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Jusqu'à ce que les dunes cessent de chanter de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 31/03/2021 à 11:19
» Dernière mise à jour le 29/06/2021 à 13:14

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

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Chapitre 25 : Rêves
D’abord, s’assurer d’avoir une prise correcte. Recevoir le fusil dans le creux de l’épaule et du cou, le porter et le maintenir d’une main enroulée autour du canon sans assurer aucune force. Absorber le choc.

Une pression de l’index sur la queue de détente, vaincre la résistance du ressort. Ne pas écouter l’espoir.

Sur son support rocheux, la cible de terre cuite vola en éclats dans un bruit assourdissant ; mais les échos de la détonation furent bien vite couverts par le rugissement de triomphe de Karintas, et s’estompèrent avec la discrétion d’un murmure.

« Ha, je te l’avais bien dit !

— Oui… enfin, comme pour tous les autres, mais oui. »

Il y avait quelque chose de dérangeant à reposer le fusil sans en ôter la cartouche d’abord. Margar avait du mal à réaliser qu’ils avaient fini par trouver le moyen de faire tirer leurs fusils, au sixième prototype, et sa prudence méthodique continuait de l’avertir de ne pas laisser cette arme chargée alors que des enfants observaient la scène.

Cela faisait un mois que l’expédition était de retour et que la scientiste s’était sérieusement attelée au problème du fusil. Depuis le temps, les essais réguliers de prototypes, dans ce petit chaos rocheux au bord de la seconde falaise, avaient fini par devenir une attraction pour les jeunes oraciles, à cause du bruit d’un coup de feu. Ils se mettaient tout simplement au défi de ne pas sursauter (et de ce que voyait Margar, c’était perdu). Cet intérêt avait un côté vaguement morbide et dérangeant, comme les enfants qui courraient sur la ligne de la falaise inégale en regardant sa face chaotique sous leurs pieds ; elle en avait tout de même profité pour leur répéter inlassablement de faire attention avec les armes à feu. Un accident était bien la dernière chose qu’elle cherchait.

Il y avait comme un silence, et elle craignit d’avoir été un peu brusque. Mais ce n’était pas ce qui troublait le forgeron.

« Et… reprit-il. Du coup, maintenant… on fait quoi ? »

C’était une bonne question.

« Aucune idée, à vrai dire. Ces satanés prototypes m’en ont tellement fait baver, je n’ai pas du tout pensé à la suite !

— En même temps, je te comprends ! Tu t’attendais à devoir concevoir six fusils différents, toi, au début ?

— Certainement pas ! Non, je m’attendais à ce qu’on arrive rapidement à un modèle fiable après le canon… »

Canon qui avait été une forme d’échec déconcertante. Il avait toujours tiré avec succès (d’où la popularité des essais des fusils), quelles que soient les formes de ses pièces. Pour un prototype censé les aider à usiner leurs fusils, c’était donc une réussite parfaitement inutile. D’autant que contrairement aux fusils, dont on pouvait se persuader qu’ils permettraient éventuellement de défendre le Pic Rocheux contre un ennemi que personne n’avait jamais vraiment défini… le canon, lui, ne servirait jamais.

« Quoi qu’il en soit, suggéra Margar pour contourner le sujet. Il faudra probablement produire plusieurs fusils. Reste à savoir combien, et ça…

— Ça dépend du nombre de gens qui les estimeraient nécessaires. Tu comptes faire remonter la question au Conseil ?

— Tout juste. »

Ce qui les laissait concrètement sans rien à faire de plus pour l’instant. Avec la question de la dynamite toujours en suspens, il n’y avait rien de plus qui soit à leur portée. Et cela voulait dire, songea Margar, que le faux-semblant qui l’avait amenée sur le Pic était peut-être sur le point d’être levé.

Elle ne savait pas trop. À en croire Tiokus, sa présence sur le la montagne sacrée visait en partie à… à ouvrir l’esprit aux oraciles, étendre leurs perspectives, ce qu’elle faisait à coups de canon. Mieux valait ne pas croire Tiokus : que le concept soit difficile à verbaliser le rendait suspect. Elle n’accordait guère plus de confiance à Sòrkat, trop happé par ses intrigues politiques. En fait, elle questionnait de moins en moins ces raisons qui faisaient qu’elle était là : si leur cause ne semblait ni être étudiable, ni être assez grave pour affecter le désert entier, ni assez pressante pour qu’on lui donne une tâche, à quoi bon s’en soucier ? Elle voyait de plus en plus le Pic Rocheux comme une mise à l’épreuve, un travail sur elle-même. Pour tendre vers quoi, elle n’en était pas sûre.

« Pas si impressionnants, ces claquements, commenta un Sòrkat resté discret.

— Tiens, j’aurais dû me douter qu’on te trouverait parmi les gamins ! le charria Karintas.

— Toujours ! Il faut bien leur apprendre à ne pas écouter Eriane ! »

Rien de tel qu’un ennemi commun pour rendre complices trois personnes n’ayant plus ou moins rien à voir, et ils partagèrent un rire entendu. Cependant, ce n’était pas ce qui amenait l’oracile.

« Bonnes manières mises à part, j’aurais une nouvelle à propager sur le Pic.

— Vous avez la date de la Cérémonie ? réagit immédiatement le forgeron.

— Nous l’avons déterminée tout à l’heure. Elle aura lieu dans quatre jours.

— Merveilleux, ça, plaisanta Margar. J’étais pas censée avoir tout un tas de trucs à apprendre sur les coutumes des oraciles avant que ça n’arrive ?

— Pas tant que ça, sourit Sòrkat. À force de nous supporter toute la journée, j’ai l’impression que tu t’es rendue compte du principal. »

La scientiste tenta de contester, de nuancer un peu ce terme rude (quoique vrai). L’oracile ne la laissa pas faire, conservant la parole avec un sourire bienveillant et pas très rassurant.

« Eh, pas la peine de te préparer à t’indigner : je taquine, l’assura-t-il. Nous sommes restés une communauté fermée pendant douze millénaires, que les visiteurs finissaient toujours par quitter : c’est normal que tu ne te sentes pas à ta place. Ça viendra.

— Mais bien sûr. Le jour où j’aurais prévu une tempête de sable ou visité quelqu’un en rêve.

— Ah, c’est donc ça, murmura Sòrkat d’un air intéressé. Tu soupçonnes l’utilité de la Cérémonie, n’est-ce pas ?

— Renforcer les liens sociaux. »

Il avait raison et elle savait qu’il le savait. Depuis le temps, elle commençait à s’habituer à cette déplaisante aisance des oraciles avec tout ce qui avait trait aux relations sociales… et si l’habitude lui faisait fermer les yeux sur les légions de petits détails qui dissonaient avec le désert et ses habitants, elle restait vaguement consciente de ne jamais pouvoir comprendre ce peuple.

Ça ne lui ferait pas pour autant admettre qu’il y ait quoi que ce soit de vrai dans les facultés qui valaient à l’Oracilis sa position de juge du désert.

« Bon ! lança Karintas. Si vous voulez bien m’excuser, je vais aller répandre la date.

— C’est aimable à toi, le remercia Sòrkat avant de se retourner vers Margar. On n’a jamais laissé échapper le nom de la Cérémonie en ta présence, n’est-ce pas ?

— Non, mais je doute que cela puisse me faire du mal, sinon Eriane l’aurait fait.

— Haha ! À vrai dire, je pense que nous avions tous un peu peur de ta réaction. Nous l’appelons la Cérémonie de l’Augure. »

Tout, chez eux, en revenait à cela. On prétendait dans tout le désert que l’Oracilis voyait l’avenir. Margar n’y avait jamais prêté foi. Pas plus quand elle les avait côtoyés et avait été exaspérée par leurs esprits trop réactifs te leurs compétences trop vastes. Trente ans d’entraînement, elle n’allait pas ciller maintenant.

« Et vous voyez vraiment l’avenir ? demanda-t-elle innocemment.

— Bonne question ! Il y a des douzaines de réponses et d’interprétations à ce qui arrive pendant la Cérémonie. Les plats cérémoniels sont probablement hallucinogènes, je ne le nie pas. Tu t’en doutes, je ne pense pas que cela explique tout. »

C’était l’évidence même. Elle se rappelait la façon dont il avait décrit sa première Cérémonie, ces souvenirs apparemment impossibles d’un événement dont la mémoire du Sèmèrès certifiait l’existence. Cela faisait partie de tout ce qu’elle ne saurait jamais expliquer, et si agaçant cela soit-il, elle s’y faisait.

« Traditionnellement, les décisions importantes sont remises à la Cérémonie. Nous n’avons jamais pu prouver que c’était bien l’avenir que nous discernons, mais les choix faits lors d’une Cérémonie sont généralement justes.

— Ce qui rend certains débats interminables, sourit-elle.

— La dynamite ? Exactement ! Pour ne rien te cacher, je suis soulagé que le Conseil soit enfin forcé de se prononcer. »

Il eut pour toute réponse le froncement de sourcils intrigué de Margar. Comme un nouveau petit rappel désagréable, il devina qu’elle comptait trouver ce qui la dérangeait et en parler, et laissa donc planer le silence, un instant, quelques gondes ou une douzaine.

« Qu’est-ce qui détermine la date de la Cérémonie ? finit-elle par demander comme si rien ne c’était passé (ce qui était assez parlant en soi). Tu en parles comme si cela ne dépendait pas de vous, mais je ne vois aucun phénomène rare qui ne puisse être prédit que quatre jours à l’avance. »

Cela sonnait comme une victoire personnelle, avec un avant-goût de débat animé. La scientiste décida de ne rien faire pour l’empêcher : le sujet était trop glissant pour qu’elle veuille le contrôler.

« Bien vu, admit Sòrkat. Ma réponse sera longue… Dis-moi, Margar. Qu’est-ce que le Pic ?

— Une montagne, affirma-t-elle d’un air intrigué avant de se douter de la supercherie. Non, attends, ne me donne pas la réponse si vite !

— Je n’y comptais pas ! Ça gâcherait le plaisir de la devinette.

— Absolument. Je disais une montagne, mais aucune montagne n’atteint cinq kètres de haut sans une racine de quarante kètres dans la croûte terrestre. De plus, le désert conserve une altitude régulière tout autour du Pic : il n’y a aucune chaîne de montagne pour le faire s’élever.

— Pas tout à fait, nuança Sòrkat. Le désert profond s’élève de deux bons kètres.

— Ah bon ? Tu m’apprends quelque chose.

— À force d’y envoyer des expéditions, nous avons cru remarquer que l’aller était toujours plus fatiguant que le retour. Nous avons essayé quelques mesures, et si elles n’étaient pas très précises, nous sommes quand même sûrs que le centre est plus élevé que la Forteresse des Guerriers.

— Ça, je m’en souviendrai ! »

Elle se promit aussi de se rappeler de lui poser la question, plus tard. Qu’est-ce que l’Oracilis avait à faire dans le désert profond ? Ce n’était pas comme s’il y avait la moindre communauté à y visiter… En attendant, elle avait une énigme à réponse.

« Quoi qu’il en soit, d’après tout ce que je sais, le Pic ne devrait pas exister. J’en conclus que ce n’est pas une montagne… Peut-être un reste de l’ancien monde ? Vu ce que les contes disent de la violence du Grand Cataclysme, ça ne m’étonnerait même pas de retrouver un débris de continent de vingt kètres de haut. Qui se serait pris une pluie de météorites d’Acier, d’ailleurs.

— Bien tenté, admit Sòrkat. Mais ce n’est pas ça, non. Presque, mais pas vraiment.

— J’imagine que je dois chercher des indices dans le conte du Cataclysme ? »

Il hocha la tête : c’était évident. Le conte fondateur de la plupart des coutumes du désert était censé donner toutes les réponses aux grandes questions, et touchait directement à ses premières déductions.

Ce qui amenait une réponse facile, et pas très agréable.

« Le colosse de roches. »

Il ne répondit rien à cette question qui ne croyait pas en elle-même. C’était évident.

Elle fit quelques pas, ramassa distraitement un fragment de terre cuite, pour jouer avec, et s’appuya finalement au support sur lequel elle avait tiré un peu plus tôt. L’idée lui vint, absurde, que les fusils dont elle avait eu tant de mal à retrouver les sombres secrets de fabrication seraient alignés en face d’une montagne. Elle en sourit, amèrement. Sòrkat alla se positionner en face du vide, devant la falaise.

« Répondrais-tu à quelques autres énigmes, si tu le veux bien ?

— Si elles sont toutes du même acabit, je m’en passerais bien. Mais j’imagine que je ne peux pas simplement demander à ne pas savoir…

— Pas avec le Sèmèrès entier dans ta mémoire, non. Dis-moi : où dormirait le colosse de sable ?

— Désert profond.

— Difficile de répondre autre chose, hein… Et le dieu du sable ? »

Là, Margar douta. Aucun endroit ne conviendrait mieux que le désert profond ; impossible pourtant de reprendre la même réponse. Ça ne correspondait pas à l’énigme.

Mais le doute, si utile puisse-t-il être à la science, n’avait pas sa place dans une mémoire. Elle répondit avec un aplomb total.

« Ce n’est qu’un dieu…

— C’est vrai, s’amusa Sòrkat. Notre grand-père, le père avec le dieu d’en-dessous de tous les monstres, et entre eux des Arbres à Contes. Lesquels évitent sans doute sa demeure…

— Je crains de comprendre… Serais-tu en train de me dire que les dieux que nous prions sont les colosses du conte ?

— Nous vivons littéralement dans le sable jusqu’au chevilles. Il y a forcément un être de sable dans tous les mythes vaguement divins. »

C’était la première chose que Margar comptait objecter et elle n’apprécia pas de la voir disqualifier ainsi : avec cette négligence suprême rejetant simplement une proposition sans argumenter, pointant une fiabilité douteuse. Quand elle se rabattit sur la seconde, sa voix était teintée de hargne.

« Cela semble logique pour les dieux du sable, de l’acier et du feu. Mais le colosse de glace ? Qui donne, qui prend, et quel dieu est au ciel ?

— La vie, la mort ! Qui voudrait les nommer ? J’admets que pour ces deux-là, nous ne sommes sûrs de rien. »

Elle était dans cette irritation légère, contrôlée et maîtrisée, qui ne l’affectait que pour lui faire remarquer qu’il semblait avoir de « nous » différents : un pour le désert, un pour l’Oracilis. Et qu’il les prononce exactement de la même façon ne changeait rien à la chose.

« Certes, admit-elle.

— Le ciel, je suis presque certain que c’est une invention de l’Ordre. Ils ont trois fois plus de codes moraux que nous, et cela les arrange assez d’avoir un dieu qui puisse voir tous les défauts et toutes les fautes.

— Non, vraiment ? ricana-t-elle. Comme c’est étrange, j’aurais juré qu’on ne sait rien de ce qui se passe dans la Forteresse ! »

Un autre rire entendu, partagé et amical. Se serrer les coudes contre les voisins qui embêtaient leurs deux peuples aurait toujours l’effet d’évacuer un peu de tension… mais Margar se douta que la manœuvre était volontaire. Tout juste ce qu’il fallait pour produire l’effet inverse.

« Quant à la glace, conclut Sòrkat. Le dieu est peu connu, mais il existe. Tu as peut-être déjà croisé un village doté d’une structure fabriquant de la glace ?

— Je… »

Oui ; cela lui revenait… un bâtiment conique, en terre cuite. Creux et protégeant un puit, au fond duquel un bloc de glace semblait défier la scientiste intriguée qui le regardait depuis l’ouverture pratiquée au sommet de la structure.

« Il faut bien un dieu pour changer cette eau en glace, releva l’oracile. Et je le comprends ; ça me semble tout ce qu’il y a de plus surnaturel.

— Eh bien, mes parents m’avaient mise au défi de comprendre par moi-même à partir du peu de thermodynamique que je connaissais à l’époque, raconta Margar. L’air chaud monte, l’air froid descend… »

Elle n’alla pas plus loin. Qu’il comprenne donc cela, puisqu’il était si… Oracile. Il releva le défi (cela faisait bien longtemps que cette conversation n’avait plus rien d’un échange pacifique d’informations), et retourna apparemment le problème dans tous les sens.

Ce fut tout de même satisfaisant de le voir peiner plusieurs nutes.

« Ah, finit-il par dire. Dans le puit, l’air n’est pas partout à la même température, non ? Alors celui qui est plus chaud remonte, et sort du cône… Et le voyage inverse n’est pas possible, puisque l’air chauffé ne peut pas descendre.

— Exactement. »

Elle considéra, un instant, un petit cours sur la pression, expliquer comment le froid venait en fait de l’absence de presque tout l’air… Mais il n’y en aurait pas besoin. Il avait mis bien assez de temps avant de trouver, elle pouvait considérer que la victoire était à elle. Pour cette manche, au moins. Il ne tarda pas à le concéder, d’ailleurs.

« Eh bien. Tes énigmes sont plus coriaces que les miennes.

— Mais non, sourit-elle. C’est tout gentil, la thermo ! »

C’était l’un des sujets les plus tordus et elle savait qu’il le devinerait.

« Voilà pour les dieux, reprit-il. Nous vénérons simplement les colosses qui ont failli nous détruire.

— Ça par exemple, persiffla-t-elle. Les dieux existent. Ils ne vont pas en revenir, quand je le raconterais aux autres scientistes.

— C’est ça, moque-toi. Ceci dit… Seuls deux sont encore, comment dirais-je… En un seul morceau. Le colosse d’acier — je devrais dire d’Acier — est éparpillé dans tout le désert.

— Les Regs ? demanda-t-elle. Eh bien. Je n’aimerai pas voir la tête de celui qui a pu mettre une telle rouste à un être au corps aussi anormalement résistant.

— Ça ne doit pas être si terrible que ça, toi et Karintas avez bien réussi à confectionner des— un fusil en Acier.

— Oui et je suis persuadée que cela aurait été moins difficile avec du simple acier. Mais… Voilà qui fait beaucoup de divagations. Il me semble que nous étions partis de l’irrégularité de la Cérémonie ? De la difficulté à la prévoir à l’avance ?

— C’est vrai ! s’amusa-t-il. Bon sang, avec tout ça, je l’aurais presque oublié. Eh bien, tout cela retourne au Pic Rocheux. Il dort. »

Margar haussa un sourcil, son irritation toujours bien présente et pas prête de se dissiper après cet échange d’assauts masqués.

« Il dort, releva-t-elle. Vraiment.

— Eh bien, il serait peut-être plus exact de dire qu’il est dans le coma. Et je n’ai pas envie non plus de rencontrer ce qui a pu lui frapper assez fort sur le crâne pour l’assommer pendant douze mille ans.

— Ça ne nous verrait sans doute même pas.

— Il faut espérer. Quoi qu’il en soit, il dort… et il rêve.

— Il dort, assura-t-elle. On ne rêve pas dans le coma. »

Une pause. Brève, étrange, sans qu’aucun d’eux ne veuille parler ; mais les mots de Sòrkat ne demandaient aucun prolongement.

« Il rêve, dis-tu… Et j’imagine que vous partagez ses rêves.

— Cela fait douze mille ans qu’il nous formate… »

Il y avait une trace de quelque chose d’indéfinissable, dans la voix de Sòrkat (regret ? peur ? ou une certitude plus profonde, de ne rien pouvoir y faire ?), et Margar ne sut comment l’interpréter.

« Nous pouvons difficilement y échapper. Nous ne pouvons rester trop longtemps loin de lui, son absence nous draine lentement.

— J’avais cru remarquer que les membres de l’expédition n’étaient pas bien vaillants, oui.

— Voilà pourquoi… Il rêve. Par intermittences ; par longues périodes, plus lentes que les jours. Voilà pourquoi nous avons tant de mal à voir cela venir. Il faut discerner, dans nos propres rêves, le moment où les siens se font plus présents. D’ici quatre jours, ils devraient atteindre un maximum. Ce sera la Cérémonie.

— Je vois. »

Elle voyait, oui. Elle en était maintenant certaine, il y avait une marque de peur dans la voix de Sòrkat. Et elle comprenait. Elle n’enviait pas une vie enchaînée à une montagne consciente, pas même pour tous les privilèges que cela pouvait apporter.

Elle était toujours bien en peine de les admettre. Karintas portant deux fois son poids en Acier, grâce aux rêves d’une montagne ? Mais admettre l’impossible viendrait plus tard. Peut-être jamais, ce n’était pas important. Ce qui comptait, c’était le présent, c’était de tendre la main à Sòrkat, de ne pas laisser en suspens cette discussion pas si amicale, de compatir à la peine qu’elle devinait.

« Et ce dieu de la roche… Il a un nom ? »

Il la regarda, amusé.

« Il en a un. Mais personne ne le prononcera à l’approche d’une Cérémonie de l’Augure. Ça a tendance à le réveiller. »

Elle était à peu près certaine qu’un balbutiement d’effroi lui avait échappé.