Chapitre 36 : La route de la vallée
Voilaroc était derrière-moi et il était hors de question que je me retourne pour regarder cette maudite ville.
Même si la colère n’était pas une bonne conseillère, cette mauvaise compagne avait toutefois la délicatesse de partir assez rapidement et de me laisser avec mon amertume. Je compris finalement pour quelle raison Robin avait été si agressif après notre chasse. Cette sensation de défaite, même alors qu’on avait gagné aux yeux des autres, était une immense frustration. C’était un mélange de fiel et de rancœur, mêlé à la déception de ne pas avoir été à la hauteur. Les autres pouvaient être des juges, mais au fond de moi-même, c'était ma vision des choses qui l'emportait en m'imposant mon code moral.
Pourtant, à mesure que je marchais, le vent s’engouffrait sous mon T-shirt, me rafraîchissant. Le vent purifiant et la solitude finit peu à peu par me laisser juste avec mon chagrin. La forme plate de Planck qui tourbillonnait joyeusement sans rien me dire, juste en étant là ... c'était fini et rien que de revoir ces images, ça faisait toujours mal.
Alors que je me calmais peu à peu, le destin sembla vraiment décidé à me tester. Une dresseuse me défia au bord d’un point d’eau, voulant absolument me faire la démonstration de la puissance de son pokémon.
Son Poissirène semblait pathétique au premier abord, jusqu’à ce qu’il se mette à bondir hors de l’eau. Sa corne luisit d’une aura rouge, alors qu’il tenta de perforer la carapace d’Amazonas. D'instinct, mon pokémon roula de justesse, perdant un buisson au passage.
Heureusement qu’il avait eu ce réflexe, sinon j’aurais pu perdre …
Je ne voulais même pas y penser en réalité.
Je ne voulus plus y penser.
La sueur coulait dans mon dos, alors que je me sentais comme un automate, marchant sans réfléchir. Ce n’est que lorsque la fatigue prit le dessus, que je me laissai tomber au pied d’un rocher.
D’un geste, je libérai mes pokémon et leur servit à manger, bien que Amazonas se soit déjà mis à arracher des branches d’arbustes secs. Je restai allongée, fixant le ciel, pensive, pensant à toutes les bourdes que j'avais accumulées. J’étais bien trop impulsive, me laissant trop souvent emporter par mes émotions. J’étais un tourbillon en pleine activité, qui avait tendance à d'abord ses émotions parler. Je pouvais être calme et réfléchie en combat, mais la pression pouvait vite me faire craquer et me refaire tomber dans ces dangereux travers.
Une autocritique sur moi-même plus poussée serait nécessaire, mais en ce moment, je voulais juste me reposer et mettre ce désagréable moment de côté plus tard. Je me contentai juste de chasser ces sentiments qui s’agitaient en moi.
- C’est ça … murmura la voix en moi avec un ton réprobateur. Repousse tes émotions et choisis de devenir une coquille vide. Complais-toi dans l’apathie … car elle est moins effrayante que la puissance que tu pourrais gagner. Tu prétends essayer de rester vide, mais tu en es incapable.
Sans que je ne sache pourquoi, mon silence généra un sentiment de satisfaction quelque part dans mon inconscient.
- Lorsque ton insatisfaction détruira encore une autre de tes défenses, tu viendras chercher ce pouvoir qui réside en ton cœur. Après-tout, ta frustration s’accroît à chaque défaite.
- Ta gueule et laisse moi dormir, ordonnais-je en me blottissant dans mon duvet et sombrant dans le sommeil.
- Vous les humains vous êtes si complexes … mais au final, toutes vos clés de lectures se résument si facilement, conclut la voix dans mon rêve.
Je ne sus pas pourquoi, mais lorsque je m’éveillai le lendemain, ce fut avec une étrange satisfaction en moi. Ma mélancolie avait été comme artificiellement chassée et j’en étais satisfaite, même si j’ignorais la cause. Je repoussai cette question, trop contente d'en subir les conséquences positives, pour en chercher les véritables causes. Ca devait être elle, mais qu'importe pour le moment.
La journée s’annonçait particulièrement chaude aujourd’hui, alors que le soleil brillait déjà dans cette vallée orientée plein sud. L’été s’attardait encore en cette fin d'août et les herbes jaunies étaient nombreuses, éparses entre les pierres brunes. Ce dédale de graminées craquait facilement à chaque pas, trahissant ma présence aux petit Charmillons et autres Abos qui se réchauffaient sur les éboulis écrasés par la chaleur.
J’avais réussi à trouver la piste qui traversait la vallée, enjambant un petit cours d’eau dont les berges étaient faites de vase séchée. Le seul autre sentier était situé plus haut et surplombait le val, mais il s’agissait d’une voie sans garde-fou et à flanc de falaise. C'était beaucoup trop dangereux pour moi et les éboulis fréquents qui formaient des chaos pierreux étaient un autre indice des périls guettant l'inconscient qui emprunterait ce sentier à flanc de falaise.
J’avançai en écartant les quenouilles dorées comme les blés, entendant quelques murmures à proximité. Il devait y avoir quelques pokémon à observer et je voulus en savoir plus.
La discrétion n’était pas une option au milieu de ces herbes sèches, qui craquaient dès que je les touchais et que je les écartais. Peu discrète, j’entendis un petit renâclement non loin. Au détour d’une touffe de tiges d'orge, je pus voir une silhouette quadrupède qui arrachait des herbes à l’aide de sa gueule bardée de huit énormes incisives. La créature sembla remarquer ma présence et me regarda, les plaques de corne et de roche cliquetant alors qu’elle se tourna lentement vers moi.
- Kor ! gronda t-il d'un ton grave, sa patte droite grattant nerveusement le sol.
- OK. Pire idée du monde … je vais te laisser.
Je fis quelques pas en arrière, juste à temps pour voir un autre mastodonte de pierre émerger. Le second spécimen, un peu plus gros, tourna son large crâne vers le petit, avant de regarder en ma direction, tandis que je continuais à reculer, sans pour autant lui montrer mon dos.
Un hurlement plus tard, le monstre commença à charger et je me jetai sur le côté, juste à temps pour le voir poursuivre sa course. Le Rhinocorne rata complètement son virage. Il freina trop tard et bascula sur le côté, roulant dans la masse de végétaux.
Je n'allais pas rester ici. Je me relevai bien vite, rejoignant le chemin couvert de petites pierres qui glissaient sous mes semelles. Je ralentis l'allure, pour éviter de me fouler une cheville. Mieux valait se jeter sur le côté et s'entailler les bras sur ces pierres, que de ne plus pouvoir marcher et de se faire empaler ou piétiner par une tonne de fureur.
Le son de la cavalcade reprit derrière moi et un coup d’œil par-dessus mon épaule m’indiqua que le Rhinocorne avait repris sa course, décidé à me chasser. Le martèlement des pas accéléra, le grondement des naseaux écumants trahissaient sa rage.
Je pris la fuite en zigzaguant, choisissant volontairement d’adopter une trajectoire illisible, de façon à brouiller la piste que le Rhinocorne aurait beaucoup de mal à suivre, puisqu'elle l'obligerait à faire de longs dérapages. Après quelques dizaines de mètres, le sol pierreux laissa place à de la terre sèche et des herbes.
Haletante et en sueur, je bondis par dessus un rideau d'herbes, pour arriver face à un couple de Malosse. Les deux pokémon furent surpris avant de montrer les crocs, mais je profitai de mon élan pour sauter par-dessus ces deux chiens et continuer ma fuite.
- Désolée ! haletais-je aux deux canidés, que j’entendis alors pousser des jappements de terreur, lorsqu'ils firent la rencontre de l’énorme créature aux plaques grises qui continuait sa frénétique poursuite.
Après un nouveau détour, je fis face à la rivière qui coulait paisiblement. Je ne ralentis même pas et je sautai à l’eau, nageant rapidement pour franchir l’étroit bras d’eau.
Derrière-moi, le Rhinocorne atteignit la berge en envoyant valser les gravillons, mais il freina subitement lorsqu’il approcha de la rive. Instinctivement, il freina des quatre pattes, entraîné par sa vitesse au point de mettre le visage dans l’eau.
Il recula, grondant, avant de m’observer depuis sa rive. L’animal sauvage me regarda, avisa l'eau et répéta ce cycle trois fois. A mon immense soulagement, il finit par abandonner la poursuite et retourna dans les herbes.
Sur l’autre rive, je soufflai de soulagement en jetant mon sac imperméable sur la rive, avant de retourner dans l’eau pour me rafraîchir. Je repris mon souffle, m’asseyant en restant immergée jusqu’aux épaules.
- Note à moi-même, marmonnais-je dans ma barbe, retrouver un pokémon volant pour pouvoir surveiller les alentours.
Avec cette chaleur, les vêtements séchaient tout seuls. C’était le seul avantage de la température étouffante qui régnait ici. Au moins, la chaleur était sèche, mais dès que j’aurais atteint la côte, ce ne serait plus la même chose.
Les jours suivants, en approchant des rives du lac Savoir et de la côte, la chaleur diminua, alors que l'atmosphère se fit plus humide, avec une impression de moiteur persistante et de plus en plus désagréable. A part les parasites et les moustiques qui pullulaient dans cette zone bien verte, le voyage fut très monotone. Aux abords du rivage, sur les berges du lac Savoir, je pus cependant rencontrer un autre pokémon. Un Etourvol sauvage rejoignit mon équipe, un pokémon dont le long bec orange me donna l’envie de le surnommer Carotte.
Lorsqu’il parut devant moi, l’image de mon vieux compagnon Châtaigne me sauta aux yeux, avant de s’effacer. Carotte n’était pas Châtaigne. Ses tâches brunes et noires étaient très différentes, sans parler de sa taille. Il était un peu plus grand et avec trois rémiges légèrement tordues.
- Bonjour Carotte ! Je m'appelle Liz. Je suis ta nouvelle dresseuse.
Je restai immobile, prenant une baie en main. Mon nouveau compagnon allait probablement me tester et s’habituer lentement à moi. Carotte me fixa, ses yeux brillants ne me lâchant pas, soutenant mon regard.
- Tu as faim ? demandais-je en regardant le fruit.
Dès que je fis l'erreur de baisser le regard, il siffla et donna un coup de bec dans la baie, la rejetant.
- Quoi ? Tu penses que je vais jouer au jeu des regards ? me moquais-je. J’ai autre chose à faire que de perdre du temps à ce genre de concours puérils. Si tu n’en veux pas, tu attendras le dîner.
Carotte me regarda avec mépris. Il me fixa avec son arrogance, se mettant à pépier en battant des ailes. Face à cette réaction, je ne reculai pas, ne voulant pas paraître trop faible. Au contraire, je fis apparaître les autres membres de mon équipe pour lui montrer que je n'étais pas seule et la silhouette immense de Montagne sembla intimider efficacement l’Etourvol.
Je posai une main sur le corps d’acier froid du pokémon. Il était encore un peu froid envers moi, mais il était désormais plus résigné qu’hostile. Il avait accepté cet état de fait, mais m’en voulait encore un peu, ce que je pouvais comprendre. Je me contentai d’une petite caresse sur le corps, seul geste que je pouvais faire.
Le rapport de force était subitement inversé et Carotte le comprit tout aussi vite. Le teigneux observa les autres pokémon massifs et tenta de gonfler ses plumes. Amazonas n’en avait strictement rien à faire, pensant davantage à son ventre, mais Fernando alluma l’étincelle de la rivalité. Le félin avança calmement, avant de regarder Carotte dans les yeux. Il renifla légèrement, avant de relever la tête et de la détourner lentement. D’un seul geste, il lui fit clairement comprendre qu’il était négligeable à ses yeux, n’ayant pas encore prouvé sa valeur.
Le pokémon volant se figea, le plumage gonflé par son orgueil blessé. Il essaya bien de protester, mais les autres ne semblaient guère impressionnés. Le volatile se renfrogna et recula.
- Allez, ça va aller. Tu vas pouvoir montrer tes compétences après un peu d’entraînement.
Le pokémon sembla un peu agacé, mais ne dit plus rien, toujours peu agréable. Il bouda encore plus, mais je tendis ma main pour me présenter.
Il se contenta d’un coup de bec et d’un piaffement. Son petit coup me laissa une petite marque sur le dos de la main, qui vira bien vite au violet.
- Très bien. Dans ce cas, on en reparle demain.
Je le rappelai, voulant éviter d’agir sous le coup de la colère. Je serrai le poing, regardant ma plaie qui me fit bien comprendre que je devrais être prudente avec ce nouveau.
Montagne poussa un grognement métallique qu’il modula pour chanter quelque chose d’étrangement nostalgique.
- Merci mon grand. C’est gentil …
Je mis ma main sur son corps froid, appréciant le contact légèrement anesthésiant, bienvenu en cet automne.
Il ne dit rien de plus, avant de plonger dans le sol, forant la pierre en produisant un grondement strident, comme une meule ou le grattement d’une fourchette sur une assiette. Le vacarme fit s’envoler une volée d’Etourvol, accompagné d’une petite secousse.
Je serrai les dents, les mains sur les oreilles, avant de regarder le trou qu’il avait foré. Il semblait que Montagne ait envie de se défouler un peu et je laissai tous les autres se détendre à leur façon, tandis que je montai la tente.
Montagne allait revenir, j’en étais certaine. Cependant, une petite part de moi-même était toujours percluse de doutes. Je la fis taire, ricanant nerveusement.
- J’ai confiance en moi. Je ne suis peut être pas la meilleure, mais je vais essayer de bien les traiter et de réparer mon erreur.
- Mais en même temps, si tu n’as pas un tant soit peu confiance en toi, qui le fera ? ricana ma conscience.
- Mes pokémon … parce que ensemble, nous formons une famille. Je peux leur faire confiance et … même si je merde, ils me pardonnent. Je … je crois en eux. Maintenant, tais-toi.
Je me glissai sous le duvet. je n’arrivais pas à dormir sans au moins une couche au-dessus de moi.
Mal à l’aise, je parvins tout de même à m’endormir, Espoir était lové dans sa coquille, accolé à mon sac à la teinture qui s'était délavée sous le soleil. J'allais devoir le changer à un moment ou à un autre, les bretelles avaient les extrémités qui s’effilochaient peu à peu.