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Viendra la tempête de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 20/07/2022 à 11:02
» Dernière mise à jour le 20/07/2022 à 11:02

» Mots-clés :   Hoenn   Organisation criminelle   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de Pokémon inventés

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Chapitre 10 : Où tout commence
« Bah, je n’ai pas beaucoup pu progresser. J’avais entendu parler d’un Pokémon appelé Groudon, qui aurait le pouvoir d’étendre les continents, et je voulais avoir une idée de ce que les textes avaient exagéré pour obtenir ça. Mais je ne suis pas plus avancé que tout à l’heure.

— Ça te fera un prétexte pour passer tes journées dans la bibliothèque !

— Comme s’il y en avait besoin ! »

Les deux anciens universitaires partirent d’un rire commun, l’un silencieux et l’autre roulant. Arthur n’était pas dupe. Max le cachait bien, mais il avait l’attitude d’un recruteur passant un entretien d’embauche — et Arthur aurait eu assez d’expérience « professionnelle » pour recruter les recruteurs. Du moins si un patron avait accepté l’argument.

Max attendait quelque chose de lui, ou au moins cherchait à savoir s’il pouvait l’espérer. Et Arthur ne voyait pas de raison pour le congédier, même s’il n’aimait pas ça. Après tout, le roux avait peut-être une offre intéressante à faire ?

« Mais plus sérieusement, reprit Max. Toi, tu cherchais Kyogre, non ?

— Bien vu. Comment tu as deviné ?

— La peinture sur la page ouverte devant toi. »

Le marin laissa échapper un sifflement d’admiration qui lui attira un regard noir du serveur. Mais il n’était même pas encore sept heures, il n’y avait pas encore de clients à déranger.

« Merci, sourit Max. Tu vois la tache rouge sur le bord de la photo, plus loin sur le mur ?

— On dirait que tu as une meilleure mémoire et un meilleur sens de l’observation que moi. La tache était coupée, c’est ça ?

— Eh, tu dis ça et juste ensuite tu pars dans des déductions douteuses. Vas-y, dis-moi ce dont je cherche à me vanter ? »

Arthur haussa un sourcil. Il y avait l’hypothèse évidente, et les hypothèses farfelues.

« La même peinture représente un Groudon encore plus abîmé.

— Tout juste. C’est la peinture rouge qui a trompé le photographe : le sable l’a plus attaqué, et on la discerne affreusement mal sur le fond des ruines.

— Tu ne vas quand même pas me dire que les deux sont toujours représentés ensemble ? »

Le sourire effilé de Max répondait très bien à cette question. Il en rajouta quand même une couche.

« C’est un cas très amusant : chaque légende sur l’un des deux a un miroir sur l’autre. Groudon peut recréer ce que Kyogre peut détruire, si ce n’est pas l’inverse, et un des textes dont je cherchais les sources parle de deux orbes liés à eux, une chacun. Texte qui est un salmigondis illisible, soit dit en passant.

— Haha, ça vaut bien un sermon de prêtre !

— Oh, ce sermon-là ? Avec le fer ? Tu sais qu’il y a une erreur de datation dessus ? Le langage du prêtre contient des structures trop modernes pour l’époque où l’historien qui l’a retrouvé l’a placé, à partir de cette peinture justement. En fait, elle a été réalisée cinq siècles plus tôt, à une époque où on vénérait encore Kyogre et Groudon ensemble. Ce prêtre vient d’un mouvement plus tardif et très restreint.

— Sans rire ? Hé ben, tu viens de faire tomber à l’eau toute ma journée !

— De rien, c’est un plaisir d’offrir des prétextes. »

Artuhr avala une gorgée, savourant le goût brutal du whisky qui apparaissait après une seconde. Il n’était pas mal, ce café. Mérouville n’avait peut-être pas de port digne de ce nom, mais au moins on pouvait y boire un coup.

Il corrigea rapidement son jugement sur Max. Le rouquin était un mauvais recruteur. D’accord, il se serait peut-être mieux débrouillé s’il n’avait pas eu un auditoire attentif, mais il venait de faire étalage de beaucoup trop de culture pour rien. C’était bien la veine d’Arthur : il fallait qu’il tombe sur quelqu’un qui lui rendait plusieurs niveaux comme nerd.

Quelqu’un qui cherchait à recruter en solo pour un projet personnel, aussi.

« Ouais, je cherchais Kyogre, reprit-t-il en profitant du temps que mettait Max à chercher ses mots. Si l’on peut dire. Je l’ai déjà vu.

— Vraiment ? releva Max en redressant un peu sa position. Ça, ça sent la bonne histoire.

— Possible… Je suis marin à bord d’un kalachnotier. »

Il ne s’interrompit pas, ne prit pas le temps d’y penser, mais sentit une fois de plus l’impression bizarre qui le titillait à chaque fois qu’il disait cette phrase banale. Cette poignée de mots qu’il prononçait en se sentant ridicule signifiaient-ils vraiment tout ce qu’il y avait derrière, les batailles et les butins, les trésors d’huile et la mort en embuscade ?

« On était en expédition au début du mois, et ce bestiau nous a fait rater une prise. On a essayé de lui coller une raclée pour lui apprendre à vivre, mais si je suis parfaitement honnête… Il nous a fait passer un sacré quart d’heure.

— Eh bien, souffla Max. Rencontrer un Pokémon soupçonné d’avoir détruit la civilisation, ce n’est pas donné à tout le monde… et vous n’avez rien trouvé de mieux que de lui sauter dessus. On m’avait dit qu’il fallait être fou pour monter à bord d’un kalachnotier, je constate que c’est justifié ! »

Arthur s’esclaffa de bon cœur, mais il ne s’était jamais habitué au respect flagrant qui dégoulinait de ce genre de discours. Même si Max s’était plutôt retenu, ça en lui semblait jamais légitime.

« Tu verrais le capitaine ! répondit-il. Mais y’a pas de quoi en faire un roman non plus, c’était pas le combat le plus palpitant de ma vie. Et toi, comment ça c’est passé ta rencontre avec Groudon ?

— Moi ? Non, rien de tel. Des mythes, des on-dit… Je n’ai pas d’histoire à raconter, pas encore. »

Le rouquin resta silencieux un instant. Arthur ne dit rien. Il lui avait tendu une assez belle perche pour parler de lui et de ses projets d’avenir en entreprise ; si l’autre ne la saisissait pas, ce n’était pas son problème.

Ce qui était, bien sûr, faire preuve de courte vue, et il ne tarda pas à le comprendre.

« Quant à savoir pourquoi je cherche Groudon, soupira Max. J’aimerais pouvoir dire que je veux réparer le monde, mais j’ai bien peur que ce soit par ambition. »

Le marin ne répondit pas. Pour puer, ça puait, et il ne voyait pas exactement comment entretenir une conversation relaxée après ça. Mais Max ne s’arrêta qu’un instant.

« Le pouvoir d’étendre les continents… Tout est dans ces mots, vraiment. Celui qui dispose d’un tel pouvoir peut offrir un toit et un pays à tous ceux qui n’en ont pas, il peut créer des réserves pour protéger autant de Pokémon qu’il le souhaite, il peut attirer à lui tous les chercheurs d’or du monde. J’aimerais pouvoir dire que ces nobles idéaux se suffisent à eux-mêmes, mais ce que je vois en disant ces mots, c’est le pouvoir absolu qu’aurait le maître de Groudon sur le monde qu’il créerait. »

Arthur avait posé sa tasse et s’était figé, depuis un moment. Il l’avait pas vue venir, celle-là. L’autre était sérieux, ou il était cinglé ?

Il était silencieux, surtout. Cinglé. Conversation. Dire n’importe quoi.

« Et après, ce sont les kalachnotiers qui sont cinglés. »

Max eut une moue ambiguë. Arthur avait conscience d’avoir été plus sec qu’il n’aurait dû, mais à quoi s’attendait l’autre, aussi ?

Ce qui était une vraie question, se rendit-il compte.

« Pourquoi en confier autant à un inconnu que tu viens de rencontrer ? demanda-t-il plus doucement.

— Vas raconter ça dans un poste de police, qu’on rigole, tenta Max avec ironie.

— Ha. Pas faux. »

C’était logique, si on y pensait plus d’une seconde. « Je voudrais déposer une plainte contre un individu souhaitant conquérir le monde ? » Max avait raison sur ce point : il aurait pu dire un truc pareil à n’importe qui sans terminer en prison pour autant.

Arthur s’accorda cinq secondes pour se replonger dans l’état d’esprit cynique du Dresseur et réfléchir. Un : évidemment que Max cherchait à le recruter dans son projet absurde et évidemment qu’il ne marchait pas. Deux : hors de question de marcher dans la combine mais impossible de la dénoncer ou de la désamorcer. Trois : Max ne disait certainement pas tout. Quatre : puisque son raisonnement aboutissait à une impasse, changer les hypothèses.

Cinq : pourquoi, exactement, ne pas marcher dans la combine ?

Il étudierait la question plus tard, quand il aurait le temps. Il leva un sourcil, pour inviter silencieusement le rouquin à poursuivre. L’autre changea de position, mal à l’aise. Il avait peut-être les tripes de tenter un coup de bluff aussi sidérant pour se trouver un allié, mais Arthur n’était pas surpris que ça ne passe pas tout seul. Et puis lever un sourcil après cinq secondes de silence était quand même un mouvement sacrément agressif.

« J’ai longtemps pensé que je me faisais des illusions, entama Max à la surprise d’Arthur. Il n’y a pas besoin d’être un génie pour deviner qu’un Pokémon capable de créer des continents a besoin d’une source d’énergie catastrophiquement puissante. Et puis s’il existait, pourquoi y a-t-il si peu de terre à l’air libre ?

— À moins que ce ne soit tout ce qu’il ait réussi à faire, releva Arthur.

— Certes. Mais tu m’as confirmé ceci : Kyogre existe, et je te crois. Si on a l’un, et s’il est aussi puissant qu’on le dit… alors l’autre devrait l’être également. »

Le Topdresseur hocha la tête : c’était la conclusion logique. En revanche, noter que Kyogre ne lui avait pas semblé tout à fait aussi divin que le sermon l’affirmait lui semblait hâtif. Max parlerait plus en ignorant ce détail — et une fois qu’il aurait fini, il serait trop tard pour le signaler.

Alors aurait-il pu arrêter son projet insensé ? Mais Max n’aurait pas écouté, sans doute.

« Qui n’a jamais rêvé de changer le monde ? Et puis on arrête de se poser des questions parce qu’on ne voit pas comment y répondre. Mais Groudon est une réponse. Un Pokémon capable d’étendre les continents, contrôlé par un homme capable de jouer sur les retombées économiques et politiques d’un tel acte… Un tel Pokémon peut changer le monde. Et je veux être cet homme. Je ne veux pas rester dans mon coin à me lamenter sur l’état de… l’emploi, la nature, la culture, n’importe quoi ! Pas quand je peux tenter de faire quelque chose. Même si c'est complètement fou.

— Il faut reconnaître quelque chose aux fous qui agissent, temporisa Arthur. Ils vont plus loin que les sages qui restent assis. »

Max sourit, amusé. Il se détendait. En partie emporté par son élan de lyrisme, en partie amadoué par l’attitude conciliante d’Arthur. Et de son côté, ce dernier accumulait les questions. Mais il avait une réponse, désormais. Une piste, peut-être, qu’il devait vérifier.

« L’économie ? demanda-t-il. J’ai jamais rien compris à ça. Ça aurait quelles conséquences, de nouveaux continents ? »

Ce n’était pas tout à fait faux, mais il en savait bien assez. Aucun des mots que prononça Max ne le surprit — il voulait seulement les entendre.

« De nouvelles terres feraient baisser la valeur des anciennes, énuméra Max. Immigration, colonisation, industrialisation… Au bout du compte, émergence d’un nouvel État qui aura drainé à lui une partie des richesses. Ce sont des phénomènes de vases communicants : des terres vierges d’un côté, et exploitées de l’autre. Il y a des gens qui ne possèdent rien et ne perdent rien à faire le voyage, et un État dépeuplé trouvera toujours des gens pour s’occuper de ses terres. »

Le Topdresseur hocha la tête, à l’écoute. Autant qu’il pouvait l’être avec ses idées noires. Le monde idéal de Max se basait sur le capitalisme pour renverser l'ancien et prendre sa place. Il y avait une idée de revigorer les populations et de soulever la classe dominée contre la classe dominante, un concept de ruissellement… Et au bout du compte, toujours le même capitalisme, tirant toute sa richesse de l’exploitation d’une population, quelque part.

« C’est une vision attirante, mentit Arthur. Elle ne mérite pas qu’on la jette de côté comme un truc fou ou impossible. J’ai du mal à me faire à l’idée, mais… Écoute, tu me laisserais un numéro de portable ? Comme ça, je peux me donner la nuit pour réfléchir.

— Bien sûr. Je suis déjà content qu’il y ait une personne à qui l’idée ne semble pas totalement irréaliste.

— Haha, tu m’étonnes ! »

Ils en revinrent rapidement à des sujets plus légers, d’un accord tacite. C’étaient en surface deux nerds liés d’amitié et cherchant à faire connaissance. Mais tout le temps que l’apéro dura, à l’arrière-plan, l’esprit d’Arthur s’activait à maintenir son bluff en place et à chercher une faille dans le plan. Il fallait arrêter cet homme, c’était une certitude. Il était en train d’essayer de s’approcher assez pour le trahir, c’était une inquiétude.

Et l’inconfort de Max, dissimulé presque assez adroitement pour tromper un Dresseur, lui laissa deviner que l’autre restait soupçonneux. Peut-être n’était-il pas un assez bon menteur, se dit Arthur.

Mais peu importait : il fallait arrêter cet homme.

***
Pour ne pas changer, le nouvel appartement de Matthieu était au huitième étage. Arthur se répéta intérieurement qu’il monterait ses courses tous les jours en guise de retour de karma, mais il savait très bien que ça n’allait pas déranger le colosse plus que ça. Alors que lui était en train de galérer à l’aider à transporter le monstre de mousse qui lui servait de matelas, jusqu’au huitième étage.

Le problème n’était pas vraiment le poids de la chose. Même Matthieu n’avait pas été long à abandonner les sommiers quand ils avaient dépassé les deux mètres : il se contentait de poser un matelas par terre et de l’adosser au mur dans la journée. Le gain de masse était très appréciable, mais le matelas était une horreur à stocker et transporter : il fallait le maintenir enroulé sur lui-même. Dans une voiture, ça allait si on pouvait se passer du rétroviseur ; dans un escalier, avec seulement quatre bras pour entourer le matelas entier…

Le temps qu’ils atteignent le septième palier, tapent la discute avec une grand-mère étonnée par leur attelage, s’écrasent contre un mur pour laisser passer les enfants du neuvième, terminent leur ascension et réussissent à passer la porte, Sarah avait fini de ranger le sac de quinze kilos que Fluffy avait hissé jusque-là pour elle. L’opératrice sonar l’aurait bien fait elle-même, ou se serait aidée de son Colhomard, mais il était difficile d’argumenter avec un Polagriffe, surtout quand son Dresseur était aux prises avec un matelas géant. De toute façon, l’ours congelé avait été plus gêné par le plafond trop bas pour lui que par quinze misérables kilogrammes de plus.

L’installation n’avait pas été longue. Matthieu avait développé cette sorte d’adaptation morbide à ses changements d’adresse : il pouvait faire tenir toutes ses affaires dans un seul sac et être prêt à lever l’ancre en un quart d’heure. Arthur et Sarah l’avaient plus aidé pour être là que parce qu’il en avait besoin, et le pack de bières d’inauguration apparu comme par magie dans le frigo était là pour la même raison. Pour être ensemble plutôt que pour se reposer après l’effort.

« Alors Arthur, Mérouville ? demanda Matthieu dans un sifflement de bouteille décapsulée.

— J’ai appris un tas de trucs intéressants, commença le Topdresseur avec un sourire de mauvais augure. Sarah, je t’ai dit que j’ai pu identifier le Pokémon qu’on a attaqué ?

— Vraiment ? J’imagine qu’il est pas recensé dans l’Index.

— En même temps, ça ne fait que dix ou douze ans que Chen a lancé l’initiative… Non, je te parle de vieux papiers. »

Les sourcils de l’opératrice se froncèrent progressivement, tandis que les articulations de ses doigts crispés pâlissaient.

« Il s’appelle Kyogre ! »

Si la bouteille n’avait pas été ronde, elle aurait certainement volé en éclats dans la main de Sarah. Ses amis allaient sauter sur l’occasion de se payer sa tête, elle le savait, mais elle aurait le fin mot de l’histoire. Arthur avait intérêt à donner un compte-rendu détaillé et précis.

Le Topdresseur raconta donc ce qu’il savait, interrompu par les questions des deux autres marins dès qu’il sautait un peu trop rapidement d’un sujet à un autre ou se laissait distraire. Mais comment adopter un récit linéaire, aussi, avec les pensées qui le hantaient ?

Il parla du prêtre, pour commencer. Ils étaient toujours vénérés ensembles, avait dit Max. Les courants monothéistes étaient d’abord des hérétiques cherchant à s’assurer plus de pouvoir sur leurs fidèles. Deux dieux parlent de cycles et d’équilibres ; un seul parle de règne.

Il récita le sermon, dans ses grandes lignes, et se rendit compte qu’il se rappelait surtout des répétitions. Leur sang sur le sable. Leurs larmes dans le fleuve. Leur sueur dans l’air. Qu’est-ce qui était fiable là-dedans ?

« C’est vrai ou c’est du flan, cette histoire de noyer le monde ? »

La question de Sarah faisait sens ; ils n’avaient pas affronté un déluge de fin du monde.

« On a pris assez de pluie dans la tronche pour inonder un désert, relevait Matthieu. C’est plus qu’assez. »

Un nouvel État, pensait Arthur. Un Pokémon pour les noyer et un Pokémon pour leur donner naissance. Un homme qu’il fallait arrêter.

« Eh, Arthur, ça va ? Tu es tout pâle, tout d’un coup ! »

Ce que l’un pouvait créer, l’autre pouvait le détruire. Cinq : pourquoi ne pas marcher dans la combine ? Mais ce n’était pas que Max. Quelle importance si son rêve était capitaliste ? Les murs fraîchement peints en blanc et le carrelage neuf de cet appartement fonctionnel, austère, lui renvoyait sa présomption en pleine face. Il ne servait à rien d’arrêter Max. Il y avait déjà bien assez de magnats dans le monde pour faire de son rêve une réalité. Une industrie pharmaceutique était tout ce qu’il fallait pour drainer toutes les ressources qu’un marin ramenait de la mer, au point qu’un bailleur n’en avait plus assez par derrière. Ce n’était pas seulement Max.

Six : il existe un Pokémon qui a le pouvoir de noyer les empires.

« Je… hésita le marin.

— L’affreux, on dirait qu’il y a un fantôme dans le coin. Trouve-le et arrache-lui les burnes.

— Smaaa ! »

Le Spectre afficha un grand sourire. Ce n’était pas exactement l’exorciste qu’il fallait.

« Non, je… protesta Arthur. Je réfléchissais. »

Les rouages tiquetaient, en arrière-plan, froids et cruels. Leur parler de Max ? Ils se braqueraient. Plus tard. Pourquoi les rallier ? Des concepts, les grandes lignes d’une action.

« Eh bah je suis content de pas savoir faire ça ! plaisanta Matthieu. Ça n’a pas l’air de te faire du bien.

— Comme si… entama Arthur sans trouver comment aller jusqu’au bout. Non ; je me disais. On s’y est mal pris. On a essayé de vaincre Kyogre, mais il avait pas l’air de pouvoir l’être. »

Un silence. Ils pouvaient difficilement le contredire.

« Mais ce qu’on aurait dû faire dès le départ, c’est d’en prendre le contrôle.

— Mrrn, grogna Sarah. Lui interdire d’embêter les bateaux avec des gens à bord ? Je ne vois pas bien co— »

Elle se figea entièrement au beau milieu de son argument, arrêtant même de respirer. Paralysée par l’idée qu’Arthur ne parlait pas du Pokémon qu’ils avaient affronté, mais du dieu des légendes.

« Il ne faudrait pas qu’une bande de terroristes fasse joujou avec un monstre pareil dans un lac, » commenta Matthieu.

Lui qui parlait de ne pas réfléchir venait de résumer d’une poignée de mots toutes les idées qui se bousculaient dans le crâne d’Arthur. Le Topdresseur eut l’impression d’y voir plus clair, soudainement. Il devait les convaincre. Il devait les convaincre de la même façon que Max voulant le convaincre lui, parce qu’un seul homme ne pouvait pas être partout et s’occuper de tout à la fois. Il devait les convaincre parce qu’il aurait besoin de lieutenants et d’une armée.

« Vous n’avez jamais voulu changer le monde ? demanda-t-il sans se rendre compte qu’il reprenait l’argument du rouquin.

— C’est un trop gros poisson pour nous, objecta Matthieu. C’est irréaliste. »

Sarah retrouva la parole à ce moment-là, et Arthur eut la surprise de l’entendre calme et posée comme si elle n’avait pas été pétrifiée la seconde d’avant. Et surtout, de l’entendre déjà convaincue.

« Ce n’est que l’échelle supérieure, affirma-t-elle. Je me sers déjà de deux Pokémon aussi brutaux que possible pour coller des raclées aux hommes qui m’emmerdent et essayer de changer leur avis sur les femmes qui ne veulent pas se faire tripoter les fesses. Quelle différence ? »

Ses deux comparses la regardèrent un instant, figés. Ce fut Matthieu qui pointa l’évidence.

« Une différence d’échelle. Les hommes deviennent des nations. Les brutes deviennent des catastrophes naturelles. Et la douleur, les os brisés ou je sais pas quoi, ça devient des morts. »

Arthur observait silencieusement, médusé. Il s’était attendu à ce qu’ils le rejettent comme il avait voulu rejeter Max. Et voilà que Sarah essayait de convaincre Matthieu ?

« Combien de gens meurent chaque année parce qu’ils ont perdu leur appartement ? lança-t-elle en défiant Matthieu de répondre. On ne répare pas un moteur grippé sans le démonter, et il y aura des pièces à jeter. »

Le colosse baissa les yeux sur son matelas, les yeux brillants, les traits tendus. Il hésitait entre la rage et la tristesse, la compassion et la colère, et son conflit intérieur ne dura qu’une poignée de secondes.

« Bah, jeta-t-il doucement. C’est pas comme si j’allais dire non, de toute façon. C’est quoi le plan, Arthur ? »

Ce dernier pensait qu’il serait trop ému pour répondre, et pourtant les mots vinrent d’eux-mêmes, alignés par les engrenages immuables de son esprit.

« Je ne sais pas, admit-il. Je sais seulement que c’est possible. Tout le reste, il va falloir qu’on le règle ensemble.

— Tu sais bien qu’on te suit, rétorqua Sarah.

— Oui, conclut Matthieu. Jusqu’au bout du monde. »

Un espoir incongru vint à Arthur à ce moment-là ; celui que Max pourrait trouver des gens pour le soutenir, des amis aussi indéfectibles que ceux qu’il avait la chance d’avoir. Puis il chassa à contrecœur l’ami d’un jour de ses pensées.

Il était son ennemi, désormais. Et il avait du pain sur la planche.


Fin