Chapitre 0 : Souvenir
Les herbes me chatouillaient les flancs et le ventre. J'aimais beaucoup cette sensation. Les humains laissaient peu de grands espaces naturels comme celui-ci. Du coup, dès que je passais à côté de l'un d'eux, je ne pouvais pas m'empêcher d'aller me faire chatouiller par les hautes herbes. Cela m'amusait. Ma mère se plaignait que les humains prissent tous les territoires, mais moi, j'avais assez de place pour jouer avec mes amis. Ma mère disait aussi qu'il ne fallait jamais que j'allasse jouer seul trop près des nids des humains. Seulement, aujourd'hui, aucun de mes amis n'avait voulu m'accompagner. Je volais donc seul en rase-motte en plein milieu du champ. Je m'amusais à donner des coups de lame dans les herbes, ce qui les coupait immédiatement. Des fois, quand j'en avais tranché un grand nombre, je me posais pour me rouler dans le tapis moelleux formé par les plantes. Je me relevais alors, couvert de petits morceaux verts, que j'évacuais en me secouant violemment.
J'entendis des cris d'humains venant des chemins bordant le champ. C'étaient de petits hommes. Ils riaient entre eux et se tapaient amicalement. Cela me rappelait mes jeux avec mes amis Pokémon. D'un coup, ils montrèrent du doigt l'endroit où je me trouvais. Plus précisément, ils me montraient du doigt, pourtant, je pensais être bien dissimulé. Puis, ils s'élancèrent en courant dans ma direction. Je réalisai alors que mes ailes dépassaient de la hauteur des herbes. Ma mère m'avait déjà mis en garde. Je devais me méfier des humains. Ceux-ci privaient les Pokémon de leur liberté quand ils les attrapaient. Suivant ses conseils, je décollai. Ma vitesse n'était pas très impressionnante : j'étais encore jeune, et surtout, je prenais soin de rester à couvert dans le champ, pour que d'autres humains ne se lançassent pas à ma poursuite.
Je reçus un caillou sur une aile. Je fus déstabilisé et m'effondrai au sol. La panique me prit. Je ne savais plus quoi faire. J'avais peur de me relancer trop vite, de recevoir un autre jet de pierres s'ils me voyaient reparaître. Mais, d'un autre côté, si je ne me dépêchais pas de partir, ils me chercheraient sans doute et finiraient par me trouver. Qu'allaient-ils me faire ? L'instinct de fuite prit le dessus. Je tentai donc un nouveau décollage, le plus rapidement possible. A peine j'eus levé les pattes du sol que je retombai. Un des petits humains avait attrapé mon pied. J'étais trop lourd pour voler avec lui comme poids mort. Les autres petits hommes arrivèrent immédiatement. Je fus submergé sous eux. Je ne pouvais plus bouger. Je me mis à hurler mais leurs cris couvraient ma voix. J'essayais de me débattre mais ils étaient trop lourds, trop nombreux. Ils semblaient prendre du plaisir à me martyriser.
Des aboiements et des grognements se firent entendre. Des Caninos arrivaient. Ceux-ci étaient au service des humains. Quand ils attrapaient l'un d'entre nous, nous ne le revoyions jamais. Certains racontaient que les Pokémon étaient capturés par des humains. Ma mère, elle, pensait qu'ils n'auraient jamais assez de place dans leur territoire déjà très occupé pour mettre tous ceux qu'ils avaient déjà pris. Alors, elle disait que les humains tuaient les Pokémon qui étaient trop faibles pour combattre. Ils ne gardaient que les meilleurs, pour faire des compétitions. D'après elle, ils nous forçaient à nous battre, même quand nous n'en avions pas envie. Aussi, nous risquions de rentrer en conflit contre eux, s'ils s'obstinaient à nous faire obéir. J'avais très peur de cette éventualité, car je savais bien que la guerre était horrible ! Moi, je croyais ma mère. Tout d'abord, je n'avais jamais entendu quiconque parler d'un Pokémon qui se serait enfui de parmi les humains. Ensuite, je pensais qu'ils n'aimaient surtout pas qu'on jouât sur leurs champs. Alors ils se vengeaient. Pourtant, on ne faisait pas de mal. Peut être qu'ils n'aimaient pas quand je coupais leurs herbes... Mais alors, où aurais-je pu jouer, puisqu'ils ne nous laissaient pas beaucoup de place ?
Mon cœur s'emballa. J'allais donc quitter ma mère pour toujours. Ne la reverrais-je jamais ? Elle devrait rester seule dans notre nid. Elle serait sans doute triste sans moi. Je hurlai : « Maman ! A l'aide ! Viens m'aider ! Ne me laisse pas tout seul avec les humains ! » Pourquoi ne l'avais-je pas écoutée ? Je n'aurais pas dû aller seul dans le champ. Si mes amis avaient été là, nous n'aurions fait qu'une bouchée de ces humains et de leurs traîtres de Caninos. Je hurlai à nouveau. Je n'eus bientôt plus de souffle car les humains me compressaient les poumons. Je me résignai alors. Je pensais une dernière fois à ma mère, à mon nid, à mes amis. Je les revoyais jouer avec moi. J'imaginais ma mère qui m'encourageait à côté d'eux, me poussant toujours à donner le meilleur de moi-même, à me surpasser. Je repris courage grâce à elle. Je tentai, dans un ultime effort, de me dégager, une dernière fois, pour ma mère et pour l'honneur de ma race. Ce fut un échec. Les Caninos arrivaient. Je ne les voyais pas, mais je les entendais grogner.
Un des Caninos jappa. Je sentis l'étreinte se relâcher soudainement. Je profitai de ce répit pour me relever. Je m'agitais, donnant des coups de lame dans tous les sens en tournoyant sur moi-même. Je ne touchai personne, mais cela me rassurait de me débattre. Je retrouvais à peu près mes esprits et réalisai alors que des pierres et des bâtons pleuvaient sur mes assaillants. De ce fait, les Caninos n'osaient plus approcher de moi. Les petits humains avaient disparu dans les herbes. Un autre enfant apparut. Je ne l'avais encore jamais vu : il n'était pas avec eux quand ils m'avaient attaqué. Il s'avança vers les Caninos, se plaçant entre eux et moi. Il était plus petit que ceux qui m'avaient agressé, du moins, en taille. Malgré son jeune âge, il avait un corps assez musclé et semblait agile. Un des Caninos qui avait repris courage se jeta sur lui. Il lui saisit la patte avant. Heureusement pour lui, il n'avait pas utilisé de capacité : il l'aurait tué ! Les Pokémon dressés avaient cette habitude de ne jamais réellement attaquer les humains. Ma mère m'avait expliqué que c'était sans doute un signe de soumission de la part des Pokémon envers la race humaine. Le petit homme ramassa un bâton qu'il lança au loin. Les Caninos, voulant jouer, s'élancèrent à la poursuite du projectile. Le petit m'attrapa sans tarder par l'épaule. J'étais trop sonné pour réagir.
Je courus aux côtés de l'humain un long moment. Je ne savais que faire. Devais-je fuir, lui fausser compagnie ou bien continuer à le suivre ? Apparemment, il ne me voulait pas de mal puisqu'il m'avait sauvé. Mais peut être allait-il me capturer et alors, je ne serais plus jamais libre... Il avait l'air encore un peu jeune pour être dresseur, mais avec les humains, je pouvais m'attendre à tout. Le temps que je réfléchisse à la conduite à tenir, hésitant entre toutes les solutions qui s'offraient à moi, nous nous étions déjà arrêtés. Pourtant, en y pensant, il n'y en avait pas tant que ça, de solutions.
Il m'avait emmené dans un terrain ombragé. Les grands arbres nous protégeaient du soleil et surtout de la vue des autres Pokémon ou humains. Les branches étaient bien fournies en feuilles, qui oscillaient avec le vent. Je me rendis alors compte que j'avais mal. L'aile qui avait reçu le caillou me faisait atrocement souffrir. Mes muscles étaient douloureux. Sur tout mon corps, je sentais que la chair avait été meurtrie. Sans doute m'avait-on écrasé un pied, car j'avais du mal à le bouger. Je ne m'étais même pas rendu compte que je m'étais agenouillé dans l'herbe. Je ne sais pas combien de temps avait duré mon calvaire, mais le temps m'avait semblé tellement ralenti à ce moment, qu'il me semblait être déjà devenu un Insécateur adulte. Ce n'était pourtant pas le cas. Maintenant, le temps avait repris son écoulement normal. Tous mes sens revenaient progressivement à la normale.
Je regardais le petit homme. Il tenait sa main gauche emballée dans le tissu qu'il portait sur son dos auparavant. Je voyais la peau de l'humain. Elle était très fine, fragile, ce qui expliquait sans doute que ces créatures portaient de la peau supplémentaire, amovible. Je n'étais pas du tout expert en humains, mais il avait l'air de souffrir au moins autant que moi. Le bandage qu'il avait réalisé était d'ailleurs tout ensanglanté. J'en déduisis que le Caninos ne l'avait pas raté. Il s'approcha de moi. Mon rythme cardiaque accéléra de nouveau. Je sentais mes flancs se gonfler et se dégonfler à haute fréquence. La force me manquait pour réagir, aussi, je ne bougeai pas. La main de l'humain se posa sur mon aile douloureuse. Il la massa, c'était très agréable. Seulement, je sentais un liquide chaud coulant sur ma peau. Je me tournai pour voir. Il manquait une phalange à un doigt de la patte avant qu'il tenait emmaillotée quelques minutes auparavant. Du moins, il en restait si peu qu'il serait sans doute obligé de la couper. Il y avait aussi une autre marque de crocs sur le dessus de la patte. Il devait avoir bien plus mal que moi ; pourtant, il s'occupait tout de même de ma douleur. Alors que je regardais sa main avec inquiétude, son regard rencontra le mien. Ses yeux, petits et très sombres, avaient quelque chose de rassurant. Il avait l'air sûr de lui et m'inspirait la bienveillance. Je ne pourrais jamais oublier ce regard. A ce moment, je l'aurais confondu avec un Pokémon. Je n'avais jamais vu d'humains avec de tels yeux. Pour moi, ils ne pouvaient pas avoir autant de sympathie.
Il posa la main sur mon épaule. Il dit quelque chose, seulement, je ne compris pas. Son ton était rassurant mais énergique. Il souhaitait sans doute me donner du courage pour me relever. Il passa sa main valide dans ses poils sur la tête, tout aussi noirs que ses yeux. Visiblement, il ne savait plus trop quoi faire pour me faire repartir. Sans doute était-il gêné parce que je le regardais dans les yeux depuis trop longtemps. Ma mère m'avait dit qu'il ne fallait pas regarder avec insistance un ennemi plus puissant dans les yeux, parce qu'il pourrait attaquer, croyant qu'on voulait l'impressionner. Pourtant, je pensais ne pas être en mesure d'impressionner qui que ce soit : j'étais bien trop petit ! J'essayai de détacher mon regard du sien, mais j'étais comme attiré. Je m'approchai de lui et tendis ma lame vers son bras. Il posa la main sur la partie non tranchante. D'un coup, je lui tournai le dos et m'envolai en direction de ma forêt. Il m'avait probablement sauvé la vie.