Chapitre 40: Les ombres se dévoilent
Les Cornèbre tourbillonnaient autour de l'arbre au tronc large. Adossée sur l'une des épaisses branches, la silhouette menaçante se redressa. D'un geste maîtrisé, l'inconnu bondit vers le sol, atterrissant les pieds joints, pour nous faire face.
- Qui que vous soyez, montrez-vous et rendez-vous, demanda l’inspecteur qui continuait de garder sous surveillance les deux sbires de la Team Galaxie.
L’inconnu retira sa capuche et laissa retomber le haut de sa cape sur sa poitrine. La femme qui venait de se révéler avait un regard aussi sinistre que l’autre timbrée de cultiste que j'avais croisée à Bonville. Ses cheveux décolorés étaient coiffés en une étrange crête, lui donnant l’apparence d’un Silvallié, tandis que son maquillage d’un noir intense contrastait avec sa peau d’une blancheur osseuse.
- Désolé le vieux, mais j’ai pas le temps de me soucier de toi, répliqua t-elle en faisant claquer sa langue. Je dois discuter avec la gamine, entre filles.
- Je ne vais pas vous laisser faire, s’opposa l’agent de police.
A cet instant, les deux sbires tentèrent de prendre la poudre d’escampette, voyant qu'ils en avaient l'opportunité.
A peine eurent-ils fait quelques pas, qu'une violente lame d’air venue du ciel s'abattit sur eux et les frappa. La douleur les saisit d’un seul tenant, mais leurs nerfs n'eurent même pas le temps d'envoyer plus qu'un bref signal. Leurs yeux eurent à peine le temps de s’écarquiller en recevant l'influx électrique, que leurs muscles cessèrent de répondre. Les diaphragmes fendus ne purent jamais se comprimer pour leur permettre de hurler. Les deux agents de la Team Galaxie s’écrasèrent au sol, tranchés net par la bourrasque.
Je ne pus retenir un hurlement, face à cette masse de chair ensanglantée qui souillait l'herbe. Ces quatre demi-corps étaient encore vivants et conscients deux secondes auparavant. Ce qui était autrefois des hommes, n'était plus désormais que des corps découpés sans aucune pitié.
- Désolé les débiles, mais la Team Galaxie ne servira bientôt plus à rien, annonça un homme à l’imposante carrure, qui était assis sur un splendide Airmure aux ailes effilées.
Le nouveau venu avait une flamme sombre dans le regard, semblant me glacer le sang. Il me dédaigna pour se focaliser sur l’agent aux tempes grisonnantes.
- Ca fait un bail, James, salua t-il en mettant deux doigts sur le côté de son front lardé de deux cicatrices.
- Cinq ans que je te cours après, Hermann, confirma Beladonis, comme s’il parlait à un vieil ami, bien que la froideur de son ton indiquait tout le contraire.
La femme à la crête de punk sourit, avant de se retourner vers moi.
- Bon, tu sais ce que ça signifie ? me lança t-elle en rejetant ses mèches sur le côté.
- Vous êtes des monstres, des meurtriers … bafouillais-je, les dents serrées.
- Ouais, mais nous on a au moins l’honnêteté de l’admettre. Tu joues les saintes-nitouches, mais tu es aussi une tueuse. Dis-moi, Sainte Elizabeth, tu as tué combien de pokémon ?
A ce moment, le visage d’une petite fille me revint en tête, une enfant tenant un Cheniti et dont j’avais complètement oublié le nom. Ce visage embué de larmes, ce cœur que j’avais brisé, il me semblait si flou, si éloigné. un peu comme un vague souvenir agaçant que j'avais relégué, un peu comme une mauvaise note à un devoir sans importance.
- Tu vois ? confirma t-elle alors que mes expressions faciales trahissaient mes doutes. Toi aussi tu es un monstre, tu es une ordure qui se fout de ce que ressentent les autres.
- C’est faux, je ne voulais pas …
- Oh arrête ton boniment ! s’agaça la punk. Tu as accepté le combat et ce que ça implique. Tu joues les saintes, mais tu es exactement comme nous ! Tu te mens à toi même pour garder soi-disant bonne conscience, mais ce ne sont que des excuses vides de sens ! Tu as peur de franchir ce nouveau seuil et de progresser. T’as pas remarqué qu’à chaque fois que tu tues ou que tu perds un pokémon, ça devient plus facile ?
Je ne savais pas quoi dire, à part qu’elle n’avait pas totalement tort. J’avais envoyé un Nosferapti à la mort trois jours après sa capture, sans éprouver beaucoup de chagrin.
- Si … c’est vrai.
Ca me faisait mal de l'admettre, mais je me doutais qu'elle pouvait voir à travers un mensonge.
- Ah tu vois ? conclut-elle, l'air satisfaite de me voir accepter ses prémisses. C’est parce qu’en fait, ton esprit s’habitue à voir la véritable réalité de ce monde.
Je restais bloquée, alors que la punk m’observait calmement, jouant avec l’anneau qu’elle portait à son oreille.
- Tu sais … tu te défends bien, malgré ton jeune âge. Tu pourrais nous rejoindre, tu pourrais trouver ta place avec des gens qui te comprennent et … qui sont exactement comme toi.
Je ne savais pas pourquoi, mais une part de moi voulait bien la croire.
- Ca peut être intéressant, murmura une voix trop familière au coin de mon tympan. Au pire, on peut les rejoindre, juste pour voir, continua l’autre insupportable voix en moi. Ensuite, s’il s’avère qu’ils ont menti ou qu’ils ne comptent pas tenir leur promesse … on se tire.
Ce choix était cornélien, alors que la punk sortit un pokémon.
- Quoi qu’il en soit, je ne vais pas pouvoir te laisser agir contre nos intérêts et aider Beladonis.
A ce moment, je sentis quelque chose se glisser dans ma poche, comme si une main fantomatique la tâtait. Je réprimai un tressaillement de dégoût, alors que je me concentrais sur le Feuforêve qu’elle venait de faire apparaître.
- Fernando, Tonnerre.
Mon gros matou projeta un éclair dans la direction du fantôme au collier pourpre, qui esquiva aisément. Le spectre disparut dans le sol, avant de surgir derrière Fernando et de le percuter, entouré d’une aura d’une belle couleur de Danube azur. Le choc de l'énergie spirituelle projeta le félin sombre en l’air, qui rugit tant sous le coup de la douleur que de la consternation.
Le pelage noir et hérissé projeta plusieurs éclairs autour de lui, dont un qui atteignit le spectre adverse. Cependant, la hargne de mon pokémon et son envie de se battre lui faisaient dépenser beaucoup d’énergie sans grand succès. Il tentait de saturer la zone ou son opposant était, mais la plupart de ses éclairs percutaient les herbes folles.
Lorsqu’il retomba au sol, j’eus comme un pressentiment.
- Morsure en dessous !
Fernando sauta sans réfléchir et plongea les crocs en avant. Une silhouette bleuâtre émergea du sol et les dents acérées de Fernando cisaillèrent l’un des tentacules sombres servant de chevelure au pokémon.
Ce dernier ne resta pas inactif et généra une sphère d’énergie sombre, qu’il projeta sur Fernando. La vague d’énergie sembla submerger la conscience de mon félin et Fernando s’effondra, retombant lourdement.
Je le rappelai, paniquée, avant qu'il ne percute le sol. Au moment ou j'hésitais pour faire appel à Lucille ou Myrtille, le Feuforêve sembla me fixer intensément.
- Tu réalises désormais la supériorité des pokémon spectre ? se vanta alors la provocante femme. Insensibles à la plupart des attaques physiques, ils transcendent la matière et des concepts comme vie et mort. Ils sont une forme d’énergie bien plus élevée que les autres.
Elle sourit doucement, alors que son regard semblait exalté, en un contraste très malsain. Son pokémon continuait à me surveiller, mais ne semblait pas hostile. Il n’était visiblement pas présent pour me blesser, mais juste pour m’empêcher d’aider Beladonis.
- Donc on regarde le spectacle ? ironisais-je en observant que l’agent Beladonis semblait avoir l’avantage.
- C’est très intéressant, dit la punk en s’approchant, avant de glisser une main autour de ma taille.
Je fis un pas sur le côté, m’éloignant de cette femme un peu trop tactile à mon goût.
- Oh, tu es une timide ? s’amusa t-elle en s’approchant.
- Non, mais je n’ai guère envie que vous me colliez tant. C’est très gênant, la repoussais-je en mettant trois mètres entre nous.
Elle rit, exposant son piercing à la langue, jouant avec mes cheveux.
- Oh, mais tu sais, on peut s’arranger. Je suis certaine que si je te prends sous mon aile, tu pourras devenir une puissante dresseuse. Tu as le potentiel de devenir une très puissante dresseuse.
- Mais moi, ce que je veux, c’est devenir maître pokémon, me prouver à moi-même que je peux le faire.
- T’es à des années-lumières de pouvoir y arriver. Sans spectre, tu n’as aucune chance, crois-moi.
J’allais prendre le risque. Je fis appel à mon Etourvol, qui piqua sur le spectre ennemi. Le Feuforêve tenta d’esquiver les piqués, y parvenant à peu près, bien qu'il était assez lent lorsqu'il flottait dans l'air. Les ailes de Carotte scintillèrent et il percuta de plein fouet le spectre ennemi.
Le Feuforève poussa un cri sépulcral et se replia brusquement, alors que mon pokémon s’entoura d’une aura lumineuse. Etourvol grandit, son bec grossissant de façon démesurée. L'oiseau de proie acheva sa métamorphose pour devenir un énorme rapace. Carotte avait évolué, devenant un splendide Etouraptor. Mon large pokémon fixa alors la punk d’un regard mauvais.
- Bon, bah moi, je m’arrache ! salua l’étrange femme, disparaissant alors dans un éclat de lumière.
Face à moi, les deux autres finirent leur duel. Le mystérieux attaquant avait été vaincu et Beladonis sortit ses menottes pour l’arrêter.
- Tu sais que ça ne sert à rien. Je serais vite dehors.
L’inspecteur l'ignora et me sourit légèrement.
- Merci de votre coopération, Mademoiselle Noyer. Au moins, nous allons pouvoir avoir une personne à interroger.
- Vous savez, je n’ai pas fait grand-chose, refusant d’être tant complimentée pour avoir tapé la discussion avec une ennemie.
- Parfois, il ne s’agit pas juste de gagner par la force brute. Faire parler l’ennemi et lui faire perdre du temps est tout aussi important. Ce sont des informations précieuses que vous nous avez fournies. Quoi qu’il en soit, je vous remercie et … je vous félicite pour votre badge.
Sur ces mots, il repartit avec son prisonnier vers Verchamps.
Je me retrouvais seule, à devoir réfléchir à ma prochaine destination.
Quelques minutes plus tard, j’entendis de petits sifflements sur ma droite. Quelqu’un tentait d’attirer mon attention en m'appelant depuis la forêt épaisse et touffue.
De plus en plus méfiante, une pokéball en main, je plissai les yeux pour tenter de discerner une quelconque forme. Une paire d'yeux gris se détacha de la végétation sombre et une femme au long manteau noir sortit de la forêt.
- Bien joué, Elizabeth, me félicita t-elle. Tu as parfaitement bien géré la situation.
- Merci, maître Cynthia. Mais … que faites-vous ici ?
- Marchons un peu, veux-tu ? dit-elle en reprenant sa route vers l’ouest, en plein milieu des sentiers qui s’égaraient entre les fosses marécageuses.
Nous fîmes de nombreux pas, dans un silence plutôt gênant et un peu suspect. Après cinq minutes, je commençai à vouloir demander plus d’explications. La blonde resta silencieuse, bien que la vis ouvrir la bouche à plusieurs reprises, avant de la refermer aussitôt, comme si elle craignait de dire quelque chose qui pourrait être entendu.
- Je vois que tu as rencontré des membres de l’ordre de l’ombre de l’abysse, dit-elle sans ambages.
La foudre qui se serait abattue sur nous n’aurait pas pu me surprendre davantage.
- Que … comment connaissez-vous ces gens ? Comment connaissez-vous leur nom ?
- J’enquête sur ce groupuscule depuis pas mal de temps. Ils sont très secrets et, pour être honnête, c’est très inhabituel qu’ils se soient autant découverts, en particulier devant un inspecteur des forces de police. Soit c’est une erreur grossière, soit ils préparent quelque chose. A mon avis, ils voulaient être vus.
La maîtresse de la ligue semblait bien plus soucieuse que lors de notre première rencontre. Sa peau avait légèrement pâli et ses cernes étaient un peu plus prononcés. Elle semblait comme rongée par le stress et l’inquiétude.
- J’aimerais que nous ayons une discussion au plus vite à Célestia, mais plus discrète que sur cette route. J’ai d’autres soucis à gérer en plus de ces criminels, je dois assister à de nombreuses réunions avec différentes instances étrangères … alors disons le 22 décembre, à la résidence Karashina, à 10 heures. Ce sera le lendemain de la cérémonie du solstice, ça devrait t’intéresser. Tu es une voyageuse curieuse, ces vieilles traditions devraient être captivantes. Moi, je les ai déjà vues de très nombreuses fois.
Ca me laissait un mois pour remonter vers la vallée.
- Très bien, Maître. J’y serais. Mais ... pourquoi voulaient-ils se montrer ?
Elle poussa un petit rire, alors qu'elle remontait sur son dragon à la peau épaisse.
- Oh, encore une fois, tu te mens à toi-même. Tu sais ce qui les intéresse. Tu as compris.
Oh oui, je le savais. Mon esprit avait très vite fait le lien, dès qu'ils avaient éliminé les témoins gênants de la Team galaxie. Les cultistes s'étaient dévoilés et m'avaient jaugée. Ils m'avaient testée.
- C'est moi qui les intéresse, formulais-je d'une voix étranglée.