Chapitre 4
Chapitre 4
La cloche sonna et nous fûmes enfin libérés de la professeure pour le moins exigeante et stricte qui occupait notre deuxième cours. Tous les enfants se précipitaient dehors avec une excitation effrénée et une joie non feinte. Je m'avançai pour passer l'encadrement de la porte, mais restai bloqué devant la marée humaine multicolore qui me faisait obstacle. Je me demandais encore si je devais rester ici où les imiter quand mes camarades de classe s'élancèrent à leur tour, et le doute ne fut plus de mise. Je courus, en bousculant un et en cognant un autre, et finis par franchir la porte et arriver dans l'immense cour bétonnée dans les premiers. Comme je n'avais rien d'autre à faire, j'observai la cour. Du ciel, elle paraissait minuscule, mais, au sol, elle devenait géante. Tout était gigantesque : le grillage qui l'entourait, les quelques arbres plantés aux endroits que le béton avait volontairement évité, les bancs, les professeurs qui surveillaient la cour, le bâtiment duquel nous étions sortis… Tout.
Puis, sortant de mon admiration béate parce que mes jambes me faisaient savoir qu'elles n'appréciaient pas de devoir supporter mon poids après m'avoir fait courir si vite, je décidai de m'asseoir. Je n'avais de toute façon rien d'autre à faire. Je choisis un banc situé sous deux saules pleureurs, presque invisible, caché aux regards non-avertis par les branches tombantes des deux arbres, et dont on n'apercevait que les pieds. Je m'y installai. On était bien, ici…
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Soudain, je fus réveillé par quelqu'un qui me projeta violemment au sol. La douleur fusa avant que je ne pusse ouvrir les yeux. Je ne m'étais même pas rendu compte que je m'étais assoupi ! Une main sur ma tête encore douloureuse, l'autre sur le sol pour me soutenir, je vis une personne s'asseoir sur le banc où je m'étais allongé, mais je ne pus voir que sa silhouette : un soleil éblouissant brillait derrière le feuillage. Je crus d'abord que c'était un garçon, en me fiant à ses cheveux courts, mais, en m'approchant un peu plus, je compris que c'était une fille. Cette fille avait les cheveux rouges, coupés courts, des yeux et des vêtements de la même couleur, et une pokéball accrochée à une ceinture noire. J'étais sûr de l'avoir déjà vue quelque part… Mais oui, bien sûr ! Je me tapai le front du plat de la main, les yeux aussi grands que des soucoupes. C'était Ambre. Elle me regarda avec un air indifférent, puis me dit :
- Eh, le nouveau ! C'est mon banc, ici, clair ? Maintenant déguerpis et va t'en trouver un autre.
Puis, en voyant mon air déboussolé et complètement figé, elle soupira d'exaspération et continua :
- Bon, si tu arrêtes de jouer à « 1,2,3, Statue », je veux bien « t'accorder l'immense honneur de t'asseoir à côté de moi », comme dirait mon papa. Il est vaniteux, mon papa. Non seulement il s'élève au statut d'Arceus, mais en plus il rabaisse les autres et les regarde de haut comme des fermites. Incorrigible, celui-là… Bon, tu viens ? On est d'accord, c'est juste pour cette fois, pour que tu arrêtes de me regarder avec des yeux ronds comme des ceribous. Si tu restes comme ça, tu vas gober des mimitos !
Elle avait débité cette tirade sur un ton toujours aussi sec qu'à son habitude, mais, cette fois, il y transparaissait une pointe d'amusement. Je me dépêchai de m'asseoir avant qu'elle ne change d'avis, puis, comme le silence se faisait pesant, j'essayait d'entamer une conversation, et en même temps d'apprendre des informations, discrètement, ou, du moins, c'est ce que je pensais…
- Que penses-tu de Rayquaza ? Lui demandai-je
Elle me regarda un instant avec des yeux ronds, puis pouffa, et enfin éclata de rire. Je me demandais ce que que j'avais dit de mal, lorsqu'elle me répondit, s'essuyant les larmes aux coins de ses yeux d'un revers de manche :
- Ha ha ha ! Le moins qu'on puisse dire, c'est que tu as rapidement trouvé des informations sur notre région ! J'ai entendu dire que, dans les autres régions, on ne connaissait pas les légendaires de ce trou perdu ! Tu viens d'Unys, dis-moi ? Donc, tu peux me parler des légendaires de ta région ?
- D'abord, parle-moi de Rayquaza ! Répondis-je, catégorique
- Pourquoi ? Me demanda-t-elle avec un sourire suffisant. Tu étudies les pokémons légendaires de chaque région pour écrire un livre dessus ?
- Oui ! Répondis-je sans réfléchir.
- Oh, bien, bien. Donc tu vas, non pas me dire ce que tu sais des légendaires de ta région, mais ce que tu connais des légendaires de chaque région que tu as visitée.
Bigre ! Elle savait retourner la situation à son avantage ! Je fus bien obligé de répondre. Je m'éclaircis la gorge, puis commençai :
- à Kanto, une organisation criminelle aujourd'hui -arceus merci- dissoute aurait découvert une pierre gravée d'une écriture ancienne parlant d'un pokémon à l'origine de tous les autres. Quelques jours plus tard, il fut nommé Mew. Nous ne savons pas exactement la date de découverte car le scientifique qui en aurait parlé n'a pas voulu la préciser. Il raconta aussi le projet de la création d'un autre mew. Mais personne n'a voulu le croire. Mais quelques événements qualifiés de « surnaturels » auraient contribué à changer la donne. Seulement, ces événements sont isolés et trop rares pour affirmer quoi que ce soit. Donc ce potentiel « second mew » est toujours relégué au statut de légende urbaine.
On parlerait également d'oiseaux légendaires représentant l'orage, plus précisément la foudre, la glace, et le feu. Leur existence, à elle, est prouvée, bien que très peu de personnes peuvent se vanter d'avoir vu ne serait-ce que l'une d'entre elles. Il s'agit d'électhor, d'atrikodin et de sulfura.
Je m'arrêtai, pour voir la réaction d'Ambre.
- Continue, m'incita-t-elle, suspendue à chacun de mes mots.
Je continuai donc :
- La région de Johto, elle, comporte deux pokémons légendaires « principaux » : Ho-oh et Lugia. Ils représenteraient, respectivement, le soleil et la lune. L'un d'eux vivrait au fond de la mer, et l'autre au pied d'un arc-en-ciel. Ils auraient chacun une tour attitrée dans une ville : la tour cendrée et la tour carillon. Ces pokémons, au début, auraient été en paix. Mais la tour de l'un brûla et celui-ci vint chercher des noises à l'autre pour lui prendre son territoire. L'autre riposta et une querelle éclata.
Trois autres pokémons, en miroir aux trois oiseaux légendaires servant Lugia, seraient morts pendant l'incendie de la tour et auraient été ressuscités par Ho-oh lui-même, sous des formes différentes. Ces pokémons auraient terrifié les habitants qui les auraient rejetés. Mais ce n'est pas tout. Il y aurait un sixième pokémon légendaire dans cette région, un pokémon qui aurait pour nom célébi et serait appelé par ses adeptes « la voix de la forêt » il aurait le pouvoir de redonner vie aux végétaux.
Puis, j'ajoutai, impatient de savoir la réponse à ma question :
- Bon, ce n'est pas tout ça, mais je ne vais pas te faire un exposé, ça prendrait des heures. Alors réponds à ma question.
Puis, pris d'un doute, je regardai la montre d'Ambre. Mon visage se déforma en une grimace de panique lorsque je vis l'heure qu'il était.
- Ambre ! Nous devons nous dépêcher d'aller en cours ! La cloche va bientôt sonner !
Mais Ambre ignora mon cri et me répondit d'un ton inexpressif :
- Nous sommes hors de vue, ici. Et les professeurs ne passent pas leur temps à chercher les élèves dans la cour. Ils sont notés absents, voilà tout.
Puis, elle continua, sur un ton cette fois beaucoup plus dur, souvent triste, tout le temps encoléré, parfois même désespéré. Toutes les expressions se succédaient à toute allure sur son visage. Si vite que parfois, j'avais même l'impression qu'elles se mélangeaient. Son masque de placidité s'était fané…
- Tu veux que je réponde à ta question ? Eh bien soit ! les enfants de cette génération et leurs parents n'aiment pas Rayquaza. La plupart ont un membre de leur famille, un cousin, un ami, qui est mort sous un immeuble effondré, a perdu son logement ou est bloqué à l'hôpital et dans le coma à cause de ce monstre. Les seuls à voir encore en lui de la gentillesse sont les gens du peuple météore, ceux vivant à Atalanopolis et les vieilles personnes (et encore, pas toutes les vieilles personnes). Certes, il sauve le monde, mais pourquoi continue-t-il ainsi si il détruit en même temps des milliers de vies, parfois au vrai sens du terme ? Pourquoi combat-il Groudon et Kyogre si c'est pour détruire des villes au passage ? Si c'est pour tuer les gens ? Moi, je le hais !
Elle s'arrêta, pour reprendre son souffle, mais quelques secondes après, elle reprit, butant sur chaque mot, tellement elle était essoufflée :
- T… Tu vois ce p… petit garçon l...là-bas ?
Elle écarta le lourd feuillage de l'arbre et me désigna un petit garçon aux cheveux verts qui regardait dans le vide, assis par terre, s'arrêta un instant de parler, déglutit, reprit sons souffle puis continua
- Il a été malade pendant longtemps à cause de Rayquaza. Il vivait dans une grande ville en bordure de la région. Elle a été rasée par cet abo géant et il n'en reste que des ruines. Il a passé quelques minutes à fouiller pour retrouver ses parents, quelques minutes qui lui avaient paru des heures. Quelques minutes uniquement composées panique pure. Les immeubles effondrés avaient soulevé un nuage dense de poussière. Elles l'ont traumatisé, ces minutes. Car, pendant ces quelques minutes, il a vu des horreurs que tu ne vivras jamais. Il a vu ses amis morts sous des décombres. Il a vu le bras de sa grand-mère ensanglanté dépasser de sous un grand pan de béton. Il a vu les silhouettes fantomatiques et pour la plupart estropiées sortir du brouillard. Il a retrouvé ses parents, et ils ont attendu. Ils ne parlaient pas. Jamais. Et ils n'ont plus parlé pendant un mois. Ni aux hélicoptères qui sont venus les chercher. Ni au autres survivants. Ni dans la maison où leurs cousins les ont accueillis. Puis, petit à petit, ils ont surmonté cette épreuve. Mais, un jour, leur fils est tombé malade. Il était maigre comme tout, toussait, délirait de fièvre parfois. Mais, malgré ça, il a quand même voulu avoir un pokémon. Il a attrapé un tarsal, et il a voyagé jusqu'à la route victoire. Mais il n'a pas continué. Ses parents n'ont pas voulu le laisser seul là-bas. Ils l'ont mis dans cette école. Mais, comme il avait un pokémon très fort -un gallame- et que les enfants de cette école n'en ont pas, beaucoup l'ont harcelé pour qu'il le leur donne. Il n'a pas cédé. Alors ils ont commencé se moquer de lui, en lui parlant de la catastrophe qui a eu lieu dans sa ville. Et là, il a commencé à y repenser, à en reparler, et il a perdu toute combattivité. Le gallame a été volé. Comme c'était lui qui permettait au petit de tenir debout, d'avancer, c'était lui qui lui a permis de faire disparaître sa maladie, Ce pauvre petit n'avait plus rien pour se soutenir. Il est tombé. Ce que tu vois là, c'est une coquille vide de sentiments heureux. Il ressasse ses souvenirs, est sujet à des insomnies, et, quand ce n'est pas le cas, à des cauchemars. Même quand quelqu'un lui a retrouvé son gallame, il n'a pas dit un mot. Il fait le chemin de vergazon à ici par le ferry qui le dépose. Je pense qu'il n'accorde plus vraiment d'importance à sa vie. Il ne reste debout que pour ses parents. Si ils n'étaient pas là pour l'aider, je me demande comment tout cela finirait. En plus, dés qu'on lui plaque une image de Rayquaza sous le nez, il part en courant. Pauvre Timmy…
Elle paraissait sincèrement touchée par le sort de ce petit garçon. Mais je ne pus m'empêcher de dire :
- On meurt tous un jour. Il y a des forts, il y a des faibles. C'est ça, la vie…
Je sentis une vive douleur sur la joue. C'était Ambre qui m'avait giflé.
- Tu es un monstre ! Me hurla-t-elle. Comment peux-tu penser une chose pareille ! Je te mettrais bien au même niveau que Rayquaza sur ce plan là, tiens !
- Je suis désolé. Murmurai-je
Son ton ne s'adoucit pas, mais se fit plus compréhensif.
- Tu n'as pas besoin de t'excuser. Tu as dit ce que tu pensais sur le moment, même si je doute que ce soit vraiment ton avis. Me dit-elle avant de se lever du banc.
Mais ce n'était pas pour ce que j'avais dit que je m'excusais. Ou alors pas seulement. Je m'excusais pour tout ce que j'avais fait, toutes les vies que j'avais pourries. Pour tout. Si elle savait… Je me levai à mon tour, et jetai un regard en direction de Timmy. Je partis avec Ambre en direction de la porte…