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Viendra la tempête de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 06/07/2022 à 11:06
» Dernière mise à jour le 06/07/2022 à 11:06

» Mots-clés :   Hoenn   Organisation criminelle   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de Pokémon inventés

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Chapitre 8 : Phase d'exécution
Note
Alors je me suis légèrement laissé emporter et ce chapitre s’étale un tantinet plus que les autres ! Pour me faire pardonner, une bande-son pas assez longue et une à peine trop. Bonne lecture !

*
*….*


Heyscold eut un soupir en voyant le Blanc voler dans les nuages, à travers les vitres sales de la timonerie. L’Oiseau était un mauvais augure, mais sa malédiction était distante, et puis elle contrastait trop avec les nuages anthracites autour de lui. Quoi qu’il arrive, ils survivraient. Si c’était au prix d’un présage sinistre, le capitaine voulait bien payer le prix.

Le Blanc plana devant le navire pendant quelques instants, en ligne droite. Imperturbable pour la tempête autant que pour les hommes. Et puis il rattrapa un ascendant et se perdit dans la voûte obscure. Il ne les regarderait pas plus longtemps : son chemin l’entraînait déjà au loin.

« Contact sonar, annonça Sarah. Un demi-mille, droit devant.

— Je pensais qu’on avait gardé Kyogre en vue.

— Plus ou moins. »

Si l’opératrice en voulait au capitaine d’avoir supposé que c’était bien lui avant qu’elle ne le confirme, elle ne montra rien.

« Il a arrêté de nager et est remonté en surface.

— Avec un peu de chance, l’endroit lui plaît pour un combat. Il y a quelque chose dans le coin ? Un récif, je sais pas quoi ?

— On a huit kilomètres de profondeur.

— Ah, répondit Heyscold après un moment. Oui, je suppose que ça me plairait aussi si j’étais un poisson. »

Sarah était trop tendue pour ricaner. Heyscold fit comme si de rien n’était et enfonça négligemment le bouton de l’interphone.

« Allez les enfants, cette fois-ci c’est la bonne. Aux postes de combat ! »

***
La Ball de Richard s’ouvrit à une dizaine de mètres de la proue du Tire-au-flanc VII, relâchant le requin trop loin pour prendre des ordres. Entraînement standard : Richard fit un tour rapide du navire, cherchant l’adversaire, pendant qu’Arthur ramenait à lui le fil qui attachait la Ball à sa ceinture. Le Topdresseur ne pensait pas qu’un simple marquage de territoire par un Sharpedo suffise à éviter d’être déranger avec en face d’eux un Pokémon commandant à des pods entiers de Kalachnot, mais ça valait le coup d’essayer.

Richard se figea lorsqu’il eut fini le tour du navire, son corps presque complètement indistinct sous l’aileron qu’il devait laisser à la surface tant qu’il le pouvait. Ça, se dit Arthur, c’était mauvais. Soit son Pokémon n’appréciait pas la présence de Kyogre, soit ce dernier avait du renfort. Mais après tout, lui-même n’en était pas dénué.

« Gargamel, salua-t-il son Alakazam en le libérant. Vois si tu peux aider Richard. On est contre le trouble-fête de la dernière fois et je compte l’aborder comme un Kalachnot. »

Le type Psy hocha sombrement la tête. Il était peut-être intimidé par le déploiement de puissance qui assombrissait le ciel ; tant pis. Arthur avait confiance en ses Pokémon. Ils étaient entraînés à faire face à des hordes de Kalachnot décidées à se venger d’un meurtre, l’adversaire le plus dangereux qui soit. Quelle que soit la violence que déploierait Kyogre, ils n’abandonneraient pas avant de l’avoir goûtée — et bue jusqu’à la lie.

Un crépitement discret attira l’attention d’Arthur. La pluie tombait. Bien.

Gargamel aligna ses cuillers devant ses yeux, lançant une Télékinésie. Lui aussi avait repéré Kyogre. Arthur ne pouvait pas en dire autant : il pouvait seulement suivre la course de Richard, qui venait de se propulser vers l’horizon avec une force explosive. Il ralentit à une centaine de mètres du navire, pour entamer une série de manœuvres courtes et nerveuses familières au Topdresseur. Un duel à distance rapprochée, entre types Eau, où chacun cherchait à s’assurer le meilleur angle possible avant d’attaquer. Les Sharpedo étaient bons à ce jeu, mais même eux étaient forcés de prendre des coups au passage si leur adversaire adoptait une attitude purement défensive. Gargamel était là pour entraver cette dernière par tous les moyens possibles.

Ce ne fut pas nécessaire. Contrairement aux Kalachnot, tellement sûrs de leur solidité qu’ils restaient immobiles et laissait leur adversaire attaquer le premier, Kyogre se jeta sur Richard trop tôt : l’aileron de ce dernier était orienté vers l’attaque, promettant une Mâchouille punitive.

Le poisson entraîna le Sharpedo sous l’eau, laissant Arthur aveugle sous la pluie de plus en plus insistante.

« Prescience. »

Gargamel hocha la tête et laissa sa Télékinésie lui échapper. Arthur l’avait entraîné à la garder gluante, pour que l’effet persiste le temps que l’Alakazam place une autre attaque ; pourtant moins de trois secondes plus tard, lorsque la masse ovale de Kyogre se projeta au-dessus de l’eau, ses mouvements étaient déjà libres.

Le poisson fit un plat en retombant, soulevant une large gerbe d’éclaboussures. Il n’avait pas passé longtemps en l’air ; Arthur n’avait jamais vu une créature aussi pataude réaliser un salto aussi rapide. Richard n’avait peut-être pas échappé à ce Plaquage.

Gargamel tapa du pied droit sur la rambarde, un coup. Richard était encore dans le jeu.

« Abandonne Télékinésie, ça ne donne rien. Essaie de lui coller une Entrave. »

L’Alakazam croisa ses avant-bras et ses cuillers dans une position qui lui donnait un air de pharaon momifié. Arthur doutait qu’il aurait l’occasion de lancer son Entrave avant que la Prescience ne frappe : ni Kyogre ni Richard n’étaient visibles, et rien d’autre ne venait troubler la surface de l’eau. Les deux duellistes devaient à nouveau lutter pour un avantage, et Richard aurait décidé de tenter une attaque par en-dessous. Arthur estimait qu’il aurait dû se propulser par en-dessus, une capacité plus restreinte : que Kyogre soit capable d’en faire de même ou non, il n’allait certainement pas laisser faire le Sharpedo, et ce dernier était en position d’infériorité.

« Comment ça se présente ? demanda Matthieu en reprenant place au bastingage.

— Ça va prendre un moment. Le vaisseau est étanche ?

— Ouais, tous les panneaux sont nickels et le système électrique tourne rond.

— Bien. »

La Prescience frappa à ce moment-là, comme Arthur s’y attendait ; la mer éclata comme une bulle autour des deux Pokémon Eau, des geysers d’une dizaine de mètres de haut indiquant la demi-dizaine de positions ciblées par Gargamel.

Quatre retombèrent en panaches d’écume blanche vite disloquée par la pluie battante. Le cinquième cracha un deuxième coup quand un Hydrocanon projeta Richard quatre ou cinq fois plus haut que les autres.

Arthur serra les mains sur le bastingage. La chute prendrait trois secondes, une éternité pour tout le monde, et lui avait un choix à faire. Richard avait le ventre gonflé : il était encore capable de se propulser, ce qui voulait dire qu’il avait soit intentionnellement encaissé l’Hydrocanon pour s’échapper plus tard, soit estimé qu’il n’échapperait pas à l’attaque sous-marine. Quel que soit le plan, il tournait sur lui-même et allait devoir calculer son coup méticuleusement s’il ne voulait survivre au retour dans l’eau. Autrement dit compter sur la chance.

Kyogre émergea à son tour, son corps encore agité de l’ondulation prodigieuse qui l’avait projeté hors de l’eau. L’attaque était merveilleusement maîtrisée : il s’incurva délicatement dans son mouvement, préparant les quatre lanières de sa queue à claquer à l’endroit précis où il rencontrerait Richard et à purement et simplement smasher le Sharpedo.

« Psyko ! »

Psyko ou Télékinésie. Cogner dans la splendide cible offerte par le poisson ou sauver Richard avec certitude. Arthur se mordit la lèvre en voyant Gargamel inverser souplement sa prise sur ses cuillers. Le métier comportait ses risques et Richard les acceptait.

Une gerbe d’eau éclaboussa Kyogre un clin d’œil avant l’impact, et son coup de fouet rata de justesse. Richard déviait, tournant toujours, mais avec une bonne trajectoire, stable ; il heurta l’eau souplement au moment où le Psyko frappa Kyogre et crispa brutalement tous les muscles de son corps.

Beaucoup de petits mammifères marins poussaient un cri de douleur en subissant cette attaque à pleine puissance. Kyogre ne desserra pas les lèvres et frappa la surface aussi stoïquement qu’un bloc de marbre.

Gargamel tapa une fois du pied. Richard avait survécu et n’avait même pas été sonné. Ou au moins pas trop pour se battre. Arthur s’autorisa un mince sourire.

« Putain ! gueula Matthieu. Ils sont vivants ?

— Kyogre a pris un sale coup. Richard aura peut-être mal au crâne demain.

— Putain… »

Arthur ne répondit rien. Il comprenait Matthieu ; il aurait juré aussi fort s’il avait été spectateur. Mais il avait appris à étouffer ses émotions et à diriger le combat calmement et froidement. Si angoissant cela soit-il à plusieurs dizaines de mètres de distance. Le kalachnotier avait un peu réduit la distance, mais Kyogre s’efforçait de la maintenir, souhaitant probablement épuiser Gargamel. Trois Kalachnot étaient déjà morts à cause de cette erreur : l’Alakazam était habitué aux combats d’endurance et à l’aise avec les longues distances.

L’aileron de Richard refit surface, indemne, mais pas pour longtemps. Le Sharpedo se projeta presque aussitôt contre ce qui s’avéra être Kyogre ; l’une des larges nageoires du poisson s’éleva en l’air alors qu’il se retournait pour affronter le requin de face.

Ce dernier se jeta sur lui et le mordit au visage.

La Mâchouille atteignit une partie de la lèvre de Kyogre et lui balafra le crâne, sans qu’Arthur ne puisse évaluer sa gravité. Gargamel hocha la tête à droite : impact mineur. Le poisson devait avoir la peau épaisse. Il sembla quand même assez contrarié pour rouler sur lui-même et tenter de couler Richard au moment où celui-ci glissa de son dos. Arthur eut l’impression que le Sharpedo était arrivé à agripper la nageoire du poisson au passage, mais difficile d’en jurer dans la mêlée.

De toute façon, Richard en avait assez fait, et les deux Pokémon soulevaient des colonnes d’écume dans leur corps-à-corps. Arthur avait préféré engager Kyogre comme un Kalachnot, sur le physique, mais il était trop souple et apparemment pas beaucoup moins résistant. Changement de plan.

Il attrapa la Poké Ball de Richard à sa ceinture en reculant d’un pas, se pencha en arrière juste assez pour perdre l’équilibre et projeta violemment son bras en avant tout en se rétablissant et en électrifiant le pont. Le blocage subit de ses pieds tirailla cruellement ses abdominaux et déplaça le point de rotation de son torse vers le bas, catapultant la Ball avec assez de force pour parcourir la distance énorme séparant Richard de son Dresseur. Il y avait le temps de dire trois mots avant que son vol ne se termine.

« Arthur ici, dit-il en attrapant l’oreillette le reliant à la passerelle. Passez en régime lent.

— Vu, grogna Heyscold. Je transmets à Patricia. »

La Ball s’ouvrit au-dessus de Kyogre et arracha Richard à son étreinte. Pas plus de pugilat ; son prochain adversaire apparut au même moment à la proue du Tire-au-flanc VII. Bolt s’éloigna prudemment de son Dresseur et de son partenaire de combat : il pouvait les protéger des attaques adverses avec son Paratonnerre, mais ses propres décharges risquaient de déborder. Quant à Arthur, il activa avec un sourire satisfait le moulinet de canne à pêche qui marquait l’emplacement de la Ball de son Sharpedo à sa ceinture. Seul lui et Freddy avaient besoin de ce bricolage, et le Topdresseur était bien content de l’avoir.

« Matthieu, lança-t-il comme Richard revenait. On va éviter Cotovol, mais je voudrais que tes Barbicha se chargent d’empêcher notre ami à écailles d’approcher trop près de la coque.

— Pas de problème ! »

Le temps que le colosse libère son couple de Barbillons, l’Élecsprint posté derrière lui avait raidi sa position avec les crocs légèrement découverts, hargneux. Il projeta un Tonnerre de faible puissance, dont l’arc de cercle se brisa vers le milieu, à son apogée. L’électricité statique des nuages perturbait la trajectoire des tirs, et celui de Bolt retomba sur en plusieurs langues. Inutile et pourtant indispensable.

Kyogre n’avait pas de problèmes de calibrage : le Laser-Glace de bonne taille qui fusa droit vers le navire ne s’incurva sur toute sa longueur, et ne le manqua d’un cheveu, que parce que Gargamel l’avait détourné avec une cuiller. À une telle distance et avec l’habitude qu’il avait de travailler loin, il pourrait parer cette attaque sans difficulté. Ce serait en revanche impossible pour les lourdes attaques Eau : Arthur pensait cependant qu’elles pourraient épuiser Kyogre s’il s’échinait à les lancer.

Et puis Gargamel n’était pas son seul type Psy, ni son seul défenseur. Les deux Balls qui s’ouvrirent derrière lui, sur la partie protégée de la proue, laissèrent apparaître un Mr. Mime et un Polagriffe.

« Routine habituelle, les briefa-t-il rapidement. On n’est pas contre un Kalachnot mais il se comporte pareil. Fluffy, tu fais un mille-feuilles, pas des gros blocs ; Bean Jovi, fais gaffe, tu vas te prendre de sacrées claques. »

Le Mr. Mime entreprit d’invoquer ses murs sans sembler l’avoir entendu, mais il était juste taciturne. Quant au Polagriffe, il plongea dans l’eau avec un grognement enthousiaste et commença à souffler une haleine de glace le long de la proue, offrant au kalachnotier un blindage sacrifiable. Il préférait les glaçages en mille-feuilles dont leurs couches fines et les changements réguliers de direction permettaient de faire des pauses : les blindages en bloc adaptés aux Kalachnot demandaient plus d’endurance pour être soufflés d’un coup.

Morarji déboula sur la proue par le panneau avant et tendit silencieusement la main ; Arthur y déposa la Ball de Richard. L’infirmier retourna en hâte dans son antre, mais le Sharpedo n’aurait sans doute pas vraiment besoin de soins.

Un autre Tonnerre déchira l’air, passant loin au-dessus de la tête du Polagriffe. Si Kyogre s’approchait trop, il devrait laisser la place aux deux Barbicha : en mer, les attaques électriques se dispersaient dans l’eau et restaient dangereuses à une dizaine de mètres à la ronde. Mais si Kyogre s’approchait à ce point, il devrait se replier de toute façon : Fluffy n’avait pas la carrure d’un Richard et évitait les combats directs.

Lorsque Kyogre riposta enfin, la raison de son retard était douloureusement évidente. La Giclédo qui jaillit vers le ciel faisait la taille d’un Léviator entier et n’aurait pas pu être employée à courte distance. Il avait l’air en forme ; Arthur pesta en s’agrippant au bastingage.

Une douche brutale, mais pas bien pire que la pluie qui ruisselait sur le navire. Kyogre avait visé l’ensemble du bâtiment, ce qui réduisait assez sévèrement sa puissance de feu. C’était l’avantage d’un moteur bruyant : la plupart des Pokémon Eau avaient une ouïe assez bonne pour en être perturbés et considérer tout le navire comme une seule cible, ce qui était une erreur indispensable.

« Matthieu, ordonna Arthur. On va passer Kyogre aux toilettes, sur place. Je voudrais lui coller une rasade de Tonnerres.

— Vu. Eh, les enfants !

— Gargamel, Psyko. Pas trop fort, je veux que tu tiennes la durée jusqu’à ce que Bolt ait fini son attaque. »

L’Alakazam ajusta sa prise sur ses cuillers, pendant que Matthieu expliquait le plan à ses Barbicha. Arthur soupçonna un problème dès que le colosse commença à se répéter, et intervint lorsqu’il arriva aux encouragements.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? »

Le Tonnerre qui zébra le ciel à cet instant ne venait pas de Bolt ; il s’abattit sur lui, depuis le ciel. Impossible de dire si l’attaque venait de Kyogre ou si c’était un Tonnerre naturel. L’Élecsprint jappa de plaisir et se cabra autant qu’il le put avec ses pattes soudées au pont pour recracher la décharge en plein sur Kyogre : cette fois-ci, l’arc de cercle brûlant fut à peine dévié par la charge orageuse, et mit en plein dans le mille. La lumière brillante du coup illumina un instant le corps de Kyogre, une tache sombre sur la mer électrifiée, et puis il disparut à nouveau.

« Je sais pas ! répondit Matthieu. Ils veulent que je les rappelle, je crois, c’est la première fois qu’ils me font ce coup-là !

— Eh, panique pas. On change le plan. »

Le colosse déglutit en rappelant ses Barbicha. Arthur savait qu’il ne les sermonnerait pas, mais lui-même était étonné. Les deux Barbillons étaient loin d’être des trouillards, et ce qu’il voyait de Kyogre jusqu’à présent n’était pas si impressionnant.

Il valait mieux suivre leur instinct, cependant. Il ralluma son oreillette alors qu’un nouveau Laser-Glace s’élevait des eaux et passait au large du kalachnotier. Vu la puissance de l’attaque, il faudrait aussi ménager Gargamel. Le Tire-au-flanc VII allait devoir encaisser quelques coups, mais il était conçu pour ça.

« Passerelle, vous avez besoin du sonar ?

— Avec la glace que ton nounours a foutu sur mes micros ? Bouge pas, j’arrive. »

Arthur ricana. Le sonar disposait de micros auxiliaires censés être tirés dans l’eau à une vingtaine de mètres et rester immobiles le temps que le navire les dépasse, puis rembobine leurs fils. Utile quand les micros principaux étaient complètement noyés dans le vacarme d’un moteur à pleine puissance.

Lorsque Sarah apparut sur la proue avec ses deux âmes damnées à sa suite, Arthur nota qu’elle avait gardé sa capuche rejetée en arrière. Bien ; elle était assez en rogne pour mépriser la pluie qui la cinglait, et ses Pokémon avaient tendance à calquer leur agressivité sur la sienne. Il libéra Freddy, et le Nostenfer se dérouilla les ailes avec un bâillement.

« Ton Ectoplasma a Toxic ? demanda-t-il.

— Ouais, je crois qu’il s’en rappelle.

— Je vais l’envoyer harceler Kyogre avec Freddy. Colhomard ne pourra attaquer que si on doit défendre le navire au corps-à-corps.

— Mrrgn, acquiesça l’opératrice sonar. C’est vu, les affreux ? »

Le Colhomard avait l’air aussi renfrogné que sa maîtresse, mais l’Ectoplasma afficha un grand sourire scintillant. Arthur ne se faisait pas trop d’inquiétude à son sujet. Il n’aurait aucun mal à accepter Freddy comme Dominant et à travailler en tandem avec lui, et le Nostenfer était assez autonome pour se débrouiller. Tous deux seraient plus utiles à moyenne portée : assez loin de Kyogre pour échapper aux attaques venues du navire, assez près pour le faire tourner en bourrique et ne pas pouvoir entendre leurs Dresseurs.

L’Élecsprint lança un nouveau Tonnerre, et les deux types Poison quittèrent le navire, l’un à tire-d’aile, l’autre lévitant pour une fois sans une seule cabriole. Restait à espérer que Kyogre n’avait pas le type Spectre, finalement ; Arthur s’en rappela avec un temps de retard. L’autre ne s’était pas comporté comme un Spectre — et ce pouvait être un leurre. Dans lequel il venait de précipiter un Pokémon qui n’était pas à lui.

« Gargamel, lança-t-il nerveusement. Prescience. Une vision, ne t’embête pas à frapper. »

L’Alakazam obéit sans interroger le changement de plan de son Dresseur, et abandonna un Psyko pour une nouvelle attaque de soutien. Arthur garda les yeux fixés sur les deux Pokémon volants qui s’approchaient du dos de Kyogre tout le temps que dura la Prescience, ne prêtant même pas une seconde d’attention à l’Hydrocanon qui vint se fracasser sur la superstructure du kalachnotier et retourner à la mer en cascades ruisselantes. De tonte façon, il n’était même pas si puissant : plus violent que celui d’un Kalachnot, oui, mais les murs de Bean Jovi l’avaient quand même efficacement affaibli. Voyant que ses défenses solidement installées tenaient bon, le Mr. Mime se lança dans une série de Plénitudes. La méditation aidant, il parviendrait à atteindre la clarté d’esprit parfaite nécessaire pour bloquer complètement une attaque si besoin.

Gargamel rouvrit les yeux et laissa ses cuillers lui échapper, maintenues en lévitation. Un mime : la coupelle vers le haut représentait le navire, et celle vers le bas, sa proie. Et les intentions de la seconde ne faisaient pas de doute.

« Il va s’approcher, traduisit Arthur. Merci. Fluffy ! »

La tête du Polagriffe apparut au-dessus du bastingage bâbord au premier quart du navire, curieuse. Les plaques de glace qu’il avaient superposées les unes sur les autres tout le long du navire avaient aussi fait pousser sa barbe de stalactite, assez bas pour que les pointes restent cachées.

« Kyogre va venir au physique. Tu vas avoir de la compagnie. »

L’ours polaire barrit joyeusement et retourna au travail. Arthur s’autorisa un soupir de soulagement. Son propre travail serait facilité par l’approche de Kyogre. Et même si ce dernier s’était pour l’instant montré nettement plus dangereux qu’un Kalachnot, il ne valait pas encore la fureur d’un pod entier. Le Topdresseur doutait qu’une attaque directe puisse lui apporter un avantage.

Cela méritait sans doute de revenir sur l’offensive ; de toute façon Bolt ne pourrait bientôt plus attaquer, avec Colhomard dans les pattes. Arthur porta la main à son oreillette.

« Morarji. Richard est en état de combattre ?

— Je pense que ça lui fera du bien, même, il est en colère. Calme, mais déterminé.

— Bien. Merci.

— Pas de problème ! »

La course de Kyogre, maintenant visible à une trentaine de mètres du navire, s’interrompit un instant, un spasme musculaire. Arthur lança un coup d’œil à Gargamel et vit qu’il avait replacé ses cuillers en position offensive, puis comprit qu’il avait probablement élaboré un plan avec Freddy en voyant ce dernier plonger à la surface et mordre adroitement le poisson. À cette distance, le Dresseur pouvait dire que son Pokémon avait visé la lèvre : Toxic, certainement. Et l’Ectoplasma en rajouta une seconde couche par derrière, échappant de peu à un coup de nageoire en riposte.

« Gargamel, demanda Arthur. Ils ont posé une Onde-Folie ? »

L’Alakazam hocha la tête. La trajectoire de Kyogre ne montrait aucun signe de confusion, ce qui suggérait qu’il était au pire insensible à toutes les altérations de statut. Ce qui inclurait la fatigue : il n’abandonnerait pas le combat avant d’être physiquement incapable de continuer. Embêtant, mais pas ingérable.

« Matthieu, nota Arthur tout en reprenant la Ball de Richard des mains de Morarji tout juste sorti de l’infirmerie. Feu vert pour Cotovol, tente une Insomnie. Mais va surveiller le navire après ça.

— Ouais. Mes Pokémon ne peuvent rien faire, hein ?

— C’est un gros poisson.

— Bah. »

Richard salua amicalement le Cotovol en constatant qu’ils avaient été appelés en même temps. L’exaspérant Pissenlit de Matthieu était le seul Pokémon du bord qui soit jamais parvenu à battre le Brutal, et ce dernier lui vouait un certain respect. Mais un Sharpedo, contrairement à Kyogre, était sensible aux altérations de statut — et n’avait pas assez de défense pour négliger les attaques Plante d’un Cotovol.

« Richard, frais pour un second tour ? »

Le Pokémon montra les dents à son Dresseur, sans qu’un seul tremblement de rage n’agite ses nageoires. Il était prêt à tuer, mais pas impatient.

« Parfait. À l’eau, toi et Colhomard ! »

Les deux types Eau sautèrent de concert, l’un dans une large gerbe d’éclaboussures, l’autre en pénétrant la surface presque sans une ride. Si Richard aussi avait été d’humeur, Kyogre aurait été le sujet d’un concours de brutalité qu’il aurait peut-être bien pu gagner. Il n’en aurait pas la chance.

Les trois duellistes ne perdirent pas de temps en formalités : Richard attaqua immédiatement et sans se soucier de son angle médiocre. Arthur ne désapprouvait pas : l’effet de surprise valait parfois mieux que la propreté. De ce qu’il distinguait sous les vagues, la forme pataude de Colhomard avait suivi. Il n’allait évidemment pas supporter de se faire laisser sur le côté par son rival, mais ce faisant, il lui servait de diversion. S’il avait été inquiet pour Ectoplasma, Arthur ne s’en faisait pas trop pour Colhomard : la Crapule était solide.

« Gargamel, Prescience et Entrave. »

Inutile que l’Alakazam prenne le temps de viser pour éviter de subir le contre-coup d’un Psyko se heurtant à un type Ténèbres : avec Prescience, il pourrait jouer de la gâchette comme un héros de film d’action unovain.

Sous l’eau, les trois silhouettes sombres se déplacèrent un moment, à bonne distance. Colhomard aurait attaqué si sa nage maladroite le lui avait permis ; il s’approcha à contrecœur de la coque du kalachnotier, acceptant son rôle de défenseur.

Soudain un harpon vola, dans un claquement de câble tendu et de gaz compressé. Ludmila avait économisé ses tirs depuis le début du combat, mais maintenant que Kyogre s’était approché, il faisait une superbe cible pour le lance-harpon perché sur la superstructure. Elle déclencha le mécanisme de rembobinage dès que l’arme se fut entièrement enfoncée sous l’eau, et le câble se tendit — le tir avait fait mouche.

Kyogre ne résista pas au crochet planté dans sa chair : il accompagna le mouvement, ignorant complètement la douleur que son ondulation avait dû provoquer, et vint s’écraser contre la coque bâbord avec le gong caractéristique d’une Tête de Fer.

« Fluffy ! hurla Arthur. Change de blindage ! »

Un grognement outré lui répondit à tribord, suivi un instant plus tard par un bruit d’éclaboussure. L’ours prenait le risque de nager pour aller inventorier les dégâts.

À bâbord, Kyogre subissait déjà une raclée en règle. Cotovol avait fini son œuvre et s’était écarté, la Prescience de Gargamel avait déjà frappé, au moment où Kyogre avait dû préparer sa Tête de Fer, et l’Alakazam armait un Psyko ; Richard et Colhomard s’étaient engagés dans un corps-à-corps furieux qui soulevait l’écume. Kyogre se débattait, mais il était gêné par le harpon, par la proximité du navire et de ses Murs Lumières et Protections qui lui coupait toute retraite, et par sa taille supérieure à celle de ses opposants : il ne parvint pas à chasser ses opposants, et encaissa une série de Ball-Ombres que l’Ectoplasma décochait avec un grand sourire. Bolt profita de la confusion générée par les émanations spectrales et les barrières de Bean Jovi pour lancer un Tonnerre splendide, qui déborda à peine sur Richard et Colhomard. Mais l’attaque était peu puissante.

« Arthur, grogna Ludmila dans l’oreillette du Topdresseur. Le câble du harpon va rompre.

— Libère-le. On va seulement le faire saigner pour l’instant, on essaiera de l’immobiliser plus tard. »

La lancière ne répondit rien, mais le câble se détacha soudain et vola dans son logement, en hauteur. Les harpons de Ludmila étaient conçus pour transpercer la peau blindée d’un Kalachnot et ne pas pouvoir être détachés, mais un câble unique n’avait aucune chance de tenir.

Kyogre s’éloigna prudemment du Tire-au-flanc VII, son large dos dépassant des vagues. Arthur retint une grimace, et puis se figea.

Le harpon était planté juste à côté des ailerons de la bête, une position excellente pour l’empêcher de manœuvrer et capable de provoquer un saignement massif ; pourtant, le Topdresseur crut d’abord qu’aucun sang ne s’échappait de la plaie. Et il n’y avait pas que celle-là : les marques de dents de Sharpedo ou de pinces de Colhomard recouvraient une partie de la peau du monstre, certaines des plaies ouvertes à leur point le plus grave, l’une d’elles suintant les mêmes effluves noirâtres qui marbraient d’autres plaques de peau, les marques des Ball-Ombre. Les Tonnerres de Bolt avaient laissé leurs propres marques de brûlures, violacées. Pourtant les mouvements de Kyogre étaient aussi fluides que ce qu’il avait entraperçu au début du combat et Arthur crut d’abord qu’il ne saignait pas.

Avant de se rendre compte qu’un souffle distinct de la pluie giclait autour du harpon. C’était un panache blanc, éthéré, que les lourdes gouttes de pluie disloquaient rapidement, mais qui restait en place. Le jet était constant, plus soutenu que la respiration normale d’un cétacé, et de toute façon les évents de Kyogre étaient situés plus loin vers l’avant ; et puis Arthur remarqua que le panache suivait un cycle court, rapide, s’amplifiait d’un coup et descendait lentement. Un battement de cœur.

C’était évident maintenant qu’il l’avait vu : toutes les plaies de Kyogre saignaient de l’eau de mer.

Le Topdresseur se força à reprendre contenance avant d’avoir eu le temps de jurer — ce dont Sarah ne s’était pas privée. Si Kyogre ne saignait rien d’autre qu’une écume qu’il pouvait récupérer simplement en ouvrant la bouche, alors il n’y avait pas besoin de le faire saigner et il n’y avait rien d’autre à dire.

« Freddy, Ectoplasma ! Empoisonnez l’eau ! Richard, Colhomard, à bord ! »

À côté de lui, Bolt baissa la tête, condensant de lui-même un nouveau Tonnerre. Gargamel lança une Entrave, sans qu’Arthur ne sache trop sur quoi ; et puis le Sharpedo et son rival bondirent à bord. Le Topdresseur avait déjà une main sur l’oreillette.

« Morarji, on va avoir besoin de deux doses de Vaccin universel.

— J’arrive.

— Ludmila, essaie de planter plusieurs harpons.

— Ouais, j’ai vu ça. Je peux en coller trois à tribord si tu le fais changer de côté.

— Je te laisse prévenir Heyscold.

— Nickel.

— Sarah, je vais sans doute avoir besoin de toi pour manipuler ton Pokémon.

— Oui, je… Oui. Pas de souci. »

L’infirmier déboula sur la proue avec deux seringues remplies d’une substance noire en main. Le Vaccin ne pourrait que ralentir les effets d’un empoisonnement et non le prévenir, mais ça limiterait quand même la quantité d’Antidotes dont le Sharpedo et le Colhomard auraient besoin. Dans l’eau, Kyogre était la cible de ce qui ressemblait fort à un concours de crachat, auquel Freddy devait avoir ajouté une Provoc : le poisson dressa sa gueule hors de l’eau et riposta d’un Laser-Glace violent, qui désintégra un Reflet du Nostenfer. Trois images d’Ectoplasma éclatèrent de rire, pensant visiblement avoir assisté à une bonne blague. Ce n’était pas du tout une attaque que Sarah utiliserait, mais Arthur ne doutait pas que Freddy ait pu convaincre le Spectre de l’apprendre au motif qu’elle permettrait de belles blagues.

Richard tendit la nageoire à son maître avec les yeux fermés, pendant que Sarah flattait Colhomard en le maintenant face au Sharpedo. Le Topdresseur préférait prévenir le crustacé et compter sur sa bonne volonté à suivre l’exemple de son rival plutôt que l’immobiliser.

Morarji termina la première piqûre en un rien de temps, arrachant à peine un râle d’inconfort à Richard. Puis le requin se contorsionna pour faire circuler le sang, avec un froncement de sourcils résolu qu’Arthur avait déjà vu plusieurs fois dans un miroir, et le Colhomard accepta obligeamment de bomber le torse pour écarter les plaques de sa carapace. Il lâcha quand même un aboiement sourd quand le Vaccin débarqua dans son organisme et commença à prendre ses aises. Le remède était plus irritant que le mal.

Le temps que Morarji termine son opération, Kyogre avait perdu patience : il souffla un Vent Glace de la taille d’un Blizzard sur Freddy et Ectoplasma, engloutissant tous leurs Reflets. Le Spectre encaissa avec un glapissement de surprise, mais les ailes de la chauve-souris se couvrirent de givre, le cri qu’il poussa en tombant vers les vagues était de détresse.

Sa Ball le cueillit juste avant l’impact, pour être rapidement moulinée à bord pendant que Richard se jetait à l’eau pour occuper l’attention de Kyogre. L’infirmier la prit en main avant de disparaître de la proue, tandis que le Colhomard passait à son tour par-dessus bord. Le combat continuait.

Le duel aquatique reprit, pas bien vivant. Le Tire-au-flanc VII s’écarta en changeant de bord, laissant Kyogre sur son arrière pendant que Colhomard venait protéger ses hélices, sans qu’une seule attaque n’ait lieu pendant les deux minutes que prit la manœuvre. Richard tournait autour de Kyogre et Kyogre tournait autour du navire, chacun cherchant un angle d’attaque qui lui éviterait une rouste. Et pendant tout ce temps, le poison faisait effet.

Puis Kyogre s’écarta du navire, prenant une cinquantaine de mètres de large en quelques ondulations. Arthur surveilla Richard du coin de l’œil, mais le Sharpedo savait bien ce qu’il se passait et ne poursuivit pas son adversaire. Lui aussi s’attendait à une double attaque, et la seconde partie serait bien plus simple à empêcher. Bolt saisit l’occasion d’envoyer un Tonnerre à pleine puissance, mais Kyogre ne sembla même pas le remarquer.

La Giclédo qu’il envoya vers la voûte de nuages s’annonçait encore plus brutale que les précédentes. Si le monstre saignait, souffrait peut-être, il ne fatiguait pas ; l’eau de mer devait le régénérer d’une façon ou d’une autre. Cela se vérifiait.

« Gargamel, vois si tu peux entraver ses blessures. »

L’Alakazam modifia une fois encore la position de ses cuillers, tranquillement. Pour l’instant, lui avait pu ménager ses efforts.

Dans l’intervalle, Kyogre avait chargé bille en tête sur le kalachnotier. La situation la plus épineuse pour ses défenseurs aquatiques, mais le monstre avait une faiblesse : il cherchait à minuter son attaque avec la Giclédo. Le Sharpedo et le Colhomard ne pouvaient pas prévoir quand cette dernière retomberait, mais ils pouvaient se fier à Kyogre pour faire le calcul à leur place.

Les deux silhouettes s’interposèrent entre la coque marbrée de glace et la Tête de Fer qui s’anonçait, coordonnant leur contre-attaque. Aucun n’avait d’attaque défensive, mais l’improvisation compenserait : Arthur vit son Sharpedo se propulser depuis derrière le dos de Colhomard. La résistance de l’eau les ramena à la surface, où le requin sembla surfer sur le crustacé qui se préparait pour le Damoclès de sa vie.

Impossible de dire si Kyogre sentit passer le choc : la brutalité de celui-ci le coula, et avec sa propre vitesse, il ne parvint pas à infléchir sa course avant d’avoir dépassé le kalachnotier par en-dessous. La Tête de Fer manqua purement et simplement sa cible, faisant éclater l’eau à un mètre à peine de la coque.

La Giclédo qui s’abattit une seconde plus tard sur le kalachnotier était bien la plus violente qu’Arthur ait vécue en plusieurs années en mer, mais peu importait. Kyogre avait perdu le premier round. L’état de Colhomard poserait problème, cependant. Mais la cascade à laquelle ils s’étaient livrés avec Richard avait donné une idée au Topdresseur.

« Sarah, lança-t-il. Ramène Colhomard, je vais tenter un truc.

— Ouais, je crois que ça vaut mieux.

— Gargamel, Bean Jovi, affaiblissez la prochaine Giclédo. Richard ! »

Le requin bondit souplement à bord, pendant que les deux types Psy se concertaient pour coordonner leur action. Arthur sortit sa vieille console technique, et farfouilla un instant dans les dossiers jusqu’à retrouver sa première CS.

« Richard, Colhomard, annonça-t-il avec un sourire. Ouvrez grand les yeux, voilà de quoi vous aider un peu.

— Surf ? grogna Sarah. Ils sont tous les deux axés physiques.

— Ça vaut le coup d’essayer. »

Au large, Kyogre projeta sa Giclédo vers le ciel puis s’élança souplement à travers les vagues en ignorant le nouveau Tonnerre de Bolt. Ils n’auraient peut-être qu’une minute avant qu’il n’entame sa prochaine attaque. Sur le pont, les deux types Eau comprirent rapidement ce qu’Arthur attendait d’eux et retournèrent à l’eau pour se faire un devoir de l’appliquer.

La Tête de Fer ébranla tout le navire en frappant, faisant presque tomber Sarah et Arthur. Mais le blindage en mille-feuilles de Fluffy avait absorbé une bonne partie du coup en se brisant — et surtout lorsque la Giclédo s’abattit avec une précision millimétrée, au moment où le navire légèrement soulevé replongeait vers la mer, personne ne la sentit. L’attaque avait été trop dispersée par la Télékinésie de Gargamel et trop ralentie par les Murs Lumières de Bean Jovi, au prix d’un effort qui les laissait tous les deux en sueur.

Kyogre hurla de frustration, un son aigu et profond qui sembla faire rugir le vent et la pluie en réponse, puis s’écarta encore, pour une troisième passe. L’ignorant résolument, Richard et Colhomard s’exerçaient à lever des vagues de leur côté. Le Sharpedo s’améliorait plus vite que son rival, étant mieux entraîné à gérer les situations de crise.

« Ça ne va jamais passer à temps, affirma Sarah.

— Fais-leur confiance. »

Et la troisième attaque donna raison à Arthur : la houle invoquée par les deux types Eau, Colhomard suivant le timing de Richard, déséquilibra assez la trajectoire de Kyogre pour le faire passer une fois de plus sous la quille. Il la racla au passage, inclinant le navire et aggravant l’impact de la Giclédo ; mais les dégâts étaient bien plus limités que si les deux attaques avaient pu toucher en synchronisation.

« Arthur, ça avance ou quoi ? demanda Heyscold par la radio.

— On n’est pas si mal barrés, et on devrait pouvoir l’épuiser.

— Mouais. »

Le capitaine resta silencieux un instant, et le Topdresseur pensa qu’il s’occupait de coordonner les réparations de Patricia et Matthieu : la mécanicienne ne serait sans doute pas auprès de son moteur avec la basse vitesse qu’ils tenaient.

Au lieu de quoi Heyscold rappela quelques secondes plus tard.

« Morarji me signale que son équipement de soin rapide a été brisé. Vous êtes en autonomie.

— … Merde ! Bon, je gère ça. »

Kyogre s’éloignait pour une nouvelle passe. Arthur laissa son esprit s’abstraire un instant du combat et estimer la suite. Colhomard ne tiendrait pas, pas avec la première Tête de Fer qu’il avait détournée. Richard — à voir. Les Sharpedo n’étaient guère endurants. Gargamel pouvait être mis à contribution, mais sa tentative d’entraver la régénération dont devait disposer Kyogre avait l’air d’échouer, et un coup d’œil à Bean Jovi suffisait pour voir qu’il peinait lui-même à garder ses murs en place. C’était grâce à lui si les attaques de Kyogre n’étaient pas si impressionnantes. Restait Freddy, que Morarji allait sans doute lui ramener, et Ectoplasma. Mais la chauve-souris n’était pas assez offensive, et le Spectre n’allait pas tarder non plus à atteindre sa limite.

« Sarah, décida Arthur. Rappelle Ectoplasma. »

L’opératrice ne répondit rien. Elle obtempéra juste sombrement. Elle savait reconnaître quand sa présence ne servait à rien.

Kyogre s’écarta, tira en ignorant la riposte, et chargea, pour être repoussé sur le côté, sa Tête de Fer faisant pivoter le navire par le travers au lieu de l’incliner ou de le soulever ; et recommença. Encore. Encore, et encore, et la Giclédo qu’il cracha à la septième passe n’était en rien plus faible que les précédentes. C’était presque désespérant de le voir tenir la durée avec l’une des attaques les plus difficiles à lancer pour les rares Pokémon capables de la maîtriser, sous un barrage d’attaques électriques à pleine puissance.

À la huitième passe, sa nage furieuse brisa le double Surf censé le dévier de côté et écarta violemment Colhomard hors de son chemin. Arthur eut à peine le temps de magnétiser le pont avant que la Tête de Fer ne cogne brutalement la coque et ne la soulève au-dessus des vagues, puis que la Giclédo ne vienne s’abattre sur le Tire-au flanc VII au moment où il perdait l’altitude donnée par la première attaque. Le kalachnotier s’enfonça lourdement dans l’eau sous le choc, assez pour que les vagues déferlent brutalement sur la proue.

Et puis sa flottabilité reprit le dessus, et il remonta en tanguant comme un bouchon de champagne, avant de s’enfoncer encore un peu, son assiette se stabilisant un peu plus à chaque passage et les drains percés dans son rempart de proue dégorgeant des torrents d’eau.

« Heyscold, s’enquit Arthur. Tiens-moi au courant des dégâts.

— Ouais, ouais !

— Sarah, je pense que tu ferais mieux de rentrer. »

L’opératrice hésita un instant ; c’était évident depuis la cinquième passe. Et puis elle avala la couleuvre.

« Tu ne prends pas de risque, hein ?

— T’inquiètes pas pour moi. »

Elle hocha la tâte, et puis rappela son Colhomard et s’engouffra à l’intérieur du navire. Arthur et son équipe étaient seuls contre le monstre, désormais.

Mais le navire tenait bon. Il était conçu pour encaisser ce genre de coups, et lorsque Kyogre leva un œil hors de l’eau à bonne distance, admirant son œuvre, il ne pouvait voir aucun dommage sérieux. Il ne pouvait pas voir l’épuisement de la plupart des Pokémon défenseurs, de Bean Jovi et de Bolt en particulier, il ne pouvait pas voir que Fluffy atteignait aussi ses limites, il ne pouvait pas voir que Gargamel était impuissant et Freddy inutile, et il ne devait pas voir les faiblesses qu’il avait réussi à propager dans l’acier. Il ne voyait qu’une cible méprisamment épargnée par la série d’attaques épuisantes qu’il avait lancées. Arthur plongea son regard dans l’œil laiteux qui jaugeait cet adversaire inébranlable, et y vit un peu de sa propre détermination.

Le Topdresseur eut un pas de recul involontaire. Il se doutait que l’ennemi était intelligent. Il ne s’était pas attendu à ce qu’il se montre aussi intelligent que lui. Mais après tout, il avait piégé Kyogre en se défendant contre son attaque synchronisée au prix de sa propre agressivité, et n’avait pas manifesté le moindre étonnement en le voyant s’acharner. Ce n’était pas un étalage de force brute. C’était une tactique mesurée, basée sur la détermination que le kalachnotier avait mise à se protéger, et qui exigeait que Kyogre ait été capable de se mettre à leur place. Il avait pris en compte leur application à briser son attaque et en avait déduit qu’elle les briserait.

Et maintenant, il devait être déçu. Ou bien pouvait-il ressentir la colère d’avoir été dupé ?

Dans les deux cas, Arthur le savait, il avait commis une erreur. Et il allait maintenant falloir en payer le prix. Le poisson s’enfonça à nouveau sous l’eau, et le Topdresseur ne fut pas surpris quand la voix de Sarah retentit à son oreille.

« L’autre sac de frappe a disparu au sonar.

— Il prend du champ, affirma Arthur. Il va frapper.

— Comment ça, il te l’a dit, peut-être ?

— Je le sais. C’est tout. »

Sarah ne répondit pas à ça. Si tout le monde à bord savait lire sa colère et éviter de la titiller, elle-même reconnaissait le calme glacé qui avait envahi Arthur. Le calme qui envahissait un excellent Dresseur voyant, pour un instant, par les yeux de son adversaire et devinant une esquisse de son plan.

« Étanchéifiez le navire, commanda Arthur.

— On se prend Giclédo sur Giclédo depuis tout à l’heure, c’est déjà étanche !

— Non. Les prises d’air du diesel sont protégées contre les infiltrations verticales ; je parle de tout fermer.

— Contact so… Kyogre sur l’avant à un quart de mille ! »

Arthur le chercha du regard, sachant pourtant qu’il ne servait à rien de fouiller l’horizon. À cette distance, même un ventre blanc de quatre mètres de large se confondrait avec l’écume. Mais il avait un mauvais pressentiment et n’avait aucune envie de rater quoi que ce soit.

Pas comme s’il aurait pu la rater de toute façon.

La vague s’éleva lentement sur tout l’horizon et il crut d’abord qu’il avait bu, ou plus vraisemblablement qu’une attaque psychique déformait ses perceptions. Et puis il remarqua la courbure de part et d’autre du géant, et ce dernier s’approcha, et le Topdresseur rappela frénétiquement tous les Pokémon qu’il voyait. Il ne trouva pas Richard ; mais le Sharpedo pouvait respirer sous l’eau. Il n’y avait pas le temps — la vague était déjà presque sur le Tire-au-flanc VII quand le Dresseur du bord se rua dans l’infirmerie et verrouilla le panneau avant derrière lui.

Juste à temps — il sentit l’équilibre du kalachnotier se renverser vers l’arrière alors que la vague lui passait dessus, et il échangea un regard stupéfait avec Morarji qui s’accrochait à la porte. L’infirmier n’avait pas besoin d’explication. Il avait navigué sur un sous-marin et Arthur vit qu’il identifiait l’équilibre particulier de l’immersion, les yeux s’écarquillant.

Sarah leur dirait plus tard qu’elle avait pu mesurer la hauteur de la chose, et le nombre qu’elle annoncerait serait le premier qu’Arthur verrait l’impressionner. Mais sur le moment lui-même écarta vite le problème de son esprit.

Un Surf de soixante mètres de haut, et alors ? Le kalachnotier était construit pour ça. Correctement étanchéifié, il était insubmersible — jusqu’à ce qu’une Tête de Fer fausse sa coque blindée. Si écrasante que soit l’expérience, Arthur parvint à l’effacer de ses pensées aussitôt que le ronflement de l’eau cascadant à l’extérieur laissa savoir qu’ils étaient à l’air libre, et qu’il put se précipiter à l’extérieur, sous la pluie, et constater qu’ils avaient survécu.

Et que ça n’allait pas durer. Le moteur s’était éteint — soit Patricia l’avait arrêté, soit les prises d’air n’avaient pas été colmatées à temps et il avait calé. Devant lui, à une trentaine de mètres à peine, Kyogre regardait son adversaire émerger d’un air noir, et il ne tarda pas à lancer un hurlement d’indignation. Et lorsque le Topdresseur rappela ses Pokémon, tous avaient l’air d’être encore sous le choc.

Lui fonctionnait en apnée depuis près d’une heure déjà, toute émotion bannie, la tension du combat l’amenant à la limite de la transe. Il plongea son regard dans celui de Kyogre à nouveau. Hors de question d’abandonner, pensa-t-il avec la conviction d’un automate. Hors de question de te laisser te tirer de là.

Le monstre baissa légèrement la tête, donnant l’impression de froncer les sourcils. Plus raisonnablement, il suggérait un coup de crâne ; il suggérait qui lui non plus n’avait pas dit son dernier mot.

Et puis il s’envola.

Arthur n’eut pas à chercher une interprétation longtemps : Richard émergea un instant derrière son adversaire, le crâne encore illuminé par son attaque, et prit le temps de lancer un aboiement de défi. Il s’était laissé engloutir sous soixante mètres d’eau pour préparer une attaque en chandelle, le pendant maritime du piqué. Une remontée à la surface à marche forcée, en comptant sur un excès soudain de flottabilité ; dangereuse, à cause de la différence de pression. Et il l’avait achevé en partie avec sa propulsion hydraulique, en partie avec un Koud’Crâne assez violent pour projeter Kyogre une dizaine de mètres au-dessus de l’eau.

Le monstre retomba dans une large gerbe d’éclaboussures, et Richard fit surface. Son aileron fit deux ou trois cercles sous la pluie, et puis Kyogre remonta à la surface dans une gerbe d’éclaboussures et se jeta furieusement sur lui. Arthur avait déjà catapulté sa Ball.

Les remous ne durèrent pas ; le temps que le refuge de Richard lance un flash de lumière, et Kyogre s’enfonça sous l’eau, laissant l’écume se dissiper. Le Topdresseur ramena à lui la Ball de son compagnon en serrant les dents — et puis jura. L’indicateur coloré dans la rainure centrale était jaune. La Ball était vide.

Richard était encore à l’eau.

« Passerelle, appela Arthur. Qu’est-ce que vous avez au sonar ?

— Kyogre plonge au fond, rapporta Sarah. Richard se débat, mais il a l’air solidement empoigné. »

Le Topdresseur jura entre ses dents. La pire situation possible : son Pokémon ne pourrait compter que sur lui-même en face d’un adversaire supérieur.

« Ils se sont immobilisés, reprit l’opératrice sonar. Ça n’a pas l’air violent. Je vois si je peux entendre Richard. »

Une pause. Arthur agrippait le bastingage à deux mains, lèvres serrées.

Une minute passa. Sarah avait préféré rester muette. Ou peut-être marmonnait-elle un filet de jurons. Ou sans doute essayait-elle encore d’entendre. Il ne pouvait pas lui en vouloir.

Elle parla à nouveau.

« Kyogre a disparu. Richard remonte. De lui-même. »

Le Topdresseur lâcha un soupir de soulagement. Et lorsque son Pokémon sauta sur le pont, visiblement fatigué mais très content de lui, il lui accorda un sourire.

Gargamel scrutait les eaux, ses cuillers écartées, mais ne cillait pas. Lui non plus ne voyait pas leur ennemi. Arthur se redressa et resta sur le qui-vive. Ce n’était certainement pas terminé.

Il ne remarqua pas la pluie qui faiblissait et les nuages qui s’éclaircissaient.

***
Dans la timonerie, Heyscold soupira en voyant les nuages s’écarter. Son navire avait pris sa plus sévère correction à ce jour, mais il était encore en un seul morceau — contrairement aux six autres qui l’avaient précédé. La mer ne sucerait pas les os d’un septième Tire-au-flanc ce soir.

Dans le ciel, les nuages laissèrent apparaître le Blanc, à nouveau. L’Oiseau des malédictions planait toujours, indifférent à la bataille qui avait fait rage sous ses ailes. Le vieux capitaine ne lui accorda qu’un regard. Le présage n’était pas pour lui.


*....*
*

Bean Jovi.

Où l’on peut voir qu’Arthur comme votre serviteur aiment les mèmes idiots