"Donner c'est donner, reprendre c'est voler"
A Alola la rumeur d'un drôle événement remua les médias locaux. Il y a quelques nuits, on avait signalé à Konikoni mais aussi partout aux alentours, jusqu'à Mele-Mele, une vive lumière. Celle-ci avait percé les ténébres pour s'incruster dans les habitations, faisant croire aux villageois qu'il était déjà le matin alors qu'on était au beau milieu de la nuit.
Que s'était-il passé ?
Certaines personnes avaient ouvert leurs volets mais avaient été obligés de les refermer imémdiatement car l'éblouissement provoqué par l'éclat menaçait leur vue. Pendant quelques instants que dura l'incident, on s'était cru comme en plein jour.
Les théories sur l'origine de cette lumière fit couler de l'encre. Les plus superstitieux s'alarmèrent pour un jugement d'Arceus. D'autres, non moins fanatiques dans leurs hypothèses, se préparèrent à une invasion d'extraterrestres. Un vieil homme fut interrogé à propos d'une comète écrasée non loin de la ville où avait été localisée le foyer lumineux. Les autorités fouillèrent le périmètres mais le pêcheur âgé, n'ayant plus toute sa tête, démentit son assertion.
Konikoni ne parlait que de cette affaire. Les bars se remplissaient de curieux ; on s'attablait, on recueillait les témoignages des habitués jusque tard dans la nuit. Les terrasses répandaient leurs attentes d'assister à un nouvel incident. Qui ne se produisit pas.
Personne ne soupçonnait que ce fut tout à côté de la ville que le flamboiement avait irradié les horizons. On avait ratissé les bois entourant la cité, étendant les enquêtes à Akala puis Mele-Mele. Le sanctuaire de Tokopiyon qu'on pouvait interroger sur l'origine d'une pareille lumière ne donna aucun indice. C'était bon signe : l'île ne courait pas de danger immédiat. Si le gardien s'était manifesté, on aurait attendu des retours de lumières avec crainte.
On laissa la légende en paix mais les esprits ne restèrent pas tranquille.
Le surlendemain, on ne s'était pas encore lassé d'attendre un signe prouvant que toute l'île n'avait pas rêvé. Alyxia, Barbara et Néphie furent réquisitionnées pour veiller à la sûreté de Konikoni. Trois dresseuses expérimentées valaient mieux qu'une.
Les trois amies s'étaient réunies à la terrasse du restaurant familial de Barbara. Comme il était coutume depuis deux jours, la discussion tourna autour des raisons qui les maintenaient ici.
« Je suis sûre que c'est un beau nageur qui m'a envoyé un appel pour le rejoindre. Je n'ai pas été capable de le voir avant qu'il ne disparaisse...
- Est-ce que tu penses que ce qui est arrivé est lié à la mer ? Comme une sorte de grotte qui regrouperait toute une civilisation ? »
Barbara, touchée par la mélancolie de son amie pêcheuse, envisageait tout. Rien ne l'aurait étonné.
« Et si c'était le Floramantis dominant et sa Lame Solaire ?
- Calme-toi. Qu'est-ce que ficherait un Floramantis sous l'eau ?
- Ce Floramantis est le meilleur de tous ceux qui vivent à Alola ! Peut-être qu'il sait nager ! »
Alyxia faisait en sorte de contrôler les digues de la raison à ses deux amies. Elle n'omettait aucune explication pour ne pas induire en erreur les esprits fertiles.
« Et si nous allions vérifier... ? proposa Néphie.
- Il commence à faire nuit, je ne suis pas rassurée...
- Tu le connais bien, c'est le Pokémon dominant de ton épreuve ! »
Les deux jeunes femmes se levèrent sans attendre l'apaisement apporté par la plus âgée. La doyenne au teint mât eut beau les retenir et leur démontrer qu'elles faisaient fausse route, il n'y avait rien à faire. Néphie embarqua sa canne à pêche rétractable, promettant à celle qui la suivrait qu'elles trouveraient la clé de l'énigme là où toute la population avait échoué.
Elles s'étaient éloignées bras-dessus bras-dessous quand un flash les firent reculer. La lumière n'était pas aussi aveuglante que la première fois. Des foules se déversèrent dans les rues pour chercher des yeux le quartier qui brillerait plus que tous les autres. On identifia un endroit qu'on se désigna par un mouvement de tête.
Elle émanait du phare.
Une foule précipitée dirigea toute sa masse à la porte nord de la ville. On voulait voir de plus près, toucher le phénomène. Alyxia perdit ses amies durant la marche jusqu'au phare mais les retrouva devant le cortège. Elle les rejoignit pour faire le point.
« Gardez-les à l'oeil, je vais monter voir ce qu'il se passe en haut du phare. »
Les capitaines donnèrent un ordre qui fut respecté. Leur statut leur octroyait un pouvoir symbolique que les habitants n'oubliaient pas et qui les autorisaient à gérer ce genre de situation. Même si quelques voix s'élevèrent contre la décision de suspendre la marche, elles répondirent avec conciliation que le voile serait bientôt levé.
C'est avec anxieté que le verdict se fit attendre. Alyxia venait à peine d'entrer que la lumière cessa de briller. L'intérêt pour celle-ci redoubla l'animation des villageois.
Alyxia gravit la centaine de marche avant d'atteindre le sommet. Avant de pénétrer dans la salle principale, elle colla son oreille à la porte quelques secondes. Des bruits suspects la lui fit ouvrir d'un geste sec. Il faisait complètement sombre à l'intérieur. Elle entendit quelqu'un maugréer. En se déplaçant, la doyenne renversa un objet de haute taille qui fit un bruit d'enfer.
« Qui est là ? aboya la personne prisonnière des ténèbres.
- Oléa ? »
Alyxia ne disposait pas de lampe qui lui permit de retrouver son amie dans l'obscurité opaque. Des questions trottèrent dans sa tête depuis l'apparition de la capitaine fée. Etait-elle à l'origine de la lumière ? Sinon, que ferait-elle dans le noir alors qu'il suffisait d'allumer l'ampoule du phare ?
« C'est une nouvelle méthode pour peindre ? demanda la doyenne, ironique.
- Si seulement c'était le cas. Que ce soit dans le noir ou dans la lumière, mon inspiration continue de me faire défaut. »
Lougaroc vint apporter son aide par l'intermédiaire de ses pupilles couleur sang. C'est dans un rayon d'une intensité rougeoyante qu'Alyxia trouva son amie debout, un pinceau à la main.
Sa posture arquée et la respiration saccadée inquiétèrent la plus âgée.
« Tu m'as l'air de t'être surpassée !
- Si seulement. »
Lougaroc dirigea son regard sur le chevalet que sa dresseuse avait renversé en entrant. Celle-ci, confuse, voulut le relever.
« N'y touche pas ! cria la peintre. »
Dans un sursaut, la doyenne s'immobilisa. De la colère, de la rancoeur, rendirent son ordre impératif. Jamais elle n'avait entendu son amie hausser la voix. Même lorsque son travail ne la satisfaisait pas, Oléa restait objective.
« Que faut-il pour que mon art revienne ? J'ai pourtant eu les meilleures conditions possibles : solitude, lumière, beau sujet d'inspiration. Les trois conditions réunies n'auront pas suffit. J'en suis maintenant persuadée : c'est de moi que vient le problème. Je... »
Oléa perdit pied, lâcha son pinceau et s'écroula sur le sol. Alyxia vint la soutenir mais ne réussit pas à la tirer de son évanouissement.
*****
Quelques heures suffirent à la capitaine pour retrouver son énergie. Lorsqu'elle se réveilla, Néphie et Barbara aidaient la doyenne à la préparation d'une décoction énergétique.
« Je suis allée chercher des herbes exprès à la Jungle Sombrefeuille. Tu m'en diras des nouvelles ! »
Oléa examina la chambre dans laquelle dormait habituellement Néphie. Elle y retrouva son chevalet soutenant un tableau raté. Heureusement, il lui tournait le dos ; elle n'aurait pas supporté de le regarder. Ses amies avaient dû y jeter un oeil. Elle en eut honte.
« Que s'est-il passé ? demanda Alyxia assise près du lit.
- Je ne le sais pas moi-même. »
Oléa fouilla la poche arrière de son sac, dénicha l'identique pierre que portait au poignet Jasmine. Alyxia la reconnut comme étant celle qu'elle lui avait offert quelques jours auparavant. Elle était montée sur une bague.
« Ce caillou a des pouvoirs magiques, finit par révéler la capitaine après l'avoir soupesé. Une nuit, je suis monté au sommet du phare pour peindre le paysage à l'horizon. Pendant que je peignais -si on peut appeler cela peindre-, elle s'est mise à briller. Déjà que j'étais de mauvais poil à cause du résultat de mon tableau, ça m'a encore plus fichue en rogne. On y voyait plus rien. J'avais beau fermer les paupières, les recouvrir de mes poings, la lumière me rendit aveugle pendant une éternité. Dès que je touchais la bague, ma main retombait comme inanimée. Celle qui la portait se crispa. J'eu voulu la retirer pour faire cesser tout ce bazar mais j'en eu pas à m'en donner la peine : tout redevint normal. Ou presque. La bague cessa de m'aveugler mais mes forces ne revinrent pas. Depuis, j'ai peur de ce bijou, je ne le porte plus. Ma fatigue vient de là, en plus de mon exaspération de ne plus peindre correctement. »
Barbara finissait sa potion, l'apporta dans un verre qu'elle tendit à son amie.
« Je pense que je vais laisser mon poste de capitaine vaquant encore un moment. Je sais que c'est contradictoire avec ce que je vous ai dit la dernière fois. Je devrais saisir la chance de ne plus être une artiste pour m'atteler à mon rôle.
- Ce n'est pas une chance d'avoir perdu ton don, crois-moi, répliqua Alyxia.
- Pourtant je sais que je ne pourrais pas être une bonne capitaine sans être une bonne peintre avant tout. Je suis désolé de vous imposer mon absence. Je vais voyager quelques temps. Cela s'impose à moi comme un pélerinage de tous les lieux où j'ai pu trouver l'inspiration. Je n'ai pas grand espoir.
- Nous ferons avec. Tu sais bien que nous sommes plus que de simples collègues et que ton bonheur nous importe plus que de te savoir malheureuse, mais à ta place. »
Barbara et Néphie acquiesçèrent.
« Tu sais que tu as fais peur à tout l'archipel avec ton Orbe Lumière ? »
Oléa regarda son aînée avec incrédulité. C'était la première fois qu'on donnait un nom à la pierre qui avait été la source de bien des problèmes.
« Je t'avoue que les histoires qu'on entend à propos de cette orbe sont controversées. Ne crois pas que je te l'ai donné parce que je voulais m'en débarasser. Je pensais qu'elle t'apporterai un éclaircissement dans ta vie d'artiste.
- Ah ça, pour m'avoir apporté un éclaircissement, elle a réussi plus que je ne l'espérais ! répondit Oléa amèrement.
- Tu te souviens de ce que je t'ai dit à propos de cette pierre ?
- Qu'elle brille grâce à un coeur pur ? J'ai du mal à le croire. Elle devrait également vous éblouir ; que je sache, vous avez un coeur plus pur que le mien. »
Alyxia éclata de rire. Barbara posa sa main sur sa poitrine.
« Qu'est-ce qu'un coeur pur ? Ca n'existe pas ! Nous ne sommes pas des anges ni des êtres parfaits ! Il y en nous des failles qui ne nous rendent pas aussi blancs qu'on le voudrait. C'est pour ça que la légende de l'Orbe Lumière, je ne la crois pas. Mon hypothèse est qu'elle se met à briller quand elle est en contact continu avec une source d'énergie lumineuse. Je l'ai conservé dans une pièce sombre pour éviter qu'elle ne fasse trop d'éclats même si je doutais qu'elle soit aussi brillante qu'on le disait. Apparemment ce qu'on dit sur elle est vrai. Il paraît qu'on les trouve dans des cavernes très profondes. »
Oléa l'écoutait avec attention. L'origine du bijou qu'elle refusait maintenant de porter la fascinait.
« Quand elle dégage une source de lumière ou qu'elle en absorbe une trop forte dose, la légende des collectionneurs raconte qu'elle pompe l'énergie de son possesseur ou lui en redonne en forte quantité. Avec ce qui t'es arrivée, je pense qu'il serait sage que je la reprenne. Les risques pour la santé sont conséquents.
- Laisse-la moi. »
Le regard d'Oléa s'était durci. Son accent d'autorité nouvellement acquis étonna ses amies, visiblement peu exposées à un pareil comportement chez la pacifique peintre.
« On ne reprends pas un cadeau qu'on a offert à un ami. C'est malpoli. Donner c'est donner, rependre c'est voler. Si tu veux la récupérer, il faudra me passer sur le corps. »
Maintenant qu'elle avait récupéré ses forces et son sac qui contenait ses Pokéball, elle n'avait plus peur de ce qu'elle voulait. Tout s'était éclairci durant le récit d'Alyxia. Pour ne pas donner l'impression à ces amies qu'elle s'était faite piquée par un Bombydou, elle leur donna une explication sur ses motivations découvertes par le flash de l'orbe.
« Mon idée de voyage tombe plutôt bien : je vais trouver la grotte et la peindre. Cette pierre suscite mon attention depuis qu'elle a voulu me rendre aveugle et me bloquer au lit. Si on lui enlève ces défauts, on peut lui y déceler une certaine beauté brute.
- Mon père ne se souvient pas précisément de l'endroit où il a ramassé l'éclat de roche, il en a tellement ramassé dans sa vie...
- Ce n'est pas un problème. J'avais l'intention de voyager un peu partout. »
Quelques heures après le début du périple d'Oléa, Jasmine débarqua à Konikoni. Le phare qu'elle avait aperçu lui assura qu'elle était sur la bonne piste pour retrouver la personne possesseur de l'autre morceau de la lumière.