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Portrait de ville de Corpus09



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Informations

» Auteur : Corpus09 - Voir le profil
» Créé le 01/01/2018 à 19:46
» Dernière mise à jour le 26/10/2019 à 09:43

» Mots-clés :   Fanfic collective   Kalos

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Henry
Le type patiente, cigarette à la bouche, comme si le monde lui appartenait. Il a peut-être de quoi. Sa silhouette élancée et son élégance naturelle, soulignées par un costume sombre impeccable, sous-entendent quelque statut élevé. Ce que le bonhomme aurait contredit avec un sourire affable, mais personne ne le croirait.

Quand le taxi flambant neuf s'arrête juste devant lui, le mégot est balancé sans ménagement sur le trottoir, puis écrasé sous la semelle de la chaussure. L'homme, la trentaine entamée, peut lire sur la carrosserie orange un drôle de message : « racontez, c'est payé ! »

Il se rappelle vaguement d'en avoir entendu parler. On parle de soi et de sa vie en ville au chauffeur, et en échange, la course est gratuite. Ça a un côté ridicule, dans un sens. Pourquoi faire ce genre de chose ? Ce serait plus confortable pour tout le monde de payer...

Machinalement, il met une main dans sa poche. Pas trace de monnaie. Forcément ; il n'avait pas prévu que sa voiture tomberait en rade ce matin. Alors il n'est pas remonté dans son immeuble pour récupérer un peu d'argent.

« Racontez, c'est payé..., prononce-t-il à haute voix. Bah. »

D'un mouvement souple, il monte dans le véhicule, et salue le chauffeur avec un « bonjour » enjoué. Le conducteur répond par un vague hochement de tête, étudiant son passager dans le rétroviseur. Un tacite regard interrogateur est lancé vers le fringant trentenaire :

« Hôtel le Crésus. »

Le chauffeur prend note, et démarre. Un peu anxieux, le passager sent une boule se former dans sa gorge. Est-ce qu'il doit vraiment se livrer à ce curieux spectacle ? C'est un peu idiot de se dévoiler à un parfait inconnu. D'un autre côté, ce type aura tôt fait de l'oublier quand il prendra quelqu'un d'autre...

L'homme en costume s'éclaircit la gorge, un peu irritée par la fumée de sa cigarette.

« Autant commencer quelque part. Je m'appelle Henry ; comme dans la chanson stupide, oui, mais avec un « y », à la mode d'Unys. Il paraît que j'ai failli m'appeler Horace. Plutôt bizarre. Un type de ma famille s'appelait comme ça. Un genre d'agent secret, on m'a dit. Pas le genre intrépide et casse-cou, plutôt l'oreille indiscrète qui s'immisce dans toutes les conversations. Je sais pas, j'étais même pas né. Le plus drôle, c'est que je commence à lui ressembler. »

Il marque une pause, le temps de regarder à travers la vitre. Il fait beau. Souvent le ciel est gris, à Illumis. Aujourd'hui fait exception, alors on observe. Et on se désintéresse vite, aussi.

« Voyez, je suis aussi du genre à tout écouter. Disons plutôt à entendre par inadvertance... Les gens ont du mal à tenir leur langue, autour de moi. Ils pensent que j'entends et puis que j'oublie ; c'est ce que je suis supposé faire. Mais comme mon travail peut être ennuyeux, j'aime bien être agent secret à ma manière, comme ce type dont je vous parlais. Dans une ville grande et cosmopolite comme ça, c'est une aubaine ! »

Sans quitter la route encombrée des yeux, le chauffeur produit de temps à autre un hochement de tête discret, signe d'une écoute attentive. Le passager, l'ombre d'un sourire au bout des lèvres, commence à trouver l'exercice divertissant. Plus ludique et certes moins cher qu'une séance avec un thérapeute...

Il en oublie presque le monde extérieur, les quelques coups de klaxon dans la grande rue, les cris des pokémons alentour et la clameur des marchands de sucreries qui pullulent au début de l'été. Il est bien, dans ce taxi. Même pas la tentation de regarder sa montre !

Cette thérapie improvisée a du bon.

« Donc voyez, j'entends des choses et d'autres. Parfois des potins insignifiants. Les gens parlent souvent de leurs gosses qui sont malades ; des nourrices parfaitement inefficaces qu'ils renvoient au bout d'une semaine ; ou de leurs douleurs à force de passer leur temps à arpenter des bureaux démesurés. Bref, ils se plaignent, et moi j'enregistre comme une bonne vieille machine. J'ai plutôt bonne mémoire. Pas plus tard que la semaine dernière, madame Doyle a failli... Bah, ça ne vous intéresse pas. J'ai le droit de fumer un coup ? »

Pas de réponse de la part du chauffeur. Le passager prend ça pour un « oui », tant pis. Avec la fenêtre ouverte et la brise, l'odeur âcre devrait se dissiper rapidement. Il tire une cigarette de son paquet, l'allume et en tire une longue bouffée ; le temps de mettre de l'ordre dans ses pensées, vite fait, et de reprendre l'histoire.

Il expire en silence, puis ouvre la bouche à nouveau.

« Sale habitude, mais quand on a commencé et qu'on a les moyens de continuer, ça reste. Où est-ce que j'en étais ? Oui, les détails insignifiants. Il y en a qui le sont moins. Je veux dire par là qu'on peut en faire quelque chose. Oh non, pas les revendre au marché noir à de sombres criminels ! Mais appeler la femme d'un mari infidèle pour la libérer d'un poids, et se sentir bien juste après, je trouve que c'est une opportunité à saisir.

» J 'irais pas jusqu'à me qualifier de héros des temps modernes, hein. Mais c'est quelque chose qui me rend heureux, bizarrement. Aider des inconnus, réparer des injustices. J'ai peut-être mal choisi ma carrière. Mais flic, c'est trop peu rémunéré par ici. »

Il reprend son souffle après ce long constat, puis aspire une nouvelle bouffée. La fumée pique un peu, produit comme une vague de chaleur. C'est agréable et désagréable en même temps. Le goût n'est pas terrible, il faut dire.

Un nouveau sourire éclaire son visage pâle, lui donne un peu plus de vie. La course ne va pas tarder à se terminer. Autant en rajouter une couche, puisqu'on est là, assis, à attendre.

« Vous savez, ce qui me plaît le plus dans mon boulot, c'est de côtoyer l'élite. On se rend compte de la vulgarité des gens les plus éminents du monde en les voyant de si près. Pas exactement comme des bêtes à étudier dans un laboratoire, mais l'idée est là. J'ai vu le fameux Lysandre, une fois. Multimillionnaire, ça oui ; mais on dirait un ours mal léché plus qu'un gentleman. Ça ne m'a pas tellement étonné qu'il soit... enfin vous voyez. »

Le passager se tait sur les derniers mètres, le temps de savourer tranquillement la cigarette, qu'il jette avec négligence sur la route, arpentée par quelques cyclistes et gosses en rollers. Il y a assez peu de voitures, dans ce quartier.

Il sort du véhicule, de ce mouvement souple qui lui appartient, et claque la portière derrière lui. La haute silhouette de l'hôtel de luxe se découpe sur fond de ciel bleu. Le soleil éblouissant le contraint à plisser les yeux.

« Bon séjour au Crésus », lance le chauffeur avec un sourire de remerciement.

Henry rajuste sa cravate et lâche un ricanement.

« Vous avez dû mal comprendre ; moi, je suis valet de chambre, pas aristo. Et puis quoi encore ! »


by Eliii