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Viendra la tempête de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 29/06/2022 à 05:46
» Dernière mise à jour le 29/06/2022 à 05:59

» Mots-clés :   Hoenn   Organisation criminelle   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de Pokémon inventés

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Chapitre 7 : Non-retour
Il regardait à l’est, attendait patiemment que sa proie sorte de sa tanière. Mais rien ne venait ; la nuit restait noire d’encre, et l’horloge cliquetait, et le moteur ronronnait en hissant le navire sur la glace. La banquise se brisait, craquement après craquement, et ne se refermait pas. S’il avait regardé à l’ouest, il aurait peut-être discerné la blessure béante tracée dans le manteau blanc. Mais il n’y avait aucune proie à l’ouest, et aucune trace de blanc n’était visible, et le monde restait noir.

Ponctuel, Heyscold débarqua dans la timonerie à sept heures.

« Eh ben je comprends pourquoi c’est toujours déjà éteint quand j’arrive. T’aimes pas la lumière ou quoi ?

— T’as peur du noir ? »

Le vieillard ricana ; le colosse sourit à pleines dents.

« Bon. Qu’est-ce qu’on a ?

— À part la banquise, tu veux dire ?

— Ben voyons. »

Heyscold s’agenouilla vers un panneau sous la console de direction, à côté du siège qu’il négligeait toute la journée, et Matthieu remarqua alors une petite porte au niveau du sol. Elle révéla une armoire derrière elle, remplie d’instruments dont les formes semblèrent peu familières au colosse. Certains ressemblaient beaucoup à de vieux instruments de navigation — ça ne pouvait pas être un sextant, ça ? — et d’autres, à un délire psychédélique.

Ce qu’ils étaient, évidemment. Matthieu comprit avec un temps de retard en voyant Heyscold sortir délicatement un assortiment biscornu de tuyaux de verres, de boules de cuivre, de cadrans rayés et d’encres en vingt nuances de rose.

« Le psychomètre a l’air troublé, décida le capitaine. Mais clairement pas assez pour une nuit artificielle, ou alors c’est une illusion. »

Il reposa tout aussi délicatement l’instrument dans l’armoire, en prit un contenant plusieurs crânes de petits Pokémon — Matthieu eut un mouvement de recul en voyant les clous plantés dedans et la chaîne de fer —, et poursuivit ses mesures en marmonnant.

« D’accord, souffla Matthieu après un moment. Donc on a un jeu de typomètres à bord et personne ne le sait ? Qu’est-ce qu’on fait si quelqu’un en a besoin quand tu n’es pas sur la passerelle ?

— Ça a l’air d’un ectoplasmètre légal, peut-être ? ironisa Heyscold en agitant les ossements qu’il tenait en main. Cédric ou Patricia seraient dingues s’ils savaient que j’ai ça à bord, et le père de Patricia reste notre armateur.

— Pas faux. Ils valent la contrebande ?

— Tu parles. Ce truc est incapable de me dire qu’il fait nuit alors qu’on est en plein dedans.

— Ça serait une illusion, alors ?

— Crâne de Natu. Il détecte les esbrouffes aussi.

— Donc en gros, tes instruments assurent que ce n’est ni un voile de ténèbres, ni un spectre farceur, ni un psy qui nous enfume. Il reste quoi ?

— Y’a quelques trucs un peu moins ésotériques, mais je sais pas si ça aiderait vraiment. »

Les deux hommes restèrent silencieux un moment, analysant leurs options. Il n’y avait pas à proprement parler de protocole lorsque le soleil ne se levait pas : ce n’était pas exactement le genre de dangers qui menaçaient un kalachnotier. Pourtant, il devait bien y avoir quelque chose à faire… L’idée d’abandonner, de faire demi-tour, ne les aurait jamais effleurés.

Puis Heyscold se pencha à nouveau sur son armoire avec un grommellement indistinct. Le capitaine y choisit ce que Matthieu ne pouvait guère appeler qu’une boule de cristal ; un mouvement un peu brusque de Heyscold agita quelque chose à l’intérieur, un trouble mal défini, et le colosse comprit que la boule contenait un liquide.

Heyscold coupa toutes les lumières, masquant ses mouvements et interrompant la question de Matthieu. Un luminomètre. Inutile de demander au vieil homme ce qui lui passait par la tête ; il s’expliquerait bien assez tôt.

« C’est bien ça, c’est une éclipse, pesta Heyscold en rallumant la lumière. Dis donc Matthieu, t’as pensé à vérifier les instruments qui pendouillent aux fenêtres, au moins ? À défaut de leurs versions modernes autour de la barre ? »

Le colosse ravala une protestation. Techniquement, il aurait dû — mais Heyscold ne l’avait pas fait non plus, et puis il devait bien comprendre qu’il terminait sa veille et l’avait passé toute entière dans la nuit. Il n’avait pas vérifié pourquoi cette dernière ne s’éclairait pas avant l’arrivée du capitaine : comme s’il fallait penser à vérifier une chose pareille.

Il parcourut le tableau de bord en silence. C’était là depuis le début.

« Baromètre à plat, hygromètre affolé. T’as raison, capitaine. C’est une tempête.

— Eh bah voilà, ronchonna Heyscold. Et qui c’est qui me demandait pourquoi les typomètres sont pas sur la passerelle ? On n’en a pas besoin des typomètres, nom de nom… »

Le colosse sourit discrètement. Le capitaine ne lui en voudrait pas, il le savait, et au final c’était plus de peur que de mal. Puis il s’éclipsa lui-même, fermant le panneau de la timonerie juste assez sèchement pour que Heyscold l’entende et lui courre après s’il le voulait.

Sarah l’intercepta dans la coursive des cabines. Elle devait juste sortir de la sienne, mais n’avait pas l’air particulièrement endormie. Matthieu aurait plutôt juré qu’elle avait passé toute la nuit à boire du café lorsqu’elle lui agrippa violemment le bras.

« Qu’est-ce qui se passe, putain ? cracha-t-elle.

— Une tempête, répondit-il calmement. Sauf si tu parles d’autre chose. »

Mais l’opératrice sonar se détendit, un peu. Assez pour revenir sur la disproportion de sa réaction ; Matthieu lui adressa un grand sourire lorsqu’elle eut l’air assez confuse. Sarah ne le retourna pas. Mauvais signe : de bonne humeur, elle aurait accepté de rire de son propre ridicule.

« Une tempête, hein, grogna-t-elle à la place. Viens voir ça. »

Le colosse la suivit dans la coursive, pensant avec un regret à son lit qui s’éloignait : Sarah l’amena jusque dehors. Au moins, il avait cessé de pleuvoir dans la nuit. L’opératrice sonar grimpa sur le rempart qui protégeait la poupe de la même façon que la proue, et agrippa soigneusement le bastingage d’une main. De l’autre, elle sortit sa boussole personnelle, une babiole à laquelle elle s’était attachée, et la fourra sous le nez de Matthieu. Pas que cela apprenne quoi que ce soit au veilleur de nuit : il savait pertinemment que le Tire-au-flanc VII faisait route à l’est. Droit vers le soleil levant.

Ce qui garda Matthieu silencieux un moment était la couleur du ciel. Noirâtre, virant au violet sombre au-dessus du navire, et orné des teintes bleutées de l’aube naissante à l’ouest. Pas étonnant que Sarah ait pété un câble, finalement.

« La voilà, ta tempête. »

Elle avait l’air plus calme, au moins. Matthieu se retourna vers l’est, contemplant l’absence noire qui balafrait le ciel et masquait complètement l’horizon. Est-ce qu’en mi-journée, les rayons du soleil parviendraient à passer à travers cette chose ? Il n’en avait aucune idée. Et il ne s’en souciait tant que ça.

« Eh ben ça, ça va être une saucée, commenta-t-il. Je vais aller dormir avant que ça commence, histoire d’être frais.

— Parce que tu comptes… Oh et puis tu sais quoi, merde.

— C’est ça, la bise ! »

Le colosse s’éloigna en sifflotant. Il pensait trop à son lit pour pouvoir apprécier la franche rigolade qu’une tempête pareille promettait d’être et avait bien l’intention de remédier à ce manquement dans les plus brefs délais.

***
La banquise rétrécit discrètement au cours de la journée, passant d’un plancher solide de près d’un mètre à une constellation de marbrures blanches, qui semblaient grises dans la lumière ténue qui filtrait des nuages. Heyscold s’autorisa un soupir de soulagement en constatant qu’il pouvait rétablir l’aspect normal d’une proue de vaisseau. Les proues de brise-glace avaient une tenue de mer exécrable et il détestait sentir ça sur son navire.

Ce fut pratiquement le seul son qu’il produisit de la matinée. Capitaine ou pas, il savait se taire quand il fallait, et surtout quand Sarah avait l’air d’humeur à envoyer son pied à des endroits gênants.

Ils avaient échangé quelques mots une petite heure après que l’opératrice sonar soit arrivée sur la passerelle, tenant à la main un pain aux raisins qu’elle n’avait pas l’intention de manger avant un moment. Heyscold n’y voyait pas d’inconvénient : son sonar, ses miettes.

« Mouais, avait-elle grommelé la bouche pleine quand elle avait finalement daigné s’intéresser à son petit-déjeuner. Il va pleuvoir un jour, oui ou merde ? »

Elle savait pourtant très bien quel crissement les essuie-glaces faisaient, mais Heyscold n’avait pas relevé et opté pour une réponse plus prudente.

« Quand Kyogre attaquera.

— Hrmm. Tu penses que c’est lui, ce truc ?

— Lui ou pas, je suis prêt à parier que ça craquera au pire moment.

— Pfft. »

Et puis, un peu plus tard, une fois la pâtisserie avalée, elle avait encore un peu cherché une embrouille.

« Je suis à peu près certaine d’avoir entendu un coup de tonnerre là-dedans tout à l’heure, et on peut toujours aller se brosser pour que ça éclate. C’est quoi cette tempête, c’est une malédiction ou comment ça se passe ? »

Le capitaine avait cru qu’un peu de sincérité pourrait désamorcer la colère de sa seconde, mais n’avait réussi qu’à la rendre encore plus furieuse.

« Je ne crois plus aux malédictions depuis longtemps. Ce n’est qu’un orage vraiment sale. »

Heyscold avait décidé de la boucler en voyant la grimace haineuse qui avait déformé les traits de Sarah en réponse. Il n’était pas la cible, pas vraiment — elle regardait les nuages — mais ça n’allait pas l’empêcher de se faire discret.

***
Patricia leva la tête de sa liseuse en voyant Ludmila entrer dans la salle des machines. Elle ne l’avait pas entendue frapper ; mais la lancière ne voudrait sans doute pas frapper assez fort pour couvrir le grondement du moteur. La mécanicienne comprenait cela. Ça ne servait à rien. Elle salua sa collègue d’un signe de tête.

La situation aurait pu être gênante si Ludmila était venue parler, avec le diesel du Tire-au-flanc VII ronflant ses deux mille tours par minute. Elle avait apporté le casque de rechange de Patricia : ce serait une compagnie silencieuse.

Ludmila attrapa un des escabeaux entassés contre un mur là où ils gênaient le moins Patricia, et s’assit dessus, en face de la mécanicienne, avec cette désinvolture qu’elle mettait dans chaque mouvement. Patricia n’aurait pas su dire laquelle d’elles deux semblait la plus fatiguée. Elles comprenaient. L’une n’avait pas terminé une nuit depuis peut-être des mois, l’autre passait son temps à côté du lourd moteur, surveillant ses vibrations jusque dans ses rêves épars. Une machine aussi massive ne se conduisait pas comme celle d’une voiture, ce que les autres abrutis dans leur timonerie avaient tendance à ignorer, et Patricia était prête à bondir à chaque fois qu’elle percevait un bruit anormal.

La lancière sortit un carnet de grilles de sudoku, son propre moyen de passer le temps à bord. Une façon comme une autre de proposer à Patricia de terminer sa page, son chapitre, ce qu’elle voulait. Puis elles pourraient peut-être faire quelques parties de cartes. La mécanicienne gardait un jeu pour ce genre d’occasion, sur son établi. Il ne détonnait pas avec les outils l’entourant, maculé de cambouis comme il l’était.

Mais ce ne serait pas tout de suite, et peut-être pas ce jour-là. Elles le savaient toutes les deux. En pleine chasse, elles pouvaient être appelées aux postes de combat à chaque instant. La lancière devrait alors rejoindre ses armes, et laisser la mécanicienne bichonner son moteur, au cœur du navire. Aveugle à toutes les manœuvres qui exigeaient sa supervision et sourde à tous les avertissements qui pouvaient retentir.

Patricia haussa les épaules, et corna sa page. Une crapette, pourquoi pas, cela faisait longtemps.

***
Un drift, une bombe. Ligne droite ; accélérateur à fond. Avec l’avance qu’il avait prise, il pouvait passer la—

La carapace atterrit à quelques mètres à gauche, détournant un autre kart. Il vit arriver la collision et rattrapa aussi vite qu’il le put. Mais quand il revint dans la ligne droite, c’était terminé. La ligne avait été passée, et pas par lui.

« Eh merde, jura Cédric. Bien joué, j’ai cru que tu la ferais pas, celle-là !

— Moi aussi. Une revanche ?

— Y’a intérêt, oui. »

Morarji avait à peine levé la tête de l’écran assez longtemps pour quatre mots et pour relancer le jeu. Nouvelle piste, mêmes personnages colorés s’alignant avec des mimiques hargneuses, même rage de vaincre.

Lorsqu’ils avaient commencé, l’infirmier et le cuisinier avaient affiché le même genre de rivalité bon enfant. Morarji n’avait perdu aucune partie depuis une bonne demi-heure et Cédric commençait à s’inquiéter un peu pour lui.

« À ce train-là, on va commencer le combat avant que j’arrête de me ridiculiser, plaisanta-t-il.

— Ça va, l’assura Morarji. Tu ne fais pas plus d’erreurs que moi, tu les fais juste à des moments plus critiques. »

Il souriait, au moins, même si ses yeux restaient aussi tranchants qu’une litanie de jurons.

« Ben voyons, s’amusa Cédric. Et ça, juste là, c’était quoi encore ?

— Une attaque avec une demi-seconde de retard. Les réflexes c’est pas trop ça.

— J’ai pas envie de voir tes attaques sans demi-seconde de retard, alors !

— Haha… J’y arriverais peut-être un jour. »

Quarante minutes qu’ils jouaient, pour tenter de passer le temps avant l’attaque imminente, avant que la tempête n’éclate, et Cédric n’avait rien remarqué. Il aurait pu s’arracher les cheveux si ses mains n’avaient pas eu un boulot plus urgent.

« Tu sais, on n’est pas obligés de devenir des joueurs parfaits avant de faire sa fête à Kyogre, hein. On sera encore là demain !

— C’est vrai, sourit Morarji avec plus d’entrain. Mais pourquoi laisser passer une occasion ? »

Cédric ricana, et se replongea dans l’exercice difficile de doubler une série de voitures de courses. Après tout, avait-il son mot à dire si Morarji voulait mettre ses affaires en ordre avant la fin de la journée ? Au moins, il s’était choisi un but auquel le cuisinier pouvait participer, un peu.

***
Le Tire-au-flanc VII marchait avec entrain, brisant vague après vague contre sa poupe et laissant dans son sillage une route d’écume battue par les hélices. Il ne pleuvait pas, mais quelle importance ? Les embruns arrosaient aussi bien, le vent était là et mordait. Pour le Topdresseur accoudé à la proue, il n’y avait aucune différence.

Il aimait bien venir ici lorsqu’il n’y avait rien d’autre à faire, lorsque le combat était trop imminent et la situation trop tendue pour lire dans une cabine ou entraîner ses compagnons. Il avait toujours aimé contempler la mer depuis les balcons de la demeure familiale, même lorsqu’il n’y était plus revenu qu’à contrecœur. C’était tout ce qu’il y avait à faire. Contempler, lorsqu’on ne pouvait ni posséder, ni dominer. Sur ce point au moins, il se sentait d’accord avec l’architecte et ses larges vérandas.

Arthur haussa un sourcil lorsque les larges mains de Matthieu empoignèrent le bastingage à côté de lui et que le colosse s’accouda tranquillement, guère plus qu’une ombre dans la lumière crépusculaire.

« Tu as dormi trois heures, à tout casser.

— T’es pas ma mère. »

Cette réplique avait provoqué plusieurs bagarres et une intervention de police et ils le savaient tous les deux. Arthur rit doucement ; il était trop proche de Matthieu pour que ce soit une insulte. S’il ne poursuivit pas son sermon, c'était parce que le colosse était parfaitement compétent pour estimer les risques de lui-même et décider de les négliger. Autant parler de la pluie et du beau temps.

« On va s’en prendre plein la gueule.

— Carrément hâte.

— Ça, je te le fais pas dire ! »

Il était parfois difficile de parler sérieusement à Matthieu. Ça n’avait jamais dérangé Arthur. Il y avait autant à dire en ne parlant pas.

Ils restèrent là en silence, regardant la mer se faire grosse. Le vent s’était levé, et la proue du kalachnotier éperonnait des vagues de la taille d’un Monaflèmit. Le vent et bientôt la pluie : l’air était si humide qu’aucun Pokémon ne pourrait retenir la tempête pendant longtemps encore.

Il n’était pas difficile de reconnaître une Danse-Pluie quand on savait comment elles fonctionnaient. Même à cette échelle absurde. Ce n’était que de l’eau concentrée artificiellement dans une atmosphère débarrassée des impuretés permettant la condensation et la pluie, et maintenue sous une légère tension électrique. Les coups de tonnerres solitaires qui résonnaient de temps à autre depuis le matin étaient révélateurs, vraiment. Des décharges accidentelles, capables en temps normal d’assez fragiliser l’équilibre d’un nuage pour provoquer la pluie. Mais le monstre qui retenait cet océan-là dans le ciel tenait encore, depuis le matin. Il n’était pas difficile de deviner que Kyogre était à la manœuvre.

Arthur savait que Heyscold, Sarah, Matthieu, tous l’ignoraient. Ils ne voyaient qu’une tempête surnaturelle. Ils n’avaient pas les chiffres que lui pouvait extraire. Ils ne reculeraient pas devant l’orage et lui non plus. Ça n’était jamais qu’un peu plus de pluie, d’éclairs et de vent que d’habitude.

« Toutes tes affaires sont en ordre ? demanda le Topdresseur.

— Tu le sais très bien, rétorqua le colosse. Il n’y a que ma mère, et je sais très bien que tu ne la laisseras pas tomber.

— Non, c’est vrai. »

Un Pokémon sortit de la couche de nuages ; un Oiseau, sans doute, une créature aux ailes immenses et au plumage d’un blanc intense, nettement découpé contre la voûte d’encre. Il planait, ne semblant guère se soucier de cette menace de mort prochaine. Impossible d’identifier son espèce, mais Arthur ne s’en souciait pas trop. Le monde était trop vaste pour en connaître tous les habitants.

S’il les avait vus, perchés sur leur coque de noix, l’Oiseau ne détourna pas son vol. Certains parfois venaient se poser sur les navires, quémander un peu à manger ou offrir leur aide. Lui semblait être un solitaire.

« Alors on y va, reprit Matthieu. Jusqu’au bout du monde. »

Cela ne lui ressemblait pas de dire des banalités. Arthur ne releva pas.

« La vue doit être sympa. »

Matthieu eut un rire bref. Pas son habituel vacarme d’éboulement, quelque chose de plus calme, presque serein. Arthur jeta un coup d’œil de côté ; les larges avant-bras du colosse étaient négligemment étendus en travers du bastingage, sans plus de force que nécessaire. Il pensait ce rire. Il ne s’inquiétait pas de la mort.

Une partie du Topdresseur l’enviait, incapable d’en faire autant. Une autre sentait que l’homme à son côté le suivait lui, pas leur capitaine, ni l’argent du contrat, et encore moins leur cause. Matthieu pensait ce qu’il disait ; il serait allé jusqu’au bout du monde.

Aurait-il dû faire demi-tour en voyant quelqu’un d’autre s’entraîner corps et âme derrière lui ? Arthur écarta la question. Il était trop tard pour ça. Il la laisserait revenir à lui lorsqu’ils auraient survécu et que le temps serait plus propice. Pour l’instant, il fallait garder l’esprit froid, clair et affûté, et ne surtout pas laisser son sens des responsabilités s’interposer. Un exercice parfois trop naturel.

L’Oiseau inconnu regagna de l’altitude et replongea dans les nuages.