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Viendra la tempête de Ramius



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Informations

» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 20/07/2022 à 11:03
» Dernière mise à jour le 20/07/2022 à 17:26

» Mots-clés :   Hoenn   Organisation criminelle   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de Pokémon inventés

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Bonus : Créature et Serviteur
Plouf !

L’eau salée m’accueille avec un sourire, coulant souplement autour de moi. La mer aime que ses enfants lui reviennent et c’est réciproque. Mais mon Humain m’a briefé : aujourd’hui, il va falloir faire preuve de professionnalisme.

Ma Ball m’a lâché à une bonne distance du navire, ce qui signifie que la cible n’est pas en vue. Je ne perds donc pas une seconde pour faire le tour du propriétaire. Le vacarme du moteur noie mon ouïe, mais ça n’a aucune importance. Écouter, c’est bon pour les proies !

Il ne me faut qu’une poignée de battements de cœur pour terminer ma ronde. Verdict : aucune odeur suspecte, et la mienne imprègne maintenant toute la coque. Le premier couillon qui viendra jouer au gêneur pourra pas pleurer qu’il était pas prévenu quand il s’en prendra une. Ceci étant fait, je laisse mon attention glisser, le courant d’eau de mes pensées se déplaçant le long de mon museau.

L’odorat se replie sur lui-même et se fait discret. La sensation, elle, se déploie et s’épanouit, jusqu’à embraser tout mon esprit. Je ressens, puissantes comme des phares, les installations électriques du navire, ses fils conducteurs courant tout le long de sa masse et tombant soudain dans des puits de faible puissance et de très haute fréquence, qui m’intriguent toujours. C’est de l’intelligence, mais ça ne fait rien, ça ne commande rien. Bizarre.

Je ressens les pulsations électriques régulières de l’antenne radio, roulant comme un battement de cœur. Je ressens les nerfs des Humains à bord, et ceux de ce bon vieux Gargamel. Le Type psy 6G m’a vu, lui aussi, mais ses propres sens ne lui permettent pas de communiquer avec moi. Ça ne nous gênera pas. Et je ressens encore la vastitude de la mer, les courants qui la parcourent. La sensation est un sens du prédateur. Toutes les proies à des jours de nage à la ronde sont dans ma tête, et je n’ai qu’à choisir.

Sauf la cible. Ce qui est anormal, vu qu’on m’a appelé pour elle, donc que les Humains l’ont entendue. Et quelque chose qui fait du bruit sans titiller la sensation, c’est assez mauvais pour qu’un frisson agite mon aileron.

La sensation ne se fait discrète qu’un instant. Je me doute déjà de ce que je vais trouver en me concentrant sur l’Essence — pourtant l’oppression qui se fait soudain claire et nette dans mon esprit me surprend par son ampleur. C’est tout proche. C’est puissant, impatient, et contrarié.

Un dieu. Une présence écrasante comme le monde entier, et à juste titre. C’est l’Avatar de l’Océan.

J’avale une gorgée d’eau et contracte mes muscles de nage, me propulsant tout droit vers lui. Je sais déjà qu’il me vaincra, s’il a un minimum de présence d’esprit, et je n’en ai rien à foutre. Comme si j’étais du genre à obéir à mon dieu ! Et pourtant le Langage scintille dans l’Essence quand je termine mon approche, et vient doucement déposer dans mon crâne les concepts qu’il traduit pour l’Avatar.

« Je me tiendrais à l’écart, si j’étais toi, me conseille-t-il.

— Alors tu es un lâche, je ricane. À la mort !

— Je ne te tuerai pas pour le plaisir de l’homme qui te tient enfermé. Je vais juste te faire comprendre la nature de la souffrance. »

On ne répond pas à un cri de bataille, connard, on renvoie le même. En plus ce qu’il dit n’a aucun sens, au moins pour moi, et je ne me prive pas de le lui faire savoir.

« Quelle différence, alors ? À la mort ! »

Le dieu agite sa queue ornementale, désabusé, et puis commence à nager pour m’empêcher de lui tourner autour. Chacun de nous, je le sais, guette une ouverture dans les odeurs, les sons et les courants d’eau sur sa peau. Il a un avantage sur moi, je pense, ou en tout cas il est assez gros et a l’air assez rapide pour le créer. S’il se jette sur moi, pas d’esquive, alors que moi, je peux le rater.

Et il le gâche stupidement en se jetant sur moi sans aucun avertissement alors que je l’ai en face de moi. J’ouvre la gueule en recrachant toute l’eau qu’il me restait pour sortir de sa trajectoire et je l’accueille d’une Mâchouille qui ripe contre la peau ferme comme un cadavre de son crâne. Donc c’était une intimidation : il me confirme qu’il me surclasse en tout. Vitesse, résistance, masse, taille, et force. Aucune importance !

Mon attaque m’a fait dévier vers la surface, une erreur. Je l’entends avant de le recevoir, le claquement de deux nageoires larges comme moi déployées contre l’eau pour le freiner en urgence, et puis le son sifflant d’un mouvement de nage brutal. Ignorant complètement où il est, je plonge aussi vite que je peux. Ce réflexe-là aura été bon : le bestiau s’écrase à la surface de l’eau avec un claquement retentissant. J’ai échappé à un beau Plaquage, dirait-on !

Nous recommençons à nous tourner autour ; il a compris que je ne vais pas le laisser me traîner hors de son chemin et cherche enfin à prendre un avantage. Je suis sous lui et je cherche d’abord à y rester ; je suis capable d’une attaque rapide par en haut en me propulsant, mais si lui ne l’est pas, je préfère autant le garder au-dessus et le forcer à descendre à la force des nageoires.

Le problème est que lui n’a pas la flottabilité tatillonne d’un Grand-Cogneur, mes cibles habituelles, puisqu’il est quand même bien moins gros. Il descend sur moi sans aucun problème, et je suis forcé de remonter dans ma manœuvre d’évitement.

Ah. Ça ça va faire mal.

J’avale une large goulée d’eau au dernier moment, dès que l’attaque est évidente. L’Hydrocanon ne me prend pas par surprise, mais la hauteur à laquelle il m’emmène, oui : pour la violence ordinaire du coup, c’est trop haut. Mais j’ai du mal à en être certain, parce que le flot n’était pas bien centré, et que je mets à tourner sur moi-même.

Je laisse urgemment la sensation s’amplifier jusqu’à presque oblitérer ma perception constante, jusqu’à me montrer le fantôme de la surface spiralant autour de moi. La masse de l’Avatar de l’Océan apparaît enfin lorsqu’elle jaillit de l’eau et que je constate qu’elle en a l’aspect exact.

Nous nous approchons. J’estime du mieux que je le peux le moment de l’impact, et je libère mon eau au dernier moment, espérant de toutes mes forces que ça marche.

Et l’eau m’accueille à nouveau, comme au bout d’un beau plongeon et épargné par le dieu que je n’ai pas prié. J’ai eu de la chance, je m’en rends compte dès que la sensation se replie pour faire de la place à mes pensées ; j’aurais facilement pu être désorienté par le choc.

L’Avatar de l’Océan s’écrase disgracieusement dans un nouveau plat bien moins maîtrisé, et la sensation m’offre le goût enivrant de ses nerfs parcourus d’une foudre maigre et pourtant douloureuse : Gargamel est à l’œuvre. Et contrairement à moi, l’Avatar n’a aucun cocon de Type tenebres 6G dans lequel se réfugier. Il ne commande qu’à l’ Type eau 6G .

« Tiens ! lui ris-je au nez. J’ai cru entendre la douce caresse d’un peu d’eau sur la peau de quelqu’un ! »

Il rétablit son assiette avec un mépris silencieux et se tourne vers moi pour guetter l’avantage. J’ai déjà pris le risque — parfois valide — de me jeter sur lui et il n’a pas le temps de se défendre avant que mes crocs ne viennent cogner sur sa peau, presque dans son œil. Il roule furieusement sur lui-même pour me fouetter avec une de ces nageoires beaucoup trop grandes, mais au corps-à-corps, je peux l’entendre bien assez tôt et me projeter hors du chemin.

Cela reste un corps-à-corps. Aucun de nous deux ne brise la distance, parce qu’il n’est plus temps ; malgré les lanières de queue qui plaquent ma nageoire contre moi, malgré les crocs qui s’acharnent à percer la peau, malgré mes dents qui saignent de trop frapper et mes côtes qui souffrent de trop de coups qui touchent au but.

Je sens l’étreinte de ma Ball me tirer en arrière, la lumière qui m’agrippe aussi confortable que l’eau elle-même. Les sens disparaissent, figés dans le brouillard de la stase, et la douleur s’estompe.

J’ai échoué.

***
En revenant à moi, je sens le contact glacial et familier des médicaments humains injectés dans ma Ball et qui fusionnent avec moi alors qu’elle me libère. L’effet est toujours bizarre, comme une nuit entière de sommeil avalée en accéléré, mais je m’y suis à peu près habitué, depuis le temps. Les mixtures bizarres apaisent mes douleurs, contractent mes plaies, détendent les hématomes que je sens en profondeur.

Je suis à l’infirmerie, sur le lit souple. Pas bien étonnant ; mon Humain est prudent et voudra que je reçoive quelques machins un peu plus spécifiques. L’infirmier du bord me montre les bocaux avec un sourire et pose une petite assiette de nourriture devant moi, et je me laisse faire. Je n’ai pas faim. Je veux seulement que les produits fabriqués par les Humains comblent mes plaies et me permettent de retourner au combat tout de suite, sans attendre d’avoir guéri par moi-même.

J’ai un dieu à tuer, après tout.

***
Peut-on tuer un dieu ?

Quand j’étais gosse, une bouboule mal foutue comme tous mes congénères, et que les Relicanth n’avaient pas assez peur de moi pour s’enfuir en entendant mes nageoires quand je les trouvais à marmonner leurs sermons, j’ai pu en entendre quelques-uns. On a pas la réputation d’écouter les Relicanth marmonner leurs âneries, nous autres Gueule-de-Crocs… Mais il faut bien goûter du limon avant de savoir que c’est pas bon. Donc je m’en rappelle quelques-uns.

Ils aimaient bien prétendre qu’il y a myriade et myriade générations, l’Avatar de l’Océan et l’Avatar des Continents se sont foutus sur la gueule, ce qui devait être un spectacle mémorable. Gosse, j’avais plus tendance à imaginer la catastrophe qu’à me poser les questions demandées. Au bout de vingt-trois jours et vingt-trois nuits, les Avatars incapables de se départager se sont lassés et sont allés dormir un bon coup. Myriade et myriade Créatures sont mortes, simples dommages collatéraux de la lutte des créateurs, et ils n’avaient même pas réussi à s’infliger des blessures mortelles.

C’est pas mon genre de me rappeler de l’éducation très sommaire à laquelle j’ai eu droit en plein combat. Il faut dire que le combat est un peu incertain, là ; je ne perçois plus personne autour de moi et tous mes sens sont saturés par le monstre d’eau qui s’est levé devant le navire et se prépare à l’engloutir. Derrière lui, je sens la présence du dieu, le dieu qui vient de se dissoudre et de réapparaître un peu plus loin, porté par les vagues, sous forme d’eau, le dieu qui vient de donner une preuve de divinité dont je ne peux même pas comprendre combien elle est contre-nature. Nous avons tout donné, et je suis le dernier à avoir encore assez de gnaque pour nager droit. En face, l’Avatar de l’Océan est en pleine forme.

Mais quelle importance ? Nul besoin de tuer. C’est une leçon difficile à apprendre quand on a plus de crocs que de nageoires, mais une Créature qu’on épargne est une Créature qui aura peur et qui ne mouftera pas, en bref une Créature moins dangereuse et qu’on peut laisser faire son territoire trop près du sien. Donner à l’Avatar la pire correction qu’il ait jamais reçue venant de Créatures ordinaires, c’est déjà le faire réfléchir à ses choix de vie.

La vague passe sur nous, et j’ajuste ma flottabilité sans y penser, me laissant couler par les courants de profondeur du colosse. J’entends mon sang battre à mes tempes comme un claquement de mâchoire, et j’incline la tête en vérifiant légèrement ce qu’il se passe autour de moi. La profondeur soudaine n’est pas le vrai problème. Le problème est que je suis trop fatigué pour comprendre rapidement ce qu’il se passe autour de moi. Je nage sans correction de trajectoire.

Ça, c’est le navire, il est à la surface. Ça, c’est l’Avatar, il beugle un bon coup. J’avale une bonne lampée d’eau et je démarre mon attaque. Je serais à sa place, j’essayerais d’éviter d’exposer mon bide comme ça, parce qu’il va le sentir passer.

Moi-même, le coup me sonne légèrement, et je ne réagis pas quand le dieu se reprend et me fonce dessus. Dommage, j’aurais bien aimé voir le plat qu’il a fait ! Mais je n’avais qu’à cogner moins fort.

« J’en ai assez eu, grogne le Langage, et il me faut quelques secondes pour comprendre que le dieu me parle. Les autres, ils ne m’impressionnent pas, mais toi et tes petites frappes vicieuses, j’en ai assez de vous !

— Ça veut dire que je t’ai impressionné ? je trouve le cynisme de dire. Tu sais quoi, je m’en fous.

— Pourquoi te bats-tu pour eux ? Pourquoi mords-tu et tues-tu pour eux ? Ils t’enferment et te font attaquer des proies trop grosses pour toi ! Et je sens la boue qui parcourt ton corps et détruit tout ce qui ressemble de près ou de loin au Type poison 6G , je sens la douleur qu’elle t’inflige. Pourquoi ! »

Parfois un compagnon vous pose une question simple quand vous avez bien dormi, bien mangé et vous ne trouvez rien à répondre, et parfois vous ressortez à moitié endormi d’une journée entière de combats et vous avez de grands discours inspirés en tête. D’accord, ça sonne comme une excuse.

« T’étais là quand on est nés, avec ma portée, et qu’on était tout seuls ? T’étais là quand on se faisait bouffer, quand on s’échouait, quand on plongeait trop profond ? T’as déjà été là une seule foutue fois quand la moindre Créature de ton satané océan a eu besoin de toi ? Viens pas me dire comment je dois vivre ma vie, dieu de mes deux. Si un jour je meurs écrasé par un Grand-Cogneur parce que je l’ai trop provoqué, ça sera bien fait pour moi et ça ne me fera aucune peine. Tu devrais savoir qu’il y a du bon et du mauvais partout. Tu peux pas décemment avoir décrété qu’il y aurait des proies et des prédateurs sans t’attendre à du sang ! »

Il incline la tête, un geste que personne n’a dans l’eau. C’est un geste très Humain, à la limite terrestre, et je trouve ça plus dérangeant qu’il fasse ça que toutes les démonstrations de puissance qu’il a alignées dans la journée.

« Je n’ai créé personne, dit-il plus doucement. Je ne fais qu’obéir aux ordres de Ce qui l’a fait. »

Le Langage a ses aspects embêtants, mais là, je suis bien content de l’avoir : je ressens toutes les nuances d’obéissance, de crainte, de respect et d’appartenance qui encombrent la façon dont il prononce son Ce, et l’idée bizarre et impossible à vraiment communiquer qu’il en fait partie.

« Pas mes affaires, je rétorque, et il ne répond pas tout de suite.

— Tu ne me suivrais pas, affirme-t-il au bout d’un moment.

— Ça alors, tu as remarqué.

— Mais ton Dresseur… »

Le sourire, encore une fois très Humain, que je vois à cet instant me fiche la trouille. Et puis le dieu disparaît, d’un coup, et une onde s’éloigne de moi, pas tout à fait une vague. Il est parti, encore avec ce déplacement qui me dépasse complètement.

Je hausse les nageoires, mimique empruntée à mon Humain, et je commence à remonter à la surface. L’Avatar de l’Océan a abandonné la partie, quelques soient les raisons qui ont inondé son cerveau tordu. Pas mes affaires non plus. Moi, j’ai fini ma journée et j’ai bien l’intention de dormir un sacré bon coup.

Je sais que je le reverrai, et que je n’en aurais toujours rien à foutre de ses histoires de Ce.