Dénouer les langues de Dragondegivre

Les portes vitrées du centre commercial s'ouvrirent devant un immense hall. Bondé, Marc et Excelangue y passèrent cependant inaperçus. Les bonnes gens ont la fâcheuse tendance à s'ignorer entre elles, vous compris, même si vous êtes énorme, rose et muni d'une langue de deux mètres de long. Tout au plus, elles vous prendront pour la nouvelle mascotte d'une marque de chewing-gum saveur grenadine.

Appréciant la discrétion toute relative avec laquelle il se déplaçait, Marc arpentait le grand hall d'un air conspirateur. La Team Rocket pouvait être partout, dans n'importe quelle boutique. Aussi Marc passa-t-il du temps à inspecter chaque vitrine, surtout celles des magasins de lingerie fine. Puis, ayant malheureusement croisé le regard coquin d'une vieille dame en sous-vêtements dans une cabine d'essayage entrouverte, il décida que non, la Team Rocket ne serait pas assez stupide pour s'afficher à la vue de tous. D'autant que leur uniforme était très reconnaissable, faute d'être beau. Marc s'enfonça donc davantage dans le grand centre commercial, vers des endroits moins fréquentés.

Arrivé près de la grande fontaine aussi décorative qu'inutile qui ornait le carrefour du bâtiment en croix, Marc réalisa qu'il avait totalement délaissé son pokemon. Regardant derrière lui, il le trouva plus loin à se dandiner sur la mélodie d'un orgue de Barbarie, dans la plus grande indifférence des passants. Après la mission, si le Professeur Chen ne reprenait pas ce pokemon, Marc se dit qu'il ne pourrait même pas le vendre à un cirque. Mais avec un peu de chance, une boucherie voudrait bien de sa carcasse pour constituer quelques merguez.

A l'appel lassé de son dresseur, Excelangue le rejoignit en trébuchant un pas sur trois. Ensemble, ils gravirent les quelques marches les séparant du premier étage du centre. Là-haut, la pêche à la Team Rocket serait peut-être plus fructueuse. Ce qui s'offrit alors aux yeux de Marc dépassait toutes ses espérances.

Devant l'évadé d'hôpital et son pokemon grotesque s'étalait toute une aire en travaux, cachée derrière un film opaque en plastique. A n'en plus douter, la Team Rocket savait opérer aux yeux de tous sans se faire remarquer. Marc s'avança d'un pas décidé vers le côté droit de l'étage. Là, soulevant juste un pan de la protection contre les intrus, il entra, suivi par Excelangue en mode furtif. La furtivité, chez ce pokemon, se réduisait à un rangement de langue en bouche et à une marche sur la pointe des griffes. Excelangue n'était vraiment pas fait pour être ninja.

Derrière la palissade molle se dressaient de véritables faux travaux, ce qui fit sourire Marc. Décidément, la Team Rocket faisait les choses bien. A petits pas, Marc s'approcha du centre du chantier où se dressait un préfabriqué blanc. L'étage semblait vide de vie, mais Marc préférait opter pour la plus grande prudence. Accroupi sous la seule fenêtre du côté droit du petit bâtiment, il tendait l'oreille en quête d'indices. Hélas, le seul bruit qui lui parvint fut celui d'Excelangue se vautrant dans une pile de tuyaux de cuivre. Marc jura qu'il dépècerait le pokemon prochainement tandis qu'un homme sortait en trombe du préfabriqué, le repérant directement.

« Qu'est-ce que vous fichez là ? grogna l'homme courroucé.

- Et vous donc ? répondit Marc en se redressant prudemment.

- Hein ? »

L'ouvrier semblait quelque peu surpris par la réplique de Marc. Pourtant, c'était évident, il était membre de la Team Rocket en train de préparer un coup fumant. Marc regarda derrière lui. Excelangue toujours empêtré dans les tuyaux, il était seul contre l'autre. Il le fixa avec défi.

« Ça avance, vos projets ? »

La réponse à sa question ne l'intéressait pas du tout, il l'avait simplement posée pour déstabiliser l'ouvrier. Ce qui fonctionna plutôt bien. Reculant d'un pas, l'homme de la Team Rocket jetait des coups d'œil nerveux à l'intérieur du préfabriqué.

« Z'êtes de l'inspection ? bredouilla-t-il, non parce que c'est ma pause là.

- Arrêtez de mentir et sortez immédiatement. »

La tentative de diversion de l'ouvrier pour donner l'alarme n'avait pas fonctionné. Par contre, celle d'intimidation de Marc marcha parfaitement. L'homme, sans rien ajouter, sortit avec précipitation de l'aire de travaux. Peut-être avait-il vu en Marc un dresseur de Pokemon trop difficile à affronter.

Satisfait de sa performance, Marc entra dans le préfabriqué. Là, sur la table, des cartes étaient étalées pour une partie de Solitaire et un film érotique tournait sur une télévision bas de gamme, dans un coin. Surpris du capharnaüm qui régnait ici, Marc chercha avec précaution des informations sur les projets de la Team Rocket. Ce n'est qu'après quelques longues minutes qu'il tomba sur un dossier intitulé « Centre commercial – 1er Etage ». Certes, cela ne valait pas un titre tel que « Top Secret », mais c'était toujours mieux que rien. Le prenant sous le bras, Marc sortit discrètement du préfabriqué, puis de l'aire de travaux. Caché dans le renfoncement d'un mur, il attendit qu'Excelangue daigne le rejoindre. Une fois le pokemon à côté de lui, Marc s'assit pour inspecter le dossier. Mais une voix masculine le héla violemment.

« Eh ! Vous là ! »

Marc, insultant la Terre et tous ses habitants, décampa aussi sec. Mais Excelangue, qui avait sans doute pris tout cela pour un jeu, lui sauta dessus avec passion. Empêtré sous le considérable poids du pokemon, Marc jura que, plus jamais, on ne lui donnerait de missions comme celles-ci.