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Viendra la tempête de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 24/05/2022 à 14:39
» Dernière mise à jour le 25/05/2022 à 09:14

» Mots-clés :   Hoenn   Organisation criminelle   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de Pokémon inventés

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Chapitre 1 : Vaguelettes
La vague enjamba sans effort le bastingage et vint racler toute la superstructure, perdant de la masse au fur et à mesure qu’elle longeait la coque, puis les derniers remous partirent mourir derrière la poupe.

À l’avant, leur cible nageait toujours en surface, mais Arthur doutait qu’elle y reste encore longtemps. Le Kalachnot était jeune, il avait de bons poumons, et cela faisait une dizaine de minutes qu’il prenait sa respiration. Il aurait bientôt accumulé une heure de souffle, et n’aurait plus rien à faire en surface… à moins, bien sûr, de défendre son indépendance. Un terrien aurait parlé de territoire, mais Arthur voyait plutôt ça comme de l’indépendance, la capacité à dire que ce qu’on pêchait à tel endroit ne pouvait être réclamé par personne d’autre. Quelque chose que les Kalachnot avaient inventé bien avant les terriens.

Le Topdresseur barbu donna un coup d’œil en arrière tout en activant son oreillette. S’il pouvait voir des souffles, c’était qu’ils étaient encore trop près… Mais il n’en distingua aucun. S’il avait eu un bon vieux mât avec un nid-de-pie, peut-être.

« Sarah, on est encore près ?

— Brmf, répondit l’opératrice sonar.

— Je prends ça pour un oui.

— Si toi et Matthieu pouviez nous obtenir dix minutes de plus, ça serait mieux. Sinon on attend une plongée.

— Chouette, des vacances. Aucun autre en solo ?

— Bof. Y’en a un qui a l’air de se préparer à remonter, par contre. Sud-sud-ouest, six milles.

— Vu, je préviens Freddy. »

Ce dernier était de l’autre côté du corps principal du navire ; Arthur sauta sur l’échelle saillant de la superstructure et grimpa rapidement assez haut pour avoir une vue dégagée. De là, Freddy devait pouvoir l’entendre : le dresseur inspira un grand coup et siffla tout l’air qu’il pouvait absorber.

« Encore tes jeux de mains ? beugla Matthieu depuis la proue. Lave-les avant de manger avec, gamin !

— Gredin ! s’esclaffa Arthur en retour. Tu vas voir, Freddy viendra te dire bonsoir !

— Ouh, j’ai peur ! »

Il était beau le monde du silence. En vérité, c’était un monde de bruits continus, omniprésents, le soupir des vagues embrassant la coque, les baisers soufflés par le vent, le grondement docile du moteur… Sans parler de tout le bazar qui devait passer par le sonar et les oreilles de Sarah.

Un chuintement traversa l’air, capté avec habileté et habitude par l’oreille d’Arthur. Une Lame d’Air qui passait en trombe au-dessus du navire : le Nostenfer avait entendu et écoutait. Restait à lui dire ce qu’il se passait. Arthur n’eut besoin que de huit sifflements supplémentaires pour cela, mais il lui avait fallu plus d’un an pour apprendre à y ajouter assez de modulations pour communiquer avec son Pokémon.

« Jeux de mains, jeux de vilains !

— Si tu veux un combat, n’hésite surtout pas ! Je te prends à mains nues et à la loyale, en même temps !

— Hoohahaha ! »

Une autre Lame d’Air traversa l’air, confirmant que le Kalachnot serait surveillé par la chauve-souris et subirait une Onde-Folie s’il faisait mine d’approcher du navire. Ça ne garantirait pas qu’il s’en éloignerait, mais au moins, il serait plus lent s’il continuait d’avancer.

Arthur redescendit en sautant cavalièrement sur le gaillard d’avant, sachant pertinemment que le bruit que feraient ses chaussures plombées mettrait Sarah hors d’elle. Ce qui ne rata pas : il entendit bientôt un doux filet d’invectives qui devait s’échapper d’une fenêtre ouverte de la timonerie. Il n’aurait jamais osé faire ça en pleine chasse — Sarah l’aurait étripé sur-le-champ —, mais ils n’en étaient qu’aux préliminaires et entendre un peu de bruit ne ferait pas de mal au Kalachnot.

« Comment ça se présente ? demanda le grand basané, campé à la proue.

— Mal. Sarah pense possible de tenter une attaque maintenant, mais ce serait plus sûr d’attendre qu’il ait plongé.

— Tu parles d’une heure à bronzer en s’ennuyant, là, un peu de respect…

— Tu appelles ça du respect de parler en bâillant ? Bref, il faut qu’on continue de l’éloigner du pod.

— Mes gamins sont sur le coup, j’te signale. »

Arthur en voyait un qui jouait dans les vagues, laissant ses barbillons osciller dans le vent, mais ne contesta pas. Les deux Barbicha de Matthieu étaient un couple, ce qui signifiait que lorsque la femelle draguait du Kalachnot, le mâle n’avait pratiquement rien à faire et se laissait distraire par son Cotovol.

« On va peut-être devoir le passer aux toilettes », prévint Arthur.

Ils avaient construit cette mauvaise blague sur l’attaque Siphon des deux Barbicha. Surtout du mâle, d’ailleurs, qui n’entraînait son Attraction que pour éloigner d’éventuelles gêneuses.

« Si Sarah pense que c’est bouché autour, ça va puer, s’amusa Matthieu.

— Heureusement que ton Cotovol ressemble à un balai de chiottes, dis donc.

— Il a déjà neutralisé le Talent du Kalachnot, j’te signale.

— Un insomniaque, merveilleux. Au moins avec nous il aura de la compagnie. »

Un nouveau chuintement vint s’intercaler dans la conversation.

« Arthur, téléphone ! C’est Freddy, je crois ! »

Ignorant la pique, qui ne serait jamais que la cent cinquante-septième de la journée, le Topdresseur se décala de la proue vers le bord de la superstructure. Vers l’arrière du navire, un peu à tribord, quelques nuages de Buée Noire formaient un signal en Morse simplifié. Un appel de Freddy, c’était le moins qu’on puisse dire.

« Sarah, le plongeur ?

— Un instant… Oui ; il retourne vers la partie centrale du pod. C’est drôle, je n’ai pas entendu de défi… Bah. On devrait pouvoir tenter la cible.

— C’est parti ! lança Arthur en sautant sur une échelle.

— Tu bondis encore de là je t’en colle une ! »

Ce n’était pas vraiment une menace, malgré le ton colérique, mais plutôt une information factuelle et objective ; en fait, Sarah n’était pas encore vraiment énervée. Elle connaissait assez bien Arthur pour savoir qu’elle n’aurait pas besoin de sortir le poing unovain qu’elle gardait dans sa table de chevet.

Un sifflement prolongé, à basse fréquence, signala à Freddy qu’il y avait besoin de lui près du kalachnotier. Le Nostenfer avait assez pêché pour deviner qu’il allait devoir jouer de la Provoc, donc risquer des engelures, ou d’avaler quelques tonneaux d’eau. Mais Arthur trouvait qu’il ressemblait un peu à Matthieu : toujours présent dès qu’il s’agissait d’un défi idiot et dangereux.

Pouvait-on, d’ailleurs, en dire moins des marins kalachnotiers ? Pourtant, Arthur ne l’ignorait pas, ils avaient tous des raisons différentes à bord du Tire-au-flanc VII. Le capitaine prétendait « partir en enfer pour la compagnie », la mécanicienne était la fille de l’armateur et s’était engagée pour soutenir sa compagnie en apprenant qu’on manquait de postes, la lancière était une tireuse d’élite mise au placard par l’armée et qui aurait été assez spartiate pour se contenter de sa retraite, mais qui ne se sentait vivante que quand elle avait une proie dans le viseur après avoir passé douze heures immobile sous un filet de camouflage… Heyscold avait coutume de dire qu’il fallait être taré pour devenir kalachnotier, et c’était facile à dire vu combien il correspondait à cette description.

« Giclédo, commenta négligemment Matthieu.

— À la douche, gamin ! »

Arthur prit le temps de marcher deux pas, jusqu’à pouvoir attraper le bastingage, et d’abaisser sa posture. Puis il releva simultanément tous ses orteils, ce que les chaussures interprétèrent comme une demande de magnétisation. Un instant plus tard, en réponse à leur faible courant, le pont agrippant du navire s’électrifia à son tour, verrouillant solidement les appuis du marin.

Le système servait surtout pour les Hydrocanons, mais Arthur trouvait que ce n’était pas du luxe de s’ancrer pendant les Giclédo. Au contraire de Matthieu qui insistait pour ne jamais rien tenir d’autre que le bastingage, et qui récupérait les images de ses chutes sur les caméras de surveillance du navire pour en faire des compilations. À tout prendre, c’était sans doute un loisir plus inoffensif que de fumer : avec tous les muscles qui roulaient sous son ciré, il n’avait récolté que des contusions, et aucune fracture.

Il ne récolterait rien cette fois-ci : l’attaque était peu puissante, et venait d’assez loin. Plus un message qu’une tentative d’intimidation. Un message assez clair, cependant, leur demandant de bien vouloir ficher le camp. Leur Kalachnot s’impatientait.

Freddy passa au-dessus du navire sur ces entrefaites. La présence du Nostenfer n’était pas indispensable pour manœuvrer le Kalachnot au Siphon, mais elle était préférable : autant profiter de la confusion.

La seconde Barbicha de Matthieu fit surface, à quelques encablures de là. Le Kalachnot inclina légèrement sa masse pour orienter une oreille vers elle, mais sans lui présenter son museau. Il ne savait donc pas trop à quoi s’en tenir, entre l’Attraction sans doute encore en partie active et la présence d’un navire représentant une menace potentielle.

« Passerelle, c’est dégagé alentour ?

— Sept milles au Kalachnot le plus proche. Si vous nous en donnez une dizaine, on sera hors de leur portée sonar et on pourra tenter de filer au port.

— Trois milles de rodéo, compris !

— Faites ça plein nord. »

Matthieu beuglait déjà l’information à ses deux sbires, plus le Cotovol qui pirouettait doucement sans sembler affecté par le vent latéral. De si près, Arthur lui-même n’avait aucune intention de siffler.

« Freddy ! Onde-Folie, garde-le confus pendant qu’on le trimballe. »

Le Nostenfer voleta vers sa cible en guise de réponse. Un Pokémon aussi massif et aussi têtu qu’un Kalachnot aurait besoin de plusieurs attaques avant d’être complètement confus, tout comme pour une Attraction d’ailleurs. Les effets de cette dernière, cependant, n’étaient pas complètement estompés, et le Kalachnot resta à peu près tranquille pendant que Freddy le bombardait et que les Barbicha se coordonnaient.

« Passerelle, la salle des machines est prête pour un sprint ?

— Ça baigne ! confirma Heyscold. J’vais aller réveiller Ludmila, histoire qu’elle ait le temps d’affûter ses harpons.

— Capitaine, vous êtes censé rester sur la passerelle pendant les opéra… Le capitaine sur la passerelle bordel de — »

La suite ne fut pas entendue à l’avant du navire, Sarah ayant machinalement coupé la radio. Arthur et Matthieu avaient cependant une assez bonne idée de la quantité de grossièretés qu’elle pouvait aligner après « bordel de ».

Dans l’eau, les Barbicha passèrent à l’attaque, déployant un Siphon digne d’un coordinateur. Dans un premier temps, la masse énorme du Kalachnot renâcla à bouger, ce que ses mouvements désordonnés n’arrangèrent pas. Puis le navire arriva à hauteur du cétacé et le heurta sur le dos.

En temps normal, la coque d’un navire se serait humblement inclinée devant la peau métallique du Kalachnot et se serait écrasée. En l’occurrence, le navire était un kalachnotier dont Heyscold avait rétracté le bulbe d’étrave depuis plusieurs minutes, ce que tout l’équipage avait senti à la tenue de mer à peine acceptable. Il était désormais équipé d’une étrave aplatie de brise-glace, protégée par un revêtement agrippant et un blindage de qualité militaire. Cette disposition et le siphon des Barbicha jouaient le rôle du marteau et de l’enclume, bloquant le Kalachnot assez solidement pour le propulser contre son gré.

Avec le moteur qui montait souplement vers son régime maximal, ce serait suffisant pour parcourir un mille nautique en cinq minutes. Il n’y aurait pas besoin de plus : ce manège inhabituel attirerait l’attention des autres Kalachnot du pod, et il valait mieux éviter ce genre d’attention. La suite des opérations laisserait le Kalachnot ciblé parfaitement libre de ses mouvements, et surtout libre de défendre lui-même son indépendance. Il se comporterait assez agressivement pour dissuader ses congénères d’intervenir, même lorsqu’ils ne seraient plus en mesure de détecter son spermaceti.

Le kalachnotier pourrait alors abattre sa proie et récupérer la précieuse huile emprisonnée dans son crâne et lui servant de caisse de résonance sonar, le seul liquide connu à être superfluide à température ambiante. Après quoi la mer toute entière deviendrait une ennemie, et il faudrait se dépêcher d’atteindre le port le plus proche.

Ils en étaient encore loin, mais la tension montait doucement à bord du bateau. Freddy volait en cercles autour du navire traînant sa proie, et la superstructure abritant la passerelle s’animait lentement : Ludmila n’avait pas mis longtemps à se réveiller. La vétérane insomniaque triait déjà ses armes, à côté du lance-harpons dressé en hauteur à l’avant du navire.

Les cinq minutes avaient passé en un éclair ; le Kalachnot commençait déjà à renâcler, et les Ondes Folies que Freddy continuait d’envoyer lui faisaient moins d’effet.

« Ça a l’air bon, commenta Matthieu.

— Freddy, lâche-le ! Passerelle, on va pouvoir commencer la poursuite.

— Reçu. Rien de grave au sonar, le pod commence à s’agiter mais ils ne sont pas excessivement entreprenants. L’avant est dégagé sur au moins vingt milles.

— Ça nous fera une bonne course. »

Le Siphon se dissipait, laissé mourir par les Barbicha, et le Kalachnot se dégageait déjà nerveusement de l’étreinte intangible du navire. Il n’allait pas tarder à être furieux, complètement libéré de la confusion.

Une altération du roulis et un bruit indistinct de roulement à billes informèrent l’équipage que l’étrave avait à nouveau une forme décente et qu’il n’était plus nécessaire de s’agripper à quelque chose.

Le navire dépassa la silhouette noire du prédateur, fendant souplement les vagues. En réponse, le cétacé s’enfonça légèrement, se tournant à moitié vers lui. Sa queue ondulait déjà, faiblement mais régulièrement.

Puis Freddy glissa en rase-mottes au-dessus du dos d’acier noir, la gueule ouverte sur un infrason vibrant.

Sortant enfin complètement de sa torpeur, le Kalachnot arqua tout son corps aussi brusquement qu’il en était capable et répondit à la Provoc en fonçant droit vers le navire qui lui présentait ses hélices. La poursuite avait commencé, saluée par un grand éclat de rire de Matthieu à la proue.

Arthur, de son côté, était déjà à mi-chemin de la poupe, les yeux rivés sur leur proie. De fait, la distinction entre le chasseur et la proie n’avait aucune réalité pour un kalachnotier. Il n’y avait qu’un tueur et un tué. Un vivant et un mort. Plus, si le navire sombrait.

La phase d’exécution approchait. Avant cela, il faudrait au moins donner au reste pod les apparences d’un combat. Le Topdresseur passa une main à sa ceinture, et libéra son Élecsprint.

« Salut Bolt. On va commencer tranquillement. »

Le Pokémon Décharge agita sa crinière, reconnaissant la situation. Comme le reste de l’équipe, il avait été plus souvent entraîné contre les Kalachnot que contre des terriens…

Un premier Tonnerre ne tarda pas à déchirer l’air dans un bruit assourdissant, magnétisant aussitôt l’ensemble du pont extérieur du kalachnotier et fixant l’Élecsprint au sol. Depuis le temps, Arthur ne prenait plus la peine d’avertir Matthieu : le colosse avait assez souvent prouvé qu’il était capable de marcher sur un pont magnétisé sans avoir l’air particulièrement dérangé. Et puis ses Pokémon s’étaient rassemblés autour de lui un peu par accident, sans être des experts de la chasse. Arthur avait l’habitude de ne compter que sur lui-même pendant une phase de combat.

Le Kalachnot accéléra en réponse à la foudre qui l’avait frappé. Son grand corps se tendit, insensiblement. Un bon signe : il avait l’intention de riposter de la même façon. Peut-être le Cotovol de Matthieu l’avait-il énervé en le privant d’un Paratonnerre plus qu’utile.

Bolt eut le temps de tirer une seconde fois avant de recevoir la contre-attaque. Elle ne lui arracha qu’un jappement satisfait : personne n’avait supprimé son propre Paratonnerre.

Des gouttes de pluie fine comme des aiguilles commençaient à tomber. Arthur les ignora ; l’air était peut-être un peu sec pour que les Tonnerres provoquent ce crachin, mais de toute façon, en mer, il pleuvait tout le temps.

« Sarah, toujours rien au sonar ?

— Le pod dresse l’oreille, mais ne fait pas mine d’intervenir. Huit milles cinq.

— Je vais le fatiguer tranquillement, on en aura pour un moment.

— Je viendrai sans doute donner un coup de main, cet abruti fini de Heyscold m’a énervée.

— Je t’ai entendue, jeune fille !

— À deux mètres, il faudrait être sourd ! »

Un autre Tonnerre vola, faisant crépiter la radio. Arthur balaya la mer du regard, cherchant à évaluer du regard la fatigue du Kalachnot. Ils allaient le traîner derrière eux un moment, il ne fallait pas qu’il dépense toute son énergie trop vite ni que les Tonnerres à répétition ne le détournent du navire. Une estimation qu’il valait mieux faire avant de recevoir les premiers coups de tête à la poupe…

Là.

Ce n’était pas grand-chose, mais le Topdresseur était sûr de ce qu’il avait vu — un mouvement, un sous-ton un peu plus sombre sur le gris-vert de la mer. Un intrus.

Là, encore. Rapide, sans doute plus que le navire. Pas bien grand. Menace modérée. Approchait par le flanc, vers le Kalachnot. Trop clair pour un Sharpedo — et un Sharpedo sauvage n’avait presque aucune chance contre un Kalachnot. Au bout d’une seconde d’interprétation, Arthur attrapa machinalement son oreillette, même s’il laissait toujours la radio allumée pendant une poursuite.

« On a un gêneur sur l’arrière.

— Négatif, je n’ai rien entendu. Tu es sûr de toi ?

— Cinq mètres de large, peut-être. Ce n’est pas un autre Kalachnot, mais ça ne correspond à rien de ce que je connais. On dirait vaguement un petit banc de Froussardine.

— Hmf. On va voir ça vite fait. »

D’un coup de queue, le Kalachnot jeta hors des vagues sa tête au profil de poutre. Bolt se coucha au sol, Arthur agrippa le bastingage en baissant le buste et redemanda la magnétisation du pont par sécurité ; et l’Hydrocanon leur passa dessus sans plus de dommages qu’une bonne claque.

« Je n’ai rien au sonar actif, reprit Sarah sans tenir compte du bruit de canalisations que la radio devait lui avoir envoyé. Il n’y a qu’un Kalachnot et deux Barbicha à cinq milles à la ronde, plus un Tentacruel si on va chercher à huit milles. Au risque de me répéter, tu es sûr de toi ? »

Raisonnablement sûr, sourit-il.

« Un corps ovoïde aplati, bleu roi avec quatre taches blanches sur les tempes et qui flotte comme un bouchon. Des genres de lignes rouges qui rappellent un peu un Écayon, des nageoires aussi larges que lui, une queue qu’a l’air coupée en cinq, et un œil jaune de la taille de mon poing fixé sur moi. Je pense que ce n’est pas un Barbicha, oui.

— Oh, ça va avec l’ironie, grmf. Et cet Écayon, il… un instant… »

Elle devait avoir un contact sonar, finalement. Ce dont Arthur ne s’attendait pas à ce que ce soit une bonne nouvelle. On était rarement optimiste quand on était en face d’un Kalachnot de quatre-vingts tonnes en train de lentement rattraper son retard.

« Contact sonar, type chant de Wailord, vient de l’arrière. La voix n’est pas celle d’un Kalachnot mais l’intonation y ressemble trop à mon goût. Et ça vient de celui qu’on a au train, donc je suppose que c’est ton intrus invisible. »

Elle avait presque l’air vexée de ne pas pouvoir l’entendre elle-même ; elle, l’oreille du navire, sourde et aveugle à un poisson qu’Arthur voyait distinctement rebondir dans les vagues.

Elle n’était pas tant vexée qu’alarmée quand elle reprit.

« Mouvements dans le pod. Dix contre un qu’on va avoir de la compagnie et qu’on devrait arrêter cette saleté de chasse.

— À même pas midi, ça vous gâche une journée, grommela Heyscold.

— Mouvement confirmé, bordel de mgrmm… Cinq, non, sept Kalachnot se sont détournés vers nous.

— Je nous désengage, commenta Arthur. Freddy ! »

Le Nostenfer comprit rapidement ; lui aussi avait vu le poisson inconnu. Une salve d’Ondes-Folie vint lentement ralentir le Kalachnot, jusqu’à le laisser dériver, désorienté, à une petite distance du navire qui avait stoppé ses machines. Arthur libéra son Alakazam.

« Gargamel, Amnésie. Sur le Kalachnot, pas l’inconnu. »

Le Pokémon Psy leva ses cuillers, et commença l’entreprise ardue d’embrouiller les souvenirs du cétacé. Même après un entraînement poussé, il n’y parvenait pas facilement, et il vaudrait mieux changer de cible si un second passage était possible. Au moins ce Kalachnot-ci ne révélerait-il probablement pas la tactique de chasse du Tire-au-flanc VII au reste de son pod.

Six minutes passèrent, rythmées irrégulièrement par la voix de Sarah annonçant l’approche des Kalachnot venus à la rescousse. Pendant tout ce temps, le Pokémon à l’œil jaune ne détacha pas son regard d’Arthur, et ce dernier était certain d’y voir une dose de malice. Il espérait que l’intrus ne rendrait pas l’Amnésie inutile.

La fourrure de ses tempes poisseuse de sueur, Gargamel baissa ses cuillers.

« Passerelle, on peut y aller.

— On y retourne, Patty, machine avant toute ! »

L’enthousiasme du capitaine ne trompa personne. Le pod ne les traquerait probablement pas, mais ils n’étaient pas passés loin de la catastrophe.

« Capitaine, maugréa Sarah. On fait quoi pour le machin qu’a vu Arthur ?

— Bonne question. Ça s’rait p’têtre pas plus mal d’en débattre avec le reste de l’équipage. »

Un instant plus tard, ce n’était plus la radio de combat qui transmettait ses paroles, mais l’interphone général.

« À tout l’équipage, votre capitaine ! On a eu un p’tit problème de poissons pas frais pendant la chasse, c’est pour ça qu’on vient de l’abandonner. Réu à onze heures sur la passerelle, s’il vous plaît. Et cette fois-ci, Cédric, viens pas me dire que je ne te laisse pas assez de temps pour finir de préparer ta tambouille pour un tour au congélo ! »