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Le jardin de la mémoire de Branlo



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Informations

» Auteur : Branlo - Voir le profil
» Créé le 31/08/2020 à 20:05
» Dernière mise à jour le 31/08/2020 à 20:05

» Mots-clés :   Famille   Johto   One-shot   Sinnoh   Slice of life

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Genèse
Au matin, un rayon de soleil vint chatouiller la joue de l'artisan et le tira du sommeil. Lila encore endormie, il se leva et procéda à ses ablutions matinales dans le silence. Ce qui devait être un rapide passage par le miroir se transforma en une profonde réflexion méditative. Devant lui se dressait un grand-père aux cheveux gris coupés mi-longs, le visage dur d'un homme qui avait passé sa vie dehors, des sourcils broussailleux et un nez si fin qu'on aurait pu penser que l'arrête de son appendice était une lame. Fargas s'agaçait des traces indélébiles que le temps appliquait petit à petit sur sa face. Ses mains caleuses se posèrent délicatement sur les deux sillons nasogéniens qui traversaient son visage, infranchissables frontières en forme de parenthèses qui isolaient sa bouche aux lèvres fines. Puis, s'ébrouant, il quitta son reflet et déjeuna, puis s'installa à son atelier. Il se saisit de la GS Ball, et tourna l'objet entre ses doigts. La contemplation des lentes rotations du globe or et argent libérèrent des souvenirs qui se trouvait déjà aux limites de sa pensée.

Une fois la Ball conçue, Fargas s'était longuement interrogé sur l'utilisation qu'il en aurait. Était-elle destinée à contenir Ho-Oh ou Lugia ? Si tel était le cas, Fargas ne connaissait alors aucun dresseur capable d'un tel exploit. Il pensa l'offrir au Maître de jadis mais ce dernier, radical dans sa foi, déclina l'offre, dédaignant un objet divin conçu par la main d'un homme tout en invectivant un Fargas médusé, l'accusant de jouer avec des forces bien plus importante que lui. Fargas avait alors abandonné sa quête, frustré à l'idée d'avoir créé un objet grandiose dont il n'avait aucun moyen de connaître la fonction.

Un soir, abattu par son désir inassouvi, alors qu'il épongeait son amertume avec une liqueur de gland sous l’œil réprobateur de son Ramolosse, un étranger sortit de la forêt. Fargas remarqua tout de suite le jeune homme, ce qui chassa ses mauvaises pensées. Curieux et désinhibé par l'alcool, le jeune artisan courut à la rencontre du nouvel arrivant en lui faisant de grands signes de mains. Ce dernier, heureux d'être sorti de cette « Foutue forêt ! » avant que la nuit ne tombe ne pouvait rêver meilleur drille pour fêter son exploit. Tous deux emportés par l'allégresse des hasards, ils devisèrent longuement sous le scintillement des étoiles. Le nouveau frère de bouteille conta des légendes de son pays, Sinnoh. Émerveillé par l'histoire de la genèse du monde, Fargas apprit aussi l'existence d'une grande variété de Pokémons dont il ignorait tout. Les esprits liquoreux de ces deux nouveaux amis s'échauffèrent, et très vite, Fargas n'eut plus qu'une obsession en tête : partir, découvrir le monde, quitter son village enclavé ou le temps s'écoulait si lentement. Peut-être même trouverait-il, au-delà des mers, la raison d'être de son œuvre ? Cette nouvelle soif d'aventure persista même après qu'il fut désenivré et le poussa dès les jours suivants à dépenser ses économies pour un aller simple vers Joliberge, la ville portuaire de Sinnoh. Ironiquement, si une fois à bon port, il sentit que ses jambes étaient capables de franchir des montagnes, il ne voyagea que très peu.

De Joliberge il se dirigea vers Féli-Cité. Cette grande ville lui donna immédiatement le vertige : capitale en devenir, elle ne ressemblait en rien à la traditionnelle Ecorcia et cette foule l'angoissait. Son séjour y fut bref, et après qu'il eut quitté Féli-Cité par le nord et traversé la route 206, qui lui parut étrangement familière, il découvrit une large plaine désolée. Cette terre aride était parcourue de cratères et de tranchées écroulées. Ce genre de cicatrice était inconnu à Fargas mais son intuition lui souffla néanmoins que de nombreuses âmes étaient tombées en cet endroit. Ramolosse sortit sa tête du sac à dos de Fargas et regarda le centre de la plaine d'un air étrange. Même de loin, on y distinguait sans mal une bicoque au toit de chaume, cernée par des remparts de fleurs. Cet oasis de verdure qui trônait au milieu du vide, bourgeon prometteur d'un renouveau prochain, émerveilla Fargas. En traversant le champ de mort, il ne put soustraire son regard à cet appel de la vie, comme un insecte attiré par la lumière d'une bougie dans une nuit d'encre. Puis, en approchant de ce jardin perdu au milieu des limbes, il distingua une barrière en bois écrasée par le poids de la virtuosité botanique du propriétaire des lieux. Des branches de lilas poussait à travers les larges interstices des planches en un excédent de vie étrangement avide de sa désolée voisine. Certains exhortaient encore de hautes parures mauve d'où brillait une myriade de pistils dorés. D'autres déjà, présentaient de sombres bouquets garnis d'une mousse sèche, noirâtre.

Fargas fit le tour de ce buisson foisonnant à le recherche d'une entrée, mais il n'en trouva guère. Intrigué, il laissa son sac sur le sol et fit une nouvelle fois le tour de la propriété, mais il finit par le retrouver à l'endroit où il l'avait laissé sans avoir découvert de sentier qui le mènerait à l’intérieur du jardin. Cerné par la courte et tragique vie des lilas, le lieu demeurerait impénétrable, du moins sans tenter de se forcer un chemin à travers la végétation. Alors qu'il cherchait un moyen d'entrer sans abîmer les fleurs, il s’aperçut qu'un Pokémon qu'il n'avait jamais vu l'observait à côté de l'un des pieds de la barrière. Son témoin d'infortune semblait être une petite extension du jardin en raison de la végétation lui poussant sur le dos. Petit d'une vingtaine de centimètre, il fixait Fargas l'air songeur. Fargas s'en amusa :

- Alors petit gardien, il est à toi ce jardin?

Le Pokémon le regarda sans comprendre, mais Fargas entendit une voix lui répondre derrière lui :

- C'est un colocataire compétent et indispensable, mais je suis la véritable propriétaire de cet endroit.

Fargas fit volte-face. La femme qui se trouvait là portait une longue robe jaune derrière un long tablier de cuir. Ses bras nus révélaient des muscles fins et saillants sous une peau bruni par des travaux d'extérieurs. Une chignon négligé dégageait des épaules carrées qui soutenaient un cou délicat. Son visage aux hautes pommettes irradiait la chaleur et la gentillesse. Un sourire de bienvenue ponctué de grands yeux verts clairs donnèrent soudain très chaud à Fargas.

- Eh bien ! Madame, votre demeure ne manque pas d'attirer le regard.
- En effet. Mais les gens n'aiment guère se confronter aux horreurs du passé, dit elle en balayant le paysage désolé d'une main las, aussi personne ne passe par ici, en dehors de quelques voyageurs. Vous souhaitez entrer ? Votre ami aimerait sans doute se prélasser au bord de l'eau non ?

Elle fit un clin d’œil à Ramolosse, qui lui rendit un sourire béat. Derrière Fargas, le petit Pokémon avait disparu, mais un passage c'était ouvert, véritable arche florale à la composition complexe. « Par quel prodige ? » murmura Fargas, ravi de la tournure des événements. C'était exactement le genre d'aventures incroyables qu'il souhaitait pouvoir vivre pendant ce voyage.
Son hôtesse tendit sa main en direction de l'arcade, éclatante de bonté. Intimidé, mais émerveillé par l'apparition de cette somptueuse entrée, il laissa ses jambes le guider à l'intérieur du locus amoenus.

Derrière les remparts de lilas, il s'amusa de la diversité des parterres. Ici, les jonquilles poussaient telle une constellation d'étoiles jaunes sur un fond de cyclamens tous vêtu d'un rose qui tirait sur le blanc. Là, un Ceriflor tentait d'embrasser le soleil de ses pétales tendus à l'extrême, exhibant une mine ravie au milieu des lys qui imitaient de leur mieux le Pokémon fleuraison. De ce côté, un petit étang où barbouillait paresseusement un énorme Keunotor qui fut très vite rejoint par un Ramolosse avide de bains de soleil au bord de l'eau. Partout, fleurissait une vie bruissante qui n'avait cure des saisons. Dans ce pommier près de l'entrée, si grand qu'il cachait la façade de la chaumière, des Cheniselles étaient accrochées aux branches. Elles somnolaient, le ventre plein de pommes délicieusement sucrée. A côté de l'arbre, une petite table en bois et un banc garni de coussins accueillirent un Fargas dont les yeux furetaient l'endroit, s'arrêtant sur chaque petits détails, curieux comme un enfant. Son hôte le fit patienter puis, en lui tendant un grand verre de limonade, elle se présenta :

- Mon nom est Alice. Cet éden qui t'entoure n'est que le début d'un rêve plus grand. A terme, je désire voir ces terres désolées recouvertes de fleurs, je veux ressusciter la terre de mes ancêtres qui ont jadis défendu leurs idéaux en cet endroit maudit.
- Vous vous en sortez déjà merveilleusement bien ! Cet endroit est une merveille de la botanique.
- Seule, je ne pourrai rien. Ici, la terre porte les stigmates des combats passés : elle est gorgée de toxines. Rien ne pousserait sans la présence de mon ami herbu.
- C'est le petit bonhomme que j'ai vu à l'entrée ?
- Je pense que ce Pokémon se nomme Shaymin. Comme moi, il a sentit que cet endroit avait besoin qu'on l'aide à reprendre vie.
- Et vous ? Vos ancêtres vivaient ici, d'accord, mais j'aimerai en savoir plus sur vous.
- Vous connaissez mon nom, vous connaissez mon but. De cela, déduisez ce que vous souhaitez, et prenez le temps de découvrir le reste, répliqua-t-elle d'une voix chaleureuse.

La perspective de passer du temps avec son hôtesse ravie Fargas. Mais une idée effaça momentanément cette image de son esprit :

- Avez-vous jamais vu pareil objet ? dit-il en exhibant la GS Ball à Alice. Avez-vous la moindre idée de sa finalité ?
- Je crains qu'à nouveau, je ne puis vous fournir les réponses que vous attendez, dit-elle d'un air peiné, certaines personnes sont nées pour embellir le monde, d'autres sont nées pour en jouir. C'est ainsi. Peut-être votre œuvre est-elle destinée aux fils et filles de notre ère. Peut-être que le dessin de cet objet n'est pas encore apparu.
- Mmh.... Et comment savez-vous que j'ai conçu cette Ball ?
- Elle porte la même aura que vous, Fargas. Vous ne pouvez pas le voir, mais moi si. Je vois aussi que cet objet est très spécial, une pièce unique. Mais il n'est pas destiné à être compris par vous ou moi, j'en suis convaincu. Il sera votre héritage, pas votre outil.
- Et mon nom, bon sang, comment le connaissez-vous ? Ce n'est pas quelque chose qui flotte au-dessus de ma tête au moins ?

Lui-même ignorait s'il blaguait ou si ce n'était qu'un sarcasme. Les réponses d'Alice lui semblaient étonnamment pleines de bon sens, mais il se refusait à les accepter.

- Rassurez-vous, il n'existe rien de tel. C'est ainsi, vous avez vos secrets et j'ai les miens. N'oubliez pas que vous êtes ici chez moi, et que cet endroit est soumis aux règles que je dicte. Aussi, tant que vous serez ici, vous n'aurez pas l'occasion de faire quelque chose qui me déplaît.
- Impossible... Êtes-vous une sorcière ?

Cette fois, Alice éclata de rire. Un rire bienveillant, empathique envers ce jeune homme déboussolé.

- Si ma véritable nature vous intéresse tant, pourquoi ne pas rester quelques temps ici ? J'ai grand besoin de main d’œuvre comme vous pouvez le constater. En échange, vous aurez de quoi dormir et manger. Aussi, mon intuition me dit qu'en plus des fleurs, vous pourriez trouver en cet endroit des raisons d'être heureux sans vous embarrasser de ce magnifique objet.
- Mais vous l'avez dit vous même. J'ai conçu ce prodige. Il m'incombe d'en définir les attributs et les limites.

Alice ne lui répondit pas, mais on lisait la compassion sur le visage de l'étrange jeune femme. Elle devait avoir son âge pensa soudain Fargas, mais si elle semblait ne cumuler qu'une petite vingtaine d'années, elle était indubitablement plus sage que lui. Remisant la GS Ball au fond de son sac et dans un coin de son esprit, il tendit une main musculeuse vers son éblouissante hôtesse : « Marché conclu ! »