Jour de fête, jour maudit
Plusieurs jours passèrent sans que ses nuits ne soient troublées. Cynthia avait relégué ce présage dans un coin de son esprit et avec un rare optimisme, elle se dit qu'elle pourrait toujours tout arranger si les choses prenaient une mauvaise tournure.
Elle se leva et regarda son calendrier. C'était le 24 décembre, un jour pas comme les autres. Les retardataires faisaient la queue pour acheter les derniers cadeaux et les rues étaient recouvertes de guirlandes lumineuses. Cynthia regardait tous ces gens s'affairer avec un poids dans le ventre.
Elle n'avait pas de souvenirs de ses fêtes de Noël avec ses parents et cela allait être la première fois qu'elle passerait cette journée sans sa grand-mère. Une larme coula sur sa joue. Pour ses pokémon, cette fête n'avait jamais eu le moindre sens vu que le religieux avait été remplacé depuis longtemps par le marketing.
Cynthia regarda le ciel gris et les flocons tourbillonnants. Cette fête était censée être un rassemblement, une invitation à tous. Tous les employés avaient quitté la maison pour les fêtes, jusqu'à l'Epiphanie. Ils passeraient leurs congés dans leurs familles respectives. Elle serait seule pour ce Noël, personne à croiser au détour d'un couloir pour lui souhaiter un joyeux Noël, personne à qui lui demander d'arrêter le service pour parler quelques minutes.
Elle pouvait toujours parler à ses pokémon, mais cela n'aurait pas le même effet car eux, ils n'avaient pas conscience que ce jour était différent. Cynthia descendit en robe de chambre sans réveiller les six dormeurs qui manquaient de sommeil. Elle descendit l'escalier de marbre pour atteindre le palier lorsqu'elle vit une forme s'agiter.
Une personne serait elle restée pour ce jour ? Non, ce n'était que son ombre et elle avait espéré vainement. Elle aurait du s'en douter, personne ne s'était préoccupé d'elle. Elle disait qu'elle n'avait pas besoin d'amis, qu'elle avait tout ce qu'elle voulait, il lui manquait une chose, c'était un peu de chaleur humaine que ni Lucario, ni Spiritomb ne pouvait lui offrir.
Elle s'affala dans le sofa et alluma l'écran plasma. Rien que des célébrations de la naissance d'Arceus, des contes de Noël remplis d'un bonheur illusoire et hors de sa portée. Elle éteignit l'écran avant de se préparer une tasse de lait chaud. Elle sentit la chaleur dans son ventre lui offrir un peu de réconfort.
Elle regarda le fond de sa tasse déjà vide avant de s'interroger.
-Pourquoi suis-je incapable d'avoir des relations humaines normales ?
Une autre voix s'éleva en elle, comme pour répondre à la première.
-Parce que tu as souvent voyagé et que l'éloignement à brouillé beaucoup de tes relations d'enfance.
-Pourquoi suis-je incapable de connaître l'amour ?
-Parce que tu as décidé d'oublier ce sentiment après … lui.
-Me parle pas d'Hélio ! Si tu es si malin, pourquoi je n'ai pas de relations avec des hommes aujourd'hui ?
-Parce que tu es maîtresse de la ligue et que tous sont en dessous de toi. Même ici, tu es la patronne des domestiques, tu ne traites d'égal à égal avec personne.
Elle savait tout cela, mais elle n'avait jamais imaginé que sa solitude lui pèserait à ce point. Cynthia enfila un manteau de fourrure blanche avant de sortir dans le jardin. Elle n'entendait pas un bruit, toutes les fleurs étaient mortes et leurs bulbes attendaient le printemps. L'eau des bassins avait gelé et un petit nuage s'échappait de sa bouche. Le ciel était nuageux, d'un gris uni et menaçant, le monde était bicolore. Le gris et le blanc l'entouraient et aucun oiseau ne chantait, aucun insecte ne bourdonnait, le vent inexistant rendait le monde silencieux.
Elle voyait ce spectacle, comme si la nature elle même était morte. Un monde mort, comme son amour, comme sa joie, comme son envie de vivre. Tout se liguait donc contre elle, comme pour la faire souffrir, la mettre encore plus au ban de tout.
Désemparée, Cynthia fit demi tour et passa sa journée dans sa chambre. Elle ne voulait pas pleurer devant ses pokémon, c'étaient les seuls êtres qui lui restaient, les seuls personnes qui lui témoignaient de l'affection. Elle avait peur de ses sentiments, d'admettre cette faiblesse. Elle craignait que quelqu'un soit au courant des points faibles de sa carapace de glace.
Le soir, ses six compagnons mangèrent rapidement avant de partir jouer dans la neige, même si Carchacrok et Roserade trouvèrent ça moins amusant. Cynthia les regarda se rouler dans la neige, se lancer des boules blanches et rire aux éclats. Elle n'avait pas voulu participer, étant frileuse et trop préoccupée pour s'amuser. Elle s'installa dans sa chambre, seule et fit un repas frugal. Elle regarda par la fenêtre et vit ses pokémon s'amuser. Avec un sourire, elle marmonna.
-Qu'ils prennent du bon temps, cela fait longtemps que je ne les ai pas vu si contents.
Son regard se porta sur l'intérieur des maisons de l'autre coté de la rue.
Dans chaque cas, une famille riait et se retrouvait autour d'une grosse dinde, de vins de pays et de foie gras. Elle, elle était seule avec une salade et un verre d'eau. Elle n'était pas comme les autres, elle était anormale et sur cette pensée, elle alla prendre un bain seule et les yeux humides.
Elle regarda les six jouer dans le jardin. Ils avaient rarement pris autant de plaisir. Elle commença à se poser des questions.
Etait-ce parce qu'elle était maussade qu'ils ne riaient pas ? Serait-ce de sa faute à elle s'ils étaient si sombres ? Ses pokémon seraient-ils plus heureux si elle était absente ?
Elle regarda le ciel et murmura pour elle même un mot. Un seul.
-Oui.
Ses pokémon arrivèrent un peu plus tard dans la soirée après s'être bien amusés. Spiritomb fut surpris de ne pas voir la dresseuse dans son lit. Les six pokémon la cherchèrent jusqu'à ce que Lucario la retrouve dans la baignoire, un bras hors du bassin. Elle était dans l'eau chaude et apaisante, appuyée contre le rebord, les yeux presque clos et vitreux. Elle était d'une pâleur mortuaire tandis qu'elle respirait faiblement. Roserade cria et pour cause, un petit couteau gisait sur le sol, dans une flaque rouge provenant du poignet de Cynthia.
Lucario saisit le poignet mutilé et essaya d'arrêter l'hémorragie. Il se sentait honteux, comme les autres compagnons de la dresseuse. Pour eux cette journée était comme une autre et ils avaient été incapables de remarquer la détresse de Cynthia. Fallait-il qu'elle soit en danger de mort pour qu'ils prennent conscience qu'elle souffrait ?
Elle se réveilla dans son lit, les poignets bandés et soignés par les talents thérapeutiques de Roserade. Elle ouvrit les yeux et se sentit rassurée. Lucario était à ses cotés, une patte caressant les délicats cheveux d'or. Le renard bleu la serra dans ses bras, une larme au coin de l'œil après avoir veillé sur elle toute la nuit. Cynthia se leva et sourit.
-On devrait réveiller les autres et sortir se promener. Il y a une chose que j'ai envoyée à réparer et qui devrait être arrivée au magasin. Vous voulez venir avec moi ?
Lucario hocha la tête et participa au réveil des autres. Si se lever fut facile pour le spectre et le serpent de mer, cela fut un défi pour d'autres. Tritosor avait rampé pour se nicher dans un endroit difficile d'accès et Carchacrok était tellement fatigué qu'il oublia que les portes sont parfois fermées.
Cet après midi, elle était donc sortie exceptionnellement de son palace pour se rendre dans une orfèvrerie afin de récupérer un de ses bijoux. Après avoir récupéré sa broche mise à neuf, elle rentra chez elle avec ses compagnons. Sur le chemin du retour, un homme mystérieux, vêtu d'un imperméable et d'un chapeau masquant son visage l'aborda.