A l'aube du pouvoir (T.1) de Raishini

Une sorte de courant de lumière le nimbait d'or et des rafales de vent lui fouettaient le visage. Jérémie se sentait tourner, tourner et tourner encore... Bientôt, il eut des nausées et l'irrépressible envie de vomir. Il n'osait ouvrir les yeux que par intermittence tandis que les épaules de Cyril et Mathilde rebondissaient contre les siennes. Si tout ne cessait pas maintenant, il ne donnait pas cher de son estomac...

Plus violemment qu'il ne l'aurait souhaité, ses pieds rencontrèrent un sol de roche très compact et se dérobèrent sous lui. Tel un vieillard malade et chétif, il s'écrasa à terre sans pouvoir rien faire si ce n'est intercaler ses mains. Une douleur fulgurante le saisit à cet instant précis. Lorsqu'il contempla ses paumes, il se rendit compte qu'elles avaient été lacérées par la roche et maugréa pour lui même. Le picotement de sa peau sanguinolente le fit grimacer mais il se releva comme si de rien n'était. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les autres avaient atterri sur le derrière et s'en sortaient donc plutôt bien.

Avant même qu'il ait pu sonder l'obscurité ambiante, Jérémie remarqua immédiatement une présence étrangère mais inquiétante à sa droite. Un homme grand, musclé et blanc comme un linge qui les avisait en croisant les bras. Parmi ces ténèbres, il semblait être un insolite astre lunaire vers lequel tous les regards se tournèrent, -hormis celui de Cyril qui était toujours inconscient. Aussitôt, Jérémie tiqua. Il aurait même serré les poings à s'en faire mal si ceux-ci ne lui causaient pas déjà une atroce douleur. A la simple vue de ce robuste individu au rictus clairement affiché, il sentait que les choses iraient en empirant. Rien chez lui n'était rassurant et il ne s'en rendait que trop bien compte. Pas une once de pitié ou de douceur ne se lisait sur son visage malfaisant. Ses yeux d'un rouge intense, quant à eux, les vrillaient telles deux lames avides de sang.

- Ah, voici nos invités de marque ! lança l'homme d'un ton ironique en imitant la courbette adressée aux seigneurs. Venez ! Nous allons vous accueillir avec la distinction qui s'impose !

Résigné, Jérémie rejoignit la pièce que l'homme lui indiquait et fut bientôt plongé dans une obscurité insondable. Derrière lui, il perçut le souffle de Mathilde et les bruits de pas des autres. Une lampe accrochée au plafond s'alluma, éclairant une vaste salle de roche circulaire aux murs pourvus de chaînes... Là, Mathilde étouffa une exclamation effarouchée, prise d'un haut-le-cœur.

Deux personnes étaient déjà liées aux parois par de sinistres maillons. Leur état était épouvantable : chacune arborait de nombreuses ecchymoses et ne respirait que miraculeusement. En observant la femme aux longs cheveux argentés qu'il avait en face de lui, Jérémie réalisa à quel point les individus qui les avaient emmenés ici étaient cruels. Son voisin couvert de bandages haletait. Ses paupières closes et ses grimaces retranscrivaient bien la douleur qui devait être la sienne. En comparaison, les blessures de Jérémie n'étaient que des égratignures et il éprouva une intense tristesse pour ces captifs dont il ignorait pourtant tout. Au vu du contexte, il ne pouvait que compatir à leur malheur.

- Vous m'en voyez désolé, mais je vais devoir vous attacher, expliqua leur austère compagnon à la peau blanche. Pour votre bien, ajouta-t-il d'un ton mielleux. Nous ne voudrions pas que nos hôtes nous faussent compagnie, n'est-ce pas ?

Pendant que Shino montait la garde près de l'encadrement de la seule porte, l'homme entreprit d'entraver les adolescents, toujours un rictus aux lèvres. Puis il s'empara de leur sac à dos et les manipula en tout sens. Il paraissait s'amuser comme un petit fou.

- Maintenant, attendez ici, ce ne sera pas long, dit-il d'un air surexcité. La cérémonie commencera dans une heure environ. Vous verrez, ce sera grandiose ! Croyez-moi, après coup, vous nous remercierez ! Ah, je me vois déjà en tête d'affiche : le grand Orion fait son come-back ! Ce que ça sonne bien !

Et il s'éclipsa tout en gloussant comme un bossu. Lorsqu'il ferma la grille d'entrée métallique dans un grincement sonore, la lampe s'éteignit et la pièce fut de nouveau plongée dans le noir. A ce moment seulement, Jérémie considéra qu'il pouvait parler en toute sécurité :

- Mathilde, ça va ?

Il n'osait pas demander cela aux autres, notamment parce qu'ils étaient toujours bâillonnés. D'ailleurs, il se trouvait assez stupide à parler ainsi dans le néant le plus total. Mais à sa gauche, il eut une réponse de la jeune fille :

- Oui, ça peut aller, plus de peur que de mal de mon côté. Mais c'est pour vous que je m'inquiète, ajouta Mathilde d'une voix tremblotante. Ils vous ont tellement amochés ! Je...

- Ne dis pas ça, je suis persuadé que tu souffres plus que nous, la coupa Jérémie avec sérieux. Je ne te demande pas de me dire ce qui se cache derrière ta relation avec ton père, mais juste de me faire confiance. Cesse un peu de te faire du souci pour les autres sans te préoccuper de ton propre sort ! Ce Tobias... je ne le laisserai plus te faire de mal.

Un lourd silence s'ensuivit. Le cœur de Jérémie tambourinait si vite qu'il semblait vouloir fuir sa cage thoracique. Il avait beau essayer de rassurer son amie, lui même ne l'était guère. Leur situation était catastrophique. Par quel moyen pourrait-il s'en sortir ? L'ennemi était plus nombreux et plus fort qu'eux...

- Ce sont de belles paroles mon garçon, mais je doute que tu puisses les mettre en application au vu du problème qui nous est posé, dit alors une voix douce en faisant sursauter Jérémie.

Le dresseur sut qu'il ne pouvait s'agir que de l'homme aux bandages, car cette voix lui était étrangère. Elle était faible et inarticulée par moments, comme si son propriétaire n'avait pas eu à l'utiliser depuis quelques temps. Visiblement, il avait lui aussi attendu le départ du dénommé Orion pour parler. Surpris, Jérémie ne répondit pas.

- Ils sont venus vous chercher, c'est ça ? reprit l'homme inconnu en paraissant deviner son malaise. Mon dieu, je ne savais pas que Tobias avait une fille... Il a fait bien des choses pendant ces années de séparation...

- Vous connaissez mon père ? interrogea Mathilde d'un ton précipité en reprenant brusquement son souffle.

- Bien sûr, je l'ai connu à l'époque où nous avons fait nos débuts dans la police... Je m'appelle Hyde Solrei, et j'étais son meilleur ami.

Jérémie avait nettement perçu l'amertume dans la voix de Hyde. Il entendit également Mathilde remuer, comme mal à l'aise.

- Ça me dit quelque chose, finit-elle par concéder. Mon père me parlait de vous des fois, il disait que vous n'étiez pas assez visionnaire pour que vos chemins continuent à converger ou quelque chose dans le genre. Je m'en rappelle très bien parce qu'à l'époque, c'est un mot qu'il répétait souvent. Visionnaire... Je suppose qu'il voulait alors parler de sa volonté de changer le monde.

- Visiblement, il n'a pas renoncé à cette vision des choses. Il a enfin réussi malgré mes nombreuses tentatives pour lui mettre des bâtons dans les roues.

- Je peux savoir ce qu'il compte faire exactement ? s'exclama Jérémie d'une voix forte, agacé de ne pas comprendre.

Hyde laissa flotter un instant de silence, certainement pour réfléchir à ce qu'il convenait de faire. Enfin, il se décida à répondre sur un ton grave :

- Très bien, je veux bien vous expliquer les détails puisqu'il semble inévitable de vous voir mêlé à toute cette sombre affaire. Puis-je savoir comment vous vous appelez ?

- Moi c'est Jérémie, Jérémie Marchal. Et mon amie c'est Mathilde, Mathilde Tarabelli.

Jérémie avait hâtivement fait les présentations, avide d'entendre Hyde lui donner des réponses à ses questions. L'homme prit une longue inspiration, comme pour se donner du courage, et déclara :

- Il faut savoir que tout remonte à dix-sept ans, presque jour pour jour. C'était en début d'Octobre 1992 plus exactement. Tobias et moi étions policiers et promis à de grandes choses. Nous étions d'excellents cadres ayant déjà fait leurs preuves en l'espace d'un mois seulement. Mais voilà... j'ai commis l'irréparable erreur d'accepter une mission des plus dangereuses sans en avertir Tobias. Je me suis alors infiltré dans une sorte de secte aux projets vraiment effrayants.

" Par la suite, j'ai bien réussi mon rôle d'espion. Personne au sein de cette étrange société ne semblait avoir deviné qui était réellement Hyde Solrei. Un soir, j'ai entendu dire qu'un nouvel arrivant avait intégré le groupe. Quelle n'a pas été ma surprise... quand j'ai compris qu'il s'agissait de mon petit frère. "

Avec un soupir non dissimulé, Hyde cessa quelques instants son monologue. Jérémie ne voyait pas encore le fin mot de l'histoire, mais il ressentait déjà une certaine peine pour cet homme si courageux.

- Vous venez de le voir, reprit Hyde d'un ton morose. Ce colosse atteint d'albinisme est mon petit frère, surnommé bien vite Orion au sein de la secte.

Il se tut à nouveau, redoutant visiblement des remontrances sur l'attitude de son frère. Voyant qu'elles ne venaient pas, Hyde poursuivit :

- Toujours est-il qu'Orion a rejoint le groupe... Et vous savez pourquoi ? Pour une femme qui l'y avait convié en même temps que moi. Sauf que, dans mon cas, je l'avais déjà décidé avant qu'elle me le demande. Orion, en revanche, y est allé par amour pour cette femme. Il en était raide dingue comme on dit...

" Puis, quelques jours plus tard, le leader de la secte nous a annoncé avoir atteint l'objectif fixé... Nous nous sommes alors rendus au Mont Couronné, à l'autel des Colonnes Lance. Je ne sais pas si vous le savez, mais nous sommes dans une galerie aménagée dans le Mont Couronné. C'est là que Tobias a établi sa base peu avant d'être capturé. Connaissez-vous ce lieu ainsi que les Colonnes Lance ?

Jérémie fouilla dans ses souvenirs. Il se rappelait avoir feuilleté un ouvrage sur le sujet et qui s'intitulait " Mythologie et mystères de Sinnoh ". Soudain, une étrange contraction le saisit à l'estomac. Des bribes de mots lui revenaient par petites vagues successives. Lieu de repos de l'Éternel... frontière entre l'espace et le temps... zone divine et sacrée... Arceus...

- Oui, il s'agit d'une montagne qui sépare Sinnoh en deux, répondit Jérémie. Selon les croyances locales, elle serait le repaire d'Arceus, le Dieu Pokémon. Celui-ci serait enfermé dans une dimension parallèle et plongé dans un sommeil profond. Toujours selon les croyances, il serait possible de l'invoquer à partir des Colonnes Lance, un étrange lieu où tout se rejoint.

- C'était bref et concis, mais il s'agit plus ou moins de ça ! approuva Hyde.

Des paroles effleuraient l'esprit de Jérémie... " Je veux bien entendu parler d'Arceus, le dieu Pokémon. Enfin, on dit qu'il est le dieu des Pokémon. Mais à la vérité, il est Dieu. " Salomon aurait-il donné un indice à Jérémie en lui disant cela ? Mais quel était exactement le rapport avec Arceus dans cette histoire ? Tout lui semblait plus confus que jamais.

- Quoiqu'il en soit, nous nous sommes rendus aux Colonnes Lance, dit Hyde avec dépit. Suite à une longue cérémonie où les reliques d'Arceus ont été insérées dans leur socle, nous sommes devenus... des hommes Pokémon, si tant est que je puisse nous désigner ainsi. Par la suite, nous avons révélé des pouvoirs stupéfiants. Des pouvoirs qui dépassaient de loin ceux des meilleurs Pokémon. C'était comme si... nous étions devenu Dieu à la place de Dieu.

Une toux de Mathilde l'interpella alors et il la laissa poliment s'exprimer :

- Attendez, que vous ayez un frère horrible, je peux comprendre. Après tout, il n'y a qu'à observer mon père pour savoir qu'on ne choisit pas sa famille... Mais je ne vois pas ce dont vous voulez parler par " reliques ".

Son ton était poli mais elle attendait de toute évidence une réponse immédiate et claire. Hyde ne se fit pas prier et expliqua :

- On dit que, lorsque Arceus créa le monde, -mais ce n'est qu'une théorie issue de l'opinion générale-, il était imbu d'un pouvoir immense. Craignant de détruire accidentellement ce monde qu'il avait eu tant de mal à façonner, Arceus décida de fractionner son pouvoir en dix-sept parties distinctes. Pour cela, il enferma seize parties dans des plaques rectangulaires de diverses couleurs et les dissémina un peu partout. La dernière partie, qui symbolisait le morceau principal de son être, -c'est-à-dire son âme-, fut quant à elle scellée dans un cristal et dissimulée dans les profondeurs du Mont Couronné. Ce même Mont Couronné dont on dit qu'il est la demeure d'Arceus depuis lors...

" Ces dix-sept parties seraient, plus que des fragments d'Arceus, à l'origine des différents types de Pokémon que nous connaissons. Ainsi, celui qui parviendrait à s'approprier un fragment d'Arceus se verrait doté du pouvoir qui y correspond. Et c'est, il y a dix-sept ans en arrière, ce qui nous est arrivé. Nous sommes devenus des " Arceus sous forme humaine ", des Pokéman, si j'ose dire. Tous rassemblés, nous étions aussi forts qu'Arceus au faîte de sa puissance. Et pour tout vous dire, le monde a bien failli basculer irrémédiablement. "

Jérémie avait jusque là retenu la frayeur qui lui parcourait l'échine, mais il ne put tenir plus longtemps et lâcha une exclamation indignée en même temps que Mathilde. Même Ratchet laissa échapper une sorte de couinement terrifié. Lui et Ariane, bien que muets, devaient suivre le récit de Hyde avec autant d'intérêt que les deux autres. Et pour cause, il y avait de quoi susciter aussi bien la convoitise que la crainte.

- Comment avez-vous fait pour empêcher un cataclysme de se produire ? demanda Jérémie, tenu en haleine par cet effrayant scénario.

- Comment... ?

La voix de Hyde laissait transparaître un profond regret ainsi qu'un certain dégoût de lui-même. Jérémie n'avait pas besoin de le voir pour deviner qu'il était hanté par ce qu'il avait fait. Son intonation était parfaitement claire à ce sujet.

- Parce que j'ai dû tuer tous les Pokéman que j'ai rencontrés sur mon chemin. Parmi les dix-sept qui ont existé à cette époque, Orion et moi sommes les seuls survivants. La dernière bataille qui s'est livrée nous a opposés le 31 Octobre 1992 et je l'ai emportée d'un cheveu.

" Deux jours plus tard, j'ai appris que mon frère destiné à la prison s'était échappé de sa fourgonnette blindée par on ne savait quel miracle. Pourtant, je peux vous garantir que j'avais déjà tout fait pour que les pouvoirs d'Arceus réintègrent leurs Plaques respectives. J'avais même dissimulé le Cristal de Puissance pour éviter qu'il ne tombe à nouveau entre de mauvaises mains. Quant aux Plaques, je les ai remises à des agents de confiance au sein du Gouvernement. Il semblait donc improbable qu'il se soit échappé grâce à des dons surnaturels. Mais Tobias avait étrangement disparu de la circulation et j'avais des doutes.

Les années se sont écoulées et je n'ai eu des nouvelles de Tobias qu'à l'occasion de ses méfaits. J'avais entendu dire qu'il avait rassemblé quelques hommes et se prêtait à des expériences scabreuses. Promu nouvellement Inspecteur en second, j'ai été chargé de son arrestation. Je peux vous dire que ça n'a pas été une partie de plaisir. Le débusquer nous a pris des mois et au final, il y a eu des morts suite à une prise d'otage... "

Son ton était devenu étrangement détaché, comme s'il avait souhaité prononcer sa dernière phrase de façon à ce que ses auditeurs la supporte mieux. Une nouvelle fois, Jérémie entendit Mathilde remuer imperceptiblement et commença à s'interroger.

- Tout cela s'est passé il a dix ans, alors que le Gènhomme, -ainsi qu'on l'appelait-, sévissait, souligna Hyde après une brève inspiration. Après son arrestation, le calme est progressivement revenu et je suis devenu Inspecteur en Chef d'Orowind, la plus grande forteresse au monde. Toutefois, il y avait un bémol : les hommes de Tobias avaient fui sous l'ordre de ce dernier, demeurant introuvables. Mais, puisque nous n'avions plus de problèmes en rapport avec eux, nous nous somme détendus.

" Jusque là, tout allait très bien. Cependant, j'ai reçu une déconcertante visite il y a quelques jours en arrière. Celle de mon frère qui disait venir me chercher. Au terme d'un affrontement rapide, j'ai été terrassé par le Gallame de Tobias, Shino, qui était venu en soutien. A mon réveil, j'ai découvert que ma femme était également la cible de cette machination et que je devais par conséquent coopérer avec Orion. "

- Vous voulez dire que la femme qui est avec vous est votre épouse ? lâcha Mathilde d'un air scandalisé.

- Tout à fait. Naïa est ma compagne depuis quelques temps déjà et jamais je ne l'avais mêlée à mes anciennes histoires. Malheureusement, Orion a appris son existence par je ne sais quel procédé et l'a utilisé comme moyen de persuasion. Ainsi, il a pu faire évader Tobias et récupérer le Cristal de Puissance que j'avais autrefois caché... Peu après, mon frère m'a révélé que c'était Tobias qui l'avait libéré grâce à un habile jeu de Téléport de Shino. En fait, il n'y avait rien de plus facile pour lui : il menait le convoi d'Orion et a pu se défaire des autres policiers sans aucun problème alors qu'il traversait une zone reculée et déserte.

" En quelque sorte, c'est ma faute. Si je n'avais pas refusé de lui dire ce qu'il voulait entendre sur les Pokéman, il n'aurait pas libéré mon frère... A présent, nous en sommes ici et je ne peux que m'excuser de vous avoir entraînés là dedans. "

Malgré tout ce que Hyde venait de déclarer, Jérémie ne parvenait pas à lui en vouloir ne serait-ce qu'un peu. Cet homme avait sacrifié son existence pour protéger le monde et maintenant encore, il trouvait le moyen de demander pardon aux autres ! Quelle prévenance ! Lui aussi aurait bien aimé être si franc et valeureux...

- Il n'y a pas d'excuse qui tienne. De toute façon, vous n'avez pas à nous en faire. Sans vous, le monde aurait sombré dans le chaos bien plus tôt ! Peu de personnes auraient eu le courage et l'audace de faire tout ça. Alors je ne veux pas vous entendre sortir des idioties du genre : " veuillez m'accorder votre pardon, je n'ai pas su vous aider comme il le fallait et gnagnagna... " Dans le cas contraire vous risqueriez de baisser dans mon estime !

S'il n'avait pas reconnu immédiatement ce ton taquin, Jérémie aurait cru rêver. Cyril paraissait plutôt en forme, du moins si on en jugeait la vigueur de sa voix. Il était ravi de constater que son ami avait repris du poil de la bête et faillit même éclipser un instant tout le reste.

- Je crois que Cyril a dit tout ce qui me trottait dans l'esprit, approuva Mathilde avec un petit rire. Hyde, ne vous sentez pas obligé de culpabiliser parce que vous n'avez pas pu accomplir l'impossible une deuxième fois. Ce que vous avez déjà fait pour l'humanité est exceptionnel, tant en terme de bonté que de courage !

Une brève inspiration indiqua à Jérémie que Hyde s'apprêtait à répliquer. Mais au même moment, la porte grinça et la lumière inonda toute la pièce. Aveuglé, Jérémie tenta de discerner quelque chose dans ce flot lumineux qui lui semblait percer sa rétine. Sa vision mit plusieurs secondes à s'accommoder. Pendant cet intervalle, il entendit plusieurs voix se mêler confusément. Malgré tout, il ne pouvait se tromper : Tobias et ses hommes étaient là, à deux-trois pas d'eux seulement. Jérémie ne fut donc aucunement surpris d'apercevoir son visage une fois la vue complètement recouvrée.

- Tous nos invités sont là ! déclara Tobias en levant les bras de part et d'autre de son corps.

Derrière lui, Jérémie aperçut Salomon et les autres séides de l'homme. Ses poings douloureux se serrèrent alors malgré lui. Que n'aurait-il pas donné pour leur briser les os à coup de phalanges...

- Puisqu'il semble que chacun soit réveillé, -Tobias adressa un regard moqueur à Cyril-, nous allons pouvoir commencer notre cérémonie ! Allez, libérez-moi tout ça !

Aussitôt, les adolescents, Hyde et Naïa furent détachés. La dernière chancelait dangereusement, les jambes flageolantes. Hyde se hâta de la soutenir sous l'œil rusé d'Orion. Enfin, Tobias sortit de la cellule pour ouvrir la marche. Jérémie ne savait pas exactement ce qui allait arriver, mais il avait une certitude : quoi que ce soit, ce ne pouvait être qu'un mauvais présage. Cette cérémonie allait se dérouler. En dépit de tous les efforts déployés pour l'empêcher, en dépit des nombreux sacrifices occasionnés... les choses changeraient.