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Songes de la Mer de Misa Patata



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Informations

» Auteur : Misa Patata - Voir le profil
» Créé le 04/06/2019 à 12:53
» Dernière mise à jour le 04/06/2019 à 17:39

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Fantastique   Hoenn

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Chapitre 5 : Indicible
La cabane silencieuse se remplit d’une atmosphère de plus en plus lourde. L’air devenait suffocant. D’un pas raide, le non-marin quitta l’habitation le premier. Les autres le suivirent. Il faisait assez froid, mais aucun d’eux ne s’en occupa, parce qu’ils virent les lueurs vertes qui se reflétaient dans l’eau.

Bonny gardait le silence, comme un bouclier tenu devant elle. Ses yeux ne se détachaient plus de la mer et de sa couleur anormale. Ainsi, elle avait l’air malade, sur le point de vomir tous les poissons qui nageaient en son sein. Cela faisait de la peine à la fille du capitaine et à son petit singe. L’animal n’avait jamais paru si abattu.

Et puis, il y avait les ruines. Sans cette lumière et celle de la lune, on ne les aurait pas vues se découper sur le ciel nocturne. Elles avaient un air menaçant, ainsi : comme des dents irrégulières, défoncées, sorties de la gueule béante d’un monstre à l’agonie.

Alvah repensa aux locaux et à leurs informations. Il y avait des tunnels, là-dessous, non ? Ils l’avaient dit. Une grotte souterraine, où il n’y avait rien mais, décidément, ça ressemblait à l’estomac d’un monstre marin.

Et si cet éclairage insolite venait de là ? Il chercha Nile du regard, le trouva les bras ballants, incapable de se détourner de l’horreur et de la curiosité mêlées que suscitait chez lui un tel spectacle.

— Il y a quelque chose là-dessous, dit l’homme aux cheveux blonds, doucement.

Le terrien ne répondit pas tout de suite. Il arborait un air défait. L’incertitude traçait des plis dans son front pâle, mangé par quelques mèches sombres.

— C’est possible. Je suppose, admit-il finalement.
— Non, je veux dire qu’il y a vraiment quelque chose.
— Comment vous le savez ?
— J’ai posé des questions à des habitants. Ils ne voulaient pas y répondre, au début, mais… Ils m’ont dit qu’ils sont allés voir les ruines, et qu’en dessous, on peut accéder à une grotte sous la mer.

Presque à contrecœur, le jeune homme abandonna sa contemplation et se tourna vers le navigateur. Lui, avec son air serein, était peut-être imperméable à tout cela. Non. Une peur manifeste luisait dans ses yeux à présent bien ouverts. Que le sommeil paraissait loin maintenant…

Ils gardèrent le silence, mais pensaient à la même chose. Au souvenir d’une soirée sans vent, assis l’un en face de l’autre à la lueur d’une lampe. L’un parlait, l’autre écoutait.

— Après tout, il y aurait du vrai dans les légendes ? s’enquit Nile, dont le malaise se peignait sur la figure épuisée.
— Je ne sais pas.

Le non-marin parut hésiter à dire quelque chose. La perspective de sa propre folie lui fit trop peur et il céda.

— Quand je me suis levé et que j’ai vu ça, tout seul… J’ai entendu quelque chose.

Alvah haussa les sourcils, exprimant ainsi une curiosité polie. Cela irrita quelque peu l’autre, parce qu’il avait l’impression que rien ne pouvait perturber l’homme aux cheveux blonds – en dépit de son regard éloquent qui ne cachait plus la crainte. Contrairement à lui qui, déjà, se croyait plonger tête la première dans un voyage sans retour où il se noierait en lui-même.

Il s’efforça de respirer plus sereinement. Depuis le village, il ne pensait même plus à la cargaison qui attendait dans la cale. Maintenant, cela le soulageait presque. Car ça le rattachait à la réalité.

— Des voix, mais je ne sais pas ce qu’elles racontaient. Ce n’était pas un langage connu…

Cette fois, le marin s’étonna vraiment. Son visage parut même refléter une réelle inquiétude. Nile ne parvint pas à s’en montrer satisfait, parce que l’émotion était communicative. Il avait de plus en plus peur et il comprenait pourquoi. Cela faisait écho à la légende, à ces voyageurs qui n’avaient rien vu mais au moins entendu des choses étranges.

Il déplorait son sommeil léger et si facilement perturbé. Si seulement il avait pu dormir mieux… À présent, les cauchemars lui semblaient presque préférables. Le pressentiment tenace d’ennuis à venir ne le quittait plus.

— Ça ressemblait à des chants, devina l’homme aux cheveux blonds.
— Oui.

La réponse était inutile. Certainement, il préférait mettre des mots, ne pas laisser planer l’évidence. L’un comme l’autre, ils avaient peur. Bonny et le reste du groupe aussi. Chacun voulait, au fond, retourner se coucher. Ce serait une bonne idée.

Ils contemplèrent un moment l’eau, le banc de sable, et les grosses chaînes rouillées qui marquaient la frontière entre les deux. Le silence était complet.

— J’ai peut-être rêvé, admit finalement Nile, bien qu’à contrecœur.
— C’est à cause de mon histoire. Ça vous a influencé.
— Oui… Oui, c’est possible, mais alors, ces lumières ? Moi, je vous dis que quelque chose ne va pas. Qu’il y a un problème.
— C’est étrange, concéda Alvah.
— Oui, hein ? Des lumières vertes, ces chaînes, et une grotte souterraine… Est-ce qu’il ne faudrait pas aller voir ?

L’autre ne répondit pas, mais il devait être d’accord. Un pli soucieux creusait son visage, entre ses sourcils. Il fit un geste vers un autre marin, et lui demanda d’aller voir s’ils pouvaient prendre un des bateaux amarrés de l’autre côté du village. S’il n’y avait personne dehors à part eux, ils pourraient se débrouiller…

Il n’y eut pas longtemps à attendre. Sous les pas rapides du matelot, les planches se balançaient sur l’eau. Le terrien observait avec un dégoût à peine masqué. Cela le rendrait malade, bientôt. Il y avait encore ce goût de bile dans sa bouche. Persistant.

— Y a plus de bateau là-bas, m’sieur.
— Comment ça, plus de bateau ? grommela Bonny qui les avait rejoints.

Le jeune marin haussa les épaules et désigna l’endroit d’où il revenait. Dans l’obscurité, on n’y voyait pas grand-chose. Surtout que l’ombre imposante du Valeureux dominait les habitations.

— Je vous dis ce que j’ai vu : il reste pas une seule barque. Si les gens du village sont partis dans les ruines, ils ont dû tout prendre.

Le silence s’abattit sur le petit groupe. Des regards incrédules et effrayés s’échangeaient, alors que les lumières vertes continuaient d’illuminer la mer nocturne. Il n’y avait toujours pas de vent, mais personne ne parut s’en préoccuper. On ne voulait plus qu’une chose : savoir ce qui se tramait.

D’un pas mesuré, la fille du capitaine s’approcha des énormes chaînes et s’accroupit. Elle attrapa le métal froid des deux mains, comme pour jauger une idée qu’elle n’osait exprimer à voix haute. Son visage se tourna vers les autres. Plein d’une détermination neuve et d’une curiosité mêlée de crainte. Beaucoup de choses se passaient, à l’intérieur de sa tête. Beaucoup d’idées contradictoires se bousculaient, mais comme les autres, elle avait surtout envie de s’en aller…

Ils ne pourraient pas se rendormir, de toute façon. Ils iraient juste jeter un œil, attendraient le matin et repartiraient à bord du trois-mâts. Oui, tout allait bien se passer. Même si Boréas les ignorait encore, ils seraient patients. Poivressel n’était pas si loin.

— On ferait mieux d’aller voir ce qui se passe là-bas.

Une vague de doute submergea tout le monde.

— Et le capitaine ? s’éleva une voix tremblante.

Ah, le capitaine. Malgré elle, Bonny sentit une pointe d’agacement dans sa poitrine. Ne lui faisaient-ils pas confiance ? Femme ou non, elle savait prouver sa valeur. Un soupir se faufila entre ses lèvres.

— C’est moi, le capitaine, quand il n’est pas là. On ne va pas le réveiller. Si ça se trouve, il ne se passe rien de grave…
— C’est juste de la curiosité, renchérit Alvah. Si parmi vous, il y en a qui préfèrent retourner se coucher… Personne ne vous retient. Vous restez parmi nous, monsieur Nile ?

L’intéressé parut surpris que l’on s’adresse à lui, mais hocha la tête sans conviction. Tous les autres aussi allaient venir. Aucun ne souhaitait vraiment rester seul dans un lieu si insolite, loin de tout. La jeune femme sourit, parce qu’elle reconnaissait bien là son équipage.

— Très bien ! Alors c’est parti. Tous à l’eau : on va s’aider de ces chaînes pour atteindre le banc de sable.

Aucun d’eux ne désirait braver l’eau froide, mais ils s’y plongèrent tout de même. Leurs mains moites s’accrochaient aux chaînes rouillées. En dépit de l’absence de vent, ils ne souhaitaient rien risquer, alors ils se cramponnaient de toutes leurs forces et, péniblement, avançaient contre le poids écrasant de la mer.

Chacun ressentait cette force terrifiante et indomptable. Les vêtements collaient, et ils tremblaient parce que la température était basse, mais il fallait tenir bon. Les muscles des bras se tétanisaient sous l’effort et l’action de l’eau. Le terrien se rappela sa noyade imaginaire, et fit bien attention de ne jamais lâcher.

La traversée parut durer une éternité, non quelques minutes. Ce fut entièrement trempés qu’ils atteignirent le sable salvateur. Pas le temps de s’y étendre pour reprendre leur souffle. Ils marchèrent entre les murs à l’agonie, les morceaux de pierre épars et les odeurs d’algues mortes. Les lumières provenaient de torches abandonnées là, encastrées tant bien que mal et diffusant ces lueurs anormales.

— Pourquoi cette lumière est verte… murmura Nile, à demi délirant, suivant les autres et ignorant la fatigue qui l’assaillait.

Alvah avait raison, ou du moins les locaux n’avaient pas menti. L’on pouvait accéder à une sorte de grotte sous-marine, par un tunnel vertical. Une échelle de corde épaisse pendait, solidement maintenue par des blocs trouvés ci et là à proximité.

Ils restèrent un moment interdits, figés comme des statues. Que faire, à présent ? Se satisfaire de l’explication concernant les lumières, ou descendre dans les entrailles de l’océan pour rassasier une curiosité de plus en plus pesante ?

Bonny se chargea de répondre pour tout le monde : elle empoigna le haut de l’échelle et commença à descendre. Il n’y avait guère que cela à faire. Deux matelots allaient rester là, au cas où. On n’était jamais trop prudent. Le terrien leur laissa son Mustébouée, qui l’avait suivi.

Au bas du tunnel, il faisait noir. Il fallait se repérer avec les mains. En tâtonnant, les curieux purent atteindre une bifurcation. Une lueur, verte elle aussi, leur apparut alors. Ils la suivirent. Cela ne dura pas si longtemps, mais pour eux, plongés dans le silence et la pénombre, la marche sembla se prolonger indéfiniment.

À mesure qu’ils progressaient dans le boyau sombre, ils y voyaient un peu plus clair. La jeune femme, qui ouvrait la marche, leur intima de s’arrêter sitôt qu’elle entendit des clameurs résonner.

— Qu’est-ce que c’est ? chuchota un matelot.
— La ferme. Je sais pas.

On écouta, bien immobile et silencieux. Nile retint un frisson, parce qu’il reconnaissait ces sortes d’incantations étranges entendues un peu plus tôt.

Sur un ordre de la seconde, ils reprirent leur avancée jusqu’à déboucher sur une vaste salle circulaire et haute de plafond. Taillé dans la roche, un escalier irrégulier menait au centre, où des silhouettes trapues, vêtues de capes sombres, étaient rassemblées.

Ils se cachèrent derrière des rochers. Le souffle court et le cerveau en ébullition, ils ne pouvaient rien faire sinon observer ces gens, qui devaient être les villageois. Quelques-uns paraissaient familiers.

Tout de même, une impression étrange s’empara des spectateurs à la vue de ces habitants de la mer.

Quelque chose clochait dans ces visages. Ils semblaient humains, bien sûr, mais on y décelait une certaine bestialité contenue qui ne demandait qu’à s’échapper de sa cage. Les traits épais paraissaient tordus, les bouches plissées en des moues qui rappelaient celles des Magicarpe. Et les yeux, les yeux ! Si clairs et globuleux, ils ressemblaient à ceux des poissons morts avant qu’on ne les nettoie pour préparer le dîner.

Les curieux, dissimulés à grand peine, sentaient leurs entrailles se nouer face à ce spectacle. On eut dit non pas des personnes ordinaires, mais une sorte de nouvelle espèce. Des hommes de la mer. Après tout, oui, ils vivaient dessus. Peut-être qu’une telle proximité opérait des changements, que des tares s’installaient en eux…

Leur teint, que les marins et le terrien trouvaient pâle, paraissait verdâtre à présent, sous l’éclat de ces torches à la couleur anormale.

Des faces vertes et hideuses, aux yeux exorbités…

Rassemblées en un cercle assez large, autour de l’entrée d’un autre tunnel vertical, les silhouettes paraissaient occupées à mener à bien un rituel. Elles tenaient leurs feux dans la main droite. Immobiles. Silencieuses un moment. Et puis, elles se remirent à réciter leur mélopée. Les observateurs avaient l’impression de se trouver aux enfers, et d’entendre des voix éteintes depuis longtemps s’élever depuis la tombe…

Le chant macabre se termina. Et alors, ce fut l’indicible, le rêve éveillé, la dégringolade des sens au plus profond de la folie ou de l’horreur. Ils ne savaient pas si leur esprit fragile leur jouait des tours. Même si, les yeux grands ouverts, ils regardaient, une part d’eux refusait encore d’y croire. Cela dépassait l’entendement. Ce n’était pas possible, pas réel.

Mais tout de même, cela se passait devant eux.

Ces étranges villageois au teint malade et aux iris trop pâles eurent tôt fait d’abandonner la vague enveloppe humaine qu’ils occupaient. Oh, leurs faces étaient étranges, mais si seulement ! Sous leurs grandes capes noires, ils se transformèrent, tout simplement, en créatures de la mer, bleues, palmées, de forme humanoïde, mais avec un bec… Incrustées dans leur front, des gemmes rouges luisaient d’un éclat terrible.

Des Pokémon, non, des hommes-Pokémon et des femmes-Pokémon, qui savaient passer d’une forme à l’autre…

Ils plongèrent dans le trou-tunnel qui, sans doute, menait à la mer d’une façon ou d’une autre.

Figés derrière leur rocher, les curieux regrettaient déjà l’ignorance.