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esPace de Ashenere



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Informations

» Auteur : Ashenere - Voir le profil
» Créé le 09/08/2022 à 18:11
» Dernière mise à jour le 14/09/2022 à 21:16

» Mots-clés :   Absence de combats   Kanto   Science fiction

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Chapitre 1
Ada était confiante. Confiante en ses capacités, en sa motivation. Et, contrairement aux autres candidats, tétanisés de stress, elle ne sentait que l'excitation. Celle du jour qui approchait enfin. Ce jour qui semblait si lointain, et qui avait si longtemps hanté son esprit : le jour où elle pourrait rejoindre le Laboratoire de Cramois'île, subventionné par la Sylphe SARL. Et, surtout, travailler sur le projet qui avait tant fait parler de lui, le projet qu'elle avait suivi d'aussi près que possible pendant ses études. Le projet esPace.

— Mme Ada Antari ?

Un homme en blouse blanche venait de surgir dans la salle d’attente, cherchant du regard le nom indiqué sur sa liste. Ada se leva sans précipitation, son sac à la main, et le suivit le long d’un couloir, jusqu’à la petite pièce où allait se dérouler l’entretien. Sur un des murs, le portrait d’un homme au sourire mélancolique attira son attention. Elle y reconnut le Dr Fuji, ancien directeur du Laboratoire qui avait pris sa retraite dans des circonstances mystérieuses. Les théories à son sujet avaient été au centre de nombreuses discussions étudiantes, lorsqu’un peu trop de vin de Figuy faisait s’envoler la rigueur scientifique. Ada chassa ces fragments du passé et revint au présent. L’homme à la blouse blanche lui indiquait un canapé, positionné près d’une impressionnante table en bois qui occupait le centre de la table. De l’autre côté, deux fauteuils en cuir dont l’un était occupé par un autre homme. Elle s’assit, et l’homme à la blouse blanche l’imita avant de prendre la parole.

— Bonjour Mme Antari. Je suis William Madrek, responsable du projet esPace. Et, voici Edward Nadzor de la Sylphe SARL qui supervise notre avancement.

Des salutations polies furent échangées et Nadzor commença par des questions classiques.
D’où venait-elle ? D’Argenta.
Pourquoi s’était-elle intéressée à la programmation informatique ? Elle avait toujours été attirée par la technologie, et ses visites au Musée des Sciences avaient orienté sa carrière, avant de se spécialiser en informatique.
Tandis que Nadzor continuait à lui demander ses qualités, défauts et autres banalités, Ada remarqua que Madrek commençait à s’impatienter. Du coin de l’œil, elle observa son visage rude, qui semblait celui d’un homme plus habitué aux grands airs et aux travaux manuels qu’à l’obscurité des écrans et des pages de calcul. Une certaine froideur s’échappait de lui, qui contrastait avec la chaleur de Nadzor, son visage fin et son air rassurant. Finalement, Madrek n’y tint plus et interrompit l’échange.

— Pardonnez-moi Nadzor, mais tous ces entretiens prennent un temps fou, alors, si vous le voulez bien, nous allons directement passer au cœur du sujet.

Puis se tournant vers Ada :

— Mme Antari, que savez-vous du projet esPace ?

Enfin une question directe, ils allaient en finir avec cette perte de temps. Ada appréciait déjà le scientifique. Elle répondit calmement.

— Ce que le grand public en sait : le but du projet est d’explorer l’espace grâce à une technologie inédite. Et, secrète. C'est pour ça que vous recrutez des développeurs informatiques.

— Excusez-moi madame, mais je pense que vous en savez plus que ça.

Ada tressaillit imperceptiblement puis fixa Nadzor, qui venait d'intervenir de sa voix mielleuse. Le silence de la jeune femme l'invita à continuer.

— Nous avons entendu parler de vous Mme Antari. Vous avez étudié à l'Université de Céladopole, major de promo pendant les cinq années passées là-bas.

— C'était sur mon CV en effet.

Nadzor l'ignora.

— Bien sûr, durant la période scolaire, vous viviez sur le campus. Mais, depuis l'annonce du projet il y a deux ans, vos week-ends, vos vacances, vos jours fériés, vous les avez passés ici. À Cramois'île.

— Je pourrais vous répondre que j'apprécie l'île, son climat, la nature sauvage…

— Et surtout les bars où traînent les membres du projet, et qui, contre quelques verres de Figuy fermenté, peuvent laisser échapper des informations.

Le silence emplit la salle. Madrek scrutait Ada d'un regard neutre, comme s'il attendait le résultat d'une expérience peu intéressante. Nadzor arborait un sourire étrange, plus du tout rassurant. Ada ferma les yeux, respira légèrement et les rouvrit. Son regard déterminé éveilla l'attention de Madrek.

— Je vois, je suppose que je n'étais pas très discrète. Ce n'était pas mon but après tout. Je voulais savoir. Et, quand j'ai su… Alors, j'ai compris que je devais vous rejoindre. C'est un projet incroyable. L'exploration de l'espace, ce n'est qu'un prétexte à mes yeux. Ce que vous voulez faire, ce que vous avez commencé… La création d'un Pokémon virtuel, d'un Pokémon codé par l'Homme.

Ada s’interrompit un instant, et l’émotion qu’elle avait ressentie en apprenant cette information capitale la submergea de nouveau.

— C'est ça qui compte vraiment. C’est à ce projet, qui n'a pas quitté mes pensées depuis que j'en ai appris les détails, que je souhaite me dévouer toute entière.

Tout en parlant, elle sortit de son sac à main, une pochette.

— Voici mes notes sur le projet, les propositions, les potentiels obstacles, tout ce que j'ai pu mettre au point seule. Évidemment, ces notes sont confidentielles, vous êtes les premiers à les voir. Je suppose que votre équipe est déjà arrivée plus ou moins aux mêmes conclusions, ce n'est que du travail déjà fait.

Elle ajouta en se tournant vers Madrek :

— Mais j'espère que cela vous prouvera ma motivation à travailler sur ce projet.

Puis, à l'adresse de Nadzor :

— Et que cela pardonnera ma curiosité quelque peu excessive.

Le scientifique parcourut rapidement les notes. Puis, il leva la tête et conclut l'entretien en ces termes :

— Je pense que nous nous reverrons bientôt, Mme Antari.

En effet, quelques jours plus tard, le téléphone de son appartement sonnait pour annoncer à Ada qu’elle avait été retenue.




Ada était pressée. À peine le temps de régler les détails administratifs et de trouver un petit appartement proche du Laboratoire que le premier jour arrivait. Elle avait eu une nuit agitée, s’était levée en retard et marchait aussi vite qu’elle le pouvait dans les ruelles ensablées, sous la chaleur du mois de juillet. Se frayant un passage au milieu des touristes, elle finit par arriver au Laboratoire, où elle fut surprise d’être accueillie par Madrek en personne.

— Bonjour. Nous allons commencer par un tour des installations.

Ada ne s’offusqua pas de l’absence de formules de politesse. Elle suivit le scientifique le long des couloirs blancs, dans des salles où s’affairaient les chimistes, développeurs, physiciens, astronomes et autres spécialistes qui composaient l’équipe du projet. Chaque équipe se concentrait sur des aspects spécifiques. Madrek lui expliqua que Nadzor, en plus du lien avec la Sylphe SARL, s’assurait aussi que la communication entre les différentes spécialités soit efficace.
Lors de son entretien, Ada avait eu l’impression que le Laboratoire n’était pas assez grand pour accueillir autant de monde. Mais, lorsque Madrek l’emmena vers des escaliers qui descendaient, elle comprit que la plus grande partie du bâtiment était souterraine. Des gardes les attendaient en bas, qui vérifièrent leur identité avant de les laisser s’engouffrer dans les couloirs froids, éclairés par des néons glacés.
Enfin, après être passés par un nombre interminable de pièces débordant d’appareils étranges (qu’Ada reconnu quelques fois) et de bibliothèques trop fournies, ils arrivèrent au cœur du Laboratoire. Une grande cuve en verre occupait le centre de la place. Des ordinateurs clignotants, dotés d’écrans noirs où défilaient des lignes vertes, tapissaient les murs. Les développeurs, concentrés sur leurs postes, semblaient absents. Au milieu de tout ce blanc, noir et gris, une tache rouge attira l’œil d’Ada. Près de la cuve, un grand panneau arborait la lettre H, et son écarlate paraissait incongru. Madrek surprit son regard et devança sa question.

— H, c’est le nom du prototype actuel. Tous les six mois, nous présentons un nouveau prototype. Bien souvent, c'est l’occasion de montrer une avancée importante, et ensuite, nous changeons de lettre. Le prototype D, par exemple, a été le premier à pouvoir se déplacer dans le monde virtuel.

— Et où en est le prototype H ?

— Il est capable de changer de forme à volonté, toujours dans le cyberespace pour l’instant.

— Je vois. Je suppose que la prochaine étape du projet est de le faire sortir du monde virtuel ?

— Exactement. La matérialisation du prototype est le point le plus délicat. Toute cette première partie n’était là que pour poser les bases.

Le scientifique s’arrêta un instant avant d’ajouter, déterminé :

— Les prochains mois vont être déterminants pour prouver la viabilité du projet.

Ils le furent. Ada, sous la direction de Madrek s’intégra à l’équipe, prenant connaissance du code existant, participant aux mises à jour et à la conception de nouveaux prototypes. Malgré le travail de recherche qu’elle avait accompli en amont, il lui fallut du temps pour comprendre toutes les subtilités du projet, toutes les complexités auxquelles ils allaient devoir faire face.

Tous les six mois, Nadzor assistait à la présentation d’un nouveau prototype. Les saisons s’alternaient et toutes les équipes continuaient leur travail acharné. Les progrès étaient lents, mais enfin, par un froid mercredi de décembre, dans la cuve en verre, on vit poindre un bout du prototype K. On avait filmé cette apparition fugace pour analyse, cependant la fascination qu’elle suscitait alla bien au-delà de la satisfaction scientifique. Cette vidéo, de quelques secondes à peine, avait été vue, revue et re-revue par tous, mise en pause des dizaines, des centaines de fois. Et l’on débattait de la couleur du petit morceau apparu. Rouge, orange, rose, vert ? La lumière éblouissante qui avait éclairé la salle lors de l’apparition rendait la question difficile. Alors, on prit les paris et l'on attendit le prochain prototype.
Tous les six mois, une nouvelle présentation, et à chaque fois, un morceau de plus en plus gros apparaissait et restait à peine plus longtemps. Ces quelques centimètres de plus, ces quelques secondes supplémentaires, semblaient des pas de géants à tous ceux qui travaillaient là et attendaient le nouveau prototype comme des enfants attendent le Cadoizo à la fin décembre.
C’est justement à la fin de ce mois, que près de quatre ans après qu’Ada eut rejoint le projet, le prototype O réussit enfin à se matérialiser complètement. L’excitation, les cris de joie qui traversèrent le Laboratoire donnèrent la chair de poule à la jeune femme. Quelle sensation incroyable que celle de participer à une avancée majeure de la science ! Ils étaient tous si heureux, qu’il leur fallut plusieurs minutes pour réaliser que le prototype avait disparu.

— Peu importe ! s’était exclamé Madrek, rompant avec son calme habituel. Il était là, sous nos yeux. Il suffit de le stabiliser et nous aurons enfin atteint notre but. Le prochain prototype sera le bon !

Les applaudissements retentirent, tandis qu’une autre voix s’exclamait :

— Et il était rose et bleu !

Les rires des parieurs fusèrent tandis que les applaudissements redoublaient. Dès le jour suivant, ces mains se remirent à tapoter, à schématiser, à calculer. Ada se sentait prise dans un tourbillon d’adrénaline. Les mois s’envolèrent, les pensées de l’équipe concentrées en un seul point, la fatigue n’ayant pas prise sur ces cerveaux enfiévrés.

Enfin, le jeudi 13 juillet, Ada se réveilla. Elle ouvrit lentement les yeux, fixa son plafond blanc, et écouta le cri des enfants qui couraient vers les plages de sable ocre. Puis, à travers les brumes du sommeil, émergea la conscience. C’était aujourd’hui. Aujourd’hui, cinq ans après son recrutement, le prototype P allait être présenté. Et il allait changer l’histoire.
Ada ne courut pas jusqu’au Laboratoire. Elle marcha avec calme, savourant la brise qui adoucissait les températures déjà élevées malgré l’heure matinale, profitant de la lumière avant de plonger dans les ténèbres des salles souterraines.
Lorsqu’elle arriva dans la salle principale, Madrek était déjà là, ainsi que Nadzor et des dizaines de scientifiques fébriles, qui vérifiaient encore et toujours les mêmes calculs, les mêmes lignes de code. Elle se l’interdit. Il était trop tard pour changer quoi que ce soit : inutile de se créer du stress. Ada se plaça près de son poste de travail, et prépara le programme d’initialisation. C’était à elle que revenait la tâche de lancer le programme. Il fallait juste appuyer sur un bouton, mais elle sentit le regard anxieux de ses collègues surveiller ses gestes. Lorsqu’elle ne fut plus qu’à une touche du démarrage, un raclement de gorge les fit tous sursauter et le silence se fit. Madrek, après avoir survolé la salle de son regard froid, se décida à parler.

— Bien, nous allons pouvoir commencer. L’objectif du prototype P est de se matérialiser complètement dans la cuve et de rester stable jusqu’à son renvoi dans le monde virtuel. Je connais la passion qui est la vôtre, mais aujourd’hui, il nous faut rester calmes. Le prototype ne devra pas juste se matérialiser. Il devra voir, entendre, comprendre. Vos exclamations de joie, bien que compréhensibles, risquent de le perturber. C’est une naissance à laquelle nous allons assister. De la solennité est nécessaire.

Un brouhaha d’approbation accueillit ces paroles, puis Madrek, le visage grave, se tourna vers Ada.

— Mme Antari. À vous l’honneur.

Ada appuya sur le bouton. La lumière envahit la cuve et les lignes défilèrent sur l’écran.