Les Enfants des Astres de Kloana

La nuit est tombée depuis plusieurs heures sur la forêt. La pluie fracassante s’est calmée peu à peu pour laisser apparaître les diamants de la voie lactée. Les étoiles scintillent d'un faible éclat, il est difficile de les apercevoir ; en effet, d'énormes nuages continuent d’assombrir le ciel, et de recouvrir la Lune. Les Pokémon dorment d’un sommeil profond, chacun dans son nid ou dans sa tanière. Seuls quelques-uns sont restés éveillés : les Nosferapti et Nosferalto s'envolent dans le ciel, en quête de nourriture, suivis de près par des Hoothooh et des Noarfang. De jeunes Feuforêve s'amusent dans l'ombre de la nuit, veillés de près par des Magirêves, et des Cornèbre croassent pour communiquer entre eux. On entend aussi les cris aigus de Mimiqui, telles des lamentations qui témoignent de leur désir de devenir plus connus. Voilà un bien triste tableau, enténébré par le sang versé en début de soirée.

Sander et sa sœur jumelle se sont réfugiés dans une grotte, connectée à leur maison, suite au décès de leur père et à l’assassinat de leur mère. Ils sont les seuls rescapés, sauvés de justesse par leur mère qui s’est sacrifiée pour eux. Le jeune adolescent repense à ce qu’il s’est passé, quelques heures plus tôt. Incapable de trouver le sommeil, il essaie de trouver une explication à la mort de leurs parents, tout en caressant les cheveux argentés de sa sœur endormie sur ses genoux. Mais rien n’y fait ; tout ce qu’il peut en déduire, c’est que des personnes en avaient après leurs parents et cela expliquerait pourquoi sa mère a été assassinée. Il se dit qu’il doit en être de même pour leur père ; le meurtre de sa mère ne peut être anodin.
Sander s’imagine les motivations de ces gens pour tuer leurs parents : vengeance, convoitise, haine… De nombreuses raisons lui viennent à l’esprit, mais l’incompréhension demeure. Et surtout, une question cruciale le préoccupe : pourquoi ? Pourquoi eux ? Et pourquoi maintenant ? Il secoue la tête comme pour chasser ces mauvaises pensées. Maintenant, il doit faire de son mieux et devenir plus fort, afin de protéger Mana. C’est tout ce qui lui importe désormais. Mais pour veiller sur elle, Sander doit écarter tout danger ; et pour cela, il est capital qu’il découvre les assassins de ses parents.

Les yeux gris de l’adolescent se posent sur la mallette noire. Il n’a pas encore eu le temps de l’ouvrir. Alors qu’il tente de l’attraper sans réveiller sa sœur, celle-ci se lève d’un bond. Les prunelles dorées de la jeune fille trahissent la peur de Mana. Sander s’apprête à lui demander ce qu’il y a, mais elle l’empêche de parler en plaquant sa main contre sa bouche. Quelque chose attire son attention à l’extérieur. Sander suit son regard et réalise que sa sœur a bien fait de le faire taire. Dehors, des hommes vêtus de noirs semblent chercher quelqu’un, et il lui est simple de deviner que ce quelqu’un, c’est eux. Tétanisés, les jumeaux ne font plus un geste et ralentissent leur respiration. Une goutte d’eau tombe sur le nez de l’adolescent ; cette fois, il retient sa respiration pour s’empêcher d’éternuer. Les hommes finissent par s’éloigner après plusieurs longues minutes et les jumeaux se détendent un peu. Mana retire enfin sa main, laissant à son frère la liberté de s’exprimer. Sander reprend son souffle et se tourne vers Mana. La jeune fille baisse la tête en prononçant un « Désolée » à peine audible. Il sourit et lui caresse la tête pour la réconforter. Après tout, c’est grâce à elle s’ils ne se sont pas fait prendre.

Son attention se reporte à nouveau vers la mallette. Il réalise que si sa mère leur a confié cette petite valise noire, c’est qu’elle doit contenir quelque chose d’important. Sander s’en rend compte seulement maintenant et se maudit de ne pas y avoir pensé avant. Il est plus que probable que ce que cherchent ces hommes, c’est cette mallette ! Leur mère s’est sacrifiée pour leur permettre de la protéger, voilà quel est leur devoir, à présent ! Sander se lève sous le regard interrogateur de sa sœur ; pour une fois, elle ne semble pas avoir compris de quoi il retourne. Il lui tend la main pour l’aider à se relever et ils prennent leurs affaires. Mana comprend seulement qu’ils doivent partir. La jeune fille se précipite vers son frère et lui prend la main.

« - Il y a un problème Mana ? »

Seule le silence répond à la question de Sander. Le garçon est même étonné que sa sœur ne lui demande rien de plus. Mais avec ce qu’il s’est passé la veille, Sander n’est pas surpris de l’attitude de Mana. Il serre sa main et l’entraîne hors de la grotte.
La nuit d’encre règne sur la forêt, la Lune demeure cachée par les nuages. La pluie s’est arrêtée il y a quelques heures maintenant, laissant place à un vent glacial. Mana regarde le ciel, pensive. Depuis quand fait-il aussi froid, la nuit ? La jeune fille plisse les yeux, mécontente. Mais la racine d’un arbre lui fait reprendre ses esprits en la faisant trébucher ; elle est rattrapée de justesse par son frère. Elle le remercie d’un hochement de tête et ils reprennent leur route. Pour y voir plus clair, Sander a fait sortir son Matoufeu, lui demandant de former une petite flamme afin d’éviter de se faire repérer. Mana a envoyé son Efflèche en éclaireur ; l’oiseau leur indiquera quelle direction prendre pour sortir de la forêt. Il les avertira également si un danger est proche.
La nuit suit son cours et les jumeaux progressent, le plus silencieusement possible. Aucun signe du hibou de Mana, ce qui est rassurant. Le Matoufeu est à l’affût, conscient des problèmes qu’ont rencontrés son dresseur et sa sœur. Une feuille qui crisse, une brindille qui se rompt ; chaque bruit est perçu par les oreilles du chat, sursautant de temps à autre. Les deux humains l’accompagnant sont aussi aux aguets, mais leur ouïe reste moindre. Parfois, la flammèche du Pokémon s’amenuise et celui-ci use alors de ses pouvoirs pour la raviver, lui demandant un effort de plus en plus considérable au fur et à mesure qu’il se fatigue. Sander est reconnaissant envers son compagnon qui lui est resté fidèle depuis le premier jour de leur rencontre.

L’appel désespéré de l’Efflèche retentit à travers les arbres. Paniquée, Mana commence à courir vers le cri, mais est retenue en peu de temps par Sander. L’oiseau revient parmi eux, complètement affolé : il a certainement repéré les ennemis. Le hibou les entraîne à l’opposée d’où il est venu, volant parfois au dessus des arbres pour surveiller l’avancée du camp adverse. Il repère un arbre assez grand et force ses amis à grimper dedans. D’abord incompris des humains, il réussit néanmoins à leur faire deviner son intention en voletant autour de l’immense arbre. Sander est le premier à monter, suivi de près par Mana. Le Matoufeu n’a aucun mal à se hisser rapidement vers une branche haute en utilisant ses griffes et des pattes puissantes. Les jumeaux ont plus de mal à monter, surtout la jeune fille, mais ils doivent faire vite. Les aboiements de plusieurs Lougaroc résonnent dans l’obscurité et indiquent que leurs ennemis sont très proches. Mana glisse plusieurs fois, heureusement rattrapée de justesse par son Pokémon. Ils parviennent enfin à une hauteur considérable. Cependant, les Lougaroc risquent de détecter leur odeur, ce que les deux Pokémon ont compris. D’un signe de tête, ils redescendent, certainement pour attirer l’attention des Pokémon Loup. Cette fois, c’est Sander qui empêche Mana de crier, voulant rappeler son Pokémon. La diversion de ceux-ci fonctionne, les Lougaroc sont concentrés sur leurs assaillants, qui les entraînent loin de l’arbre. Bientôt, les hommes en noir passent près de l’arbre, pourchassant les Pokémon. Les jappements se font de plus en plus lointains, le silence retombant peu à peu sur la forêt. Inquiète pour son Efflèche, Mana se rapproche de Sander.

« - Ne t’inquiète pas. Ce sont nos Pokémon après tout, ils reviendront sains et saufs, je te le promets.
- Je l’espère, Sander…
- Allez, reposons-nous un peu. Tu dois être épuisée.
- Tout autant que toi… »

Sur ces mots, la jeune fille se blottit entre les bras de son frère, lui-même adossé à l’arbre. Il regarde en bas ; s’ils tombent, leur chute sera mortelle. Il décide de ne pas s’endormir pour surveiller Mana. Mais après tout ce qu’il s’est passé, la fatigue ne tarde pas à avoir raison de lui.

*****
"Où suis-je ? Tout est noir, je ne vois rien. Qu'est-ce que je fais ici ? Pourquoi fait-il aussi noir ? Je ne comprends rien. Je dois trouver un moyen de m'échapper de cet étrange lieu. Je n'avais jamais rien vu de la sorte : en fait, je ne vois rien. Je n'entends rien, je ne sens rien. Je continue d'avancer. Peut-être suis-je enfermé dans une pièce. Les hommes en noir m’ont-ils capturé ? Non, c'est impossible. Nous étions tous les deux, rien ne peut nous arriver !
Mais… Pourquoi suis-je seul, d’ailleurs ? Où es-tu ?"
"Je continue de marcher. J'ai l'impression que cela fait une éternité que je suis plongée dans le noir. Je dois être morte en fait. En tombant de l’arbre. Ou en me faisant capturer par ces étranges personnes. Non. Je ne dois pas abandonner. Je dois le retrouver ! Et ce n’est pas cette obscurité qui m’empêchera de le rejoindre. Je dois trouver un moyen de sortir de cette obscurité. Je cours maintenant. J'ai le sentiment que je vais trouver quelque chose."
Mais…
Que vois-je…
Une lumière…
"Le vent commence à souffler plus fort. Des nuages envahissent à nouveau le ciel pourtant un peu dégagé. Il me devient de plus en plus difficile à atteindre le sommet. Mais en fait, quel sommet ? Pourquoi suis-je en train de marcher dans une montagne ? Où dois-je aller ? Pourquoi ai-je un pressentiment ? Il se passe quelque chose. Plus j'avance, et plus il fait noir, les nuages recouvrent la lune, les ténèbres envahissent le ciel. Le vent se transforme presque en tempête. Je me rends compte que j'arrive au sommet de la montagne. Les éléments se déchaînent. Il pleut maintenant, une vraie tempête. Je marche encore, j'y suis presque. J'arrive enfin au sommet. Je m'effondre au sol, épuisé. Je distingue des pas qui s’approchent. Mais… Comment est-ce possible ?"
"J’entends du bruit, juste devant moi. J’accélère. Sans que je comprenne pourquoi, en suivant cette lumière, le paysage a changé. Le noir infini s’est transformé en paysage montagneux. Je continue mon ascension vers le pic. Que s’y trouve-t-il ? En y allant, découvrirai-je pourquoi j’ai atterri ici ? De toute façon, je n’ai pas d’autres solutions. J’avance encore et j’y parviens enfin. Ce que je découvre… me laisse sans voix."
Sander !
Mana !

La jeune fille rejoint son frère, surprise de le voir ici, mais maintenant rassurée d’être à ses côtés. Elle l’aide à se relever, quand une forme floue apparaît progressivement devant eux. Malgré sa fatigue, Sander se positionne devant sa sœur dans un acte de protection. La forme obscure grandit peu à peu. Le cœur de chacun des jumeaux bat à tout rompre dans leur poitrine. Une voix tinte dans leurs esprits, répétant inlassablement ces mots :

Réveille-toi.

*****
Sander et Mana se réveillent en sursaut, la respiration haletante. Le Matoufeu est couché sur les jambes de l’adolescente, tandis que l’Efflèche dort sur une branche un peu plus basse. Le frère et la sœur se regardent, et se rendent compte qu’ils ont partagé le même rêve. Les mêmes interrogations subsistent dans leurs esprits : où étaient-ils et quelle était cette voix ? Ou plutôt, qui était cette chose qu’ils avaient vue ? En bougeant son bras, Sander remarque qu’il n’a plus la mallette avec lui, ni son sac. Affolé dans un premier temps, il se souvient qu’il les a cachés dans un creux de l’arbre. Après avoir réveillé les Pokémon, il aide Mana à descendre et récupère leurs affaires. Une fois en bas, il pioche dans le sac de leur mère quelques gâteaux qu’ils mangent avec appétit. Mana nourrit les Pokémon pendant que Sander range son sac. Une fois cela fait, les deux jumeaux choisissent d’ouvrir la mallette. Il leur serait plus facile de protéger le contenu de la petite valise s’ils savent ce qu’elle contienne. En l’ouvrant, ils sont étonnés de n’y trouver qu’une enveloppe et une clé. Mana inspecte la clé pendant que Sander ouvre la missive. A l’intérieur de celle-ci se trouve plusieurs billets, des économies sans aucun doute, et une lettre, que Sander lit à voix haute.

A la fin de la lecture, les jumeaux tremblent. Tout ce en quoi ils ont cru jusqu’à présent…
Vient de s’effondrer. En quelques phrases.
Mana n’en supporte davantage. Elle se laisse tomber au sol, pleurant à nouveau. Sander s’agenouille près d’elle avant de la prendre dans ses bras. Lui aussi déverse son désespoir. Leurs Pokémon s’approchent, la tête basse. Mais à ce moment précis, rient n’aurait pu apaiser leur peine.
Les rayons solaires apparaissent peu à peu, chassant l’orage et la nuit ténébreuse. Les deux jeunes adolescents relèvent la tête, contemplant le Soleil levant. Une douce chaleur accompagne l’astre aux reflets d’or, annonçant un temps agréable sur la région d’Alola. Sander et Mana se redressent, des larmes tièdes coulant sur leurs joues. Le frère prend la main de sa sœur, la regardant dans les yeux. Et prononce les mots que la jeune fille n’a pas eu de mal à deviner :

« - Nous le retrouverons. »