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Le jardin de la mémoire de Branlo



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Informations

» Auteur : Branlo - Voir le profil
» Créé le 31/08/2020 à 20:01
» Dernière mise à jour le 31/08/2020 à 20:13

» Mots-clés :   Famille   Johto   One-shot   Sinnoh   Slice of life

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L'adieu des Scarhinos
« Alors ça ! »

« C'était génial. Merci ! »

« Les légendes de cet autel étaient donc vrai. »

« Tout ceci est fantastique. »


Fargas, en dévisageant le dresseur qui se tenait face à lui, le nouveau Maître, ne put s'empêcher de réprimer un frisson. L’écho de sa fulgurante ascension et des nombreux coups d'éclat de ce génie au regard froid avait atteint ses esgourdes malgré la densité du Bois aux Chênes. Face à lui cependant, il ne sentait pas un garçon fait de chair et d'os, mais une entité autre, un avatar des dieux, tant son expérience et son aura jurait avec son visage juvénile.

L'artisan se dit alors qu'il était peut-être trop ignorant de la nature profonde des choses, puisque le Gardien lui-même avait accepté de se montrer à lui, et de lui accorder une confiance sans retenue dès la première Ball lancée. Fargas observa sur la ceinture du Maître la nouvelle demeure de celui qui avait protégé Ecorcia et ses forêts pendant si longtemps, et son cœur se serra à la vue de l'Hyper Ball qui contenait Celebi. Ainsi, cette nouvelle étoile, la plus belle d'entre toute malgré la jeunesse de son éclat, avait choisi la froide efficacité d'un produit conçu à la chaîne dans les remuantes entrailles de la Sylphe Corp. Si l'Hyper Ball était largement plus polyvalente que ses propres Balls artisanales, elle ne s’adaptait pourtant pas au Pokémon qu'elle contenait. Celebi méritait de résider dans une Ball conçue par un fruit de ses propres bois.

Un soupir à fendre l'âme au bord des lèvres Fargas se contenu pourtant et prit le temps de la réflexion. S'il n'évoluait pas, quelle avenir pour les Balls faites à partir de Noigrume ? Une Ball industrielle s’achetait souvent en gros, et son prix à l'unité était élevé, surtout si on cherchait de la qualité. Cependant, elles étaient immédiatement disponibles et en quantité quasi-illimité. Sa production personnelle était lente et fastidieuse, mais ses Balls étaient uniques, spéciales, chacune tentant d'enrober un aspect de la nature du Pokémon capturé. Malheureusement, qui se souciait aujourd'hui de ses traditions, de son savoir-faire ? Quelques olibrius en quête d'originalité, tout au plus. Il se sentit traversé par l'amertume de ses idées noires et de ses incertitudes :

« Je vais faire de meilleurs Balls. »

Le ton de sa promesse fit lever les yeux du Maître vers Fargas, mais ce dernier avait déjà tourné les talons, impatient qu'il était de créer une place dans ce nouveau monde pour lui et sa petite-fille. Le pied sûr, il foulait une terre qu'il connaissait et qu'il aimait. Sa résignation laissa place à une détermination encore fragile. Les chênes qui bordaient le sentier projetèrent sur lui une ombre lourde et intime, propre à laisser son cœur vagabonder à une douce mélancolie. Sous les épais feuillages, il devinait derrière des frémissements la présence d'un Capumain qui se déplaçait de branche en branche à l'aide de sa queue, provoquant des tressaillements rythmés, saccadés, signature caractéristique de son espèce. Bientôt, il ne l'entendit plus. Le calme qui s'installa lui sembla alors étrangement lourd, et un frisson lui parcourut l'échine. Un nuage découvrit la lune, et la lumière de l'astre blanc vint se réfléchir sur la carapace d'un énorme Scarhino. Fargas, surpris, recula d'un pas. L'armure bleue et noire, à l'instant invisible dans l'obscurité de la nuit, brillait maintenant comme un joyau d'un ailleurs lointain. Le spécimen était exceptionnel : plus grand que les autres de son espèce, sa longue corne portait les cicatrices des combats qu'il dut mener et ses yeux jaunes aux iris noirs comme des gouffres irradiaient de la fierté des conquérants. Pourtant, malgré sa carrure, Fargas ne l'avait pas senti approcher. Il était d'autant plus surpris que les Scarhinos préféraient les bois limitrophes au village, plus espacés, et donc moins contraignants pour leur corne.

Le silence qui s'installa n'en était pas vraiment un : le cœur de Fargas frappait sa poitrine et résonnait sourdement dans ses tympans, comme une paume battant le cuir tendu d'un tambourin. Il n'y avait plus de vent, et la tension du moment paralysait les muscles de Fargas, réduit au néant par la toute puissante aura du guerrier en armure noire. Le Scarhino porta son attention vers l'autel du Bois aux Chênes et, brisant le silence, poussa un cri qui déchira la nuit. Il émit un son grave, lourd, comme une longue note d'un orgue mortuaire. Puis, lorsque son éloge fut terminée, sans un dernier regard, il retourna en sa demeure, laissant sur place un Fargas qui tremblait autant d'excitation que de peur. Envahi par la force de cet incroyable guerrier et par la joie d'avoir assisté à un spectacle à représentation unique, Fargas s'ouvrit à l'optimisme naissant qu'il avait senti plus tôt, et il eut bientôt une inébranlable confiance envers l'héritage qu'il laisserait à ce monde. Une pensée le traversa alors, et il revint sur ses pas pour se saisir de la GS Ball qui trônait dans son étrange petit trou sur l'autel du Gardien. A la lumière des étoiles, il observa la petite sphère or et argent, pièce maîtresse de l'ensemble de ses œuvres. Sa fastidieuse fabrication avait été le fruit d'une merveilleuse aventure de jeunesse et ils devaient ses plus beaux souvenirs aux chemins que la Ball lui avait fait emprunter.



Un matin d'hiver, à l'aube de ses vingts printemps, la neige encore immaculée au-dehors de son atelier, il avait entrevu le dieu du soleil et celui de la lune se disputer la couleur du ciel. Dans ces entrelacs de bourrasques et de braises, il distingua les serres et les becs se heurter à des ramages de mercure et de saphirs, de topazes et de rubis. Puis un nuage avait brusquement libéré le soleil, et Ho-Oh et Lugia s'étaient quittés, passionnés ennemis du fil des crépuscules. En visitant le point en-dessous de l'affrontement, Fargas trouva la preuve de ce qu'il avait observé : deux plumes, une argentée, et une autre rouge verte et blanche. Il s'étonna de l'étrange dureté de ces délicats rémiges. Persuadé qu'elles étaient faites d'un matériau qui lui était inconnu, il eut le désir d'expérimenter cette nouvelle matière. De fait, qui savait alors quels effets aurait une Ball faite d'un métal divin ? L'idée s'enracina peu à peu dans son esprit, et l'irrépressible besoin de créer commença à envahir ses mains. Très vite, à l'aide du charbonnier d'Ecorcia, il fit fondre les plumes. Le rouge, le blanc et le vert de l'Arcenci'Aile fusionnèrent en se liquéfiant, le blanc venant purifier de sa lumière cristalline un mélange qui aurait dû être marron pour offrir un doré soyeux. L'Argent'Aile conserva sa teinte monochrome et son éclat. Le lendemain, le jeune artisan et le charbonnier sortirent tous deux triomphants de l'atelier, la GS Ball flambante neuve trônant dans le creux la paume déjà caleuse de Fargas.


Un Chenipan traversa le sentier sous le nez de Fargas, l'arrachant à ses souvenirs. Il réalisa que la nuit était déjà bien entamée et que sa petite-fille devait se ronger les sangs à l'attendre. Il se précipita en dehors du Bois au Chêne, le pied sûr, évitant Pokémons et racines. Devant chez lui, Lila, sa petite-fille, l'attendait avec un air boudeur.

- Papy ! Tu m'as oublié ou quoi ?
- Non fillette, ton Papy a assisté à un spectacle unique aujourd'hui ! Le Maître a capturé le Gardien du Bois aux Chênes ! Ou plutôt, le gardien a consenti d'aider le Maître... Difficile de faire la différence.

L'air boudeur ne disparu pas du visage de Lila, bien au contraire, elle se renfrogna plus encore, et lui hurla presque dessus, libérant l'angoisse qu'elle avait ressentie pendant l'absence de sa figure paternelle :

- Et pourquoi moi j'étais pas avec toi pour voir le Gardien ? T'en parles tout le temps ! C'est pas juste ! T'es qu'un gros égoïste ! Et puis d'abord, il s'en fiche du Bois aux Chênes, le Maître ! Il est comme tous les autres, il ne cherche que des Pokémons rares et puissants ! Toi t'as juste voulu jouer aux scientifiques fous avec ta Ball bizarre !
- Je suis désolé de ne pas t'avoir emmené, mais je voulais te protéger du combat.
- N'importe quoi ! En quoi un combat Pokémon peut-il me faire du mal ?

Fargas ferma les yeux. Le souvenir du gigantesque Tyranocif du Maître se grava dans son esprit. C'était la première fois qu'il en voyait un de ses propres yeux, et il ne l'oublierait jamais. Celui-ci devait bien mesurer trois mètres, et peser autant de quintaux. En sortant de son Ultra Ball, il avait poussé un grognement sourd qui promettait la mort à quiconque se dresserait entre lui et son dresseur. La température avait grimpé de quelques degrés, et le vent s'était levé. Fargas avait été soulagé que le Maître n'ait pas eu à libérer la destructrice énergie du monstre afin de capturer le Gardien.

- Et bien, comme tu le dis si bien, le Maître n'aime que les Pokémons puissants. Crois-moi, ce Tyranocif aurait hanté tes cauchemars comme il hantera sans doute les miens.
- Mouais... un Tyranocif hein...

Piégée par sa propre logique, Lila tourna les talons sans décolérer, et s’enfonça dans la pénombre de l'atelier. Fargas ne pouvait en vouloir à la fillette : il était tard. Il avança vers Lila, et pensa à ses parents. L'homme se sentit soudain abattu par le poids des années, et il écrasa d'un geste furtif une grosse larme sur sa joue burinée, au souvenir de sa propre enfant. Il se sentait parfois bien seul maintenant, mais il était animé par le désir que cette gamine ait une famille, même réduite, pour grandir.

- Dis Papy... murmura la fillette le ton soudain plus grave, que va-t-il arriver à la forêt maintenant que le Gardien est parti ? Ça veut dire qu'elle va mourir ?
- Non, Celebi ne s'offrirait à personne si cette forêt courrait un danger. C'est aussi sa maison tu sais ? Il y reviendra un jour, c'est certain. C'est à nous de faire vivre ses bois en attendant son retour.
- C'est quand même pas juste.

Rassurée, Lila opta pour une nouvelle moue boudeuse, moins déterminée cependant que les précédentes.

- Moi j'ai toujours été sage avec le Gardien, même que c'est moi qui nettoie son autel. Pourquoi il est jamais venu me dire bonjour ? Je l'aurai pas attrapé moi, je voulais juste qu'on soit copain quoi... Il aurait joué avec Ramolosse, lui au moins il fait pas peur.
- Il te regardait sans doute lorsque tu ne lui prêtais pas attention, dit Fargas en esquissant un sourire, te souviens-tu de la dernière fois que tu es tombée malade ? Non ? Moi non plus. Et quand tu as oublié ton Ramolosse à l'autel ? Tu crois qu'il est revenu sans dégâts parce qu'il sait se défendre ? questionna Fargas, arrachant un petit rire à la fillette. C'est ainsi que vont les choses mon enfant. Les Pokémons ne sont pas que des combattants. Parfois, leurs bénédictions sont plus subtiles que de la force brute. Je suis certain qu'au contact de Celebi, le Maître découvrira une nouvelle manière d'aimer ses Pokémons, et c'est sans doute pour cela qu'il l'a suivi.
- Pff, t'as toujours réponse à tout Papy. Mais tu me dois quand même une rencontre avec le Pokémon du Maître, et Celebi. T'as qu'à lui demander quand il reviendra avec des Noigrums !
- Promis, je lui poserai la question, répondit-il tout en doutant que Lila se montre aussi enthousiaste lorsqu'elle ferait face au Tyranocif.

Sa colère apaisée, et le cœur léger à l'idée de voir les compagnons du Maître, elle s'endormit très vite. En la bordant, Fargas remarqua les petites pommettes saillantes de sa petite-fille, et ferma ses yeux en s'amusant de la ressemblance entre Lila et sa grand-mère.