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esPace de Ashenere



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Informations

» Auteur : Ashenere - Voir le profil
» Créé le 14/09/2022 à 21:31
» Dernière mise à jour le 14/09/2022 à 21:31

» Mots-clés :   Absence de combats   Kanto   Science fiction

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Chapitre 4
En cette belle matinée de juillet, Ada comptait les années. Dix ans auparavant, elle était embauchée pour travailler sur le projet esPace. Cinq ans avaient été nécessaires pour qu’elle assiste à la venue au monde de Porygon. Et, cinq ans plus tard… Cinq ans plus tard, ils avaient tant perdu. Le Laboratoire, leurs recherches, mais aussi certains de leurs collègues. Leur ville aussi. Cette île sur laquelle ils avaient vécu tous ensemble, cachant ce projet secret, le premier vol de Porygon, le bar et son jus de Figuy, le portrait de M. Fuji… Rien n’avait survécu à la colère du volcan. L’éruption s’était poursuivie sur plusieurs jours, carbonisant tout sur son passage. Des centaines de blessés, des dizaines de morts, et Cramois’île en cendres.

Zéro, cinq, dix. Ces chiffres s’alignaient si bien, comme des étapes sur son chemin. Que lui réservaient les cinq prochaines années ? Le succès ? Ou l’oubli ?

Peut-être même que l’oubli allait la rattraper dès aujourd’hui. Du quatorzième étage de sa chambre d’hôtel à Safrania, où elle avait été relogée comme la plupart de ses collègues, elle voyait se dessiner la tour de la Sylphe SARL. Là-bas, Nadzor — dont les beaux cheveux blonds, brûlés, refusaient toujours de repousser — et Madrek — le bras en écharpe, le regard sombre — assistaient à une réunion sur “l’avenir du projet esPace”. Cet intitulé officiel apparaissait comme une menace à Ada. L’échec de Porygon, les années passées, sans progrès visible, sur l’Améliorator, et maintenant la destruction du Laboratoire, rien n’encourageait les responsables de la Sylphe SARL à continuer d’investir dans le projet esPace.

Pourtant, il le fallait, Ada en était persuadée. Pour l'exploration spatiale, pour l'intelligence artificielle, pour la science ! Et, surtout, chuchotait une petite voix, pour moi. Elle avait consacré dix ans de sa vie à ce projet, ils ne pouvaient pas le lui retirer. Évidemment, elle pourrait travailler sur un autre projet de la Sylphe SARL, élaborer de nouvelles Balls, ou de nouveaux gadgets dédiés à l'étude des Pokémon. Ou alors, émigrer ? Partir vers Hoenn, rejoindre les efforts de l'équipe d'Algatia, participer à leurs projets de fusée.

Ada tressaillit, on sonnait à la porte. C'était Madrek. Anxieuse, elle scruta son visage : était-ce de la déception ou du soulagement qu'elle décelait dans ses yeux ?

— Tu peux me laisser entrer et me filer un verre d'eau avant de me dévisager comme si le sens de la vie était caché dans mes rides ?

Ada réalisa qu'elle bloquait le chemin et le laissa s'installer sur son canapé. Elle lui servit le verre d'eau demandé et s'assit sur le grand fauteuil. Après avoir descendu son verre d'un coup, Madrek prit enfin la parole.

— Bon, assez de suspense, le projet continue.

Il ne laissa pas à Ada le temps d'exprimer son soulagement.

— Mais, parce qu'il y a quelques “mais”, plus de nouveaux recrutements. Budget matos réduit. Par ailleurs, on va s'installer dans un nouveau laboratoire, ici à Safrania, dans le sous-sol de la tour Sylphe. Et surtout. Ils nous laissent cinq ans. Si, dans cinq ans, on ne dispose pas de prototype viable, capable de sortir de l'atmosphère terrestre, ils arrêtent tout.

Cinq ans. Zéro. Cinq. Dix. Quinze. Encore une étape. C'était au tour de Madrek de scruter Ada. Il craignait voir le découragement, l'envie d'abandonner. Ada était encore jeune. Par ailleurs, elle avait fait ses preuves, elle pouvait rejoindre n'importe quel projet, n'importe quelle entreprise.

— Tu sais, je comprendrais si tu décidais de partir. Tu as fait tes preuves. Malgré le secret du projet, je pourrais te faire une bonne lettre de recommandation. Même si tu n'en as pas vraiment besoin…

— Pardon William, j'ai arrêté d'écouter après “partir”. Tu crois vraiment que je vais te laisser récupérer le prix Nobel tout seul ?

Son sourire moqueur rassura Madrek immédiatement.

— C'est vrai, désolé. Comment ai-je pu penser que tu allais abandonner ? Je te connais mieux que ça pourtant. Pour tout te dire… Cette réunion a été épuisante. Edward et moi avons dû nous battre. Il a fallu justifier tous nos choix, toutes nos dépenses. Personne n'était convaincu. À la fin, c'est le grand patron qui est intervenu et qui nous a offert cette dernière chance.

— Dernière chance… Autant y aller à fond alors. Quand est-ce qu’on s’installe dans le laboratoire ?

— Dès demain.


Enfin, c'est ce que l'on avait annoncé à Madrek. Mais, lorsque le lendemain, il emmena son équipe dans leur nouveau lieu de travail, il réalisa bien vite que cela n'allait pas être aussi simple. Les salles étaient poussiéreuses et emplies de cartons. Les quelques ordinateurs que l'on trouvait par-ci par-là étaient déjà obsolètes au début du projet. La déception s'empara de l'équipe. Qu'allaient-ils bien pouvoir faire dans ces conditions ? Soudain, Ada surgit d'un placard, un balai à la main.

— Qu'est-ce que vous attendez ? Il ne nous reste que cinq ans, alors il faut que ce laboratoire soit en état le plus vite possible. Au travail !

Madrek sourit et commença à soulever des cartons. Nadzor, d'ordinaire si attentif à ses apparences, attrapa un vieux chiffon poussiéreux. Les autres suivirent, et malgré la tristesse de l'environnement, une ambiance joyeuse s'installa bien vite. Les jours qui suivirent virent la transformation du vieux sous-sol en open-space lumineux. Nadzor se battait pour obtenir des ordinateurs, Ada achetait des fournitures sur ses propres économies tandis que Madrek laissait cours à sa créativité pour rendre les lieux plus agréables. Lorsque le nouveau laboratoire fut enfin prêt, une petite soirée d'inauguration eu lieu. Certains emmenèrent de la nourriture, d'autres des boissons. Ada apporta une petite PokéBall rose.

L'émotion fut intense lorsque Porygon surgit parmi eux. Ils ne l'avaient plus vu depuis l'éruption. Le fruit de leur travail, leur terrible échec. En voyant la créature léviter au milieu de la salle, tous se remémorèrent ce jour terrible, et le recueillement s'empara d'eux. Ils pleurèrent leurs collègues, leurs souvenirs, et lorsque les larmes se tarirent, ils fixèrent Porygon. À présent, c'était la détermination que leurs regards reflétaient. Alors, on ouvrit une bouteille d'un vin de Cramois'île, et les discussions, les projets, les rires coulèrent à flots. Bientôt l'Améliorator serait terminé, bientôt Porygon explorera l'espace, bientôt leur histoire entrerait dans l'Histoire.

Ce “bientôt” dura deux ans. Deux ans avant que le processus d'évolution ne soit suffisamment maîtrisé pour permettre la création de l'Améliorator. Deux ans pour finaliser la nouvelle version de l'intelligence artificielle.

Enfin, par un pluvieux après-midi de mars, on enferma Porygon dans la cuve, et on lui demanda de toucher l'Améliorator, posé au centre de la plate-forme. Une intense lumière se propagea et tous ressentirent cette impression de puissance et de changement qui se dégage d'une évolution. Tout le monde a assisté au moins une fois à ce phénomène mystérieux, ce miracle de la nature. Cependant celui-ci n'avait rien de naturel. On apercevait, en plissant un peu les yeux, le corps du Pokémon qui se tordait, se mélangeait, se transformait. Puis, la lumière se dissipa. Ada, Madrek, Nadzor, les plus proches de la cuve, furent les premiers à voir le corps de celui qu'ils avaient décidé de nommer (sans concours cette fois) Porygon2. Ils avaient essayé d'influencer la forme que prendrait l'évolution, mais sans oser aller trop loin, ne voulant pas perdre la forme simple de l'original.

Ce que l'on pouvait dire c'est que ce nouveau corps, bien que grossièrement identique au premier, semblait décidément plus… moderne. Il n'y avait plus un seul angle dans ce corps, tout avait été lissé, arrondi. Le bec, autrefois partie intégrante du visage, se détachait à présent plus clairement. Les couleurs étaient toujours les mêmes, mais plus éclatantes, brillantes. Comme si l’on avait poli ce corps jusqu'à ce qu'il reflète la lumière. Son œil octogonal avait, lui aussi, perdu ses angles et formait à présent un ovale allongé. Dans le blanc laiteux se détachait la prunelle noire, curieuse.

Ada tressaillit. Pour la première fois, elle avait ressenti un sentiment se dégager du regard du Pokémon. Toujours pas de battements de cœur ni de respiration, mais le regard paraissait enfin exprimer… quelque chose. C’était si peu, et pourtant une larme de soulagement courut sur la joue d'Ada.

Nul besoin de s'étendre sur la joie et la fierté qui s'emparèrent de l'équipe à ce moment-là. Tout cela fut de courte durée. Les tests élémentaires révélèrent bien vite l'échec total de Porygon2.

Il était incapable de voler.

Léviter à quelques dizaines de centimètres au-dessus du sol, aucun problème. Mais au-delà, impossible. Rien n'expliquait cela, pas d'erreurs dans le code, pas de bug, pas de souci de conception.

Ce fut la déception de trop pour Madrek. Il avait soixante ans. Il avait consacré les quatorze dernières années de sa vie à ce projet. Il n'avait plus l'énergie de se battre, de recommencer, alors que plus personne ne croyait en eux. Il donna sa démission. Les responsables de la Sylphe SARL annoncèrent l'arrêt du projet. Ada s'y opposa violemment.

— Vous nous aviez accordé cinq ans. Pas cinq ans pour que Porygon2 vole. Pas cinq ans à condition que Madrek reste chef de projet. Cinq ans ! Cinq ans pour envoyer un Pokémon hors de l'atmosphère. Il nous reste trois ans !

Nadzor, que le départ de Madrek avait plus affecté qu'il ne voulait l'admettre, se rangea sans hésitation derrière Ada. Certains partirent. Les autres membres de l'équipe firent bloc derrière Ada. Elle était l'une des plus anciennes employées du projet, elle connaissait le code par cœur, et la détermination de Madrek l'animait. La Sylphe céda. Le projet esPace avait encore trois ans. Ada devint la nouvelle cheffe de projet.

Ce même soir, en rentrant à son hôtel, sa nomination lui paraissait un cadeau empoisonné. Pourtant, elle était victorieuse, le projet continuait. Elle allait prouver à tous, même à Madrek, que ce projet n’était pas sans espoir. Arrivée dans la pièce, elle ouvrit la PokéBall rose et salua celui qui en sortit.

— Bonsoir Porygon.

— Bonsoir Ada.

Porygon2 ne parlait pas réellement. Le Pokémon transmettait les phrases qu'il souhaitait prononcer et un logiciel de synthèse vocale, connecté à un écouteur spécial, permettait à Ada de l’entendre. Ceux qui l'ignoraient auraient pu croire qu'Ada lisait dans les pensées de Porygon2.

— Comment te sens-tu aujourd'hui ?

— Tous mes systèmes sont opérationnels.

C'était devenu leur routine depuis son évolution. Ada lui posait ensuite des questions simples. Qu'avait-il observé aujourd'hui, qu'avait-il appris ? Il n'avait plus besoin qu'elle ajoute des mots à son vocabulaire. On l'avait connecté à un dictionnaire en ligne (inimaginable dix ans plus tôt) et chaque jour, il ajoutait ses propres notes aux définitions. Hôtel devenait maison ; scientifique, collègues ; laboratoire, expériences et, à côté de vol, il avait noté échec. Porygon2 retenait de nombreuses choses, pour la plupart inutiles. La couleur du ciel, la forme des nuages, le nombre de fois où Nadzor était venu au bureau. Il répondait toujours rapidement, comme un enfant, impatient de partager sa journée. Lorsque cette pensée faisait sourire Ada, elle se sermonnait. Ce n'était pas un enfant, c'était une intelligence artificielle, dans un corps artificiel. Il était rapide parce que son processeur était rapide. Toutes ces informations inutiles n'avaient aucun intérêt dans la course à l'espace.

Ce jour-là pourtant, il se passa quelque chose qui la fit douter : Porygon2 posa une question.

— Ada, tes systèmes sont-ils opérationnels ?

Venait-il de lui demander comment elle allait ? Ada était abasourdie. Elle se reprit et répondit enfin, sans que cette lenteur semble troubler le Pokémon.

— Euh oui, Porygon, je vais bien. Pourquoi cette question ?

— Ton expression faciale est différente des autres jours. Je n'arrive pas à l'analyser.

La voix dans l'oreille d'Ada se tut un instant avant de reprendre.

— Selon mon analyse, ta bouche était tordue. D'après mon dictionnaire médical, cela peut être le symptôme d'une maladie grave.

Ada commença à comprendre.

— Est-ce que tu veux dire que ma bouche était tordue comme ça ?

— Analyse… oui, c'est ça. Voilà le symptôme. Analyse… Ada, tes systèmes sont-ils en train de se détériorer ? Tu produis des sons étranges et tu parais te tordre de douleur ? Dois-je contacter les secours ?

Ada riait, évidemment. La bouche tordue était un sourire. Lorsqu'elle se fut calmée et eut rassuré Porygon2, une triste réalisation lui vint. Porygon2 ignorait à quoi ressemblait son sourire alors qu'ils vivaient ensemble depuis presque un mois.

— Ada, je comprends que le sourire est lié à la joie. Puisque la joie ne semble pas être ton état naturel, quelle est la cause de cette joie ?

— J'ai été nommée chef de projet. Et, nous avons encore trois ans pour te faire atteindre l'espace. Notre aventure n'est pas encore terminée.

Fut-ce du soulagement qu'elle vit dans la prunelle noire de Porygon2 ?