La centrale
Basalte sortit de la montagne sans le moindre problème. Une fois hors des grottes, il parcourut les environs du regard, espérant voir son frère. Il ne le trouva pas. Sans doute Granit était-il déjà loin. Basalte supposa qu’il avait emprunté la route que les humains avaient tracé dans la montagne. Les Hommes avaient souvent du mal à se déplacer hors des chemins qu’ils construisaient, il était donc peu probable que ceux qui capturaient les charbis rejoignent les grottes d’une autre façon.
Basalte suivit donc la route en prenant soin de rester un peu au-dessus du chemin pour ne pas être vu par les humains. Il espéra que son frère avait eu l’intelligence de prendre la même précaution. Il vit passer quelques humains, mais aucun n’avait l’air de faire partie d’une bande cherchant à capturer le plus de charbis possible. La plupart se déplaçaient par groupes de deux où trois et aucun ne semblait avoir prévu beaucoup pokéballs. Il s’agissait probablement de dresseurs venus s’entraîner dans les grottes. Basalte continua son chemin sans leur prêter attention.
Il parvint bientôt à la route qui descendait vers la ville. Il s’apprêtait à l’emprunter, mais il se ravisa. Le chef avait dit que les humains agissaient de nuit et tentaient de ne pas être vus par leurs congénères. Il était donc peu probable qu’ils vivent parmi eux.
Basalte réfléchit un moment. Si on ne souhaitait pas être vu par les autres humains le meilleur endroit pour se cacher était la montagne. Lorsque des Hommes s’y rendaient ils ne s’écartaient presque jamais de la route qui allait de la grotte à la ville. Il était donc peu probable qu’un autre humain tombe par hasard sur la bande qui capturait les charbis si leur base se trouvait ici.
Basalte hésita. Il était absolument certain que les humains que son frère poursuivait ne se trouvaient pas dans la ville. En revanche il n’était pas sûr que Granit l’ai compris. En ce moment le jeune charbi errait peut-être dans les rues de la ville, cherchant les humains qui avaient capturés ses amis. D’un autre côté s’il avait compris que les humains se trouvaient quelque part sur la montagne, Basalte ne pouvait pas courir le risque de le laisser les retrouver.
Le charbi décida finalement d’explorer la montagne. Si son frère était en ville il ne risquait pas grand-chose. De nombreux pokémons de dresseur se déplaçaient seuls, les habitants penseraient donc probablement qu’il appartenait déjà à quelqu’un. En revanche si Granit était dans la montagne il courait un véritable risque.
Basalte suivit les sentiers de randonnée que les humains avaient tracé. Il en repéra rapidement un qui semblait nettement plus fréquenté que les autres. Il le suivit. Au bout d’une bonne heure de marche il se parvint à une petite vallée où se situait un étrange bâtiment. De forme rectangulaire il ne possédait aucune fenêtre. A côté de lui, une gigantesque cheminée laissait échapper une fumée blanchâtre.
Il s’approcha discrètement pour voir si Granit était ici. Il le repéra plutôt facilement. Son frère ne prenait même pas la peine de tenter de se cacher et s’approchait tranquillement des installations humaines.
« Granit ! l’interpella Basalte.
-Tu as changé d’avis ? demanda le jeune charbi. Tu veux bien m’aider finalement ?
-Non. Je viens pour te ramener à la maison. S'attaquer aux hommes est beaucoup trop dangereux pour je te laisse le faire
-On n’a plus de maison à cause des humains ! Ils ont capturé les nôtres et nous ont obligé à quitter nos grottes ! On ne peut pas rester sans rien faire ! Si tu as peur des hommes tu peux partir. J’ai trouvé leur base tous seul je peux aussi me débrouiller pour la suite, lui répondit Granit avant de continuer son chemin vers les bâtiments.
-Granit ! Reviens ! C’est trop dangereux ! »
Le jeune charbi fit mine de ne pas l’entendre et commença à contourner, l’édifice rectangulaire. Basalte le suivit, bien décidé à le rattraper. Il le rejoint à l’angle du bâtiment. Son frère s’était figé, l’œil rivé sur des humains. Basalte suivit le regard de son frère et se pétrifia à son tour.
Derrière le bâtiment il y avait d’autres installations. Ils s’ agissaient de gros cylindres bleu vifs. Des humains se tenaient près de ces cylindres et introduisaient des charbis à l’intérieur. Les machines étaient groupées autour de plusieurs trous, et déversaient de la poussière de charbon à l’intérieur. Lorsque les trous étaient pleins, les humains cessaient de remplir les cylindres, prenaient des sacs, et amenaient le charbon à l’intérieur du bâtiment.
Basalte se tenait à côté de son frère, incapable de détourner son regard des humains. Ils y en avait trois devant chaque cylindre. Chacun d’entre eux avait un sac de pokéball devant lui. Ils se baissaient, prenaient une pokéball dans chaque main, libéraient les charbis à l’intérieur de la machine, posaient les pokéballs vides, et recommençaient. Ils effectuaient ces tâches mécaniquement, sans manifester la moindre émotion. Visiblement tuer des dizaines de charbis ne les gênaient absolument pas.
Basalte tenta de croiser le regard de certains charbis, de voir s’il les reconnaissait, mais c’était peine perdue. Il avait tout juste le temps d’entrapercevoir ses congénères avant que ceux-ci ne disparaissent dans le cylindre. Il aurait même pu les confondre avec de simples cailloux, sans leur œil.
Basalte s’efforça de détacher son regard des machines et le porta sur les montagnes de poussière de charbon. Combien de charbis avait-il fallu broyer pour obtenir des tas d’une telle hauteur ?
Basalte se tourna vers son frère.
« Viens Granit, lui dit il doucement. On rentre. »
Le jeune charbi ne répondit pas tout de suite. Il resta immobile, l’œil fixé sur les machines des humains, sans montrer de signe indiquant qu’il avait entendu. Il semblait incapable de faire le moindre mouvement.
« Non, finit-il par répondre après quelques instant de silence.
-S’il te plaît ne fait pas l’idiot ! C’est trop risqué de rester ici. Tu as vu ce qu’ils font aux charbis qu’ils capturent.
-Justement ! rétorqua Granit. On ne peut pas les laisser commettre des meurtres sans rien faire ! Il faut qu’on aille sauver les nôtres ! Si on ne fait rien, ils vont mourir !
-Je sais. Mais c’est trop tard pour eux maintenant. La meilleure chose à faire pour l’instant c’est de rentrer et d’aider les autres charbis à se défendre.
-Mais…
-Granit, si tu refuses de me suivre je t’assomme, et je te traîne jusqu’à la grotte, l’avertit Basalte. Je ne plaisante pas. C’est dangereux et je n’ai pas l’intention de te laisser te faire tuer par les humains. »
Le jeune charbi se tourna vers son frère et le défia du regard pendant quelques secondes. Puis il céda et se dirigea vers le sentier qui menait à la grotte. Basalte le suivit. Le trajet du retour se passa dans un silence complet. Granit roulait quelques mètres devant son frère, l’œil fixé sur le sol. En le regardant de plus près Basalte s’aperçut qu’il pleurait. Il s’approcha pour tenter de lui parler, mais son frère accéléra sans lui laisser le temps d’ouvrir la bouche. Basalte hésita à le suivre, puis décida de le laisser tranquille pour l’instant. Il parlerait à son frère lorsque celui-ci se serait calmé. Voir ses congénères mourir l’avait choqué. Il fallait sans doute mieux lui laisser un peu de temps pour s’en remettre.
Basalte laissa donc son frère rouler devant lui sans chercher à lui parler. Il repensa à ce que les humains faisaient aux charbis et se demanda à quoi cela leur servait. Quel intérêt pouvaient-ils avoir à tuer tout ces pokémons ? Après quelques minutes de réflexions Basalte songea que c’était sans doute pour récupérer leur charbon. Il savait que les humains s’en servaient. Il en voyait souvent venu ramasser les morceaux qui tombaient naturellement du corps des charbis.
D’après ce qu’il avait appris en vivant chez les humains cela leur servaient principalement à produire de l’électricité. Il n’avait pas très bien compris pourquoi ils voulaient produire cette énergie. Basalte avait vu un certain nombre d’appareils fonctionnant avec, mais il n’avait jamais vraiment compris en quoi ils étaient utiles.
Il soupira, dégoûté. Ces Hommes étaient capables d’assassiner des centaines de charbis pour faire marcher des appareils inutiles. Basalte savait que les humains n’étaient pas tous bons. Il savait qu’il avait eu la chance de tomber sur un dresseur particulièrement gentil, et que beaucoup de pokémons capturés vivaient un enfer. Il savait que la plupart des humains étaient nettement plus cruels que les pokémons. Mais il ne les aurait jamais cru capables d’une chose pareille.
Basalte repensa à son plan. Laisser les autres charbis être capturés pour pouvoir fuir avec sa famille. C’était mal de faire une chose pareille. Ne rien tenter pour sauver les autres charbis c’était être complice du massacre perpétré par les humains, Basalte en avait conscience. Sauf qu’il ne voyait pas d’autres solutions. Son idée ne serait pas facile mettre en place, surtout maintenant que son frère avait vu ce que les Hommes faisaient à ceux qui étaient capturés. Granit aurait de toute façon été difficile à convaincre, mais maintenant il était certain qu’il refuserait de fuir. Il faudrait aussi l’empêcher de prévenir ses parents. Eux aussi risquaient de rechigner à abandonner leurs congénères à la mort.
Basalte passa le reste du trajet à peaufiner son plan. Il avait décidé d’assommer Granit juste avant d’arriver dans les grottes où la tribu s’était réfugiée et hésitait encore sur le moment où il préviendrait ses parents de son plan, lorsque lui et son frère arrivèrent à la route qui descendait vers la ville. En arrivant au croisement Granit s’immobilisa si soudainement que Basalte faillit lui rentrer dedans.
« J’ai une idée pour sauver les autres ! annonça le jeune charbi avec excitation.
-Ne recommence pas avec ça s’il te plaît ! lui répondit Basalte, agacé. Je t’ai déjà dit que les humains sont invincibles, et qu’on ne peut rien faire contre eux. Maintenant arrête de discuter et suis-moi jusqu’à la grotte.
-On ne peut être pas battre des humains, mais d’autres humains le pourraient ! Ton ancien dresseur vit dans cette ville. Tu pourrais le convaincre de nous aider ! Tu m’as dit qu’il était gentil, donc il va sans doute accepter ! »
-Mon ancien dresseur est encore jeune. Franchement, je ne suis pas sûr qu’il soit de taille.
-Mais il y a les champions d’arènes ! Tu m’as dit qu’ils étaient très forts et qu’ils protégeaient les pokémons. Ton dresseur pourrait appeler celui de cette ville ! Même si ça ne marche pas au moins on aura essayé de faire quelque chose. C’est toujours mieux que de se terrer dans les tunnels en attendant que les humains viennent nous tuer nous aussi. »
Basalte ouvrit la bouche pour répliquer, mais il s’aperçut qu’il n’avait rien à dire. Il doutait que le plan de son frère fonctionne. Même si son dresseur comprenait ce qu'il devait faire, il n’était pas sûr qu’il parvienne à convaincre le champion d’arène de venir à leur secours.
Mais ils ne perdaient rien à essayer. Ils ne couraient aucun risque même si le plan échouait. Et s’il y avait la moindre chance de sauver les charbis, ils devaient essayer de faire quelque chose, même si cette tentative était vouée à l’échec.
« C’est d’accord, dit Basalte. On y va. Mais n’aie pas trop d’espoir, ça ne servira probablement à rien. »