Bienvenue à Lavanville de Xabab

« Il faudrait qu'on puisse voir le corps, avait dit Dan vingt minutes avant de se retrouver à patienter devant la porte du commissariat. »
Theodore, ou Ted comme ce dernier lui avait demandé de l'appeler, avait gentiment proposé d'aller lui chercher les clés de la morgue sur son lieu de travail. Il avait affirmé qu'il n'y aurait personne et l'avait ensuite laissé dans la voiture pendant qu'il faisait son affaire. Malgré tout Dan se demanda un instant s'il avait bien fait de lui faire confiance.

Le flic qu'il avait enrôlé dans sa chasse aux terroristes n'était rien de plus qu'un gamin avide d'aventures qui pensait en trouver aux côtés de ce vieil homme. Ce dernier l'avait compris dès la première fois où il l'avait vu. Il se souvenait parfaitement du sourire béat de Ted sur ce qui était sans doute sa première scène de crime, l'envie de ce dernier de l'aider pour se sentir plus important... En un sens il lui rappelait ce qu'il était dans sa jeunesse.
Il espérait pour toutes ces raisons que ce dernier ne lui ferait pas un coup en douce et n'était pas aller le livrer à ses copains. Cela faisait plusieurs minutes qu'il était dans ce commissariat et Dan se demanda s'il ne valait pas mieux pour lui qu'il mette les voiles.

Alors qu'il s'apprêtait à appuyer sur la pédale d'accélération, le vieil homme vit revenir son nouvel ami vers lui. Celui-ci semblait essoufflé en montant côté passager et s'empressa de lui expliquer son retard :
« Le chef les avait changé de place, ce n'était pas aussi facile que prévu. Mais c'est bon.
– Parfait, répondit simplement Dan en lui adressant un sourire. Maintenant allons rendre une petite visite à notre ami Axel.
– La morgue est dans cette...
– Je sais tout cela. J'ai étudié parfaitement le plan de la ville avant de mettre les pieds ici. S'il y a bien quelque chose à savoir alors c'est cela : connaître le terrain de tes ennemis te permet de mieux les vaincre. »

Ted ne répondit rien mais resta admiratif devant les paroles de cet homme qu'il admirait depuis quelques heures seulement.
Le jeune policier avait grandi sans père. Homme élevé par une femme ce dernier n'avait jamais trouvé de modèle à la hauteur de ses espérances. Dès le plus jeune âge il avait rêvé de faire de sa vie une suite d'aventures palpitantes et s'était ainsi dirigé vers la police pour subir une autre déception. Personne dans son secteur n'avait le profil du père qu'il avait rêvé d'avoir et pas un n'était en mesure de lui servir de modèle.
Mais Dan était différent. Cet homme était l'incarnation du rêve qu'il faisait parfois à propos de son père, il était celui qu'il avait espéré avoir près de lui durant son enfance pour l'aider à faire ses premiers pas dans la vie. Et pour cette raison il le suivait jusque dans la morgue de sa ville afin de voler des cadavres.

« On y est, annonça le vieil homme en éteignant le moteur et en tirant son ami de sa rêverie. Avant de rentrer je vais te donner un aperçu du plan : on trouve le caisson du petit Axel, on le sort de là-dedans et on le met dans le coffre de la voiture. Ensuite on trouvera un endroit calme pour l'examiner. Comprit ?
– Oui, chef, répondit bêtement son interlocuteur.
– Parfait. On ne sait jamais dans quel piège on peut tomber avec ce genre d'affaires. »

Une fois les consignes établies, Dan sortit de la voiture et ordonna à son complice d'en faire de même. Cela fait il ne prit pas la peine de fermer son véhicule et se dirigea immédiatement vers les portes de l'établissement lugubre qui se trouvait sous leurs yeux.
« On aura peut-être besoin de partir rapidement et je ne veux pas prendre le risque, expliqua-t-il au jeune homme. Personne ne risque de voler ce tas de ferrailles en pleine nuit sur le porche d'une morgue. »

Les deux complices passèrent les portes sans encombre. Ted expliqua à son mentor que la police n'avait pas jugé important de placer d'alarme sur ce bâtiment, ces derniers ne craignant aucun visiteur nocturne.
« C'est là qu'ils se trompent, assura Dan en se dirigea vers la salle au fond du couloir où était censé se trouver les caissons. »

Ted lui avait fait un rapide schéma des lieux sur le trajet entre le gymnase et le commissariat. Il était venu une fois après la mort d'une vieille dame qui était morte étouffée dans son sommeil et se souvenait parfaitement de l'endroit.
« C'est que tout cela m'a marqué, avait-il expliqué au vieil homme. Je ne sais pas pour vous mais tirer un caisson vers soi et découvrir le visage livide d'un macchabée.
– On finit par s'habituer avec le temps, s'était contenté de répondre Dan. »

Ce fut d'ailleurs celui-ci qui s'apprêtait à ouvrir le caisson contenant le petit Axel. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour trouver son numéro sur la fiche d'accueil, un bien grand mot pour des personnes mortes.
« Le huit, avait-il dit aussi banalement que s'il était en train de jouer au loto. »

Cela fait il s'avança vers l'avant dernière demeure d'un enfant et la tira à lui pour ne pas trouver ce qu'il désirait.
Le corps ne se trouvait pas là. Le caisson était vide et la couverture tâchée de sang au niveau de l'endroit où s'était trouvée la gorge de l'enfant prouvait son passage dans cet endroit ainsi qu'un manque d'hygiène et de sérieux chez le personnel de cet établissement.
« Bordel ! s'exclama Dan tout haut. On s'est fait doubler par ces fils de Ponchien. »

Ted ne lui répondit pas et le vieil homme trouva cela bizarre ; ce n'était pas dans les habitudes de ce gosse. Il ne l'entendait plus respirer dans son dos et ne percevait plus le bruit de ses pas sur le carrelage froid de cette demeure des morts.
Et c'est alors qu'il se faisait la remarque qu'il sentit une main l'écraser contre le caisson vide et une autre s'emparer de l'arme à sa ceinture.