Projet Triple 3 de Ramius

Aucun Dresseur sensé ne se baladait sans médicaments. Auguste en avait dans les larges poches de sa blouse, comme tout le monde.

Il farfouilla un instant, saisit un Rappel, et attrapa la Ball d’Adèle. À l’aveuglette, il repéra le port de soin, et y introduit l’embout du Rappel. La Ball bipa deux fois, indiquant un Pokémon dans un état dangereux, mais absorba tout de même l’intégralité du contenu de la petite fiole jaune. Un instant plus tard, un bref éclair de lumière perça les ténèbres : l’Arcanin était sur pieds.

Auguste n’aimait pas beaucoup l’appeler avant d’être passé à un vrai centre Pokémon, mais il n’avait pas vraiment le choix : elle seule pouvait s’occuper de la tâche qu’il devait accomplir. Malgré sa blessure au ventre, que le Rappel, ne pouvait pas soigner complètement mais seulement neutraliser, elle restait le membre le plus solide de l’équipe.

Elle dut être assez surprise de débarquer dans une forêt noire comme l’encre, alors que moins d’une minute plus tôt le brasier aurait donné un bon avant-goût de l’enfer. Mais elle sentait bien les mêmes monticules carbonisés sous ses pattes ; alors elle voulut vérifier, et elle alluma sa Torche d’un coup de Crocs Feu expert.

La maigre lumière éclaira quelques reliefs noirs de suie. Dont le Champion, sa blouse n’étant pas en meilleur état que le reste ; et un cadavre qu’elle identifia immédiatement. Comme son adversaire, tout d’abord ; et comme un cadavre, ensuite. C’était totalement mort.

J’ai un truc à te demander, dit Auguste en décapsulant une Huile. Ça ne va pas te plaire.

Il obtint un jappement enthousiaste pour toute réponse. L'Huile rechargerait un peu les réserves de méthane d'Adèle, lui permettant de lancer de nouveau des attaques Feu.

Tu pourrais creuser un trou ? Profond comme moi, à peu près, et un peu plus large que toi.

Nullement effrayée, Adèle se mit immédiatement à la tâche, dégageant d’abord une portion de cendres du sol. En un rien de temps, ses puissantes pattes labouraient la terre épargnée par l’incendie, l’envoyant gicler à plusieurs mètres derrière elle — Auguste préféra s’écarter, prudemment. Et elle n’hésitait pas, quand elle croisait un obstacle — racine encore en vie, caillou, ou n’importe quoi d’autre à pouvoir se cacher sous le sol d’une forêt sans brûler — elle n’hésitait pas à lui infliger un coup de Crocs de Feu. Même quand cela ne suffisait pas à réduire une roche en cendres, la terre alentour devenait friable, et permettait à Adèle de l’extirper du trou.

Il lui fallut tout de même une dizaine de minutes pour terminer, avec un jappement de fatigue. C’était bien plus rapide qu’Auguste n’aurait pu le faire avec une pelle, et l’Arcanin était contente de son travail. D’autant qu’après son rude combat contre Canaima, se passer les nerfs sur quelque chose pour oublier sa défaite ne faisait pas de mal.

Forcément, elle ne comprit absolument pas pourquoi Auguste se donnait le mal d’enterrer la chimère.

Le Champion s’arc-bouta derrière le corps recroquevillé, la faisant laborieusement rouler dans le trou — dans la tombe. Adèle ne voyait pas bien à quoi cela servait ; quoique, ce Pokémon empestait la mort si fortement qu’en débarrasser la forêt ne ferait certainement pas de mal. Si goulue soit-elle, l’Arcanin n’aurait jamais avalé la moindre bouchée de ce corps. Même affamée, la répugnance incompréhensible que la chose lui inspirait l’aurait tenue à distance.

Auguste lui-même n’aurait pas osé toucher le cadavre de sa chimère, si elle avait affiché le moindre signe de vie. Mais il l’avait tué lui-même, son inertie était sans équivoque. Alors il continua, il s’acharna, et finit par faire tomber le corps lourd et difforme au fond de sa tombe.

À sa demande, Adèle dut ensuite ramasser la terre qu’elle avait projetée derrière elle et reboucher le trou. Heureusement, ce fut moins difficile : il y avait moins de volume à déplacer, Canaima prenant déjà de la place ; la plupart de la terre était tombée au même endroit ; et en plus, elle n’opposait plus aucune résistance.

Ce fut vite fait. Auguste put retourner à la civilisation.

Il avait laissé une balise de son bracelet-téléporteur dans la cour du monastère ; le temps de rappeler Adèle dans sa Ball, et il était de retour, n’ayant même pas un pas à faire. Presque tous les vingt-quatre Rockets présents sursautèrent en entendant le bruit caractéristique du téléporteur.

L’aube se précipita dans les yeux du Champion, un répit inespéré et même brutal après toutes ces ténèbres qu’il avait traversées. Il ne parla pas tout de suite, aussi surpris que les Sbires : dans les restes d’Explonuit où il avait laissé la forêt, il n’avait pas remarqué le lever du Soleil. David fut le premier à se remettre du choc.

Auguste ! s’exclama-t-il. Ça va ? — je veux dire, est-ce que l’Abomination est, enfin…

— Oui, David, répondit calmement le Champion. Morte et enterrée.

— On a vu l’incendie, précisa Raymond. Et je crois qu’on a tous autant flippé quand une espèce d’explosion d’encre l’a soufflé. Sérieusement, souffler une forêt entière : comment t’as pu battre un monstre pareil ?

— Par chance, admit un Auguste peu désireux de s’étendre sur le sujet. Mais je vous avoue que j’ai bien failli y passer…

— Tu n’es pas choqué, releva Bianca. Tu es horrifié. Que s’est-il passé ?

Pour une fois, le Champion aurait bien aimé ne pas avoir autant en commun avec l’aide de labo. Il savait bien qu’il n’échapperait pas à sa curiosité facilement, alors il se résigna à expliquer une partie de ce qu’il avait compris. Mais pas ce qu’il avait vécu. Cela, il ne se sentait pas encore prêt à l’affronter.

Disons que… commença-t-il en espérant qu’il trouverait quelque chose à dire. J’ai plus ou moins compris pourquoi elle est— enfin, était, aussi foutrement puissante. J’ai l’impression que quand ses trois types ont influé sur son corps depuis la coquille de son Œuf, le résultat a déchiré quelque chose dans, euh. L’espace-temps, je crois, ça existe ?

— Oui… Et ?

— Et quelque chose en est sorti. Un genre de souvenir d’un Pokémon ancien et puissant, dont elle a hérité des capacités. Peut-être atténuées, je ne saurais pas dire. Mais en tout cas, c’est exactement le genre de Pokémon dont on retrouve les traces dans les mythes — il me semble qu’à Kalos, on parle d’un Pokémon qui distribue de la vie à tout ce qui est vivant sur cette planète ? Un Pokémon de cet acabit.

— D’accord… souffla un Benjamin impressionné.

— Et c’est pas tout, continua Auguste. De ce que j’ai compris, ça — ça et les trois types, ça lui a pas mal tordu l’esprit ; au point où elle a commencé à se nourrir de nos peurs, de nos colères… Je crois que je suis responsable de son apparence ; parce que j’étais arachnophobe, et qu’elle a vu ça. Et ça va encore plus loin ; en fait je suis assez heureux que personne n’ait eu un chagrin d’amour dans la base, parce qu’il aurait pu se transformer en arrêt cardiaque.

Personne ne répondit ; ces affirmations étaient trop choquantes pour être tout de suite acceptées. Un Pokémon divin ? Absurde… non ?

Quant à Bianca, elle signifia du regard à Auguste qu’elle n’était pas dupe : que pour comprendre tout ça, il avait forcément dû passer dans l’esprit de la chimère, et qu’elle lui tirerait les vers du nez à ce sujet. Mais pas sur-le-champ ; ce message-là aussi était passé. Elle désamorça le sujet.

Bon. Et on fait quoi, maintenant ?

— Aucune idée. J’imagine qu’on va être distribués dans des bases de la Team, avec sans doute quelques jours de congé. Et qu’on va pouvoir terminer CP, maintenant ; on en a assez appris sur les types pour ça.

— CP ? s’étonna Bianca. Carrément ? Alors là, c’est le Boss qui va être content. Tu penses vraiment pouvoir y arriver ?

— Je n’ai aucun doute, l’assura Auguste. Enfin, peut-être pas moi ; l’autre prof, j’ai oublié comment il s’appelle, est sacrément compétent aussi.

— Fuji.

— Merci. Pour ma part, j’ai échoué ici, avec Canaima… Hors de question d’échouer avec Mewtwo.