Chapitre 32 : Echappée vers Voilaroc
La sueur coulait sur mon visage paniqué et choqué, alors que je continuais de pédaler. Cela faisait des heures que mes cuisses répétaient le même mouvement sempiternel, alors que mon cou se tordait régulièrement pour observer les chemins derrière-moi. J’avais cette boule au ventre, craignant d’être suivie.
L’autre folle au Spectrum n’était nulle part en vue, mais je voulais mettre le plus de distance entre elle et moi. Je ne voulais plus jamais croiser la route de cette fanatique au pouvoir surnaturel … mais dont l’effrayant le disputait au fascinant.
Après une journée à pousser sur ces pédales et à grimper la légère pente menant vers les contreforts des pics de l’est, je m’effondrai contre une pierre, ruisselante de sueur. Au dessus de moi, le ciel était orné de petits nuages enroulés, comme si un peintre avait donné de petits coups avec un pinceau teinté d’orange.
Je vidai le contenu de ma gourde d’une traite, pour me rafraîchir un peu les idées, mais surtout pour souffler un peu après cette éreintante fuite. J’avais l’impression que mon cœur bondissait dans ma gorge, alors que l’air brûlait mes poumons.
Dans mon état second, je laissai mes pokémon sortir pour qu’ils puissent se détendre un peu. Ils émergèrent et adoptèrent presque tous leur attitude habituelle. Myrtille s’approcha de moi et me renifla, mais au lieu de se lover contre ma poitrine, elle grimaça et recula.
- Dis tout de suite que je pues, réprouvais-je, tout en étant parfaitement consciente que c’était le cas. Je vais juste souffler un peu, dis-je en fermant les yeux quelques instants,
Je les rouvris instantanément en haletant, lorsqu’une vaguelette d’eau me percuta le visage.
Choquée, je vis Lucille qui attendait dans un coin ombragé et qui venait de me jeter un peu d’eau au visage.
- C’est bon, j’ai bien compris. Dès qu’on passe la rivière, j’en profite pour me laver.
Au moins, la petite douche improvisée m’avait remis les idées en place. J’avais réfléchi durant cette échappée, revoyant le fil des événements et j’en avais tiré deux conséquences. La première était que je n’étais absolument pas de taille à affronter mes ennemis et que j’avais besoin de beaucoup plus d’entraînement. La seconde était qu’il allait falloir que je mette la main sur un pokémon spectre ou ténèbres, car mon équipe était bien trop classique en terme de couverture de types.
Pourtant, je ne sus pas dire pourquoi, mais lorsque je pensais aux grands dresseurs, à tous ces maîtres et ces champions, un élément était redondant. Ils avaient tous plusieurs pokémon assez communs dans leurs équipes. Il n’y avait qu’un ou deux pokémon d’exception, mais ils n’avaient pas une équipe entière composée seulement de spécimens rares et puissants.
- Parce que, comme eux, tu es incapable d’abandonner Amazonas ou Lucille, ironisa l’odieuse créature qui sommeillait en moi.
- Tu en serais capable ? assénais-je à cette partie de moi que je désapprouvais, mais qui ne voulait pas me quitter.
- S’il fallait ça pour gagner, sans problème. S’il fallait tricher pour récupérer un Griknot ou un Riolu, je le ferais sans une once d’hésitation, claironna t-elle. La morale et les liens, ce ne sont qu’autant de limites qui nous restreignent dans notre quête pour atteindre notre véritable potentiel. As-tu compris pourquoi cette dresseuse nous a vaincues si aisément ? C’est parce qu’elle s’est transcendée, elle a repoussé un tabou … celui d’abandonner son humanité pour se mêler à l’essence d’un spectre.
- Je ne ferais pas ça. Je suis Elizabeth Noyer et je veux rester celle que je suis. Je n’ai pas besoin de me vendre pour gagner !
L’odieuse Elizabeth renifla de dédain.
- C’est faux. Tu as prouvé ta faiblesse. Mais je vais attendre que tes fantasmes s’étiolent. Quand tu te seras aussi brisée que tes illusions, je recollerais les morceaux à ma façon. Elizabeth Noyer sera au sommet du monde.
- Va te faire foutre ! Je ne t’ai jamais demandé ton avis !
- Encore un mensonge. Tu as peur de ton potentiel et de ce que tu peux devenir. Tu préfères te confiner à ta rassurante médiocrité, plutôt que de t’élever à la grandeur.
- Tu te trompes. Je veux devenir maîtresse pokémon, mais en suivant ma voie, en étant honnête avec moi-même, en restant intègre et surtout … sans prendre de raccourci hasardeux. L’autre tarée m’a bien dissuadée de l’imiter.
Mon alter ego se tut, poussant une grimace, comme si elle avait gobé d’un trait une baie sitrus particulièrement amère.
Ravie de l’avoir un peu mouchée, je sifflotai quelques notes guillerettes, avant d’aller me baigner et me laver dans le torrent en contrebas. L’eau coulait aisément entre toutes les failles et formait de nombreux méandres qui se mêlaient en un rythme irrégulier.
J’étais désormais rodée à la vie en milieu sauvage. Une pierre ponce et un peu de savon à base de plantes faisaient des merveilles pour décrasser la peau et aérer les pores, alors que l’eau froide me motivait à me dépêcher. L’autre raison pour laquelle je ne me prélassai pas dans le torrent glacial, c’est que je voulais éviter que quiconque ne puisse me voir. Je ne voulais pas passer pour une exhibitionniste, ni même attirer le regard graveleux d’un pervers. Je n’étais pas une de ces dresseuses vendant son corps à des personnes riches, juste pour gagner plus facilement de l’argent.
Une fois décrassée, je remis un débardeur propre, avant de dresser le camp pour la nuit. Je n’allais pas reprendre mon voyage, alors que la nuit allait tomber dans moins d’une heure.
Le reste de la soirée fut à l’image des autres bivouacs : calme et autour d’un petit feu. Je fis griller une belle pièce de viande qui m’avait été offerte la veille par Timothé, tandis que mes pokémon avaient également droit à de quoi se sustenter. J’avais bien rempli mon sac à Bonville.
Myrtille mangea avec soin les petites boulettes de viande et de soja, se rassasiant. Elle renifla mon sac, espérant qu’il y ait autre chose.
- Désolé ma grande, dis-je en repoussant légèrement son museau, mais c’est tout pour ce soir.
Vexée, elle plongea son museau dans mes affaires.
Alors que j’allais la réprimander et lui demander de retirer sa truffe du sac, elle poussa un petit jappement.
- Si tu es blessée, c’est de ta faute ...
Elle scintilla brusquement, à ma grande surprise. Son corps au pelage fauve se couvrit de nombreuses petits scintillements, alors qu’elle agitait les pattes. Lentement, ses membres enflèrent et s’allongèrent. Sa fourrure plaquée contre son ventre se fit plus volumineuse, notamment au niveau de sa queue ou elle prit l’apparence d’une flamme ardente. Son museau s’affina, perdant la rondeur de l’enfance pour adopter une noblesse qui ne demandait qu’à s’exprimer.
A la place de Myrtille, un gros pokémon rouge et à la fourrure duveteuse me fit face. Malgré son apparence différente, elle avait toujours ce regard chaud et affectueux. Elle me regarda avec fierté et se blottit dans sa large et chaude pelisse.
Ne comprenant pas exactement ce qu’il venait de se passer, je regardai dans mon sac, dans cette poche que j’avais dédaignée. Il y avait deux morceaux de roche. L’une était la pierre brune fendue dont l’effet de paréidolie me faisait deviner un visage triste et l’autre était la pierre orangée qui semblait être devenue terne et mat.
- La récompense du concours à Unionpolis, me rappelais-je. C’était donc une pierre feu.
La pierre orange, autrefois aussi luisante qu’une flamme, avait désormais une teinte mat, virant vers un brun laid. Le rocher n’ayant plus aucune valeur, je le jetai dans le ravin sans le moindre remords. Je pus entendre les claquements des rebonds du cristal qui se brisait davantage à chaque choc, achevant sa course dans un son lourd et aqueux.
Myrtille me regarda, sautillante et pleine d’énergie. Elle avait l’expression de quelqu’un ne pouvant se contenir, me rappelant un peu mon voisin d’enfance. Sa posture de diva entourée par sa queue était vraiment élégante, en un mélange de retenue calculée et d’innocence.
- D’accord, je te donne du rab, capitulais-je en acceptant de marquer l’événement.
Un grondement de la part de Fernando me fit sourire. Il semblait que lui aussi était intéressé par la proposition d’avoir un supplément de nourriture.
Encerclée par ces regards inquisiteurs ou larmoyants, je ne pus résister. A eux tous, ils savaient comment me faire céder.
Je leur donnai leur double ration, sachant qu’un petit excès de temps en temps ne leur ferait pas de mal. Puisque j’avais craqué, autant capituler jusqu’au bout. Je pris un petit paquet de gâteaux au cœur fondant de crème au caramel, mangeant l’une de ces petites gourmandises bien caloriques. Le goût sucré était très agréable, me tirant un petit sourire presque niais.
Myrtille se blottit contre moi, sa queue touffue me tenant chaud. Elle poussa un petit cri un peu plus grave que la veille, mais qui conservait toujours cette petite touche que je pourrais qualifier de féminine.
C’est avec deux masses de poils collantes que je me couchai, un peu étouffée par leur chaleur.
Le lendemain, je me réveillai avec les deux pots de colle, qui étaient toujours lovés contre moi. Je les repoussai doucement, avant de me préparer pour partir vers Voilaroc. Le trajet fut plus long et fatiguant que je ne le crus, mais rien de notable ne perturba mon voyage jusqu’à la cité de pierre. Je ne l’atteignis que le soir même, me focalisant surtout sur le centre pokémon.
Le lendemain, je pus commencer à visiter plus en détail cette belle ville. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette métropole portait bien son nom. La cité était étagée sur de nombreuses collines, tandis que plusieurs bâtiments entouraient les bords d’un vieux cratère érodé et dont la falaise est s’était effondrée depuis des siècles, formant une nouvelle vallée.
Les tours s’élevaient à plusieurs endroits, les collines étant particulièrement recherchées, pour une raison évidente. Peut être que les constructeurs voulaient exposer leur puissance et leur richesse au monde et qu’ils n’avaient rien trouvé de mieux que d’ériger des symboles phalliques à la vue de tous. Quelle mentalité typiquement masculine ...
L’un des bâtiments était celui de la compagnie servant de couverture à la Team Galaxie. Comme l’autre, il était laid à en soulever l’estomac. Un autre de ces complexes était le centre commercial, avec des baies vitrées exposant leurs produits pour attirer le client, aussi sûrement qu’un Rafflesia n’attire les Bombydou. Le temple de la consommation se situait face à un casino aux néons criards, dont les jeux de lumière étaient conçus pour attirer les touristes et les délester rapidement de leur argent.
Sur mon plan de cette ville complexe organisée en plusieurs cercles parsemés de failles, je cherchai surtout l’arène. Après une brève étude du trajet, je la trouvai. Elle était située de l’autre côté de la ville, dans un dojo. Cela confirmait ce que je savais déjà. La championne était une redoutable artiste martiale et ce combat ne serait pas une sinécure. Je n’allais pas la confronter de suite. Je voulais profiter de mon temps pour faire une visite des centres commerciaux, mais également goûter aux spécialités locales. Les guides touristiques vantaient le célèbre pain d’épice produit dans les fournils de cette ville, ainsi que les gâteaux fourrés à la crème de baies Maron.
L’odeur d’un petit fournil m’attira comme un Roserade attirait des Apitrini. Une boulangerie en cuisait et j’eus la chance de pouvoir en acheter quelques uns qui sortaient à peine du four.
A la première bouchée de ce pain chaud, je compris pourquoi on m’avait vanté cette spécialité. Je me régalai, savourant ce petit pain à la crème. J’adorais vraiment cette pâtisserie locale, avec son cœur fondant entouré d’un pain chaud et moelleux, dont la croûte légère craquant sous la dent avant de faire place à une texture tendre. C’était divin. Après avoir mangé ce gros macaron, je ne voulais rien d’autre que de savourer d’autres de ces petites délicatesses tentatrices.
Au final, je me retrouvai sur la terrasse au dernier étage du centre commercial à grignoter ces choux farcis à la crème, sirotant une limonade sucrée pour me désaltérer, tout en profitant de la vue. La température était rafraîchie avec une bonne petite brise, mais l’ensemble me donnait comme un avant goût du Jardin Fleuri.
Mes compagnons observaient également l’horizon illuminé par le soleil, dont la lueur dorée se reflétait sur les barrières entourant le bastingage.
C’était un beau moment, tranquille.
- Appréciez-vous ce sentiment de pouvoir, Mademoiselle Noyer ? m’interpella une voix. Avez-vous conscience de sa futilité ?
Je soupirai, songeant que même le gâteau avait un goût gâché. Je me retournai pour voir quatre sbires de la Team Galaxy bloquer la porte de l’ascenseur, avec un homme aux cheveux bleus au milieu.
- Permettez-moi de me présenter, Mademoiselle. Je suis le commandant Saturne, de la Team Galaxie.