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esPace de Ashenere



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Informations

» Auteur : Ashenere - Voir le profil
» Créé le 14/09/2022 à 21:33
» Dernière mise à jour le 14/09/2022 à 21:33

» Mots-clés :   Absence de combats   Kanto   Science fiction

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Chapitre 5
Une des réussites de l’évolution avait été l’amélioration de l’autodéfense de Porygon2. Ada testait personnellement sa réaction au danger, au début uniquement dans le cyberespace. Dans cet espace virtuel, Porygon2 pouvait changer de forme à volonté et il ne risquait pas d’être blessé sérieusement. Il pouvait esquiver, attaquer, et même voler. Eh oui ! Alors qu’il peinait sur terre, dans le cyberespace, Porygon2 volait à l’infini. Sur son écran, où une modélisation affichait les mouvements du Pokémon, Ada suivait les pirouettes aériennes avec autant de fascination que de frustration. Qu’est-ce qui l’empêchait d’en faire autant sur terre ? Pourquoi cette agilité incroyable était-elle réservée à ce monde inaccessible ? Jour après jour, elle assistait à ce spectacle, qui se transformait peu à peu en jeu. Ada générait des projectiles, des obstacles, des ennemis que Porygon2 devait esquiver ou détruire. Au début, il avait rencontré quelques difficultés, mais il avait bien vite compris et devenait chaque jour plus rapide.

Ada avait aussi testé ses réactions dans le monde réel, en lui lançant des balles en mousse ou en essayant de le toucher avec de l’eau. Après ses entraînements dans le cyberespace, il n’avait eu aucun mal à tout esquiver. Mais, même confronté à ce genre de “danger”, il ne volait pas. Certains avaient proposé de l’exposer à une situation plus risquée pour le pousser dans ses derniers retranchements, pour l’aider à voler. Ada s’y était toujours refusée. Elle avait éliminé chaque possibilité de bug, chaque problème physique. Tout ce qu’il restait, c’était un blocage psychologique. Même si son esprit logique peinait toujours à accepter que Porygon2 soit un être vivant, elle se sentait incapable de l’exposer à aucune sorte de traumatisme. Alors, elle continuait ses tests dans le cyberespace et elle rêvait de voir ces acrobaties aériennes de ses propres yeux.


Ce jour-là pourtant, sa rêverie était sombre. Nadzor allait arriver d’un moment à l’autre. La réunion avec le conseil d’administration de la Sylphe approchait. Il allait falloir défendre leur avancement. Ada se sentait bloquée, sans aucune piste à explorer.

— Ada, es-tu toujours là ?

— Hein ? Ah oui Porygon, je suis là, qui y a-t-il ?

La voix de synthèse l’avait brusquement sortie de sa rêverie et elle ne comprenait pas ce que son écran lui montrait. Elle cligna des yeux plusieurs fois, mais la forme étrange était toujours là.

— Porygon, est-ce que c’est toi ce gros cube ? Avec un… un ruban ?

— Affirmatif. Puisque j’ai la confirmation que tu me regardes, je vais pouvoir commencer.

— Commencer quoi ?

Ada ne comprenait rien. Porygon2 était transformé en grosse boîte. Elle vit cette sorte de ruban commencer à se défaire et à glisser. Soudain le sommet de la boîte disparut à son tour dans un nuage de fumée. Enfin, ce qui restait de la boîte se fondit en une boule scintillante et tourbillonnante, jusqu’à laisser apparaître…

— Des fleurs ? C’est un bouquet de fleurs ?

— Joyeux anniversaire Ada. J’espère avoir bien compris la définition du mot “cadeau”.

Son anniversaire. Elle avait complètement oublié, obnubilée par la réunion et l’échec qui se profilait. Elle en fut si émue qu’elle en resta sans voix.

— Je sais que tu préférerais que je vole. Mais, j’en suis incapable.

— Porygon, pourquoi es-tu incapable de voler ?

Ada réalisa en posant cette question que, depuis tout ce temps, personne n’avait jamais pensé à lui demander directement.

— Mon corps est trop rigide. Je me sens… Emprisonné ? Je crois que c’est le mot qui correspond à ma situation.

— Pourtant ton corps est plus petit, plus léger, plus aérodynamique.

— Mais je le contrôle avec plus de difficultés, comme si j’étais dans un corps étranger.

— C’est vraiment étrange…

Elle n’eut pas le temps d’approfondir plus longtemps. Nadzor toqua à la porte. Elle informa Porygon2 puis invita son collègue à entrer.

— Alors Ada, cela fait maintenant six mois que le projet est entre tes mains, je vais devoir faire mon rapport à la Sylphe.

— Eh bien, tu n’as qu’à leur dire que, ce que William avait compris en cinq minutes, nous avons mis six mois à en être sûrs. Porygon2 ne volera pas.

Bien que catégorique, sa voix n’exprimait pas de déception.

— Vous avez vraiment tout vérifié ? Rien à corriger, pas un seul petit bug caché quelque part ?

— Ah si, des bugs, on en a trouvé par dizaines. Le dictionnaire qui se trompait de langue, les écouteurs qui avaient une portée de dix centimètres, sa capacité de déplacement vers la gauche était plus rapide de 0,02 cm/s par rapport à son déplacement vers la droite… Bref, beaucoup de choses ont été améliorées durant ces six derniers mois.

— Mais rien pour le vol ?

— Rien pour le vol. On a fait tout ce que l'on pouvait. On est tous repassés sur le code des dizaines de fois. Même les consultants externes à qui j’ai transmis des morceaux de code n’ont rien trouvé.

Nadzor avait déjà entendu tout cela. Il avait été présent aux côtés de l’équipe chaque jour, et pourtant, le réentendre lui laissa un goût amer.

— Alors qu’est-ce que je dis à la Sylphe, Ada ? Qu’on abandonne ? Que Porygon2 est un succès en matière d’intelligence artificielle, de vie artificielle même, mais un échec dans la course à l’espace ?
Ada repensa au cadeau de Porygon2, à ses progrès incroyables et à ses dernières révélations. Elle fixa Nadzor, déterminée.

— Non, Edward. Tu vas leur dire que les Pokémon, ça peut évoluer deux fois.




Ada présenta son projet de nouvelle évolution à son équipe tandis que Nadzor le défendait devant le conseil d’administration. Cette fois-ci, l’évolution ne se concentrerait pas sur l’intelligence artificielle, mais sur le corps de Porygon2. Il fallait qu’il le contrôle complètement, jusqu’à la moindre cellule, qu’il puisse se réassembler à volonté, comme il le faisait dans le cyberespace. Madrek, avec qui elle discutait souvent, avait évoqué les légendes de Kalos et d’Alola au sujet d’un Pokémon composé de plusieurs cellules et qui pouvait changer de forme selon leur agencement. Une partie de l’équipe fut envoyée sur place pour enquêter.

Les jours passaient. Ada se rapprochait de Porygon2, elle lui expliquait les modifications qu’elle allait apporter, lui demandait son avis.

Les mois filaient. L’expédition revint et leurs informations se révélèrent déterminantes pour l’avancée du projet.

Les années glissaient. On commença à mettre au point le CD d’Amélioration, nouvel objet qui allait servir à l’évolution.

D’un coup, tout s’arrêta. Les trois ans qui leur restaient s’étaient écoulés.

Nadzor implora, Ada tempêta, tous hurlèrent. Six mois encore et le projet serait terminé. Six mois encore et Porygon explorerait l’espace. Mais la Sylphe SARL avait trop donné pour ce projet, pour cet échec. D’autres projets avaient besoin de cet argent. C’était déjà une grande réussite, et ils allaient enfin montrer Porygon2 au monde. Sans évoquer l’espace, ils vanteraient leurs incroyables avancées en matière d’intelligence artificielle. Ils firent miroiter une promotion à Nadzor, le prix Nobel à Ada, des primes et le choix du projet à tous les autres employés. Cela ne suffit pas. Alors, ils annoncèrent simplement la date de fin du projet. Quiconque serait encore au Laboratoire le lendemain serait considéré comme un intrus et une demande d’expulsion formelle serait transmise aux autorités. Certains envisagèrent d’aller en parler aux médias. Ils n’en eurent pas le temps. Juste après leur dernière annonce, la Sylphe publia une vidéo de Porygon, de sa création à son évolution, en passant par des extraits de discussions. Tout cela avait été enregistré au Laboratoire par l’équipe elle-même. C’étaient des images que l’on montrait aux réunions du conseil d’administration pour témoigner des progrès effectués. Ce qui servait autrefois à les défendre fut utilisé pour les poignarder. Nadzor accepta sa promotion. Les autres choisirent de nouveaux projets ou quittèrent la Sylphe. Ada demanda du temps pour prendre sa décision.




Le dernier jour, ils se réunirent tous au Laboratoire pour faire leurs adieux. Madrek fit lui aussi le déplacement. Tous prirent un moment pour discuter avec Porygon2, pour lui dire au revoir, pour pleurer sur ce corps qu’ils n’allaient pas pouvoir lui offrir. Ada restait silencieuse, à son bureau. Madrek prit une chaise et s’assit à ses côtés.

— Tiens, ça fait bizarre, avant nos places étaient inversées. J'avais le grand bureau et toi, tu regardais l’écran en t’agitant sur ta chaise.

— Sauf que l’écran est éteint aujourd’hui, répondit Ada, amère. Et il le restera.

— Ada. Tu as fait tout ce que tu pouvais. Tu t’es battue de toutes tes forces, pendant plus de quinze ans.

Zéro, cinq, dix, quinze. Une lointaine matinée de juillet lui revint en mémoire tandis que Madrek continuait.

— Nous avons accompli ce que tu étais venue chercher, toute fraîche sortie d’université. Nous avons créé un Pokémon artificiel. Et même mieux que ça ! Nous l’avons fait évoluer.

— Peut-être. Mais il n’a pas exploré l’espace. C’est un échec.

— Ma chère Ada, tu as de ces échecs qui sont des réussites éclatantes. Tu verras lorsque nos recherches seront publiées et que tu seras acclamée comme un des génies de notre époque !

Madrek essayait de la faire sourire. Il y parvint à peine.

— William, tu veux me remonter le moral, et je t’en remercie. Mais ce n’est pas qu’à moi que je pense. Que va-t-il advenir de Porygon2 ?

— Eh bien, je suppose que si tu acceptes de continuer à travailler à la Sylphe, ils vont te demander de le balader un peu partout. Pour exposer le premier Pokémon artificiel. Du genre “venez discuter avec un Pokémon qui passe le test de Turing” ou ce genre de truc. J’ai entendu Nadzor qui évoquait un éventuel partenariat avec une entreprise d’Unys. Tu sais, ceux qui font marcher des appareils avec des Motisma ? Je suppose qu’ils aimeraient qu’on intègre l’intelligence artificielle de Porygon2 avec un de leurs appareils.

— Mais Porygon n’aime pas son corps parce qu’il le trouve trop rigide ! Penses-tu qu’il sera plus heureux dans un frigo ou une machine à laver ? Et même s’il garde sa forme actuelle, il ne se sentira jamais vraiment bien !

Madrek ignorait que répondre. Ada avait les larmes aux yeux. De désespoir autant que de colère. Quelques regards s’étaient tournés vers eux. Porygon2 s’approcha, et sans rien dire, se nicha dans les bras d’Ada. Elle éclata en sanglots, serrant le Pokémon contre elle, ignorant le contact froid de cette peau métallique. Les heures passèrent, et autour d’eux, les membres de l’équipe firent leurs adieux à cette salle qui leur avait volé tant de temps.