Chapitre 47 : Les doigts de la mort
J’étais en sueur, haletante, cachée. Dissimulée dans un recoin de la caverne, terrée derrière un petit surplomb rocheux qui plongeait à pic dans l’étendue d’eau stagnante, je pouvais sentir le rideau glacé qui coulait dans mon cou. Ce n’était pas de la transpiration ordinaire, comme celle sécrétée lors un effort intensif. C’était comme un refoulement de ma peur, qui exsudait par toutes mes pores, alors que je tremblais de crainte.
Un des spectres vindicatifs se dirigea une fois de plus vers moi. La silhouette violacée aux griffes tendues en avant poussa un râle strident, une plainte qu’aucun être humain n’aurait pu pousser. Fernando lança un Eclair, qui traversa le spectre au niveau d’un de ses petits yeux triangulaires. La lueur cruelle fut éteinte quelques secondes, avant d’être remplacée par un éclat métallique tout aussi sinistre.
La lumière grise qui émana de l'apparition projeta Fernando en arrière, tandis que Hécate projeta trois petites stalactites en direction des organes optiques du Spectrum. Les masses givrées firent mouche, se brisant en projetant des éclats qui troublèrent la silhouette gazeuse. Les petits pieux absorbèrent la chaleur au point de geler le gaz mauve, qui perdit temporairement sa forme, laissant des fragments s’éparpiller de façon confuse.
Ce bref laps de temps suffit à Marisa pour canaliser une one de psychique, qui explosa dans l’air. Le souffle de l’énergie éparpilla le spectre dans les airs, au point que le gaz soporifique le composant ne soit trop dispersé pour continuer à être une sérieuse menace.
Alors que je me dirigeais vers l’oiseau, dont la tête pivota à 120° pour continuer à guetter les spectres, Hécate trotta sur ses petites jambes, avec sa démarche maladroite. Elle se blottit aux pieds du rapace aux yeux perçants qui semblait tout voir, guettant les autres spectres qui erraient dans la caverne. La petite pokémon glaciale poussa un léger gémissement, se transformant en une plainte modulée.
L’oiseau hulula doucement, avant de me regarder dans les yeux. Son regard d’un bleu azuré était intense et pénétrant, comme un grand lac cristallin scintillant au milieu d’une nuit sans lune. Le rapace utilisa ses serres pour attraper le pokémon de glace et s’envola, commençant à se diriger vers l’intérieur de la grotte.
- Ou allez-vous ? demandais-je, un peu étonnée d’une telle association.
- Ton pokémon te l’a dit, me répondit Aiko.
La punk était dans un coin, enveloppée de son manteau sombre qui donnait l’impression qu’elle émergeait de l’obscurité. Elle regarda le duo franchir les rocs et les obstacles sans souci.
Marisa survola le petit lac souterrain, avant de se poser sur l’île perdue au centre. Contrairement à elle, je n’avais pas d’ailes et je dus traverser à la nage. Même sous terre et à l’abri du vent d’hiver, l’eau était froide et en quelques minutes, je me trouvai engourdie et frigorifiée. Heureusement pour moi, j’avais une couverture de survie et un pokémon capable d’allumer un bon feu.
Rapidement, la lumière et la chaleur éclairèrent mon visage violacé, qui reprit peu à peu sa teinte normale. Les petites flammes dansantes et crépitantes écartèrent un peu la noirceur poisseuse de la caverne, m’aidant à discerner les deux fuyardes.
- Qu’est-ce que vous bricolez ? bégayais-je en les voyant affronter deux spectres, qui se désagrégèrent avant de tomber au sol.
Marisa hulula, grattant le sol, sur lequel j'avais laissé une trace humide lors de ma remontée. Le substrat était un peu différent, une étrange poussière noire formait comme une croûte solide, qui s’éparpillait si je la raclais avec les ongles. C’était comme de la cendre, mais très sombre, différente de la masse grise qui restait autour de mon feu. L’odeur était pourtant similaire, mais en un peu plus piquante. Marisa poussa quelques notes courroucées, la tête relevée avec une expression hautaine. La chouette bougea, suivant le pokémon de glace, qui semblait danser au milieu de l’îlot. C’était un spectacle curieux de voir les mouvements hésitants du petit golem, qui sautait sur ses petits pieds, adoptant une démarche de culbuto.
Silencieuse, je suivis du regard ma Noarfang employer son pouvoir psychique pour dégager la couche de roche supérieure, dévoilant une gemme d’un bleu clair comme le ciel, teinté de stries violacées qui reflétaient l’aura mauve de Marisa.
Hécate sautilla et posa ses deux pattes sur la pierre. Au moment ou elle sautilla à pieds joints dessus, une vague d’énergie se dégagea de la pierre, enveloppant la petite Stalgamin, qui se mit à pousser un petit gémissement. Son corps sembla absorber la puissance dégagée, se mêlant à la sinistre énergie ambiante de la grotte. Une âme trop proche et trop téméraire fut drainée, son flot entourant le corps élancé de mon pokémon. Le pokémon spectre sembla étiré en un filament bleuté, avant d'être comme avalé. Cela me rappela la fois ou j'avais failli m'étouffer en avalant des spaghettis.
Hécate émergea finalement de la lumière, totalement transformée. Elle avait une expression de fierté sur ses traits, alors qu’elle flottait, laissant glisser derrière elle ses longs appendices.
Elle était d’une grande beauté, silencieuse et sereine. Son visage de glace semblait empli d’une étrange chaleur attirante.
Avec douceur, je la pris dans mes bras, la regardant de près. Ses yeux d’un bleu glacier intense me pénétrèrent, alors que ses cornes reflétaient de faibles lueurs. Elle me regarda avec une tendresse presque maternelle.
- Tu es magnifique, murmurais-je, alors qu’un halo de givre sortait de ma bouche.
Elle était absolument splendide. Je ne pouvais m'empêcher de la contempler. Je me perdais dans ses yeux, admirant mon reflet, saisie par la magnificence de sa peau.
Une petite brume persistante gagnait ma vision, alors qu’une pellicule de givre couvrait mes doigts.
- Recule ! cria brusquement Aiko en me repoussant en arrière.
La punk me fit tomber au sol, alors qu’une aura rouge l’entoura subitement et qu’elle détourna l’attention de Hécate.
Je me relevai péniblement, mes doigts glacés et aux extrémités d’un violet cadavérique peinant à me soutenir.
Je mis quelques secondes à comprendre, mon esprit commençant à réagir, un peu comme un ordinateur qu'on aurait redémarré. Je repensai aux lignes du pokédex, lorsque j'avais cherché à me renseigner sur le pokémon que j'avais pensé acquérir. J'avais beaucoup lu sur Momartik. L’esprit des glaces était protecteur et esthète, aimant conserver éternellement ses trophées, par le biais de la cryogénie.
J’avais du mal à le réaliser, mais mon pokémon avait tenté de me changer en une statue de glace.
Aiko était en plein combat, repoussant une vague de poudreuse tourbillonnante. Sa Feuforêve luttait pour rester en équilibre au milieu de la tempête, tandis que Hécate projeta une balle spectrale.
- Heureusement que l'autre cultiste veillait sur nous ... Franchement, à quoi tu t’attendais ? me provoqua l’autre cynique conseillère. Tu n’as pas cette relation fusionnelle avec Hécate, comme tu l’as avec Amazonas. Vous ne vous connaissez que depuis quelques jours … Ta Momartik est loin de te considérer avec affection et d’éprouver ce désir de privilégier ton bien être … ou du moins de le faire passer avant son désir d’esthétisme. Sans ta pseudo-maîtresse, tu aurais fini en une belle statue de glace.
- J’aimerais ne pas avoir fait cette erreur, confessais-je à l'insupportable autre personnalité qui ne cessait de pointer mes erreurs.
- Moi aussi. Tu n’es pas invincible pour le moment.
- Que veux-tu dire ? m'empressais-je de demander, saisissant la perche qu'elle m'avait évidemment tendit.
Je pouvais sans problème l'imaginer me sourire et ce rictus me fit frémir.
- Tu sais, quand tu choisiras de t’unir avec un spectre … je préférerais que ce soit avec nous. Une fois réunis, une fois ta volonté et ton pouvoir renforcés par nos capacités, nous pourrons devenir le héraut du Grand Seigneur.
- Tu n’es pas moi … c’est ça ? murmurais-je doucement, acceptant enfin l’idée que cette voix n’était pas entièrement la mienne.
- Oh si. Je suis Elizabeth Noyer, du moins si elle choisit la voie de la grandeur. Je suis toi, mais une toi confiante et qui cesse de se poser des barrières mentales. Je suis toi et tu es nous ! Nous n’aspirons qu’à faire un.
A ce moment, Hécate stoppa sa lutte contre Aiko. La pokémon des blizzards recula, reconnaissant la défaite. Tête basse, elle se posa devant moi, s’agenouillant comme pour s’excuser.
Aiko resta en retrait, essuyant ses lèvres d’un revers de son gant.
Face à mon pokémon qui baissait toujours la tête, je fermai les yeux. Doucement, je me mis à caresser ses cornes semblables à des saphirs, ressentant le froid m’envahir.
Elle semblait pulser d’une aura toujours froide, mais comme en … absence d’adéquation avec moi.
- Tu sais ce qui me taraude, Hécate ? tu le sais, n’est-ce pas ? l’interrogeais-je en restant vague.
Hécate poussa une légère plainte, semblable à une bourrasque sur une plaine dénudée. Oui … nous n’étions pas en phase. Nous n'avions pas de lien fortement établi.
Je la rappelai, la ramenant dans sa ball, à un endroit ou elle ne pourrait pas me menacer. Au moins, elle n'interférerait plus avec les désirs de mon coté sombre.
- Que veux-tu faire de moi ? demandais-je alors à l’autre être en moi.
- Nous unir … devenir … un titan parmi les mortels. Tu es l’élue … celle destinée à être le héraut du dieu. Tu es destinée à porter la couronne d’os de ce monde, à le régenter pour le dieu des tréfonds.
Je détournai brièvement mon regard vers Aiko, qui se limait les ongles en attendant. Je ne savais toujours pas comment considérer toutes ces informations. Devais-je continuer mon rôle d'agent double ? Devais-je sincèrement jurer fidélité à un culte dont j'ignorais les principaux objectifs ? Devais-je doubler et trahir tout ce beau monde pour le pouvoir que l'on me promettait ?
- Et elle ? demandais-je à mon hôte. Qu’en est-il de l’ordre ?
- La femme qui t’a menti et qui se sert de toi pour ses intérêts ? ricana l’autre à la voix si discordante. Sois sincère … quelle valeur a t-elle ? Absolument aucune, continua t-elle avant que je ne puisse objecter. Elle vit, tant mieux … Elle se met sur ta route, elle meurt. C’est aussi simple que ça. Dans ce monde, il y a les forts et les faibles et … n’oublie pas qu’elle t’utilise pour prendre l’ascendant dans son ordre.
- Ouais … mais qu’est-ce que j’ai de spécial ? Ou plutôt … qui es-tu donc réellement pour que ma fusion avec ton âme fasse de moi une personne si spéciale ?
- Nous n’avons pas de nom … nous sommes le guide du héraut … nous devons assister l’élu. Nous sommes ici pour conseiller le monarque des os et préparer son règne éternel pour qu’il gouverne ce monde au nom du seigneur des tréfonds.
Je ne compris pas. Pourquoi tant de réponses sibyllines ? Qu’avais-je de spécial ?
- C’est le destin qui t’a choisi. Tu as pris la pierre et l’a gardée. Tu aurais pu la rejeter, tu aurais pu la donner à quelqu’un d’autre, mais la sensation terrifiante en elle t’a apaisée et … tu l’as désirée. Tu as choisi d’être avec nous, même si tu ne nous as pas encore accepté. Ou plutôt, tu nous a acceptés, mais tu ne l’as pas encore admis.
Mon reflet me sourit, ses yeux luisant d’un vert vénéneux. Elle me tendit la main, douce et séductrice, confiante et apaisante.
- Tu sais ce que tu dois faire. Tu dois juste ouvrir pleinement ton âme et ton cœur.
- Pas aujourd’hui … et pas tant que tu n’auras pas dévoilé ta véritable identité.
Elle rit, rejetant ses beaux cheveux sombres en arrière.
- Je suis beaucoup de choses. Je suis une part de toi et … de tous ceux qui ont jadis échoué à devenir le héraut de notre Grand Seigneur. En votre langue, vous nous nommez Spiritomb.