Zone interdite de dragibus57

« Maurice !... Mauriiiice !.... Ehhh, Mauuuriiiiiceuuuuh !!! »
Alex courait le plus vite qu'elle pouvait sur la plage déserte. Elle avait enlevé ses baskets pour être plus à l'aise et chacune de ses foulées soulevait une petite gerbe de sable derrière elle, tandis que ses pieds nus s'enfonçaient en laissant de minis cratères dont les parois dégoulinaient d'une avalanche de grains.
Elle arriva complètement hors d'haleine devant le bungalow qui servait de quartier général à la Brigade des Marins-Pompiers du Littoral et mit ses mains en porte-voix autour de sa bouche.
« Maurice ! T'es là?... »

Dans son logement de fonction qui jouxtait le QG, le commandant se dressa brusquement sur son séant, tous ses sens déjà opérationnels, révélant par là une longue habitude des réveils en urgence.
Il n'était pas le seul : deux gros chats venaient de jaillir à leur tour de sous la couette et braquaient leurs oreilles-paraboles et leurs yeux inquiets vers les appels de la petite fille.
– Nom d'un chat ! Y a pas moyen de roupiller tranquille dans c'te baraque ! –
Maurice jeta un rapide coup d'œil à son radio-réveil – 7 heures ! – sauta hors du lit et enfila à la va-vite son pantalon de treillis.

Il était temps ! Au même moment, Alex poussait la porte, avec tant d'impatience qu'elle heurta le mur et rebondit dans un bruit sourd.
« Salut Maurice ! T'es réveillé ?
– Grrr... Maintenant oui ! –

Debout dans l'entrée, une basket dans chaque main, la petite fille haletait, les cheveux en bataille et les joues rosies par sa course folle dans le vent piquant du littoral.
«  Bonjour jeune demoiselle... Dis voir, on ne t'a jamais appris à frapper avant d'entrer ?
- Oups ! Excuse ! Mais il fallait ab-so-lu-ment que je te dise un truc vachement important...
- … qui ne pouvait certainement pas attendre, je suppose...
- Ben... Comment t'as deviné ? »

Le colosse, toujours torse nu, passa une main dans sa tignasse ébouriffée et soupira d'un air résigné. Puis il se dirigea vers sa kitchenette, appuya sur le bouton de sa cafetière programmable et s'affaira dans l'un des éléments haut de sa minuscule cuisine.
« Je t'écoute, dit-il tout en posant sur la table un pot de confiture, une plaquette de beurre et un énorme bol dans lequel il jeta trois morceaux de sucre.
- Tu sais, Momo, après...
- Alexandra, tu peux me faire griller deux tranches de pain complet, s'il te plaît ?
- Beurk, je DETESTE qu'on m'appelle par mon vrai nom !
- Et moi j'ADORE qu'on m'appelle par mon vrai nom...
- Reçu cinq sur cinq, chef ! Alors voilà : ce matin, je me suis réveillée tôt, j'arrivais plus à dormir. Tu comprends, après les aventures de cette nuit... Je me tournais sans arrêt dans mon lit, du coup j'ai préféré me lever et je...
– Nom d'un chat, v'là qu'elle remet ça ! –
- Écoute Alex, est-ce que ton urgence peut attendre que j'aie pris ma douche ? »
La gamine le regarda d'un air surpris, un peu déçu, mais acquiesça de la tête.
« Comme tu veux... »

Maurice prit encore le temps de remplir deux gamelles de croquettes et de les mettre sous les moustaches des chats qui miaulaient désespérément en se frottant contre ses mollets depuis un moment, puis il fila vers la salle de bains.

Quand il revint, complètement vêtu et rasé de frais, son bol était rempli de café fumant et deux tartines généreusement garnies l'attendaient.
– L'est gentille, la petite, faut juste avoir la patience... –
« Bon, qu'est-ce qui se passe de si important ? demanda-t-il après avoir siroté une première gorgée du liquide brûlant – Ahhh, nom d'un chat, c'que ça fait du bien ! –
- Voilà, j'ai trouvé un nouveau Pokémon...
- Qu'est-ce que tu entends par «nouveau» Pokémon ?
- Ben, comme j'te l'ai dit tout-à-l'heure, j'arrivais plus à dormir, j'étais trop impatiente de commencer ma mission...
– Ouh la, mais de quoi elle me parle ? – Quelle mission ?
- Mais Maurice, tu t'rappelles quand même que tu m'as engagée dans ton équipe ?!
- Oui-oui, bien sûr, comment aurais-je pu l'oublier... – J'ai dit ça moi ? J'devais être sacrément fatigué ! –
- Alors je suis allée sur la plage, pour commencer à surveiller, et j'ai retrouvé l'endroit où on a capturé le Métamorph hier. Et là, derrière les rochers, y avait une coquille d'œuf cassée et à côté, un bébé Pokémon...
- Tu sais, Alex, des naissances, on en a tous les jours dans la Réserve, ça n'a rien d'exceptionnel ! – Rien qui mérite qu'on me sorte du lit à l'aube après une nuit trop courte ! –
- Peut-être, mais là c'est différent. Il ne ressemble pas à un Pokémon connu. Je crois que c'est le petit du Métamorph qui s'était sauvé du labo...»

Le commandant, qui trempait sa tartine dans son bol, suspendit un instant son geste, laissant le pain s'égoutter sur la table et regarda Alex en écarquillant les yeux. Il mit un certain temps à prendre la mesure de ce qu'elle était en train de lui raconter. D'en saisir toutes les implications.
Le Métamorph atteint d'un virus mutant. Qui divise les EVs par deux. Qui, à chaque combat, affaiblit un peu plus son porteur. Qui se répand par reproduction. Et Métamorph compatible avec n'importe quel Pokémon...

Maurice bondit, repoussa violemment sa chaise et attrapa sa veste de treillis garnies de ses précieuses Pokéball.
«Bon sang ! Pourquoi tu ne le disais pas tout de suite que c'était urgent ?!
- Wouah !! J'ai essayé, mais tu m'as pas laissée parler ! Tu me coupais tout le temps ! T'as dit qu'tu voulais d'abord prendre ta douche...et puis t'as commencé ton p'tit déj...»
La petite voix, emplie d'indignation au début, était devenue larmoyante sur la fin.
«C'est vrai, dit-il radouci. Excuse-moi, je me suis montré injuste envers toi. – Et après, on dit que les hommes ne savent pas reconnaître leurs torts... – Viens, tu vas me montrer l'endroit exact où tu as vu cette drôle de bestiole.
- Non...
- Allez, fit-il soudain redevenu impatient, ne fais pas ta mauvaise tête : il faut absolument qu'on capture ce Pokémon !
- Pas la peine... Il est déjà là...»

Alex se retourna et montra du doigt, tapie dans le coin derrière la porte, une petite boule de poils mauve.
«Il m'a suivi jusqu'ici... Quand je l'ai vu, je me suis approchée pour le capturer, mais j'ai pas eu besoin. Il est venu renifler ma main et après il m'a suivi tout seul. Il a voleté derrière moi tout le long du chemin.»

Maurice examina avec étonnement le nouveau venu. Sa silhouette rappelait vaguement celle d'un petit chat. Mais la ressemblance s'arrêtait là.
La tête était parfaitement sphérique, surmontée de minuscules oreilles en forme de pétales de violettes et éclairées par deux grands yeux mauves craquants...et ronds. Du museau, velouté et arrondi lui-aussi, pointait une toute petite langue rose. La queue avait la forme et l'apparence d'un pompon de lapin. Tout n'était que rondeurs et courbes dans le Pokémon : jusqu'aux pattes courtes en forme de boules, en passant par le corps, rebondi et dodu à souhait.
Mais le plus surprenant, c'était les deux petites ailes duveteuses qui, pour l'instant, étaient soigneusement repliées le long du dos. Le tout dans un camaïeu s'étirant du parme pour les ailes jusqu'au violet foncé pour l'extrémité de la queue.

– Nom d'un chat ! Qu'est-ce que c'est que cette guimauve ?! –
«Tu as raison, Alex, c'est bien un Pokémon d'une espèce inconnue...
- Avec quoi tu penses que le Métamorph s'est accouplé ?
- Très bonne question ! Je n'en ai pas la moindre idée ! Normalement, le nouveau-né aurait dû avoir l'apparence de la mère, mais là...je ne vois pas du tout qui ça pourrait être. Il ressemble vaguement à un Skitty, mais avec la rondeur d'un Morpheo, les ailes d'un Tylton et des airs de famille de Teddiursa...sans parler de la couleur : un dégradé de Mew et de Métamorph ! Il est possible que le virus mutant ait eu des effets secondaires...
- Qu'est-ce qu'on va faire ?
- Le plus urgent est de le mettre en quarantaine. Il y a un risque qu'il soit encore porteur du virus et il ne doit donc avoir absolument aucun contact avec les autres Pokémon ! On va le mettre dans une Pokéball et l'emmener se faire ausculter par notre cher ami le prof du labo.»

Maurice s'empara d'une Ball et s'approcha lentement. Mais après cinq tentatives, le Pokémon n'était toujours pas capturé. La boule oscillait bien une fois, deux fois, trois fois et... mince ! Il s'en échappait !
Alex suggéra d'utiliser une Faiblo Ball : puisque le bébé venait tout juste de sortir de l'œuf et qu'il n'avait jamais combattu, son niveau ne devait pas dépasser un. Maurice trouva l'idée judicieuse, mais là aussi, ce fut en vain.

« Scrogneugneu ! Pourquoi ça ne marche pas ? – Je commence à en avoir ma claque de c'te bestiole ! Me gonfle sérieusement !! –
- Et si tu l'endormais ?... proposa Alex.
- Impossible : aucun autre Pokémon ne doit le combattre, sinon il risque d'être contaminé à son tour et on aura une pandémie sur les bras !»
En désespoir de cause, après plus de trente essais infructueux, il tenta les Chrono Ball. Sans plus de résultat. A chaque fois, le Pokémon en émergeait et se blottissait à nouveau dans le coin derrière la porte.

– Calme-toi, Maurice, reste zen, respire à fond... –
« Bon, je craque : j'en peux plus ! Je renonce !! J'abandonne !!! Je laisse tomber !!!
- Si on peut pas le capturer, comment on va faire ?
- Je n'en sais strictement rien. Mais il faut absolument l'empêcher de nuire...
- Maurice ! Tu vas quand même pas le... le... tuer ?!
– Tiens, c't'une idée ça... – Mais non, rassure-toi, mon boulot consiste à protéger les Pokémon, pas à les assassiner ! – C'est pourtant pas l'envie qui m'en manque ! –

La petite bête colorée les regardait de ses grands yeux inquiets frangés de longs cils qui accentuaient encore son air innocent.
C'est ce moment que choisit Croquette, le plus gros des deux chats de Maurice, pour pointer le bout de son nez fureteur. Curieuse, l'énorme chatte de 9 kilos se faufila entre les jambes de son maître et s'approcha du Pokémon recroquevillé dans son coin. Elle tendit son museau blanc tacheté de roux et se mit à renifler l'intrus. D'abord prudemment, à petits coups de narine méfiants, puis consciencieusement, sous toutes ses coutures, de l'extrémité des oreilles jusqu'au dernier poil de la queue.
Finalement, à la grande stupéfaction des deux humains, elle frotta son crâne contre le pelage doux du bébé Pokémon et entreprit de le lécher soigneusement.

– Nom d'un chat ! Croquette ! Mais qu'est-ce que tu fous ?! –
« Maurice ! T'as vu ?! On dirait qu'elle l'a adopté !
- Ouais... C'est assez étonnant, parce que, d'habitude, elle est plutôt méfiante... Bon, assez perdu de temps. Il nous faut emmener d'une manière ou d'une autre cette bestiole au labo. Le risque est trop grand.
- Regarde ! Elle fait comme une maman chat !»

Croquette venait de saisir le bébé dans sa gueule, en le pinçant délicatement par la peau du cou, et trottinait tranquillement vers son coussin préféré. Elle l'y déposa, se coucha tout contre lui et reprit le toilettage interrompu.

Le commandant resta un petit moment silencieux, à regarder la scène insolite, puis s'approcha et tendit la main pour s'emparer du Pokémon. La grosse chatte se redressa, les oreilles en arrière, la queue fouettant l'air derrière elle et feula sourdement. Maurice suspendit son geste, atterré :
« Mais Croquette, c'est moi ! Qu'est-ce qui te prend ?
- Je crois qu'elle ne veut pas que tu touches au bébé Pokémon, c'est SON petit maintenant.»

Maurice soupira et se passa une main dans les cheveux.
– Manquait plus qu'ça... – Bon, je vais au labo et j'expliquerai la situation au prof. Je ne vois que lui pour trouver une solution à ce – merdier – problème. Alex, tu restes ici et tu surveilles bien le Pokémon : il ne doit en aucun cas s'échapper ! C'est compris ?
- Oui chef ! T'inquiète pas, sa nouvelle maman et moi, on va bien veiller sur lui.
- Bon, j'y vais et je reviens le plus vite possible. Pas de bêtises, hein ?»