Chapitre 48 : Association avec un démon
Spiritomb.
Il avait dit Spiritomb.
Ce nom ... c'était comme un vieux souvenir, un murmure du passé. C’était l’entité que l’on ne mentionnait quasiment jamais et seulement à demi-mot. C'était la créature dont on employait le nom dans les contes de fées pour servir de méchant et de repoussoir. C’était probablement ce qu’il pouvait y avoir de plus craint et détesté. C'était le nom donné au pokémon interdit, l’amalgame maudit et banni.
Et cette chose était avec moi.
Pire encore, au lieu de la rejeter, de la dédaigner et de la fuir, je lui avais parlé, l’avait côtoyée, hébergée et … tolérée.
- Oh … ne fais pas la mijaurée, coupa la nébuleuse de voix grinçante. Qu’est-ce que ça change vraiment ? Je suis une part de toi-même et … sois vraiment honnête. Ce n’est pas si déplaisant au final.
Non, ça ne l’était pas. N'importe quel personnage affilié au bien dans les contes aurait été en désaccord. Pourtant, à l'inverse de tous ces parangons, je ne pouvais pas rejeter cette chose avec dégoût. Pour être sincère … j’avais de l’attachement pour cette entité, cette compagne qui m’avait accompagnée et écoutée lorsque personne ne l’avait fait. Même sans rien dire, même sans lui révéler tous mes sentiments, je savais qu’elle m’écoutait silencieusement, m'observant et me veillant à chaque instant.
Elle m’avait montré un chemin, l’avait dessiné devant moi. Mais désormais, c’était mon choix de l’emprunter ou non.
- Que suggères-tu alors ? lui demandais-je plus directement que je ne l’avais jamais fait, essayant de tester Spiritomb pour savoir s'il tenterait de m'influencer davantage.
- On s’est toujours bien débrouillées, ensemble, conclut l'entité avec un don pour dissimuler ses véritables intentions. Faisons ce qu’on a toujours fait. On profite de tout ce qu’on peut apprendre et ...
- On improvise.
Elle sourit, comme d’habitude.
- Ca me va. J’allais dire qu’on verrais plus tard, mais l’idée est plaisante. D’ailleurs, notre chère mentor semble inquiète. Tu devrais l’étudier plus en détail.
Je roulais des yeux, face à tant de prévisibilité. Spiritomb avait percé à jour mes intentions et s'amusait à les retourner contre une autre cible. Je fis quelques pas vers Aiko, avec un petit sourire.
- Ca va ? questionnais-je avec un sourire très arrogant et sur-joué. Tu as l’air un peu secouée.
- Ouais, je suis un peu surprise, ma jolie. T’aurais pu crever face à ta Momartik, mais … ton pokémon s’est calmé avec une étrange réaction. C’est comme si tu l’avais dompté avec ta force mentale.
Elle repassa la scène dans son esprit. Elle essaya de revoir les expressions et les gestes et d'établir un lien.
- Ou plutôt ... c’est comme si tu lui avais imposé ton autorité et que Hécate avait soudainement eu peur. Qu’est-ce que tu lui as fait, exactement ?
Je fis un petit sourire à ma mentor. C'était comme si nos rapports s'étaient soudainement inversés, puisqu'elle devait désormais être celle qui était en situation d'apprentissage, devant résoudre un problème.
- Je l’ai domptée. Elle a compris qu’il ne fallait pas agresser sa maîtresse. Je suis un peu plus résistante maintenant. On peut dire que … j’ai gagné en maturité.
Elle me mit une main sur l’épaule, suspicieuse.
- Tu sais que tu ne devrais rien me cacher, apprentie.
- Je ne cache rien.
Derrière, dans mon esprit, Spiritomb semblait se délecter de cette opposition naissante.
- Menteuse, me dit la punk aux piercings scintillants. Je te rappelle que nous avons un pacte.
Elle se rapprochant de moi, menaçante. Sa crête tombait sur sa tempe rasée, alors qu'elle la rejeta d'un geste de ses doigts vernis d'un rouge agressif.
- Je ne peux rien dire. A vous d’essayer de tirer le fin mot de tout cela … maîtresse, dis-je avec un sarcasme non dissimulé.
Elle découvrit ses dents, une expression sauvage sur ses traits.
- Très bien … apprentie. Je vais te surveiller de près.
- Ce n’est pas ce que vous faites déjà ? la provoquais-je avec un léger rire.
Ses yeux perçants détaillèrent mon corps, comme si elle voulait me dévêtir et me contempler plus.
- Tu sais, il y a toujours au moins deux solutions à un problème. Tu ne devrais pas me tenter, je peux être créative et ... je peux t'assurer que je pourrais faire ça un soir, quand nous serons seules.
Elle se tourna vers la sortie, marmonnant quelque chose qui échappa à mon audition.
- Bon, je sais ce que je vais te faire accomplir pour t’aider à te renforcer. Crois-moi ma chérie, tu vas me détester, mais ce sera pour ton bien.
- Si c’est du sport, ça me va.
- Oh ce sera sportif. Tu vas devoir retourner jusqu’à Vestigion à pied, avec juste Hécate. Les autres …
Elle me tendit la main, me faisant comprendre immédiatement. A contrecœur, je lui tendis les capsules à ma ceinture.
Aiko prit les orbes bicolores et d’un geste, elle les fit disparaître.
- Fascinant, n’est-ce pas ? psalmodia t-elle en s’amusant de mon expression ahurie. Tu devrais appeler le professeur.
Je pris mon petit téléphone et appelais le professeur Sorbier. Après quelques instants et malgré la friture sur la ligne, je pus entendre la voix revêche du vieil homme.
- Oui professeur … je sais que l’heure est indécente, mais …
J’éloignai légèrement le téléphone de mon tympan, le temps qu’il me fasse son petit laïus.
- Professeur, l’interrompis-je entre deux de ses saillies, je dois savoir si vous avez reçu mes pokémon.
Après quelques secondes, il me confirma que quatre pokéballs étaient arrivées sur son bureau. Il sembla inquiet, alors que je poussai un soupir de soulagement.
- Oui … merci, le rassurais-je en voulant être assez évasive. Je sais que ce n’est guère convenable, mais … je vous expliquerais. Je reviendrais … juste une semaine au maximum.
Finalement, il avait été conciliant. Lorsque je mis fin à la conversation, je ne pus m’empêcher de regarder la punk, ébahie.
- Comment vous avez fait ? demandais-je.
- Réfléchis ma belle. Tu sais poser des énigmes aux autres, alors résous donc celle-ci.
- Vous avez la capacité d’employer la capacité de Téléport … mais pourtant Spectrum ne connaît pas cette capacité. Attendez …
Je pris mon pokédex, pour regarder les capacités de ce pokémon. En consultant la liste des capacités que l'on considérait pouvant être maîtrisées par Spectrum, je cherchai tout ce qu'il pouvait apprendre. Effectivement, Téléport était absent de cette liste. Puis, je lus en détail tous les noms, avant d’observer quelque chose de curieux.
- Vous n’avez pas utilisé la capacité Téléport, mais ... je suis presque sûre que c'était Distorsion. Si c'est le cas, comment faites-vous pour distordre l'espace sur des centaines de kilomètres ?
- C’est le pouvoir, ma jolie, dit-elle en caressant son piercing au septum. Sans parler du fait que c’est plus facile lorsqu’on a déjà la destination en visuel.
- Vous connaissez le professeur Sorbier, déduisis-je en la fixant suspicieusement.
- Je l’ai rencontré il y a des années, à une époque ou j'étais une jeune candide et innocente et que ... lui n'était pas encore passé dans le royaume des défunts. C'était aussi l'époque ou lui et moi avions plus de cheveux !
La blague eut au moins le mérite de nous dérider un peu et de détendre l’atmosphère.
- Plus sérieusement, qu’est-ce que je dois faire ? Juste vous rejoindre ?
- Oh non … tu vas devoir t’adapter, car tu n’auras pas droit à aucun de tes produits, aucune de tes potions, aucune de tes rations de nourriture. Je veux que tu partages la difficulté de tes pokémon. Il va falloir que tu t’adaptes avec ce que tu trouveras lors de ta descente de la montagne.
- En plein hiver ? bafouillais-je. Mais c’est complètement dingue !
- C’est faisable, chérie. Le plus dur est de traverser la montagne, puis de passer la vallée de Vestigion. Je l’ai fait il y a trois ans et tu vas le faire. Si tu y arrives et que l’on ne retrouve pas ton cadavre émacié dans un fossé, je vais te récompenser avec … de quoi bien progresser. Je ne t’en dirais pas plus, inutile d’insister. Si tu crèves, c'est que t'étais pas prête à ce qui t'attend pour la suite.
Je soupirais, alors qu’elle reprenait son expression suffisante, se recoiffant.
- Vous avez intérêt à préparer le chocolat chaud, dis-je en resserrant les courroies de mon gros sac délavé, toujours orné de petits badges roses sur lesquels plusieurs pokémon étaient peints.
- En attendant, je vais réfléchir à ce que tu as fait, dit-elle en disparaissant devant mes yeux.
Je me retrouvai sans elle et je mis ma main à la poche, tâtant le rocher servant de réceptacle aux âmes de l'interdit.
- On y va, murmurais-je, faisant écho avec la volonté de Spiritomb.
Sur ce constat, je m’éloignai de la caverne souterraine, remontant vers la surface.