Le rouleau de parchemin passa de la main de mon ancien professeur à la mienne. Il était lourd, sans doute plusieurs documents très importants. Je le rangeai soigneusement dans ma tenue toute neuve, pressée de me mettre en route. Les dernières instructions me furent données.
- Tu escorteras maître Saléhyddeut jusqu'à la ville voisine, où l'on a besoin de ses sages lumières. Le voyage ne durera pas plus d'une journée, nos confrères t'hébergeront et te récompenseront comme convenu si tout le monde parvient sans encombre à destination. Tu as bien compris ?
Il me prenait toujours pour une gamine incapable de comprendre ce qu'on lui disait. La mission était pourtant simple, mon pokémon si fort et si courageux était là pour me protéger et je connaissais la route. Il n'y avait aucune raison pour que je ne parvienne pas à escorter un vieux membre de notre guilde, son pokémon tout aussi décrépi et le conducteur de la charrette.
- J'ai compris.
- Bien. N'oublie pas de remettre la missive que je t'ai confiée au dirigeant de la guilde, les informations qu'elle contient sont essentielles.
- Je n'oublierai pas.
- Et fais-nous honneur, Willelmina. Tu représentes la guilde Ténèbres pour la toute première fois, tâche d'en être digne.
- J'y veillerai, maître.
Il me salua une dernière fois avant de faire voler sa cape noire en un impeccable demi-tour. Il fallait vraiment avoir envie de se faire remarquer pour passer la journée avec un rideau autour des épaules. Je me tournai vers mon fidèle malosse toujours à mes côtés.
- Tu es prêt, Onix ?
Il lança un cri enthousiaste, auquel je répondis par un grand sourire. Mon pokémon était véritablement irrésistible, si attachant et si enjoué ! Je me demandai ce que je ferai sans lui.
Nous observâmes ensemble les tentatives de deux membres de la guilde pour faire monter le vieux sage dans la charrette, chose qui paraissait complexe. Il semblait à moitié endormi, traînant des pieds quand il ne manquait pas de s'effondrer dans les bras de ses assistants du moment. Les deux malchanceux tentaient de le faire avancer, qui poussant, qui tirant, qui soufflant, qui grommelant. Les quelques mètres qui séparaient le véhicule de la porte se firent presque à reculons, sans compter le colhomard du vieillard qui s'accrochait de toutes ses pinces à la toge de son maître. A croire que s'enrouler dans un rideau noir était une tradition chez les anciens de la guilde Ténèbres. Ma tenue était peut-être disgracieuse et un peu grande pour moi, au moins elle était pratique et d'un marron commun plutôt que de ce noir d'ébène si déprimant. Les assistants du vieil homme parvinrent enfin à un résultat, le portant à moitié jusqu'à la charrette.
Lorsqu'il s'agit d'y monter, l'affaire se corsa encore. L'un des deux acolytes grimpa afin de réceptionner le sage, l'autre s'évertuant à le faire gravir les quelques mètres qui le séparaient de son but. Le vieil homme manqua de s'effondrer sur le sol, puis de se fendre le crâne sur le bois solide de la poutre sur laquelle il devait prendre appui, et qu'il avait magistralement loupé. Seul avantage de la chose, le Colhomard avait lâché la toge et s'était réfugié sous le véhicule. Le conducteur ne faisait pas mine d'aider les deux plus jeunes membres démunis face au poids du vieillard, se contentant de mâchouiller un long brin d'herbe en observant la scène. Je ne pouvais pas me porter à leur secours, mon maître m'avait bien précisé que je représentais la guilde. Ce n'était pas le moment d'abîmer mes vêtements ou de me décoiffer. Le vieil homme s'appuya sur son assistant derrière lui, tandis que celui monté sur la charrette le tira par la main afin qu'il grimpe à son tour. Les deux membres étaient rouges et en sueur, le sage était à moitié endormi, et son Colhomard venait de pincer le conducteur qui fit un bond sur son siège.
Finalement l'on parvint à un résultat, le premier assistant en hauteur agrippant le vieillard par les bras tandis que le second poussait l'auguste fessier afin que maître Saléhyddeut gagne enfin sa place. Leur technique marcha si bien, que le vieil homme bondit littéralement en avant pour retomber sur son assistant, leurs lèvres posées l'une sur l'autre. Croyant à une intolérable agression, Colhomard jaillit de sous la charrette comme un diable de sa boîte et fonça de toute la force de ses pattes sur l'homme entremêlé avec son dresseur. Toujours serviable, mon Onix en profita pour le pousser de la tête afin de l'aider. Colhomard tomba lui aussi tête la première, sans doute un mauvais calcul de la part de mon pokémon. L'assistant se dégagea de son maître et l'aida à s'allonger, le vieillard aux sages lumières s'endormit aussitôt. Le conducteur revint sur son siège, les deux hommes s'écartèrent et nous prîmes enfin la route.

La journée était radieuse, les pokémons chantaient et j'accomplissais ma première mission avec courage et efficacité ! Certes il faisait parfois un peu chaud, je plaignais d'ailleurs le vieillard et le conducteur tous deux en noir. Onix aussi avait le pelage noir, mais lui devait supporter la chaleur mieux que quiconque. Après tout il crachait des flammes tous les jours, un peu de soleil ne pouvait pas lui faire de mal. La route était agréable, nous voilà partis depuis quelques heures maintenant. Le conducteur n'étant pas causant, et le sage rattrapant toujours les heures de sommeil qu'il lui manque, c'est à Onix que je choisis de m'adresser. C'est ainsi, je n'arrivais pas à rester longtemps sans parler à quelqu'un.
- Tu aimes ce voyage ? C'est merveilleux, nous voilà en mission officielle ! Tu te rends compte ? J'espère que tu apprécies le voyage, nous avons encore deux fois la même distance à faire avant d'arriver.
Il y avait bien le vieillard dans sa charrette, qui ronflait un peu. A peine de quoi faire fuir les pokémons sauvages qui pourraient se trouver sur notre chemin. Il parlait dans son sommeil également. Je ne comprenais pas ce qu'il disait, mais je savais qu'il criait des mots plutôt qu'il ne les prononçait. J'avais bien dû sursauter les deux ou trois première fois, mais maintenant j'essayais juste de ne plus y prêter attention. Je vérifiai une nouvelle fois que la missive était toujours en sécurité là où je l'avais rangée, il ne s'agirait pas de rater cette première mission.
Voilà l'occasion de faire nos preuves, à Onix et à moi ! Après notre entraînement à la guilde, une vie d'aventures et de gloires nous attendait ! J'étais certaine que mon pokémon était aussi impatient que moi, bien que pour l'instant il choisisse de ne pas l'extérioriser. Il se réservait sans doute au cas où il y ait un danger sur la route. C'était tout de même peu probable, il ne se passait jamais rien par ici...
- On a un problème !

Je vins jusque devant le conducteur qui venait de sonner l'alarme, Onix sans aucun doute derrière moi comme le pokémon adorable qu'il était. Je regardai devant la charrette, et ne vit... rien. Le ponyta qui tirait le véhicule devait me cacher le danger. Qui était sans doute tout petit, d'ailleurs.
Je m'approchai encore, à demi convaincue que le conducteur cherchait à me faire marcher. Une fois devant le ponyta, je baissai les yeux pour me trouver face à un dangereux, intimidant, majestueux psykokwak. Assis au milieu du chemin, il nous regardait de ses grands yeux inexpressifs. Onix était venu se placer à ma droite et observait également le pokémon sauvage.
Je me retournai vers le conducteur, mes cheveux volant avec un effet particulièrement impressionnant, et l'apostropha avec irritation.
- C'est ça que vous appelez un problème ? C'est un psykokwak !
- Ben voui mam'zelle, donc un pokémon eau. Sauvage qui plus est, il pourrait devenir agressif. Et s'il se mettait dans la tête d'attaquer mon ponyta c't'oiseau-là ? Avec une attaque eau il pourrait s'affoler ou se faire blesser, et je vous souhaite bien du courage après pour retrouver la charrette avec votre petit vieux emportés par un ponyta affolé. Donc, j'estime que c'est un problème.
Je soupirai, et observa de nouveau le Psykokwak. Aucun doute, l'agressivité n'était pas son fort. Il nous regardait d'en bas, avec des yeux étrangement vides et le bec entrouvert. Je pourrais le ramasser et le poser au bord du sentier qu'il ne réagirait probablement pas. Devant tout de même honorer la réputation de la guilde, je demandai à Onix d'aller l'attaquer. Ce fut au tour de mon pokémon de me regarder avec un air indéchiffrable sur le visage. Il ne bougea pas, mais accepta de gronder en direction du pokémon sauvage. Le son déclencha enfin une réaction chez Psykokwak, qui ouvrit plus largement le bec et... resta figé. Peut-être avait-il essayé de lancer une attaque, mais si c'est le cas il avait présumé de ses forces.
- Qu'est-ce qu'il fait ? demanda le conducteur toujours affalé sur son siège.
- Je ne suis pas sûre mais... Je crois qu'il bave.
Effectivement, un mince filet d'eau s'écoulait de la bouche du pokémon et se perdait dans ses plumes, trempant son ventre jaune et rebondi. Dans un sursaut de combativité, Psykokwak parvint à projeter ce qui ressemblait à un pistolet à eau en un filet tout aussi fin qui vint former une flaque entre mes pieds et les siens. Un mètre environ me séparait du pokémon.

Onix non plus ne semblait pas savoir comment réagir. Il avait cessé de gronder, et observait la scène sans bouger. Psykokwak venait de refermer son bec, apparemment content de sa performance. Pendant un instant, seuls les ronflements du vieil homme rompirent le silence. Le conducteur finit par m'ordonner d'attaquer, ce à quoi je répondis par un haussement d'épaules.
- Je ne vais pas attaquer ce pokémon lorsqu'il me suffit de le pousser sur le côté pour que nous ne courions aucun risque.
Joignant le geste à la parole, je m'avançai vers le psykokwak toujours amorphe. Un pas, puis deux.
Je posai le pied exactement sur la flaque que le pokémon venait de produire, et tomba en arrière avec violence. Ma tête heurta quelque chose de très dur, et je sombrai dans le noir le plus total.