Chapitre 33 : Vice et tromperie
Après une brève analyse, je pouvais dire que j'étais dans une situation des plus défavorables. J'étais clairement en sous-nombre. Même si les sbires étaient médiocres, ils avaient deux pokémon chacun et je ne pouvais faire sortir que cinq pokémon. Montagne ne pourrait pas venir, à moins que je ne veuille démolir le bâtiment. Considérant que j'étais sur le toit au dernier étage, ce serait presque suicidaire. De plus, un de leurs cadres était avec eux, un homme calme mais au regard très calculateur, qui jetait régulièrement des regards sur une tablette. Il devait surement prendre des notes ou consulter ses schémas tactiques.
Je n'étais pas en bonne posture et leur commandant le savait parfaitement. J’allais devoir être très diplomate et agir avec une subtilité jamais employée jusqu’à présent. Mon seul atout était ma situation dans un espace public et l’espoir qu’ils n’oseraient pas griller leur couverture en agissant trop ouvertement et avec des témoins.
Inspirant calmement, je gardai une main sur le bastingage, tout en cherchant en moi le courage de les affronter. Je me tournai lentement, soupirant en affichant une expression ennuyée. Je ne pouvais pas me permettre de montrer ma crainte. Je devais absolument me contenir, ne pas trembler et ne pas bafouiller.
- Pour vous répondre, M. Saturne, je n'assouvis aucune quelconque pulsion primaire. Contrairement à certaines personnes, le fait d’être située en hauteur ne suffit pas à me faire ressentir une quelconque impression de domination. En fait, j’apprécie une douce brise, ainsi que de bonnes petites pâtisseries.
Je mâchai lentement le petit pain tiède, essuyant mes doigts gras avec une serviette décorée du logo de la boulangerie.
- Je sais qui vous êtes, mais toujours pas ce que vous me voulez.
- Je viens vous faire une proposition, exposa l’homme qui s’était annoncé sous le pseudonyme de Saturne, portant l’uniforme des cadres du groupe Galaxy.
Mes pokémon s’étaient levés, menaçants. Ils tournaient leurs têtes vers les sbires, prêts à agir.
- Doucement Amazonas. Nous ne voulons pas dévaster tout le centre commercial. Ce serait très problématique si nous nous écrasions d’étage en étage, jusqu’au sous-sol.
La menace n'était pas tant pour lui, que pour eux, afin d'éviter qu'ils ne se sentent trop en confiance. Je me tournai vers le fameux cadre, avec une voix bien moins douce.
- Je vous écoute.
- Je souhaiterais vous offrir d’intégrer notre organisation. Vous pourriez vite monter en grade et vous pourriez appartenir à une compagnie qui ne vous offre pas seulement de l’argent, mais aussi un idéal et la gloire de créer un nouveau projet.
Son petit laïus fini, je restai silencieuse.
- Vos objectifs … c’est quoi exactement ? demandais-je, le voyant sourire légèrement car le Poissirène avait titillé l’hameçon.
- L’unité de tous, avec la fin des conflits entre individus. Nous avons pour objectif de faciliter la paix et de créer un monde équilibré ou tous seront libérés de leurs douleurs.
- D’accord … c'est ambitieux et complexe. Voyez-vous, je veux devenir maître pokémon. Je ne fais ça ni pour le pouvoir, ni pour la gloire, mais juste pour me prouver que je peux le faire. Le problème de mon ambition, le principe même qui la sous-tend, c’est qu’il n’y a qu’une seule place au sommet. De plus, vu mon tempérament, je ne sais pas si je suis vraiment la mieux placée pour me fondre dans le rang et enfin … je ne compte pas vous donner mes pokémon.
Il ferma les yeux et massa sa tempe, cherchant ses mots.
- Nous avons du personnel qualifié pour ça. Ce n'est pas le point le plus problématique dans le recrutement de nos cadres.
Je repensai à l’ignoble braconnier que j’avais rencontré, portant une fourrure de Moufflair, durant l’épisode de ma rencontre surprise avec un Leveinard. Ce serait bien leur genre de se fournir de façon illégale, avec des trafics de pokémon protégés et de l’élevage intensif. Par contre, les quatre sbires identiques, tels des clones, avaient quelque chose d'inquiétant.
- Vous ne m’avez pas répondu pour mon autre question. Qu’ai-je à gagner à accepter votre offre ?
- En plus de participer à notre nouveau futur ? Nous laissons à nos commandants beaucoup d’autonomie pour leurs activités et nous versons un bon salaire à nos employés. Si vous souhaitiez devenir Maître Pokémon de Sinnoh, sachez qu'un cadre qui ferait ses preuves pourrait bénéficier d'un soutien logistique ... après un entraînement poussé et rigoureux. Affronter le Conseil des Quatre et le Maître est loin d'être une sinécure.
Au final, ça n’avait absolument rien de tentant. Il n’y avait aucune garantie claire, juste de vagues promesses. Pour autant, je ne pouvais pas lui dire non tout de suite. J’étais seule, entourée par ses sbires, en infériorité. Refuser signifiait s’attirer leur hostilité immédiate et sans retour.
- Je ne sais pas, dis-je en feignant l’hésitation … je dois réfléchir. C’est un choix très difficile, vous en conviendrez.
- Ne réfléchissez pas trop longtemps, Mademoiselle, dit-il en se retournant, claquant des doigts pour signifier à ses hommes que la discussion était finie.
Ses sbires reculèrent, se retournant en un mouvement synchrone qui était impressionnant à voir. L’ensemble quitta la terrasse d’un même mouvement.
- Le temps de ma réflexion m’appartient à moi et à moi seule, commandant Saturne, le prévins-je en reprenant ma contemplation, l’observant s’éloigner du coin de l’œil.
Quand il disparut du toit, je sentis mes jambes flageoler. La pression accumulée sembla brusquement s’évacuer et l’adrénaline s’estompa.
- Je ne les laisserais pas gagner … je refuse d’être leur servante, sans parler de porter cette ridicule coupe au bol et cette teinture immonde.
Fernando poussa un petit cri, approbateur.
Je descendis les étages avec lenteur, prenant mon temps pour faire quelques emplettes. J’avais économisé une assez belle somme d’argent et même ces achats m’avaient laissé de quoi vivre correctement pour plusieurs semaines. Le combat contre le champion serait une bonne source de revenus complémentaires.
Finalement, au vu de la belle somme me restant en poche, j’allais pouvoir profiter du casino. Un second regard sur les billets contenus dans mon portefeuille m’incita juste à être prudente. Si je me contentais de ne dépenser que 2 000 pokédollars et à ne pas céder au démon du jeu, je ne courrais pas grand risque.
Le casino était différent de ce que j’imaginais. En lieu et place d’un bâtiment aux couleurs vives, les murs étaient d’une rigidité et d’une blancheur dont la sobriété le disputait à l’harmonie. La lumière provenait de nombreux néons qui luisaient, même en plein jour.
A l’intérieur du casino, l’ambiance était plus vive, les murs étaient plus colorés. Les tapis étaient impeccables et de nombreux clients dilapidaient leurs salaires autour de roulettes et autres tables de jeu. Mon regard perdu attira l’attention d’une hôtesse perchée sur des talons vernis. Elle était vêtue d’un simple justaucorps noir, ses jambes galbées étaient couvertes de résilles.
- Bienvenue au casino de Voilaroc, me salua t-elle de toutes ses dents droites et blanches, faisant un salut de son haut de forme.
- Bonjour, bafouillais-je face à ce décolleté plongeant. Je … voudrais jouer. J’aimerais acheter des jetons.
Elle m’indiqua la billetterie, pour que je puisse dépenser mes richesses auprès d’un homme à la moustache bien taillée. Alors que la femme au bustier provoquant me laissait, l’homme au costume sans le moindre pli me vendit une cinquantaine de jetons, avant de revenir à sa comptabilité.
Tout tournait autour de moi. Les cartes glissaient, les dés roulaient, les pièces tintaient … Je ne savais pas par ou commencer. Le regard charmeur d’un croupier m’interpella et je fus comme attirée par lui.
Je m’assis à une table de black-jack, alors que le croupier distribua les cartes. Il ne fallut qu’une dizaine de minutes pour que je réalise l’expression « la maison gagne toujours. » Ma déception fut grande, alors que je connus pas vraiment le frisson du gain tant décrit. Je connus juste une fois de plus le détestable sentiment d’être arnaquée.
Déçue de ce manque de succès, je m’installais à une machine à sous, observant ce levier que beaucoup tiraient. Autour de moi, plusieurs personnes tentaient d'aligner les mêmes symboles, mais peu gagnaient.
Comme tous les Poichigeon, il fallait bien que je teste. Je mis une pièce, tirant le levier. Les chiffres tournèrent, mais ne débouchèrent sur aucune combinaison. Un autre essai s’avéra aussi infructueux, tout comme le troisième.
- Vous aussi avez cédé à l’appât du gain ? ironisa la voix familière de l’agent Beladonis,
Il avait du se glisser parmi les autres clients, profitant de la cohue. Je ne l’avais pas vu, alors qu'il était noyé dans la dense foule de clients qui jouaient.
- Vous me suivez, on dirait. Je ne compte pas me ruiner. Je compte juste perdre mes derniers jetons, mais … vous devez déjà le savoir.
- Je ne vous suis pas, me contredit il, alors qu'un pli agitait sa tempe grisonnante. Vous n’êtes pas le centre du monde. Je suis ici pour quelqu’un d’autre, je m’intéresse à certains habitués.
Son regard gris et fuyant indiqua alors une personne située un peu plus loin, dans la rangée précédente. Je suivis le regard de l’agent, qui retourna s'asseoir à sa machine.
Je pus revoir une vieille connaissance. Une rousse familière était en train de pester sur une machine, tandis qu’un homme était à coté d’elle, gardant son calme. Je la reconnus sans problème à son visage dur et son regard empli de cette lueur fiévreuse, alors qu’elle perdait de plus en plus sa patience, à mesure qu'elle en faisait de même avec son salaire. Entre deux pressions sur le levier, l’homme glissa quelque chose dans la poche de la femme.
- Ils sont partout ici, avec pignon sur rue ! murmurais-je à l'enquêteur avec une voix un peu trop aiguë. Ils ont tenté de me recruter sans même tenter de se cacher.
- Vous avez refusé, semble t-il. Je sais déjà tout, votre hésitation maladroite n’a pas été très goûtée par la Team Galaxie. A votre place, j’irais vite défier le champion, puis j’irais à Verchamps. Très … très vite. La championne n’a pas beaucoup d’expérience en politique, alors ne comptez pas sur elle pour agir contre ce groupe.
- Ouais, je pense que je vais faire ça. Mais vous saviez déjà que je ne comptais pas rejoindre leurs rangs.
Je mis le dernier jeton, qui fut avalé par la machine. Une pression sur le levier plus tard, la machine me méprisa une fois de plus.
- Bon, voilà. Je vais y aller. C’était … très enrichissant. Du moins, pas financièrement parlant.
- Prenez soin de vous et … faites attention. Evitez de revenir ici.
- Vous avez raison, je ne reviendrais plus jamais dans ce casino, dis-je en observant la splendide hôtesse qui roulait des fesses.
Beladonis sembla retenir un soupir.
- Vous savez de quoi je voulais parler. ne revenez pas à Voilaroc.
- J'avais compris, lui souris-je avant de le saluer et de partir ce ce temple du vice.