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Songes de la Mer de Misa Patata



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Informations

» Auteur : Misa Patata - Voir le profil
» Créé le 17/05/2019 à 17:15
» Dernière mise à jour le 17/05/2019 à 17:15

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Fantastique   Hoenn

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Chapitre 3 : Le village sur l'eau
Pris entre deux eaux, il hésita longuement à sortir de sa cabine. L’air étouffant, couplé à une curiosité presque morbide, acheva de le décider. Il attrapa une sacoche en cuir usé, la passa en bandoulière, bien calée contre son flanc. Et il poussa la porte, déterminé à mettre le nez dehors. L’animal aquatique paresseux le suivit sans se poser de questions, trop heureux de goûter lui aussi à la lumière du jour.

Comme chaque matin, on s’affairait dans tous les coins du pont inférieur. Des matelots couraient d’un bout à l’autre, les mains vides ou, au contraire, si pleines qu’ils manquaient de trébucher. Certains s’occupaient d’énormes caisses. Ils semblaient aménager de nouveau l’espace, l’optimiser pour accueillir encore d’autres objets encombrants. Les vivres, sans doute. Ils espéraient obtenir de nouvelles provisions.

Bien que méfiant, Nile en nourrissait aussi l’espoir. Poivressel semblait loin, si loin, inaccessible, séparée d’eux par un vent qui refusait de souffler. Fichu Boréas ! Dieu ou enfant-roi, il fallait se poser la question. On ne pouvait se passer de cette énergie naturelle. Pas bien longtemps, du moins. Et voilà que la créature de légende n’en faisait qu’à sa tête.

Ça, ou simplement un coup du sort. Il ne savait pas s’il croyait à toutes ces choses qui dépassaient l’humanité. Peut-être. Dans les situations désespérées.

Sans saluer les marins, il leur passa devant, jetant des regards absents de droite et de gauche. Le plancher semblait gémir sous ses pas, et pourtant il n’y avait rien de plus solide, en tout cas c’est ce que disait le capitaine, et tous les autres. Il eut une arrière-pensée, qu’il refoula : il voulait boire quelque chose. Mais les cuisines semblaient à des lieues de là.

Il ne changea pas de cap, alors. Il trouva les escaliers vers le pont supérieur, les grimpa en tâchant de se mesurer, puis accepta gracieusement la caresse du jour contre sa peau. Elle reprenait un peu de couleur après des nuits agitées, des repas légers et en dépit d’une peur permanente de la mer. Si calme, si immobile, elle donnerait presque confiance.

D’un pas rapide, il se dirigea vers la proue, depuis laquelle il pouvait clairement voir le village sur l’eau. Est-ce que c’était réel ? Une partie de lui pensait que non, mais le reste dut s’incliner. On ne pouvait pas décemment douter de ses sens à ce point. Il voyait, oui, ce spectacle impossible qui se déroulait devant ses yeux. Une envie de se pencher, de se rapprocher toujours plus, le poussa à s’agripper au garde-fou.

Les cabanes de bois, petites mais coquettes, tenaient sur de larges planches presque carrées. Un réseau de… Il ne pouvait se résoudre à appeler cela des rues, et pourtant, comment qualifier ce qui y ressemblait tant ? Des plaques en bois clair, savamment liées par de solides cordages, permettaient de passer d’une maisonnette à l’autre, de déambuler, de marcher sur l’eau. De domestiquer la mer et d’en faire un lieu habitable.

Devant un tel prodige, le jeune terrien resta sans voix. Il avait eu le temps de se faire à l’idée, pourtant. Mais y assister d’aussi près… Est-ce qu’on le croirait si, une fois de retour à la maison, il racontait tout cela ? Probablement pas. On l’accuserait de mensonge, ou alors de folie. Il comprendrait, mais cela aurait un goût amer. Comme les tisanes...

Oh, c’était bien réel, et peut-être trop. Il déglutit, pris d’un soudain malaise, et sentit la sécheresse au fond de sa gorge. Mais il ne voulait pas redescendre, traverser encore le pont inférieur et quémander un peu d’eau à la femme de cuisine effrayante.

Il pensait encore aux légendes, aux récits, se revoyait sur sa chaise dans la cabine du navigateur, à la lueur de la lanterne, les ombres déformées sur les murs, le regard insistant d’un Natu sur lui, et puis la voix, douce et bien vivante, qui lui racontait des histoires mortes depuis longtemps… Des histoires terrifiantes et pourtant…

En se tenant là, sur le gaillard d’avant, si près de ce village sur la mer et de ces ruines, il se sentait capable de croire à tout. À Boréas, aux voix dans la nuit, à ce navire disparu qui s’appelait peut-être la Tempête, ou…

— Ah, vous êtes là !

Réprimant un sursaut, le non-marin se retourna. La fille du capitaine, égale à elle-même avec son bandana, ses cheveux roux et son singe farceur, avançait vers lui. Un sourire un peu étrange ornait la façade de son visage. Il la salua, d’une main peut-être un peu hésitante. Son bras lui parut brusquement lourd, et son geste épuisant.

Elle le rejoignit, sans manquer de regarder vers les habitations sur l’eau.

— Incroyable, hein ? Mon père y est descendu pour négocier.
— Des vivres, oui.
— Et une visite pour ceux qui le veulent. C’est pas tous les jours qu’on tombe sur un village en pleine mer. Pour être honnête, j’ai encore du mal à y croire. Mais c’est réel. Regardez-moi ça. On passera pour des fous si on raconte ça à Poivressel !

Nile hocha la tête. Il sentit un pincement au cœur, quelque chose de fugace mais profondément désagréable. Une moue barra son visage. Ils passeraient pour des fous. S’ils rentraient, s’ils atteignaient enfin ces fichus courants si puissants. Il leva les yeux vers la voilure inutile, mais sous la virulence du soleil, les baissa aussitôt.

Bonny croisa les bras sur sa poitrine mince, une expression indéchiffrable gravée sur son visage constellé de taches de rousseur.

— Vous ne savez pas quoi en penser non plus, devina le jeune homme.
— Comment je pourrais ?
— Je vous comprends, c’est… Ah, je ne sais pas. On dirait un rêve, ou une hallucination. Un délire collectif. Vous imaginez ? En réalité, nous sommes tous malades, pris d’une fièvre incurable, et nous voilà debout devant l’impossible alors que nous sommes au fond de nos lits, mourant à petit feu…

La demoiselle, l’air intrigué, lui jeta un regard qu’il ne sut interpréter. Puis elle éclata d’un rire léger, aérien comme un vent frais, capable de gonfler toutes les voiles… Le rire ne dura pas ; les voiles restèrent accrochées à leurs mâts, penaudes.

Il se sentit tout de suite un peu gêné, maladroit comme un enfant sorti de l’école.

— Vous, les terriens ! Trop habitués à une vie simple et rationnelle, vous n’êtes pas capables d’accepter les choses les plus folles. J’ai été comme ça, avant de prendre la mer. Mais une fois qu’on s’habitue à la vie sur un navire, vous savez, on s’habitue à tout un tas d’autres choses.
— Aux superstitions et aux histoires qui font peur ?
— Entre autres... Vous êtes allé voir Alvah.

Cela ne sonnait pas comme une question, mais comme une vérité dont elle ne doutait pas. Peut-être le lisait-elle dans ses yeux toujours un peu hagards, ou dans son attitude. Oui, il avait vu Alvah, et il l’avait entendu dire toutes ces choses… S’il se fermait aux bruits extérieurs, à tout, il pouvait encore entendre les intonations calmes et le timbre apaisant. Il se retint, ne serait-ce que pour éviter de se faire submerger par des images mentales incontrôlables.

La fille aux airs de pirate se détourna un moment de lui. Elle regardait vers le village, espérant en voir surgir la silhouette forte de son père. Est-ce qu’elle brûlait d’envie d’y mettre le pied, elle aussi ? Ou bien craignait-elle quelque chose ?

Ils ne voyaient aucun habitant. Ils devaient être dans les cabanes, hors de vue, emportés dans une discussion compliquée. Il fallait attendre.

Bonny soupira, balaya cette interruption comme si elle n’existait pas, puis sourit.

— J’espère que vous avez pas pris tout ça trop au sérieux.
— Les légendes ? Non… C’était intéressant.
— Ça tient à sa manière de raconter. Même celles qu’on a déjà entendues mille fois, il sait les rendre captivantes. Ça me fait un peu peur, parfois. Mais ce ne sont que des histoires.
— Est-ce que vous pensez qu’elles ont un fond de vérité ? s’enquit Nile.

Elle parut réfléchir, une main glissée sous le menton, l’autre soutenant son coude. Il n’osa rien dire pour chasser l’idée ou pour la presser de répondre. Alors il regarda les Pokémon, à ses pieds, qui paraissaient se disputer gentiment. Le Capumain sautait d’une patte sur l’autre en agitant la queue ; Mustébouée grommelait quelque chose, incapable d’ignorer ce mouvement perpétuel et agaçant.

Le soleil commençait à chauffer. Le non-marin passa la main dans ses cheveux sombres, sentit la chaleur, l’accepta. Il ne voulait pas retourner dans sa cabine. Lui aussi attendrait le retour du capitaine Finley, et peut-être qu’il descendrait pour tester son équilibre sur ces planches flottantes. Bonny et lui se tiendraient la main, riraient comme des enfants, oublieraient l’absence de vent…

Il eut un sourire idiot une seconde, parce qu’au fond, ça lui plairait vraiment. Il laisserait l’idée dans un coin de sa tête.

— Bah, si vous voulez mon avis, finit-elle par répondre, elles viennent bien de quelque part. Des bouquins et des vieux mythes. À partir de là, les marins vaniteux brodent quelque chose, et voilà, ça fait une histoire prête à survivre à des générations.
— Vous êtes terre à terre.
— Ça vous surprend ?
— Ah, non. Pas tellement.
— Vous au contraire, vous avez l’air d’y accorder un peu plus de crédit. N’y pensez plus. Ce sont des contes de grand-père.
— Et si c’étaient des histoires vraies ? Vous seriez prête à les accepter ?
— Vous m’en reparlerez quand vous aurez prouvé que ces sornettes existent. Ah ! Voilà papa.

Elle s’éloigna aussitôt et courut vers la haute silhouette du capitaine, passant d’une conversation à l’autre avec une facilité déconcertante. Elle ressemblait au singe qu’elle traînait partout dans son sillage.

Le terrien la regarda un moment encore, un semblant de sourire amer sur les lèvres.


• • •

On accueillit ceux qui voulaient venir dans la plus grande des cabanes. Le non-marin ne s’étonna pas de compter, parmi eux, la seconde et le navigateur. Quelques matelots curieux suivirent, mais le gros des troupes préférait rester à bord du Valeureux. Beaucoup ne voyaient pas d’un bon œil ce mystérieux village.

La porte demeura ouverte pour laisser entrer la lumière du soleil ; les fenêtres, minuscules, ne contribuaient presque pas à l’éclairage. Des coussins peu confortables jonchaient le sol. On les fit asseoir. Nile, peu à l’aise, fut soulagé de sentir la tension chez les autres. Il ne passerait pas pour un peureux au milieu de tous ces marins méfiants.

Au moins, l’habitation ne tanguait pas vraiment. Si l’on y prêtait attention, peut-être, on pouvait sentir quelque chose. Mais le sol en bois dur faisait illusion. Du reste, le vent ne soufflait pas.

Le chef de la communauté, celui qui occupait la maison, se présenta avec une certaine réserve. Le terrien ressentit immédiatement une vague hostilité venant de ce personnage. Il jeta un coup d’œil aux autres. Eux aussi paraissaient sur le qui-vive.

De fait, l’homme n’avait pas l’air accueillant. Ses traits épais et son crâne complètement chauve lui donnaient un air brutal. Ses grands yeux, très clairs, n’aidaient pas non plus à le rendre sympathique. Il avait la même carrure que le capitaine mais, dans ses habits plus ternes, paraissait encore plus menaçant. Si l’on ajoutait à cela un teint cireux, on avait l’impression de regarder un malade luttant férocement contre l’échéance de la mort.

À cette pensée, le non-marin manqua de frissonner. Il ne se sentait pas rassuré.

Finley, étonnamment affable, fit les présentations. L’hôte hocha mollement la tête à chaque nom et consentit à donner le sien : on l’appelait Morris.

— Monsieur Morris a accepté de partager avec nous quelques vivres, expliqua le capitaine avec un sourire. Malgré mon insistance, il ne veut pas d’argent, mais il tient à ce que l’on honore son hospitalité pour aujourd’hui.
— Si cela ne vous ennuie pas, murmura le chef du village d’une voix grave et basse. Nous n’avons jamais de visite.

Dans la pièce dépouillée, tout le monde échangea des regards. On ne savait trop quoi penser, mais il fallait se ranger à l’avis du capitaine.

Bonny et Alvah ne tardèrent pas à s’éclipser, peut-être pour explorer un peu les alentours. Nile songea à faire de même, mais se ravisa. Il aperçut une jeune fille dans un coin de la pièce, accoudée à l’une des toutes petites fenêtres. Contrairement à Morris, elle attira son attention. Il s’approcha d’elle et la salua. Elle mit un temps avant de se retourner pour lui rendre la pareille.

Des cheveux de jais encadraient un visage aussi livide que celui de son père. Elle partageait comme seul trait commun ses yeux, grands et d’un bleu très pâle. Son visage trahissait une délicatesse et une sympathie certaines, à contre-courant de celui de son géniteur. Tout de même, il y avait quelque chose de triste chez elle.

— Je m’appelle Nova, finit-elle par dire, sans doute incommodée par le silence.
— Nile… Ah, enchanté.

Il serra doucement sa petite main aux longs doigts minces et osa esquisser un sourire. Elle le lui rendit, sans se départir de son aura de timidité. Loin d’égaler la beauté et l’élégance naturelles de Bonny, elle possédait tout de même quelque charme discret.

Au moins, elle semblait plus facile à apprivoiser que la fille du capitaine.

— Je peux vous faire visiter le village, si vous voulez. À moins que vous vouliez retourner sur votre bateau.
— C’est gentil à vous. Eh bien, je vous suis, mais j’espère ne pas tomber à l’eau.
— Il n’y a aucun risque.

Elle s’éloigna et passa la porte pour rejoindre l’extérieur. Quelque peu nerveux, il la suivit. Une sorte de gêne le prit à la gorge et, un instant, il se dit qu’il aurait mieux fait de retourner sur le Valeureux. Malgré ce qu’elle disait, il ne se croyait pas capable de supporter une balade sur des planches flottantes.

Maudit Boréas ! Sans ses enfantillages, Poivressel serait déjà dans leur ligne de mire. Il en fallait, de la malchance, pour accumuler autant de retard. Il en entendrait parler longtemps ; les patrons ne le lâcheraient pas.

Après un salut maladroit à l’attention de Morris, il s’éclipsa et rejoignit Nova. Il peinait encore à croire tout cela réel. Au-dessus, le soleil brillait fièrement. En-dessous… il n’y avait que la mer, à portée de sa main. Il suffisait de s’asseoir sur cette grande plaque de bois, et il pourrait toucher les eaux calmes du doigt. Il s’y refusa.

La jeune fille l’entraîna volontiers au hasard, le long des « rues » qui liaient les cabanes les unes aux autres. Ils ne croisèrent personne : c’est que pendant la journée, la plupart des habitants allaient à la pêche. Une telle situation géographique limitait drastiquement les ressources. Ils n’avaient que le poisson. Nile songea que, au bout d’un moment, ne manger que du Magicarpe, ce devait être lassant. Il ne formula pas cette idée, de crainte de vexer la villageoise.

Le terrien finit par prendre un peu d’assurance et par se déplacer plus tranquillement sur les planches. Assez larges, elles permettaient tout de même d’y cheminer sans crainte de tomber à l’eau. Malgré tout, il tenait à regarder le « sol » pour éviter une mauvaise surprise. Son cauchemar le hantait toujours.

Ils s’arrêtèrent sur une grande plaque presque carrée où il n’y avait rien. Elle expliqua que c’était là où on attachait les petits bateaux, quand on revenait de la pêche. Effectivement, il y avait bien des bouts de bois saillants, comme des bittes d’amarrage. Cela le fit penser à une question qui lui tournait dans la tête depuis un moment.

— Comment ça se fait, que le village ne dérive pas ? Je veux dire, même s’il n’y a pas de vent depuis un moment, les courants suffiraient à emporter une telle structure…
— Comment est-ce que vous faites, vous, pour que votre bateau ne dérive pas une fois au port ?

Le jeune homme fronça les sourcils un moment puis, comprenant, laissa échapper un rire nerveux.

— Vous amarrez votre village ?
— Si on veut. Vous avez vu les ruines, à côté. On a installé des chaînes pour y attacher l’ensemble. On a un peu peur quand le vent souffle fort, mais ça tient bon. Il y a rarement des tempêtes par ici.

Elle se tut un moment pour regarder la mer. L’étendue d’eau salée, toujours trop calme, reflétait les rayons du soleil et devenait aveuglante.

— Ce qui m’étonne, reprit Nova, c’est qu’un bateau soit venu jusqu’ici.
— C’est une route maritime importante…
— Vous avez dû dériver, parce que nous sommes bien au sud de la route. Parfois, on voit passer des bateaux, mais ils sont loin et ils ne voient jamais le village. C’est bizarre, puisqu’il n’y a pas de vent… Mais les courants sont très forts, ici aussi. Vous n’avez pas dû être très vigilants.
— Je n’affirmerais rien, mais c’est possible. On passe plus de temps à pester contre Boréas qu’à avancer.

À nouveau, la jeune fille ne dit rien. Elle laissa son regard se perdre vers l’horizon, vers quelque chose qu’elle ne pouvait pas voir.

Le non-marin, lui, se sentit brusquement nerveux. Cette révélation ne l’enchantait pas mais, d’une certaine manière, il n’était pas surpris. Le capitaine et le navigateur passaient plus de temps à chercher des solutions qu’à vérifier leur trajectoire. À moins qu’il existe différentes routes. Il ne savait pas. Du reste, tout ce qui concernait les voyages en mer ne lui disait rien du tout. Peut-être que cette demoiselle racontait n’importe quoi. Après tout, qu’en savait-elle ?

Il sentit une pression sur le bas de son pantalon et remarqua seulement la présence de son Mustébouée à ses côtés. Une impression étrange le saisit. Il regarda autour de lui, vers le reste du village. Les rues de planches étaient presque complètement désertes. Seules quelques silhouettes, dont celles des membres d’équipage, lui apparurent. Aucune forme animale.

Il fallait qu’il demande, parce que ça lui sembla curieux.

— Vous n’avez pas de Pokémon, dans votre village ? s’enquit Nile, d’une voix hésitante, ou du moins sans assurance.

Ils n’en avaient pas. Ils pensaient que, tant qu’à faire, puisqu’ils vivaient ainsi à proximité de la mer, ils pouvaient côtoyer beaucoup d’espèces sans avoir à les sortir de leur milieu naturel. Cela leur convenait. Du reste, leur mode de vie n’embêtait personne. Alors ils ne suivaient pas l’exemple des terriens, de ces gens si loin qu’ils n’existaient plus. Ils faisaient comme ils l’entendaient, et c’était aussi bien.

Le jeune homme, s’il ne concevait pas tellement une vie sans Pokémon, n’émit aucun jugement. Après tout, le choix leur appartenait. Et puis ce devait être une question d’habitude. Ces gens-là se considéraient peut-être comme les égaux du règne animal.

Encore une fois, il songea à ces créatures empaquetées dans la cale. Pas de malaise concret, cette fois, mais il se sentit sale, affreux, aux côtés de cette jeune fille drapée dans son voile de pureté et d’innocence. Il eut envie de rire. Non. Il eut envie de se baisser, de plonger les mains dans l’eau salée et de frotter, gratter pour que la crasse de ses erreurs disparaisse au fond de la mer.

À la place, il sourit.

— C’est intéressant, comme façon de voir les choses. Dites-moi… Ce village, il existe depuis longtemps ?
— Oh, quelques années…

Elle ne jugea pas utile de développer. Il ne réclama pas de précisions, lui non plus. Quelque chose lui disait qu’elle éludait la question.

Un mauvais pressentiment le tenaillait. Ils n’étaient pas censés tomber sur ce village, caché au beau milieu de nulle part.

Nile soupira, et leva les yeux vers l’immense navire. Sur la superbe coque en bois, les lettres dorées épelaient le nom du fier vaisseau. Son regard se voila de tristesse. Plus que jamais, il rêvait de la terre, d’une terre qui persistait à lui filer entre les doigts...