Chapitre 1
Juste avant de quitter la route 4, Scout Roland ajusta son chapeau de paille de façon à ombrager ses yeux noisettes. Le garçon posa le manche de son filet contre son épaule et commença à diriger ses pas vers Azuria.
D'une démarche lente et assurée, il traversa les rues calmes de la bourgade, adressant une grimace agacée aux habitants qui le dévisageaient. On n'entendait que le souffle du vent froid caressant la cime les grands pins entourant Azuria et le claquement des semelles du Scout contre le sol pavé.
Le garçon s'arrêta devant l'arène. D'un geste las, il souleva le bas de son maillot blanc et examina les trois pokéballs attachées à sa ceinture. Ça devrait faire l'affaire, se dit-il sans se départir de son expression patibulaire. Il cracha par terre, déclenchant un soupir de consternation chez le couple de retraités qui regardait sans amusement son petit manège.
Contrairement à ce que suggérait son attitude de cow-boy solitaire, Scout Roland jubilait intérieurement. Son Paras venait d'évoluer en Parasect, aussi demeurait-il persuadé de pouvoir vaincre la championne d'arène sans trop de problème.
Il avait hâte de pouvoir se pavaner avec le badge Cascade fixé au ruban de son chapeau. Cette pensée faillit lui faire perdre sa concentration. Un début de sourire se forma aux coins de ses lèvres, mais il parvint à le réprimer en pensant à des choses désagréables, comme les légumes.
D'un pas toujours nonchalant, malgré le froid qui lui mordait les mollets, il gravit les marches menant à l'arène. Il soupira, puisant du courage dans cette attitude méprisante, et tira sur la poignée de la porte. Il tira. Tira encore. Tira plus fort. Il y mit ses deux mains et bascula tout son corps en arrière, sans que la porte ne bouge d'un centimètre.
« Bordel, mais vous êtes tous des mongolos, les dresseurs, à vous exciter comme ça sur cette putain de porte ?!? Savez pas lire ou quoi ?! »
Ces vociférations s'étaient échappées d'une fenêtre située à l'étage, à droite de ladite porte. Le scout devina le regard brûlant de haine d'une furie qui l'épiait derrière la vitre teintée. Il préféra éviter de la provoquer par un contact visuel, c'est ainsi que ses yeux se portèrent sur la note fixée devant lui.
Le garçon se hissa sur le pointe des pieds et lut les caractères dactylographiés :
« La Championne prend ses vacances du 7 au 19 octobre inclus, l'arène est donc fermée durant cette période. Merci de votre compréhension. »
Puis il examina l'ajout fait au stylo bille de couleur bleue :
« Sa veut dire que Ondine elle est PAS là, alors stop cassez les couilles !!!!!! »
Ondine, absente ? Mais il lui fallait à tout prix ce badge d'arène ! Il n'avait pas envie d'attendre jusqu'au vingt ! Déçu, Scout Roland repartit en direction de la route 4 en traînant les pieds.
* * *
À l'autre bout du globe, la championne d'Azuria sirotait un jus d'agrumes tout en gardant un œil attentif sur la compétition. Accoudée à la rambarde en marbre, elle observait le mouvement gracieux des vagues qui offrait un champ de bataille idéal à la lutte âpre opposant les trois surfeurs.
Ondine ne connaissait personnellement aucun des trois participants, toutefois sa sympathie allait à la plus jeune, une adolescente chétive et pâlotte. On avait du mal à croire que cette midinette était originaire de la région ; les gens d'Alola avaient plutôt le teint bronzé.
En revanche, qu'elle fut Capitaine des Épreuves – titre ronflant désignant ce que les coutumes régionales avaient de plus proche d'un champion d'arène – n'étonna pas la sirène de Kanto. La combativité de la fille maigrelette se ressentait dans sa façon de dompter les flots, solide et agile sur le dos de son Démanta. Elle allait gagner, Ondine en était sûre.
Un bruit de succion la sortit de sa contemplation. Il ne restait qu'une goutte au fond de son verre. La jeune femme la titilla du bout de sa paille. Elle se sentait bien en cet instant précis, à la fois détendue et impatiente. Cela lui changeait des combats d'arène. Dommage qu'il lui faille attendre l'après-midi pour se jeter à l'eau.
Ondine se trouvait sur la terrasse du club Hano-Hano, tournant le dos à l'hôtel et sa richissime clientèle, intéressée uniquement par la compétition se déroulant trente mètres plus loin. Il y avait bien trop de monde sur la plage à son goût, aussi préférait-elle suivre l'événement ici plutôt qu'au milieu d'une foule aussi dense.
Le verre vide attira immédiatement l'attention d'un serveur. Le personnel du club Hano-Hano était formé à anticiper les besoins de leurs clients. L'homme s'approcha, prêt à demander si Ondine désirait un autre jus, mais il stoppa net lorsqu'elle se retourna, comme frappé par la foudre.
Depuis quelques années, la championne d'Azuria faisait souvent cet effet-là aux hommes qui la rencontraient pour la première fois. Le garçon manqué avait cédé la place à une magnifique jeune femme rousse dont les yeux bleu-vert pétillants de malice désarmèrent le pauvre serveur. La gorge sèche, il se contraint à soutenir le regard enchanteur de la championne ; il aurait été inconvenant de s'intéresser aux courbes harmonieuses que sublimait son monokini blanc.
La sirène d'Azuria commanda un second jus, puis reporta son attention sur la course d'obstacle. Un des concurrents venait de choir de son Démanta en voulant éviter un Tentacool. La victoire de l'adolescente chétive était acquise, il lui restait une vingtaine de mètres jusqu'à l'arrivée et le double la séparait du troisième participant.
L'an dernier, Ondine avait été éliminée du tournoi au cours de cette épreuve, elle espérait faire mieux cette fois-ci. Elle avait mis à profit l'année entière pour s'entraîner sérieusement avec Naïade, son Démanta, quitte à négliger parfois son rôle de championne d'arène. Il faut dire que cette compétition lui permettait d'abattre son plus terrible ennemi. L'ennui.
Sa carrière de championne avait débuté peu de temps avant ses quatorze ans. En ce temps-là, Ondine ne songeait qu'à deux choses : améliorer ses talents de dresseuse et trouver l'amour. Elle avait ainsi consacré toute son adolescence à la réalisation de ces deux objectifs.
Quand était venue l'heure du bilan, la sirène de Kanto avait pu apprécier le chemin parcouru avec satisfaction. Tous s'accordaient à dire que l'arène d'Azuria figurait parmi les plus ardues de la Ligue Indigo, si bien que le parcours traditionnel des dresseurs amateurs s'en était vu modifié. Et à force de faire tourner les têtes sur son passage, la belle rouquine ne tarderait plus à rencontrer le grand amour.
C'est alors que l'ennui avait commencé à miner le quotidien de la championne. Les combats contre les challengers perdirent de leur intérêt. Sans être forcément faciles, ils ne parvenaient plus à procurer cette excitation caractéristique que recherchaient les grands dresseurs lors de leurs affrontements.
Arrivée à l'âge de vingt ans, Ondine avait failli abandonner sa charge de championne d'Azuria. La routine lui pesait et la rendait maussade, quand elle ne devenait pas invivable. En outre, cela avait nui à ses petites affaires de cœur ; ses prétendants avaient choisi la fuite, dirigeant leur passion vers Erika ou Morgane.
On lui "conseilla" alors de prendre quelques vacances pour se ressourcer, une de ses sœurs s'occupant de l'arène en son absence. Venant du Conseil 4, cela avait plutôt sonné comme un ordre.
Lasse de barboter dans sa piscine, la spécialiste du type Eau s'était tournée vers des destinations littorales – la mer restait son élément – où elle pourrait se redécouvrir en tant que dresseuse. Elle oublia bien vite les îles Sevii, qu'elle connaissait comme sa poche, de même que la côte d'Hoenn, traversée maintes fois de fond en comble. Finalement, elle se décida à visiter le bout du monde : Alola.
Ce séjour sur l'archipel fut une véritable bouffée d'air frais pour la dresseuse. Elle y découvrit de nouveaux lieux, de nouvelles personnes, de nouveaux Pokémon (elle y captura un Denticrisse) et surtout une nouvelle activité, le surf Démanta.
Ondine ignorait alors que de nombreux champions d'arène spécialistes, comme elle, du type Eau s'adonnaient à ce divertissement depuis de plusieurs années. Et elle n'y prit pas goût immédiatement, considérant d'abord cela comme un sport de frimeur. Dédaigneuse, il fallut qu'elle l'expérimente chaque jour pour s'apercevoir à quel point le surf Démanta exigeait de la technique et de la rigueur, comme les combats Pokémon.
La jeune femme découvrit également cette sensation de liberté unique que l'on éprouve entre ciel et mer, en chevauchant les vagues sur une monture ailée, en s'élançant, le corps tendu dans le vide, pour réaliser de folles acrobaties et se réceptionner juste à temps.
À son retour, Ondine fit un crochet par Johto pour attraper un Démanta qu'elle entraîna pour le surf, et non le combat. Malgré ce statut à part, les autres Pokémon de la championne accueillirent Naïade comme un des leurs.
Ondine garda le secret quant à ses activités hors de l'arène. Sans raison, d'ailleurs. Peut-être pour donner du piment à sa vie, cultiver le goût du mystère, n'importe quoi susceptible d'éloigner l'ennui.
Il lui était difficile de se perfectionner au surf Démanta dans une piscine en intérieur, mais cela convenait pour les exercices de base. Pour le reste, elle se rendait aux aurores au bout de la route 25 et pratiquait ce sport durant une heure.
Après quelques mois, elle se crut prête pour son premier tournoi et participa à la compétition annuelle d'Akala. Elle réussit de justesse la première épreuve pour échouer lamentablement à la suivante. En y repensant, la jeune femme serra les poings. Cela se passerait différemment, cette fois. Un an d'entraînement intensif dans les eaux froides de Kanto l'avait rendue bien meilleure. Elle ne tarderait plus à le prouver.
La foule amassée sur la plage remontait à présent vers l'hôtel. À sa tête se tenait la fille maigrelette, portée en triomphe par deux amis, une grande perche coiffée d'une fleur dans les cheveux et un type impassible au teint sombre. Apparemment, ces trois-là étaient célèbres à Alola.
La dernière session de la matinée venait de prendre fin, il faudrait attendre quatorze heures pour la reprise. Ondine ouvrirait les hostilités, comme elle avait hâte !
La jeune femme n'attendit pas que toute la troupe des spectateurs eut envahi la terrasse. Elle récupéra son chemisier et sa casquette, soigneusement posés à ses pieds, puis s'éloigna. Elle pénétra dans le somptueux établissement du club Hano-Hano, longea le bassin intérieur et suivit son chemin jusqu'au restaurant. Elle espérait pouvoir déjeuner au calme et se concentrer pour l'épreuve qui l'attendait en début d'après-midi.
Elle ne cessait de se le répéter, comme elle avait hâte !