrai pour les Laporeille, cela devait l’être aussi pour n’importe quelle espèce vivante, à ceci près que les espèces qui ne vivent pas en collectif sont dépossédés de cette préoccupation.

Les humains ne sont en aucun cas une exception : ils se conforment à cette règle universelle. Mon maître se gratte dans le nez ? Il répond à un besoin du corps. Mon maître rend esclave un camarade Laporeille pour l’exploité dans des combats sanglants ? Il gère le collectif de sa propre harde. Mon maître fait la guerre à d’autres collectifs de son espèce ? Il aménage son propre terrier. Mon maître pille et vole ? Il s’assure une descendance. Les humains ne font pas exceptions.

La seule exception que j’ai observée dans ma très longue vie, c’est celle d’un Seviper. Je n’en avais jamais vu avant mon long périple forcé à travers des régions exotiques. Je n’en connaissais même pas la nature ! Je l’ai découvert alors que j’essayais de survivre seule dans cette région insulaire où l’on m’avait lâchement abandonné après avoir épuisé ma capacité à pondre une descendance. Ce qui m’a le plus interloquée, c’est que le comportement qu’il avait adopté pendant mon observation ne rentrait dans aucune des quatre catégories que j’avais mises en place. Seviper se mordait la queue.

La queue d’un Seviper est empoisonnée. Pourquoi voudrait-il donc se la mordre ? Ce n’est pas un besoin du corps : un Seviper ne peut pas ressentir le besoin de vouloir s’empoisonner. Ce n’est pas une gestion d’un collectif : un Seviper vit seul. Ce n’est pas plus un aménagement de terrier que l’assurance d’avoir une descendance. Alors, pourquoi ce Seviper se mordait-il la queue ? Était-il tout simplement hors norme ? Voulait-il simplement ne plus être un Seviper ? L’était-il seulement encore ?

Je n’ai pas la réponse aujourd’hui. Mais cela m’a provoqué une tristesse immense. Après tout, ne suis-je pas moi aussi hors norme ? Seule, sans harde, loin de mon terrier, sans descendance à élever, qui suis-je donc ? Car si je peux encore m’assurer des besoins de mon corps, je n’en ressens plus l’envie. Je ne rentre, moi non plus, dans aucune des quatre catégories.

Je suis comme Seviper. Je me mords la queue et j’attends. Ne suis-je plus moi-même une Laporeille ?

Chaîne VokiTube
— Salut tout le monde, c’est Doc Manoz. Aujourd’hui, on est mardi, et c’est le jour où on fait de la science ! Je vous propose un tout nouveau format que j’ai appelé « Un après-midi avec Socrate ». Tout de suite, le générique !

L’écran est petit, mais on distingue assez bien les effets numériques du générique de ma nouvelle émission. C’est un pur bijou technologique, ce C-Gear. Dès que j’ai su qu’il existait une plateforme de téléchargement de vidéo en streaming sur cet appareil, j’y ai vu son énorme potentiel. Des milliers de gens peuvent désormais se connecter en direct grâce à leur montre et visionner des vidéos sans avoir à rester enfermés dans leur salon. Dresseurs, travailleurs, scientifiques, ouvriers, n’importe qui peut désormais se divertir dans les longs trajets du quotidien ! Ils ont appelé cela VokiTube, en honneur au système Vokit qui existait déjà.

J’ai commencé par une toute petite vidéo, juste pour tester. « Je me présente, je m’appelle Germain Manoz, ingénieur, et j’ai envie de vous parler de science. » C’était tout simple, enfantin, juste une excuse pour me plier à l’exercice et en analyser les paramètres. Il m’a suffi de quelques jours à peine pour comprendre le potentiel énorme de la plateforme VokiTube.

Le petit écran du C-Gear peut être perçu comme un frein au développement artistique. Beaucoup de VokiTubers se sont plantés dans leur concept parce qu’ils n’ont pas pris en compte le paramètre de la taille de l’écran. Ils ont voulu recopier le divertissement de nos télévisions grand-écran. Trop de détails donne le tournis. Même les chaines d’informations n’ont pas réussi à s’adapter à l’écran. Alors, mon cerveau a eu une idée remarquable : il suffit simplement de poser mon visage et rien d’autre. Le Vokit s’utilise dans des communications téléphoniques face caméra. J’ai donc reproduit ce concept en me filmant mon visage face caméra. Un jeu d’enfant.

Pour le son, encore plus simple. Comme on n’utilise son C-Gear que dans les déplacements dans les transports en commun — rares sont ceux qui ont le temps de naviguer dessus au milieu de sa journée de travail —, j’ai rajouté des sous-titres pour permettre à quiconque de lire ce qu’ils sont censés entendre. Pas de son ? Trop de bruit autour de vous ? Pas de problème : vous n’avez qu’à lire !

Enfin, une dernière astuce que j’ai inventée pour augmenter mon nombre de vues : j’ai constaté que beaucoup de VokiTubers n’arrivaient pas à garder leur audience d’une vidéo à l’autre. Ils font tous en moyenne mille trois cent quatre-vingt-deux vues dans leur première vidéo, puis le nombre chute à une moyenne de cinq cent trente-trois vues dans la deuxième vidéo, pour s’écraser à la moyenne de cent nonante-neuf vues dans la troisième. Jusqu’au moment où ils abandonnent. J’ai donc eu une idée : le C-Gear est aussi très utilisé pour sa fonction d’agenda. Mes qualifications d’ingénieur m’ont permis de mettre un système au point pour que, à la fin de ma vidéo, une note soit ajoutée dans leur agenda à la date et heure de la sortie de ma prochaine vidéo. Quelques heures passées à programmer ce système de notification, et c’est dans la poche. Un vrai jeu d’enfant !

Pour couronner le tout, j’ai rajouté la possibilité pour le viewer de chatter en direct et d’être sélectionné pour passer en live et donner son avis en face caméra devant tout le monde. Ça a boosté mes vues comme jamais aucun VokiTubers n’a pu en faire l’expérience.

N’importe qui aurait pu avoir l’idée. Je l’ai juste eue en premier.

— Dans ce nouveau format, j’ai envie de traiter de science d’un point de vue plus philosophique. J’ai aussi envie de discuter avec vous. La question qui va nous animer dans cette vidéo est la suivante : si nous sommes capables de concevoir une technologie, devons-nous pour autant la concevoir ou pas ?

Une heure que la vidéo est postée. Déjà cent vingt-trois mille six cent quarante-huit vues.

Baie Poma
Le désert est aride. J’ai chaud. Je fonds. Je n’en peux plus. Je ne peux plus continuer. C’est trop. Difficile. J’ai soif. Je n’ai plus d’eau.

On m’avait prévenu. J’ai voulu faire le malin. J’aimais l’aventure. Je meurs en aventurier. Tant pis. Il faut accepter la défaite.

Je me laisse tomber. Le sable est brûlant : avec un peu de chance, je mourrai de brûlure avant de mourir de soif. J’attends. Ce qu’il y a de plus pénible avec la mort, ce n’est pas la mort elle-même, mais qu’elle se fasse attendre. C’est bon, je suis prêt, viens. Pitié !

Un pas, puis un autre dans le sable. Deux bottes se plantent devant moi. Plus haut, une longue robe ample, blanche, qui cache son corps. Et une capuche qui dissimule son visage. La mort est équipée pour la traversée d’un désert.

Elle s’accroupit et s’empare de ma gourde au sol. Elle vérifie son contenu. Elle est vide. Évidemment, sinon je ne serais pas étalé de tout mon long dans le sable. Je ne suis pas idiot.

— Imbécile.

La mort a une voix rauque, celle d’un homme qui a trop fumé dans sa vie. Et elle n’est pas très polie. Je n’ai pas assez de force pour contester. Je n’ai pas la force pour me battre contre la mort.

Elle se relève. Le ciel s’assombrit. « Ploc. » Serait-ce… ? « Ploc. Ploc. Ploc. » De l’eau ! Il pleut dans le désert.

Je roule sur le dos et ouvre grand la bouche. Il me pleut dessus. Je bois ! La vie reprend en moi. La mort ma rendu la vie !!

Je me relève, fébrile, et lui fait face. L’esprit moins trouble, je me rends compte de ma bêtise. Il s’agit d’un homme. Peut-être suis-je vraiment un imbécile.

— Prends ça.

Il me tend quelque chose : une espèce de CD-ROM. Quand je le lui prends des mains, je constate que la sienne est violette. La frôler ma glacé le sang. Sa peau est luisante, presque coulante. Et ses doigts… ! Est-ce vraiment un homme ou… ?

— Avec cela, tu feras tomber la pluie dans le plus hostile des déserts.

Je n’ose pas parler, il me terrifie. J’espère que ma grimace retransmet mes remerciements.
— Je n’en ai plus besoin. Je peux le faire seul. Toi, tu auras besoin d’un Pokémon. Dépêche-toi avant que je change d’avis, il n’aime pas quand on utilise les Pokémon sans leur consentement.

« Il » ? Qui ça, « il » ? Je suis trop couard, je n’ose pas lui poser la question.

Il a fait volte-face et il s’apprête à me quitter. La pluie a cessé, mais j’ai réussi à remplir ma gourde. Il fait à nouveau caniculaire. Le désert d’Unys est terriblement hostile. Il me faut trouver un Pokémon aquatique rapidement.

— Vous-êtes-qui ?!

J’ai dit ça sans m’en rendre compte, partagé entre l’excitation et la frayeur. La chose ne se retourne pas et soupire.

— Un esclave libre.

Il ajoute :

— Dans le corps de mon maître captif.

Et il s’en va. Puis s’arrête. Il y a quelque chose à ses pieds. Cela l’intrigue. Il se penche, et le ramasse. Je reconnais de loin. Une Baie Poma. Au beau milieu d’un désert.

Scène de crime
— Qu’est-ce qu’on a, Jenny ?

Évidemment, il fallait que ce soit lui qui débarque. Pourquoi on envoie toujours ce type pour résoudre des enquêtes banales alors qu’il est détective spécial ? À croire qu’il cherche sciemment à fourrer son nez dans tous mes dossiers. Ou plutôt à fourrer son nez ailleurs… Il me dégoûte.

— Vous n’êtes pas à Interpol, détective ?

Il passe la barrière de banderoles de sécurité avec souplesse, et il se poste devant moi, les pieds ancrés dans le sol, les jambes bien écartées. Il y a tout juste la place pour que je lui donne un grand coup de mon talon droit dans l’entrejambe. Je me contiens, je suis une agente de la sécurité, après tout. Mon travail est de prévenir la violence, pas de l’organiser.

— Pas encore à temps plein, Jenny. Je ne voulais pas vous quitter aussi vite.

Il pose ses mains sur ses hanches et bascule un peu son bassin vers l’avant. Les hommes alentours interprètent ce geste comme celui que ferait un mâle dominant pour montrer sa supériorité dans la hiérarchie, du style cowboy. Les femmes, elles, savent qu’il nous suggère son sexe. Moi, je sais que je vais lui en coller une s’il n’arrête pas tout de suite.

— Allez, ma petite Jenny, dites-moi ce qu’on a ici.

Je rectifie :

— Agent Jenny. Je suis beaucoup plus grande que vous.

Ce qui est vrai. Il se ratatine. Les hommes misogynes ne supportent pas être plus petits en taille qu’une femme. Ils ont l’impression qu’on les émascule. Moi, en revanche, je ne vis que pour ça.

— Délit de fuite, j’annonce.

Je l’amène sur la scène de crime et lui montre le cadavre.

— Adolescent de sexe masculin, dans les quinze ans. C’est Monsieur Franck, le propriétaire de la ferme du coin, qui nous a alertés. À en juger par sa tenue, son vélo écrasé dans les buissons et le contenu de son sac à dos qu’on a retrouvé plus loin, ce devait être un dresseur qui empruntait cette route pour se rendre à Bonville. Il a été fauché par la droite et le conducteur a pris la fuite. On a repéré des traces de pneu tout le long du chemin qui remonte au nord, vers Célestia. Des témoins ont cru voir s’enfuir un camion immatriculé à Kanto. Nos unités sont déjà sur le coup pour le retrouver.

Le détective s’accroupit au-dessus du visage de l’adolescent, tuméfié par les hémorragies, et l’observe silencieusement. Je détourne le regard : je sais qu’il veut que je regarde ses fesses, ce porc.

— L’eau l’emporte sur le feu, le feu sur la plante, la plante sur l’eau, et le camion sur le dresseur.

Je ne sais même pas comment réagir à ce commentaire désobligeant. Sérieusement, comment un type aussi détestable pouvait-il avoir été meilleur que moi à l’examen d’entrée à Interpol ? Question rhétorique : la réponse se situe dans son caleçon.

— Ça va peut-être pouvoir nous aider, ça.

Il montre du doigt la Pokémontre brisée autour du poignet de la victime, brisé lui aussi.

— Vous êtes un train en retard. J’ai déjà scanné son Pokédex et envoyé une demande de rapport aux informaticiens de la Pokémon Watch Entreprise. J’ai aussi demandé aux collègues de Kanto de nous filer un coup de main en cherchant dans la base de données de leurs Memory Dex, au cas où ils auraient des informations sur un camion à eux qui trainent dans le coin.

Il se relève en faisant exprès de se coller à moi. Je recule d’un pas mais il a bien joué son coup : derrière moi, mon véhicule de police m’empêche de bouger. Je réprime une envie de dégobiller.

— Ingénieuse en plus d’être jolie, me glisse-t-il assez doucement pour que je sois la seule à l’entendre.
— À se demander comment ça se fait que ce soit vous qu’ils aient pris à Interpol.

Je n’ai pas pu me retenir. Et je m’en veux, parce que la seule chose qui me soit venue en tête, c’est une remarque sexiste à propos de moi-même pour me défendre. Ce type me sors par tous les trous !

Il ricane. Il rit jaune, mais il ne se laisse pas déstabiliser. Moi non plus. Je soutiens le regard. Je ne dois pas le lâcher, je ne dois pas le lâcher, je ne dois pas le lâcher.

— Je dois filer. Prévenez-moi dès que vous avez du nouveau.

Il me laisse et repart vers son véhicule. J’ai gagné le duel silencieux ! Tiens, prends ça dans tes dents, connard !

— Et allez faire chauffer la machine à café au commissariat, je n’en ai pas pour longtemps. À tout à l’heure, agent Jenny !

Il a insisté sur le mot « agent ». Si je n’étais pas flic, je lui aurais tiré une balle directement entre les deux yeux. À tout à l’heure, inspecteur Beladopisse !

Encore le carré noir
C’est une obsession. J’aime mon maître et je le suivrai jusqu’au bout du monde, mais parfois, il est insupportable. Il refuse d’admettre que ce carré noir dans le désert de Paldea n’a aucune importance. Je sais qu’il veut percer ce mystère, mais il faut qu’il se fasse une raison : ce n’est qu’un carré noir sans aucune importance. J’aimerais tellement que mon maître s’intéresse à nous aussi passionnément qu’il s’intéresse à ce carré noir.

Nous avons passé des mois à traverser Paldea en quête d’idées pour que mon maître comprenne à quoi sert ce carré noir. Il a tout essayé. D’abord, il a essayé de le combattre. J’ai utilisé mes flammes de toutes mes forces, mais impossible. Je suis une trop petite Chochodile. Alors, Malva, mon ami Malvalame, a pris la relève avec ses propres flammes à lui. Beaucoup plus puissantes, beaucoup plus maléfiques. Tout aussi inefficace.

Enrica, la petite Tag-Tag, n’a pas eu plus de succès. Elle a essayé de l’empoisonner mais le carré noir est resté un carré noir. Alors Martí, le Pâtachiot, a voulu l’ensorceler. Mais le carré noir est resté un carré noir.

Alors, mon maître a perdu patience. Il a fait appel à Miraidon et il a tout essayé : le pousser, le tirer, le déplacer, le recouvrir de sable, le survoler, lui rouler dessus. Rien n’y fait. Le carré noir est resté un carré noir. On a même combattu un pauvre Craparoi innocent qui passait par là et on l’a balancé dans le carré noir. Craparoi a disparu. Mais pas le carré noir.

J’ai cru qu’il allait abandonner. Mais il a décidé qu’on allait rester là pour l’observer. Peut-être qu’avec le temps, il allait se passer quelque chose. Peut-être que la clé était la patience et que le carré noir s’activerait.

Alors, on a attendu. Des jours, des semaines. On vit dans ce désert et on attend toujours.

J’aimerais tellement que mon maître s’intéresse à moi aussi passionnément qu’il s’intéresse à ce carré noir.

Publicité
« Ne jetez plus. Triez ! Ne triez plus, recyclez ! Ne recyclez plus, nous le faisons pour vous ! L’Usine de recyclage du Cap Passiloin est votre partenaire pour préserver l’environnement. Humains et Pokémon travaillent main dans la main pour vous satisfaire. Nous sommes à votre service !

Encombrants, bois, plastiques, cartons : nos Miasmax aspirent vos déchets pour leur plus grand bonheur !

Clous, vis, métaux rouillés : nos Gloupti sont prêts à tout avaler pour votre sécurité !

Huiles usagées, produits ménagers, eaux polluées : nos Tadmorv se feront un plaisir de les nettoyer pour vous !

Ula-Ula n’aura jamais été aussi propre et écologiquement responsable, grâce à vous. Et vos enfants vous disent merci !

L’Usine de recyclage du Cap Passiloin, passons le cap : recyclons !
»

Propagande
J’adore les manifs. Ils ont toujours d’excellents slogans. C’est mon petit plaisir, lire leurs slogans.

« Usine de recyclage : usine de filoutage ! »

« Halte là ! Passiloin ! Rends-moi mon cap ! »

« Les Miamiasme naissent de la mutation de nos déchets ! Stop aux Miamiasme ! Stop aux déchets ! »

« Les Grotadmorv rendent nos terres stériles ! »

« Quand Miamiasme rote, Grotadmorv pète ! »

« Gros, t’as d’morv-yeux, tu sais ! »

« Touche pas à mon (Glou-) p’tit ! »

« C’est un Miasmax, un Gloupti et un Tadmorv qui entrent dans un bar. Fin. Tout le monde est mort. »

« Ta mère est tellement sale qu’on la confond avec l’Usine de recyclage ! »

« Devon SARL : Va te faire recycler ! »

J’adore les manifs, je rigole toujours un bon coup !

Flames
C’est évidemment le jour le plus terrifiant de ma vie. Je n’avais pas le choix, c’est moi qui ai été choisi pour intégrer l’équipe des premiers secouristes. C’était ma volonté, au départ. Je voulais aider des gens, sauver des vies, être un héros. J’ai passé des années à m’entraîner à la caserne, prêt à me rendre utile. J’ai investi tellement de temps dans l’élevage de mon jeune Poussifeu, tellement de semaines, de mois, d’années à l’entraîner, à le faire évoluer en Galifeu, puis en Braségali. À le maintenir en forme, musculairement, psychologiquement, prêt à intervenir à tout moment.

Puis, il y a eu ce tremblement de terre. Le ciel s’est assombri. La température a grimpé en flèche. Les flammes ont tout brûlé. Hoenn a disparu dans un nuage de poussière. Et on nous a appelés. Toutes les autres casernes étaient en feu. Il ne restait plus que nous. Nous allions enfin sauver des vies !

C’est amusant. C’est précisément à cet instant que j’ai eu le plus envie de m’enfuir et de ne penser qu’à ma propre survie. Vous me jugez ? Vous n’étiez pas là. Quiconque était là, en cette journée historiquement dramatique, est aujourd’hui soit mort, soit convaincu que sauver sa propre vie est plus important que sauver celle des autres.

Quand le nuage nucléaire est retombé, on a été autorisé à nous déployer dans tout Hoenn à la rescousse des survivants. Le nord a été rasé, le Mont Chimnée évaporé. C’est pourquoi notre unité a été déployée à l’est. On nous a filé des masques à oxygènes, des combinaisons en aluminium, en plomb ou je ne sais quoi. Je n’ai rien compris. On nous a jetés dehors, et yallah ! Sauvez qui vous pouvez !

La jungle — enfin, ce qu’il en restait — était en flamme. Des cadavres brûlés, fossilisés, cramés. Partout, par dizaines. Des centaines d’espèces de Pokémon disparues, en un claquement de doigt. Braségali ne s’en est jamais remis. Moi, ça va. Je voulais être un héros, maintenant j’assume.

Assemblée Générale Annuelle des Actionnaires
Elle est prête. Son calepin est ouvert sur ses genoux, son crayon frémit d’impatience. Elle replace une mèche de ses cheveux tressés et en profite pour palper son visage. Elle fait toujours cela quand elle est stressée. Une manière pour elle de s’assurer qu’elle est bien ancrée dans le moment présent, qu’elle est vivante parmi les vivants.

Une musique victorieuse explose dans les baffles sous un tonnerre d’applaudissements, et une suite de personnages encaqués dans leurs costumes cintrés font apparition sur la scène. Ils s’installent sous les projecteurs et règlent tous la position de leur micro. Ils sont huit. Tous des hommes. Tous blancs. Tous vieux. Elle se renfrogne mais garde patience. Elle sait que des centaines de travailleurs comptent sur elle. Elle ne peut pas les décevoir.

L’écran géant derrière les PDG s’allume et affiche des graphiques. La conférence commence. Huguette est prête.

— Au nom de la Corporation Devon, je vous remercie chaleureusement pour votre présence et votre intérêt bienveillant dans notre compagnie.

C’est le plus vieux de tous qui a ouvert le bal. Le ton est posé : calme, sérieux, chaleureux. Il faut séduire les actionnaires, leur donner envie de poursuivre leurs investissements. Huguette regarde autour d’elle : une femme, étranglée par un foulard jaune repassé, a les yeux qui brillent. Elle a été émue par les premiers mots du big boss. Huguette lève les yeux au ciel. Elle sait que ce n’est pas à elle et à son Pokédollar symbolique investi dans la Corporation Devon que Monsieur Rochard s’adresse. Ni même à sa voisine au foulard jaune. Non, c’est plutôt à trois personnes précises que l’entièreté du discours de Monsieur Rochard a été écrit.

Car la Corporation Devon ne survit que grâce à ces trois individus. Huguette a mené son travail de journaliste à la perfection. Elle a tout étudié, tout épluché, tout analysé. Elle sait que la Corporation Devon appartient pour soixante pourcents à l’ASBL Rochard, des fonds propres liés à la famille la plus puissante de Hoenn. Les quarante pourcents restants sont détenus par l’État de Hoenn, représenté en ce jour par son Ministre de l’Économie : la première cible de Monsieur Rochard. Une proie facile : depuis l’Accident Nucléaire, les caisses du pouvoir public ont été asséchés. Tout le monde sait que l’État de Hoenn acceptera n’importe quel marché avec la Corporation Devon.

La deuxième cible n’est pas présente dans la salle, mais elle écoute attentivement depuis l’étranger. Il s’agit de Shehroz, le Président de la Macro Cosmos à Galar. La Macro Cosmos détient le monopole absolu dans sa région sur toutes les créations technologiques, et le monopole absolu dans le monde entier en ce qui concerne la production d’énergie.

Huguette se concentre : Monsieur Rochard ouvre justement ce dossier.

— Au rayon des bonnes nouvelles, le rachat à la Fondation Æther de l’Usine de recyclage de Ula-Ula, situé à Alola, a fait grimper l’année passée les bénéfices nets de notre maison-mère, la Devon SARL, de plus de sept cent pourcents en à peine un an.

Le public d’actionnaire applaudit à tout rompre. Pas Huguette. Elle note dans son calepin : « Augmentation de 700% en un an ».

— Ceci nous a permis d’amasser des fonds qui vont nous servir dans l’année qui vient à ouvrir une nouvelle filiale entièrement dédiée à la production énergétique. Nous avons calculé dans un plan sur cinq ans que nous serions en capaciter de concurrencer sérieusement la Macro Cosmos Energy. Dans cinq ans, si nous arrivons à assouplir le travail en maximisant les efforts, nous serons en mesure d’être le premier concurrent direct de la filière énergétique et nous aurons fait tomber son monopole.

Nouveau tonnerre d’applaudissements qui se finit en standing ovation. Huguette reste assise et souligne deux fois les mots « souplesse » et « effort » dans son calepin. Elle sait que ce sont des synonymes de « saccage des droits » et « diminution des salaires » pour les travailleurs.

— Pour ce qui est de l’avenir de notre filiale la Devon SARL, nous avons décidé de changer un peu ses statuts pour accuser le choc de l’investissement dans les énergies, poursuit Monsieur Rochard. Lors de notre dernière assemblée générale, nous avions décidé de racheter des parts de la C-Gear Company. Je me souviens que c’était un grand sujet de débat car certains d’entre vous pensaient qu’il s’agissait d’une dépense risquée dans une technologie vieillissante. Je peux confirmer aujourd’hui que nous avions eu raison de nous faire confiance : grâce à la plateforme VokiTube qui ne cesse de monter en tendance, et grâce au sacrifice illustré par l’arrêt du système de Pokémon Dream World, qui était un puits à dépenses négatives, nous avons stabilisé l’investissement et nous avons fait un bénéfice net d’environ sept cent millions de Pokédollars.

Encore une vague d’applaudissements. Moins expressifs, cette fois-ci. Probablement parce que la moitié de l’assemblée n’est toujours pas convaincue de la durée du succès du VokiTube. Huguette reste concentrée et entoure le mot « sacrifice » qu’elle vient de noter dans son calepin.

— Ce qui nous amène au chapitre plus délicat de cette assemblée générale.

Huguette se redresse. Voici venu le moment qu’elle attendait : la véritable raison de leur présence dans cette salle. La journaliste feuillette ses notes et retrouve les chiffres : la Corporation Devon détient un tiers des parts de la Sylphe SARL, à Kanto, une manière pour eux de garder un œil sur leurs concurrents directs. Cependant, ce n’est pas à eux qu’est dédiée cette partie de conférence, mais plutôt au Pokémaniac Léo, Président de l’ASBL des Techniciens pour le Futur dont la régionale de Hoenn est en voie d’acquisition par la Corporation Devon. Tout va se jouer ce soir : si les actionnaires votent le rachat des parts détenues par le pouvoir public dans la régionale des TPF de Hoenn, alors la Corporation Devon sera l’actionnaire majoritaire des TPF.

Huguette est lucide : elle sait que l’ASBL des TPF n’est pas en mesure d’empêcher son rachat. L’année qui vient de s’écouler l’a démontré : un quotidien d’informations a découvert le crédit abyssal détenu par l’ASBL et tous les médias se sont jetés sur ces pauvres scientifiques pendant des mois. Évidemment, les scientifiques, étant principalement subventionnés par l’État, ont été soumis aux plus vives critiques quant à la gestion de leur budget. Et personne n’était prêt à comprendre que la science, c’était de la recherche et pas de la production de profits. Le débat s’est alors porté sur la réalité de leur travail, et les plus hargneux défenseurs du secteur privé ont pointé tous les défauts de leur technologie : un système de Stockage de Pokémon vieillissant, appartenant au passé, à rénover, dont l’accès doit être facilité. L’ASBL des TPF n’ayant pas les moyens d’investir davantage dans ce qui devait coûter quelques milliards de Pokédollars, la Corporation Devon est sortie de son nid et leur a fait une proposition.

— Chers actionnaires, je vous propose de passer au vote.

L’assemblée plonge dans un silence studieux. Chacun se concentre, évalue les graphiques et se saisit de son boitier de vote. Huguette presse le bouton « Non », comme elle l’avait promis aux centaines de travailleurs qui attendent patiemment dans la pluie battante, à l’extérieur.

— Les votes sont terminés, annonce le plus jeune de l’assemblée, un vieil homme qui semble arriver en fin de vie. Avec soixante-cinq pourcents des votes pour contre trente-cinq pourcents contre, la proposition de rachat des parts appartenant à l’État de Hoenn dans l’ASBL des TPF est approuvée.

Le public se fend d’une nouvelle ovation qui s’éternise. Huguette n’est pas surprise. Elle a simplement effleuré quelques secondes l’espoir que la cause des travailleurs qu’elle représente n’aurait pas été vain.

C’est l’heure des questions ouvertes. Huguette se lève d’un bond, décidée, telle une femme d’affaire prête à négocier. Elle s’empare d’un micro à la volée avant que quiconque ne remarque même sa présence dans l’audience.

— Bonjour, Huguette Lobé, journaliste d’investigation indépendante. Vous avez parlé à nombreuses reprises ce soir des sacrifices à réaliser dans les entreprises détenues par votre Corporation, et vous avez clairement fait comprendre que vous alliez serrer la ceinture aux travailleurs pour dégager un maximum de bénéfices. Vous avez annoncé dans la presse cette semaine que toute exploitation qui n’était pas rentable devait être fermée. Le rachat de l’ASBL des Techniciens Pour le Futur sonne donc le glas pour les milliers de scientifiques qui y travaillent, étant donné que la science ne produit pas de profits, mais des connaissances. Clairement, le but est facilement identifiable : vous accaparer leurs savoirs, vous débarrasser des techniciens, et réutiliser leur technologie dans des secteurs d’activités qui élargiront vos portefeuilles. Hier, les TPF nous révélaient l’était de mort imminente de notre climat, demain ils ne pourront plus le faire. Mes pensées vont d’ailleurs à ces pauvres Kecleon dont le programme de protection de l’espèce, j’imagine, sera abandonné dès que votre logo sera posé sur l’entreprise qui le dirige. Alors, voici ma question : que proposez-vous de mettre en place pour sauver les emplois que vous allez détruire ?

Mouvement de cris scandalisés dans l’assemblée. On ordonne de la faire taire et de l’escorter vers la sortie. La sécurité court de tous les côtés. Les patrons, eux, restent de marbre, comme si elle n’avait pas pris la parole.

Vol touristique
— Monsieur Rochard, s’il-vous-plait !
— Monsieur Rochard !
— Une question pour RH24 ! Monsieur Rochard !

C’est une véritable cacophonie. Je suis poussé dans tous les sens. Je n’arrive plus à respirer. Je me dégage de la foule et cherche un nouveau passage pour atteindre le multimilliardaire entouré de la sécurité.

— Monsieur Rochard !
— Combien de temps va durer votre… ?
— À quoi vous pen…
— …que vous ressentez à quelques secondes de… ?
— …à ceux qui disent… ?
— Monsieur Rochard !

Ça y est, je le vois ! Je suis comme un gosse ! Il est tellement beau, et élégant avec cette mèche de cheveux gris au-dessus d’un regard d’acier. Il avance à grands pas dans sa combinaison de spationaute. Les agents de sa garde personnelle l’encadrent, et il se retourne un instant pour saluer l’attroupement de journalistes qui lui court après.

— Monsieur Rochard !

Un micro apparaît de nulle part et lui bloque la route. Un journaliste a réussi à lui barrer la route.

— Pourquoi tenez-vous absolument à vous rendre vous-même dans l’espace ?

Quel impertinent !

Le Maître de Hoenn ne répond pas. Il sait que la caméra qui le filme a dans son champ de vision derrière lui la côte d’Algatia d’où l’on peut apercevoir au-delà de la mer des territoires irradiés depuis des années.

— Vous êtes patron et Maître de la Ligue, pas un spationaute. Pourquoi participez-vous à ce vol touristique ?

Quel culoté ! On ne s’adresse pas au Maître sur ce ton ! Il va voir ce qu’il va voir !

Pierre Rochard hésite mais reste silencieux. Il fait tout de même signe à sa garde de ne pas bousculer le journaliste. Qu’est-ce qu’il est adorable, quand même !

— Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de brûler autant d’énergie fossile en trois minutes de vol pour votre plaisir, que la consommation totale de la planète en un an ?

Quel ingrat ! Je vais m’en occuper moi-même si les gardes n’interviennent pas !

Pierre Rochard se fige. Il ne doit pas perdre la face. Il vérifie qu’il est bien au centre de l’objectif de la caméra et affiche un sourire amusé.

— J’aimerais, du fond du cœur, échanger toute ma technologie pour un après-midi avec Socrate. Mais la philosophie est inutile pour contrer le réchauffement climatique. La science, en revanche, l’est beaucoup plus. Ce sera tout.

Et Pierre Rochard quitte la foule pour se diriger vers sa fusée. Je crois que j’en suis tombé amoureux.

Cercle vicieux
Je ne vois pas de solution à cette énigme. J’ai tout étudié, j’ai renversé le problème dans tous les sens, j’ai évalué toutes les suggestions loufoques que mon cerveau m’a proposé : je ne vois pas de solution viable.

Je pose mon crayon sur mon cahier froissé et m’avachis sur ma chaise de bureau. Dehors, les rues de Volucité sont bondées de gens qui vagabondent de centres commerciaux en magasins. Je repense à Annette que je n’ai plus revue depuis mon départ d’Hoenn, à cette ancienne que j’avais au sein de l’ASBL des TPF, et un brin de nostalgie m’embrouille la vue. Face à l’irrémédiable fin du monde qui nous attend, je finis enfin par ressentir des émotions pour les humains qui m’entourent.

Car la fin du monde est commencée. On ne la voit pas encore, mais elle est là. Bien présente. Si je n’étais pas un brillant ingénieur, je n’y croirais pas non plus. Malheureusement, j’ai beau évaluer le problème dans tous les sens : nous sommes dans l’incapacité de contrer le réchauffement climatique, même avec la meilleure équipe de Pokémon.

La seule solution viable serait l’arrêt immédiat et irréversible de l’utilisation de tous les appareils technologiques que nous possédons : de l’Usine de Poké Balls au moindre petit Pokédex de débutant. Car nous consommons trop de ressources en un temps si rapide que la planète n’est pas en capacité de les reproduire. Cependant, pour pouvoir se passer de la technologie qui épuise nos ressources naturelles et augmentent la température de la planète, nous devons revoir intégralement notre production d’énergie. Car sans énergie, pas de vie. Comment survivre sans eau potable ? Et comment assainir l’eau des sources sans technologie ?

La conclusion fait froid dans le dos : Kanto, Hoenn, Unys, toutes les régions ne peuvent être viables pour les humains et Pokémon sans transformer intégralement leur mode de production. Et pour cela, nous avons besoin de technologie. Donc, nous devons polluer. Et vite, car la transformation doit être la plus rapide possible pour contrer les dégâts de notre activité humaine ! Donc polluer encore plus et encore plus vite !

Non, je ne vois pas de solution à cette énigme : c’est le Seviper qui se mord la queue ! Remarque, cela fera une bonne vidéo pour ma chaîne VokiTube.