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Jusqu'à ce que les dunes cessent de chanter de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 27/01/2021 à 07:59
» Dernière mise à jour le 29/06/2021 à 13:09

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

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Chapitre 16 : Premier sang
Une brise joueuse parcourait la surface des dunes, s’emparant joyeusement des habits des trois humains allongés sur le sable et faisant résonner le chant cristallin du désert. Ils guettaient, immobiles. Autour d’eux, le ciel bleu aux nuages laiteux, le sable chaud et doux, et les Démons lascifs, tout semblait offrir le repos et le confort. L’attention des Guerriers s’en détournait, implacable.

« Dix-sept… »

Deux hochements de tête répondirent au chuchotement d’Onis. Gorbak et Aixed n’en avaient pas compté autant, mais presque. Ils recompteraient tous les trois, quelques nutes plus tard. Et encore. Jusqu’à la nuit, immobiles dans le creux du désert sur la crête d’une dune.

Bientôt, la violence. Bientôt, le sang.

Mais hors de question de charger bille-en-tête. Gorbak voulait une estimation aussi précise que possible des scientifiques habitant ce petit laboratoire, sur lequel ils étaient tombés en fin de matinée. Ils passeraient tout l’après-midi à le surveiller de loin, et attaqueraient à l’aube.

***
« Je ne peux pas vous préparer à l’attaque de demain, les prévint Gorbak ce soir-là.

— Mais ne disiez-vous pas que la préparation fait tout ? demanda Aixed.

— Ça ne veut pas dire qu’on peut se préparer à tout.

— Est-ce si différent des chasses, des proies ? ajouta Onis. Les monstres sont plus dangereux que les humains…

— Ça n’a rien à voir. Vous ne pourrez jamais oublier demain ; en fait… »

Le Guerrier taciturne laissa planer un silence sous la tente, plongé dans ses pensées. Ses deux Apprentis ne l’avaient pas souvent vu comme ça : il n’accordait plus aucune attention au monde extérieur, au mépris des enseignements que lui-même leur prodiguait. Un Guerrier ne devait pas s’oublier en lui-même sous l’effet de l’ennui, mais rester attentif à lui-même et au monde à l’aide de sa sérénité.

Gorbak avait plusieurs immobilités, qu’Aixed et Onis avaient appris à différencier après un mois et demi passés à côté de lui. Il y avait celle où il étudiait tout sans rien laisser l’affecter, qu’il n’avait plus montrée depuis le jour du tournoi ; celle dans laquelle il cessait tout mouvement pour mieux écouter le vent et les bruits des pas de ses proies ; celle où il cessait même de respirer, pour leurrer un monstre… Celle-ci était la seule qui semblait s’imposer à lui. D’une certaine façon, elle avait quelque chose d’anormal, qui dérangeait les deux Apprentis.

« Se battre contre des humains fait partie de notre voie, énonça Gorbak. Il est difficile d’oublier les visages que l’on renvoie au dieu d’en-dessous… et je ne vous le souhaite pas. »

Présenter cette leçon à ses Apprentis semblait lui avoir demandé autant d’effort que refuser un salto à son Démon en pleine course. Ils la méditèrent un instant, cherchant à comprendre ce conseil contre-intuitif — et Gorbak s’en rendit compte, interrompant leurs pensées.

« Mais demain viendra bien assez tôt. Il y a des questions auxquelles je peux répondre, posez-les ce soir.

— Combien y a-t-il de grains de sable dans le désert ?

— Non, Onis. Bien essayé. »

Le concerné soupira, tandis qu’Aixed pouffait et que Gorbak s’autorisait un sourire. Un jour, l’Apprenti saurait répondre à la question censée modérer son impatience ; en attendant, il redoublait d’ingéniosité pour la contourner ou pour en dérober la réponse.

« Bon, d’accord, répondit-il plus sérieusement. Vous avez un plan plus précis que simplement approcher par trois directions et demander aux gens de ne pas opposer de résistance ?

— Tu as oublié de mentionner de les compter.

— Après une journée entière passée à ça, je m’attendrais à ce qu’on sache qu’ils sont une vingtaine…

— Justement. S’il y en a un que tu ne vois pas, il risque d’être derrière ton dos, et ton épée ne t’en protègera pas d’elle-même.

— D’accord…

— Quelque chose m’embête, intervint Aixed. Cela fait des mois que nous errons au hasard et que vous tentez de retrouver la trace de ce… Tograz, c’est ça ?

— Tograz. »

Il avait laissé claquer le mot sur ses dents. Encore une entorse à la voie des Guerriers : Gorbak ne cherchait pas à rendre justice, mais à assouvir sa vengeance. Ses Apprentis ne relevèrent pas. Ce n’était pas à eux de questionner leur maître et les libertés qu’il prenait avec la voie.

« C’est ça. Comment cela nous aide-t-il de nettoyer un laboratoire ? Tograz n’est pas forcément passé par là. En fait, même chercher sa trace dans l’ensemble du désert n’est pas très encourageant…

— Non, en effet, admit le Guerrier. Je dois être en paix avec l’idée de ne jamais le trouver, ce qui… viendra. Cependant, les laboratoires sont sa faiblesse. Vous savez que le Sèmèrès suit la cellule familiale.

— Bien sûr, confirma Onis. Les parents transmettent leurs savoirs et leurs comportements à leurs enfants, qui font de même. Ainsi la science continue-t-elle de faire douter les gens et de provoquer le conflit.

— Avec le temps, vous douterez, vous aussi… »

Les deux Apprentis se regardèrent, interloqués. Parmi les préceptes que les Maîtres s’étaient donné le plus de mal à leur faire entrer dans le crâne, à la Forteresse, il y avait la confiance en soi. Le doute n’était pas souhaitable, quand on pouvait savoir ce qu’on valait et en déduire les chances d’un succès ou d’un échec. Fallait-il oublier ce que Gorbak venait de dire, et qui ressemblait à un avertissement ?

« Quoi qu’il en soit, une fois dans le village, laisserait mon épée marquer les scientistes. Elle pourra percevoir leurs familles, et nous mettre sur la voie des lieux où elles se trouvent.

» Le plus souvent, lorsqu’il établit un laboratoire, le Sèmèrès y rassemble autant qu’il le peut la famille de ses scientistes, afin d’éviter d’en perdre plusieurs à la fois. Mais ça n’est pas forcément possible. De temps en temps, on trouve une nouvelle cible après l’attaque d’un laboratoire. Deux, quand on a une chance confiée par les dieux.

— Je vois, releva Aixed. Mais dans ce cas, nous devons nous efforcer de maintenir autant que possible de scientistes en vie, non ?

— Si, reconnut Gorbak. Ils le savent, et ils se défendront sans faire attention à leur sécurité.

— Maître, objecta Onis. Nos épées sont encore tranchantes, nous risquons de tous les tuer pendant l’attaque…

— Oh, vous devrez y faire attention, bien sûr. L’attaque classique commence par une charge brutale, pour décourager les défenseurs et les inciter à se tenir tranquilles. Je ne l’emploierai pas ici.

— Prendre le contrôle d’un laboratoire sans tuer aucun défenseur, résuma Aixed. Cela ressemble à un problème insoluble.

— Il n’y a pas de solution. Vous ne pourrez pas tous les épargner. Mais cela, je vous l’ai dit, vous ne le comprendrez qu’au milieu de l’action.

— Ce n’est… pas encourageant.

— Non. »

Il observa pendant quelques gondes, immobile, leur réaction à cette réponse particulièrement laconique. Un mois et demi plus tôt, ils auraient affirmé que le courage ne pesait rien devant la sérénité, comme ils l’avaient entendu à la Forteresse. Gorbak leur avait demandé d’arrêter de le dire et de commencer à le ressentir. Ils s’en approchaient.

« Demain sera une longue journée, puisse ce soir vous apaiser, reprit-il. Dis-moi, Onis. Connaîtrais-tu encore un conte que nous n’avons jamais entendu ?

— Mis à part ceux sur Oghonek ? »

La fascination de l’Apprenti pour le fondateur de l’Ordre lui avait valu une réprimande de la part du vieux Guerrier, selon lequel les mots « héros rétamant des armées avec son petit doigt » signifiaient qu’Oghonek communiquait d’un seul doigt avec le Démon qu’il avait élevé, et les armées représentaient une cinquantaine de brigands tout au plus.

« On m’a dit un jour, reprit l’Apprenti. Que, si je me souviens bien, la belle-sœur de la fille du chef du village du cousin par alliance de la grand-mère de l’ami d’enfance de l’oncle de mon père avait décidé de se vouer aux travaux des hommes, après avoir cassé presque toutes les aiguilles de son village. Du matin au soir, elle remplissait son panier avec le meilleur sable qu’elle puisse voir, et elle le rapportait aux Rocs-Oreille. Et je vous prie de croire qu’elle portait autant que les hommes !

» Un jour, il y eut une sécheresse, et les racines de l’Arbre à contes n’apportèrent plus d’eau aux Lapins-Sapeurs… »

***
En principe, c’était simple. Les trois Guerriers se contentèrent d’approcher le village par trois directions différentes, à l’aube, et à une allure modérée. De donner aux sentinelles le temps de les voir.

En pratique, les Apprentis s’attendaient à un piège ou une fourberie. Caché dans le sable, peut-être ? Des lames, des pieux en bois, des armes anciennes préservées par le Sèmèrès et dont les royaumes côtiers rappelaient régulièrement l’existence au désert… Mais le temps qu’ils descendent de la dune vers le petit cercle de tentes entourant un bosquet de Marcheurs, ils ne virent de mouvement que dans le village lui-même.

Les scientistes les avaient remarqués immédiatement, et le laboratoire s’agitait en tous sens. On sortait des paquets de pieux d’une tente, sans doute issus des Marcheurs, et les habitants s’en saisissaient ; ils couraient aux bordures par groupes de trois, occupant tout le périmètre. Des positions idéales pour s’enfuir. Tout d’un coup, compter ces gens prenait plus de sens. Un autre sens.

Gorbak réagit à ce mouvement en arrêtant son Démon, et en en descendant. Pour ses Apprentis, le message était clair : ils firent de même, et se saisirent au passage de leurs jeunes épées dans les fontes de leurs Démons. Un frisson d’anxiété les parcourut, dont les épées se nourrirent aussitôt. Le Guerrier leur avait assuré qu’elles ne poseraient pas problème, mais ils étaient déjà trop familiers de ces armes pour le croire facilement. Ils s’étaient familiarisés à leur contact mordant, et en retour, les épées avaient gagné de plus en plus d’influence sur eux.

En voyant les trois silhouettes de tissu couleur sable approcher à pied et les Démons tourner en cercles paisibles autour du village, les scientistes modifièrent à nouveau leurs positions dans le village. Ils se regroupèrent en trois groupes, chacun placé en face d’un des assaillants. Ils ne fuiraient plus.

Gorbak fut peut-être le seul à ne pas raffermir nerveusement sa prise sur son arme. Il avait déjà vu ça.

C’était devant lui que les scientistes avaient aligné le moins de défenseurs. Pas parce qu’ils savaient comment ça se terminerait — tout le monde le savait, et le vieux Guerrier commençait à penser que tout allait peut-être bien se passer. Plutôt, en fait, parce que seules les épées des Apprentis étaient tranchantes, donc mortelles… Satanés scientistes et leur cynisme à toute épreuve.

Faire le vide. Aucune pensée parasite. Rien que la présence de l’esprit étrange de l’épée. Le combat, le mouvement, le fourré de lances taillées dans les os des Marcheurs en face de lui. La mort faite de vie. Un instant plus tard, le Guerrier n’était plus là. Il avait glissé dans les ombres, sous la conduite assurée de son épée.

Les techniques de combat à l’épée avaient un nom, mais Gorbak ne s’en servait qu’à la Forteresse. Les noms n’étaient que des mots. « Hantise » ne représentait rien, il y avait tellement de façons de plonger dans le néant et d’en ressortir indemne en semant le chaos autour de soi…

La lourde épée balaya cinq lances d’un seul mouvement, tandis que le Guerrier se laissa lestement retomber dans le sable. Personne ne s’attendait à une attaque aérienne de la part d’un vieil homme. Il enchaîna, avec l’impression désagréable d’avoir fait ça toute sa vie. En quelques mouvements familiers, les cinq scientistes reçurent chacun sa commotion, et une heure d’évanouissement. À chaque instant Gorbak s’attendit à voir une meute de Chien des Enfers émerger d’une tente, ou pire — une Cuirasse ? Rien ne vint.

Il vérifia comment ses Apprentis se débrouillaient, à quelques tentes de là. Pas trop mal. Comme il s’en doutait, Onis était le seul des deux à vraiment avoir besoin d’aide.

Aixed avait pourtant perdu plus de terrain, restant sur la défensive. Les pieux qui s’agitaient en face d’elle étaient certainement empoisonnés ; elle reculait chaque fois qu’elle contrait un coup, tout en se déplaçant sur le côté dès qu’un scientiste faisait mine de vouloir la contourner.

Les scientistes avaient beau être six, l’Apprentie parvenait à les contenir : en plus des mouvements d’épées qu’elle avait appris dans les salles de la Forteresse, elle n’hésitait pas à lancer les croche-pieds qui lui avaient permis d’être respectée dans les couloirs. Les défenseurs s’empêtraient dans les membres de leurs camarades tombés au sol, et elle profitait alors de sa position supérieure sur la dune pour fracasser leurs pieux, morceau après morceau.

Et l’avidité glaciale nichée dans sa main, à chaque coup, semblait se précipiter d’elle-même en avant, réclamant du sang, et ne trouvant qu’un os à la texture de bois vite réduit en charpie, mordre sa porteuse pour l’inciter à accélérer.

L’Apprentie s’était rendue compte dès le départ qu’elle perdrait son avantage relatif dès que les défenseurs n’auraient plus d’armes. Mais un simple coup d’œil lui confirma ce dont elle se doutait : Gorbak, après avoir assommé son groupe de scientistes, était allé porter main-forte à Onis.

Elle réagit avec un temps de retard à une énième attaque brutale ; un homme un peu bedonnant, peut-être quarantenaire, se projetant lance en avant vers elle avec un visage figé de résolution. L’épée traça une courbe nerveuse dans l’air, lui arrachant des mains ce qu’il lui restait de lance — il ne s’arrêta pas.

Il la tacla comme il pouvait, malgré l’inclinaison du sable sur lequel ils se tenaient, et Aixed parvint de justesse à réagir au coup. Elle dut mettre un genou à terre mais se releva, avant qu’on n’ait pu l’attaquer. Et il lui sembla que l’épée pensait pour elle ; l’homme n’avait pas reculé, n’était pas allé chercher une autre lance, il s’était jeté sur elle les poings serrés, et elle réagit sans réfléchir, les années d’entraînement au corps à corps parlant pour elle.

Sauf que quand elle fut passée dans son dos d’un mouvement souple et fit de nouveau face aux cinq autres, elle se rappela que ce n’était plus un bâton qu’elle tenait, et ses yeux virent avec un temps de retard le visage de l’homme, moitié fermé, moitié surpris, se superposer à ceux des autres défenseurs. L’impression d’être perdue.

À la Forteresse, elle avait mis un point d’honneur à réussir au plus vite tout ce qu’on lui demandait. Elle y était venue parce qu’elle ne voulait pas d’une vie faite d’automatismes et de gestes répétés des soixantaines et des soixantaines de fois. Elle s’était efforcée de comprendre les mouvements, au lieu de les apprendre. Alors elle se rendit compte qu’elle était immobile, vulnérable en face des cinq défenseurs.

Ils n’avaient pas bougé, restés fixés sur le corps de leur camarade. Ils auraient eu trois fois le temps de lui régler son compte — elle devait se reprendre, mais revoyait ce visage pris au dépourvu, se rendant compte de ce qu’il venait de faire, et reposant maintenant dans le sable.

La satisfaction qui monta de l’épée la remit finalement en mouvement. Son premier geste fut de répondre à la faim encore présente et de darder la lame ; puis elle se reprit finalement, et inversa sa prise pour frapper du pommeau. À la tempe. Elle l’avait appris.

Mais quand elle baissa les yeux sur les six scientistes étendus sur le sable, elle ne parvint pas à se convaincre qu’elle en avait épargné cinq. La compréhension lui échappait — instinctivement, elle chercha Gorbak du regard.

Le vieux Guerrier, en constatant que son Apprentie la plus pragmatique se débrouillait, était allé aider Onis. Le plus enthousiaste des deux Apprentis avait commis dès le départ l’erreur qui avait failli être fatale à Aixed, et riposté au premier coup de lance lancé vers lui par une contre-attaque létale.

Le temps que Gorbak arrive, Onis avait lâché son épée, révulsé par la satisfaction malsaine que cette dernière avait prise à tuer, et reculé de quelques pas. Le groupe de scientistes avait rapidement plaqué au sol une épée s’étant mise à fureter autour d’elle, en la tenant à distance à l’aide de leurs pieux, puis avait avancé sur l’Apprenti désarmé.

Le vieux Guerrier apparut à l’improviste et balaya l’air avec son épée ; il n’atteignit aucune lance, mais des ombres indistinctes prolongèrent son coup et brisèrent les armes des scientistes, disparaissant presque assez vite pour échapper aux regards. Il termina le travail sans un mot, débordant aisément la petite dizaine de défenseurs.

Après un coup d’œil à Aixed, alors encore occupée à repousser les lances de son groupe, il s’approcha de l’épée d’Onis, et tendit la sienne. Les deux panaches noirs et mauve se saisirent de la lame avec leur gracilité habituelle, puis la tendirent à l’Apprenti.

« Je suis désolé, articula ce dernier en se dépêchant d’enrober son arme dans ses tissus habituels.

— Tu n’as pas à l’être, assura Gorbak. Mais tu aurais dû prendre le temps de l’essuyer. »

Il disait vrai, l’Apprenti pensa-t-il en se rendant compte que la prochaine fois qu’il devrait entrer en contact avec son épée, elle serait encore ensanglantée. Il se sentait sale — il avait douloureusement conscience de son habit maculé de sang, là où celui de Gorbak était seulement couvert de poussière récente.

À l’autre bout du village, il vit Aixed commettre la même erreur que lui, et perdre un temps précieux à contempler le corps qu’elle venait juste d’abattre. Il comprit vaguement, comme de loin, qu’elle n’avait pas fait mieux que lui, qu’elle avait seulement eu de la chance que ses adversaires soient aussi choqués qu’elle — mais il sentit aussi qu’il avait fait moins bien, et que d’eux deux, c’était lui qui était superflu. Il ne se sentait pas bien. Pas bien du tout.

« C’est toujours comme ça, nota Gorbak sur le ton d’une banalité. On passe tous par là.

— Mais, Gorbak, hésita Onis. Je n’aurais jamais dû lâcher cette épée ? Est-ce que… Comment pourrais-je devenir un Guerrier après… ça ? C’est absurde…

— Certains Guerriers finissent par ne plus se rappeler aucun visage. Ce sont ceux-là qui devraient se poser la question. »

La cruauté de cette réponse occupa les pensées d’Onis un moment. Le temps que tous trois aient rassemblés les scientistes survivants au centre du village, sous la garde d’une Aixed aussi retournée que lui, et que Gorbak soit revenu avec les Démons, leur ayant interdit de toucher aux morts qu’il avait enterrés dans le sable.

« Et maintenant… demanda-t-il alors. On attend ?

— On attend, confirma le Guerrier en posant son épée entre les scientistes allongés. Un jour, peut-être deux, et vous allez les trouver longs. »

Les Apprentis pouvaient l’imaginer : s’il fallait passer deux jours sans courir, en se contentant de surveiller tous ces gens avec lesquels ils avaient tenté de s’entre-tuer, ils allaient vite être à bout de nerfs. Cependant, ils n’avaient pas envisagé la vraie raison.

« Vos épées sont devenues dangereuses pour vous, maintenant, reprit Gorbak comme s’il n’avait pas fait de pause. Elles ont goûté à la vie humaine, elles remettront votre autorité en question. Vous allez devoir les affamer, ce qui implique de les tenir toute la journée et de leur résister.

— Pardon ? s’exclama Aixed. On n’arrive pas à leur tenir tête un quart d’heure, comment voulez-vous qu’on les subisse toute la journée ?

— À force de vous attaquer, elles ont tissé un lien avec vos esprits. Cela leur offre plus de prise sur vous, mais maintenant, vous aussi avez une prise sur elles. Elles seront obligées de passer par ce lien : à vous de leur refuser le passage et de les renvoyer en elles-mêmes. Sans jamais tenter de les soumettre, attention : elles vous piégeraient dans leurs consciences. Mais je vous guiderai. »

Les deux Apprentis eurent ce coup d’œil machinal visant à confirmer que l’autre était aussi perdu. Ils étaient à peu près certains de ne pas être en état de lutter contre leurs épées et de ne pas pouvoir leur tenir tête avant quelques jours. Au moins.